Jean-Hervé LORENZI

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Jean-Hervé LORENZI
1ères ASSISES
DE LA NUE-PROPRIÉTÉ
Jean-Hervé LORENZI
Professeur à l'Université Paris-Dauphine,
Président du Cercles des Economistes
Arnaud FLEURY
On a longtemps fait mine d’ignorer une crise qui est devenue systémique.
Jean-Hervé Lorenzi, comment analysez-vous l’impact qu’elle peut avoir sur le
marché immobilier et, inversement, le rôle que celui-ci peut jouer au plan
macroéconomique ?
Jean-Hervé LORENZI
Je voudrais vous apporter le point de vue d’un économiste sur la situation du marché
immobilier et sur le rôle que peut jouer l’immobilier dans la résistance aux difficultés
que nous rencontrons actuellement.
Depuis un an, je suis convaincu que nous sommes confrontés à une situation
extrêmement difficile. Le 12 juin 2008, nous sommes allés rencontrer, avec quelques
économistes, Madame Christine Lagarde, pour lui faire part de notre analyse. Nous
lui avons alors suggéré de lancer sans attendre un plan spécifique pour l’immobilier.
Il s’agit en effet d’un domaine qui concerne chaque ville et chaque collectivité de
France. Aussi, il nous est apparu nécessaire d’actionner ce levier pour lutter contre la
diffusion de l’inquiétude et le recul de la confiance. Madame Lagarde nous a fait part
de son accord. Nous savons, toutefois, que le logement constitue un domaine
complexe, qui met en jeu de nombreux acteurs.
Nous avons mis six mois à convaincre Gilles Carrez de proposer un amendement
fiscal tout à fait intéressant. Son adoption doit être saluée.
Pour les économistes, le rôle de l’immobilier (qui représente à peu près 25 % de la
valeur ajoutée de notre pays) est à la fois quantitativement très important et d’une
grande sensibilité du point de vue du marché de l’emploi. L’Espagne est par exemple
un des pays qui ont le plus souffert de la crise immobilière et ceci s’est traduit par
une très forte dégradation du marché de l’emploi espagnol.
S’agissant de la France, je crois que les efforts qui ont été mis en oeuvre restent très
inférieurs à ce qui serait nécessaire. Rappelons que le plan de relance américain
représente environ 3 % du PIB des Etats-Unis. Nous avons été moins touchés en
Europe mais nous allons être confrontés de manière croissante à des difficultés
similaires.
Dans ce contexte, nous nous battrons, en tant qu’économistes, afin de massifier les
plans de relance, en mettant l’accent sur des secteurs tels que l’automobile.
L’immobilier sera également un domaine d’action très important et je suis convaincu
que l’opération Carrez-Scellier apportera une contribution positive à la relance.
Guy Marty souligne à juste titre le caractère fantaisiste de chiffres qui sont parfois
avancés. Il faut voir là le reflet de la déflation. Nous devons redonner confiance aux
acteurs du marché, afin de fluidifier celui-ci.
J’espère que le volontarisme des plans de relance sera suffisant et que nos amis
banquiers seront suffisamment réactifs pour éviter une chute massive des prix.
Nous allons au-devant de douze à dix-huit mois sans doute difficiles et il me semble
que l’on peut tabler sur une baisse des prix immobiliers de l’ordre de 10 %, si le
marché est accompagné par des politiques économiques suffisamment réalistes.
Arnaud FLEURY
Jean-Hervé Lorenzi, quel est votre avis sur le plan de relance décidé en France ?
Madame Christine Boutin a annoncé un investissement d’1,8 milliard d'euros dans le
secteur du logement. Cela vous paraît-il suffisant ?
Jean-Hervé LORENZI
Il existe un risque majeur : celui de la déflation. Dans une telle situation, le système
de prix ne constituerait plus une référence. C’est cette perspective qui est anxiogène,
car il n’existe pas de symétrie entre l’inflation et la déflation. Nous n’avons pas connu
celle-ci en France depuis très longtemps et nous devons être attentifs à ce risque.
Nous avons une chance historique : il existe un besoin de logements, tant en
rénovation que pour les ménages les plus jeunes. Il n’en est pas de même en
Espagne, par exemple, où le stock accumulé excède largement la demande.
Par ailleurs, les Français ont besoin de produits qui leur permettent d’assurer leur
retraite. Je considère que l’investissement dans le logement constitue une manière
économiquement pertinente d’assurer sa retraite, pour différentes raisons que je
pourrais détailler. Une bonne politique économique, notamment dans le domaine du
logement, perçoit correctement l’ampleur des efforts à consentir : un décalage, au
regard des ordres de grandeur nécessaires, revient à arroser le désert et les effets
de seuil sont importants. Le timing est également important. Or le temps ne joue pas
en notre faveur : il est très compliqué de sortir d’une récession. Il est certes coûteux
mais il peut être plus facile d’éviter d’y entrer.
Les programmes qui ont été annoncés ne représentent pas l’injection d’1,8 milliard
d'euros, loin de là. Notre économie aurait besoin de 20, 30 ou 40 milliards d'euros.
Cela dit, pour des raisons de crédibilité de la politique économique, je crois que le
déficit budgétaire de notre pays ne doit pas dépasser 4,5 % ou 5 % du PIB. Nous ne
devons donc pas recourir à l’instrument de la politique budgétaire. Les liquidités
existent, en France et à l’étranger. L’enjeu consiste à miser sur des solutions
astucieuses, à l’image de PERL, pour attirer ces liquidités.
Question de la salle
J’ai l’impression que vous partez du principe selon lequel les prix actuels du marché
immobilier sont justes. Or, juste avant l’éclatement de la bulle Internet, les acteurs du
marché ne cessaient de justifier le niveau des prix –
qui s’est effondré, peu de temps après.
Jean-Hervé LORENZI
Les experts se déchirent sur cette question. Le prix moyen du m2 s’élève à 3 400
euros et il est vrai que les prix pénalisent fortement les primo-accédants. Il serait
assez facile de démontrer que les prix sont sans doute surévalués de 20 à 30 %.
Je crois, cependant, que le vrai risque, pour l’économie, réside dans l’accélération
d’une tendance déflationniste que pourrait alimenter l’atonie du marché immobilier,
renforcée par des effets d’attentisme des acheteurs potentiels.