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Métropoles
9 | 2011
Gouvernance, nouvelles spatialités et enjeux sociaux
dans les métropoles indiennes
Les ONG contre les habitants. La gestion du
relogement et de la réinsertion des populations
des bidonvilles à Mumbai
Derya Ozel
Éditeur
ENTPE - École Nationale des Travaux
Publics de l'État
Édition électronique
URL : http://metropoles.revues.org/4438
ISSN : 1957-7788
Référence électronique
Derya Ozel, « Les ONG contre les habitants. La gestion du relogement et de la réinsertion des
populations des bidonvilles à Mumbai », Métropoles [En ligne], 9 | 2011, mis en ligne le 16 novembre
2011, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://metropoles.revues.org/4438
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Les ONG contre les habitants. La gestion du relogement et de la réinsertion d...
Les ONG contre les habitants. La gestion
du relogement et de la réinsertion des
populations des bidonvilles à Mumbai
Derya Ozel
Introduction
1
Mumbai, capitale financière de l’Inde, ambitionne de faire partie de l’échiquier des
métropoles internationales du XXIe siècle. Le gouvernement du Maharashtra encourage
la croissance et le rayonnement économique de la métropole. Projets de transports
urbains et d’infrastructures routières sont considérés comme les leviers de cette ambition
politique : transformer Mumbai en une métropole internationale. Deux projets phares
restructurent l’espace métropolitain et nécessitent des opérations de déplacement des
habitants dans les bidonvilles : le Mumbai Urban Transport Project (MUTP) et le Mumbai
Urban Infrastructure Project (MUIP).
2
Malgré la législation de l’État du Maharashtra (Maharashtra Slums Improvement
Rehabilitation Act, 2002), il n’existe pas à proprement parler de politique urbaine de
relogement et de réhabilitation à l’échelle nationale. Avec le projet de transport Mumbai
Urban Transport Project largement financé par la Banque mondiale, c’est la première fois
qu’un projet de développement est accompagné d’une telle politique dans la métropole.
D’une part, le gouvernement du Maharashtra doit mettre en œuvre une nouvelle
politique en adoptant la politique de « déplacement involontaire »1 de la Banque
mondiale. D’autre part, cette dernière s’engage à financer le programme de relogement et
de réhabilitation dans le cadre du projet de transport. Longtemps critiquée pour son
désintérêt pour la question des déplacements de populations causés par les projets qu’elle
finançait, la Banque mondiale a en effet réagi en mettant en place en 1990 sa politique de
« déplacement involontaire » et elle exige dans ce cas précis la participation d’ONG au
programme pour prendre en charge l’ingénierie sociale. Par conséquent, ce volet de
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Les ONG contre les habitants. La gestion du relogement et de la réinsertion d...
« relogement et de réhabilitation » représente un champ d’innovation
d’expérimentation à la fois pour l’État indien et pour le bailleur international.
et
3
Socialement novatrice, cette politique de relogement tend à minimiser les conséquences
du déplacement, assurer le relogement avec la participation des habitants, restaurer le
niveau de vie économique des habitants touchés par le projet et conserver les liens
sociaux et économiques avec l’environnement de vie d’avant le déplacement (Resettlement
and Rehabilitation Policy for Mumbai Urban Transport Project, Gouvernement du Maharashtra,
1997). Deux ONG locales sont mandatées pour accompagner ce programme. Les autorités
publiques cherchent à « transformer » les déplacements contraints par les démolitions en
un projet résidentiel pour les habitants des bidonvilles et proposent donc un cadre
politico-opérationnel. En effet, la majorité des études pointe la précarisation des
conditions de vie des populations touchées par les projets de la Banque mondiale et la
déstructuration de leurs liens sociaux et économiques (Cernea, 1997). La distance du
relogement en est un facteur critique et accélérateur de la dégradation des modes de vie
de ces populations (Cernea, 1993). L’étude du volet de « relogement et de réhabilitation »
des grands projets de transports à Mumbai s’avère être un objet d’étude idéal pour
appréhender la transformation socio-spatiale des villes indiennes. Cet article a pour
ambition de répondre à quelques unes des questions que ce programme pose.
Premièrement, comment la mobilité contrainte et l’accès à la propriété s’inscrivent-ils
dans le parcours de vie des habitants dans la métropole et quelles sont donc les stratégies
d’adaptation ou de résistance à ces projets d’urbanisme des individus, des familles et des
communautés ? Deuxièmement, quelle finalité recherchent les autorités publiques à court
terme dans le recours à des ONG locales dans la gestion du programme de relogement ?
Par conséquent, quel rôle tiennent ces nouveaux partenaires dans la gouvernance urbaine
et la gestion de la réinsertion des habitants ?
4
La première partie de l’article évoque le contexte général du projet MUTP, la mise en
œuvre de la politique de relogement et de réhabilitation et sa négociation entre la Banque
mondiale et le gouvernement du Maharashtra. La seconde partie présente la réception du
programme de relogement et de réhabilitation par les habitants et les commerçants
touchés par le projet avec une attention particulière au processus de participation à
travers les interactions avec les employés de l’ONG. Enfin, la dernière partie aborde les
conséquences du relogement dans une cité de relogement. Cet article repose sur notre
enquête de terrain réalisée entre juillet et septembre 2006. L’étude s’appuie sur les
documents officiels du gouvernement du Maharashtra (le cahier des charges du projet
MUTP, la politique de relogement et réhabilitation relative au projet MUTP), des enquêtes
qualitatives auprès des personnes touchées par le projet de route Jogeshwari Vikhroli dans
la banlieue nord de Mumbai. Ces enquêtes ont été effectuées dans trois bidonvilles et dans
une cité de relogement Majas Rehabilitation Colony. Des entretiens avec les fonctionnaires
de l’agence d’aménagement urbain régionale (Mumbai Metropolitan Regional Development
Authority), responsable du projet MUTP, ainsi qu’avec les employés de l’ONG Slum
Rehabilitation Society complètent ce travail.
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I - Retour sur la politique de relogement et de
réhabilitation
L’intervention de la Banque mondiale
5
Entrepris en 2002, le projet de transport MUTP est le premier projet d’infrastructures
urbaines financé par la Banque mondiale2 incluant un budget pour le relogement et la
réhabilitation3 des personnes affectées par le projet. Ce projet a pour but d’améliorer et
d’augmenter la capacité des lignes de train et de remédier au manque de connexions
routières dans la banlieue nord de Mumbai. Il est constitué de trois composantes (un volet
« infrastructures ferroviaires », un volet « infrastructures routières » et un programme
de relogement et de réhabilitation) et prévoit de déplacer plus de 19 000 foyers.
6
La Banque mondiale insiste dès le début auprès du gouvernement du Maharashtra pour
mettre en œuvre la politique de relogement et de réhabilitation (Randeria, Grunder,
2009). Elle y est incitée par le précédent de la campagne internationale contre le barrage
« Sardar Sarovar » sur la rivière Narmada en Inde, qui avait révélé le non-respect par le
bailleur international de ses propres directives environnementales et sociales. C’est dans
ce contexte que la Banque mondiale formule sa politique de « déplacement involontaire »
(involuntary resettlement), qui se concrétise par la publication des directives
opérationnelles 4.30. Ces directives constituent une réponse aux principales
revendications énoncées par les ONG du nord et du sud lors de la campagne contre le
barrage « Sardar Sarovar ». La politique du gouvernement du Maharashtra reprend texto
ces directives dans le cahier des charges du projet MUTP. Premièrement, les effets du
déplacement et du relogement doivent être minimisés sinon évités en étudiant toutes les
options viables pour la conception du projet. Deuxièmement, des plans de réinstallation
doivent être élaborés en donnant aux personnes relogées suffisamment de moyens et de
possibilités d’investissement. Troisièmement, la participation des habitants à la
planification et à l’exécution du relogement doit être encouragée. Quatrièmement,
l’intégration sociale et économique des personnes relogées doit être favorisée pour
réduire les effets négatifs sur le voisinage. Enfin, diverses formes d’indemnisation doivent
être fournies aux populations affectées négativement (terres, logements, infrastructures,
etc).
7
Le gouvernement du Maharashtra révise par ailleurs ses règles juridiques concernant les
critères d’éligibilité au relogement pour satisfaire l’exigence de la Banque mondiale.
Jusqu’à présent pour être considéré comme « ayant droit » dans les programmes de
relogement dans la métropole, les habitants des bidonvilles devaient répondre à des
critères restrictifs d’éligibilité : soit avoir la preuve administrative de la domiciliation
(avant la date butoir), soit posséder un titre de propriété. Or, le projet MUTP n’impose pas
de critère d’éligibilité. Est « personne affectée par le projet » (project affected person) tout
habitant résidant dans le bidonville au moment de la réalisation de l’enquête
socioéconomique par les ONG pour préparer le relogement. La date butoir est la fin de
cette enquête (aucune nouvelle construction ou ménage ne peut être considéré comme
éligible après cette date)4. Cette mesure fortement soutenue par la Banque mondiale est à
l’encontre de la politique de relogement de l’État du Maharashtra. La quasi-majorité des
habitants affectés par le projet MUTP appartient en effet à la catégorie officielle de « slum
dweller » (habitant de bidonville) et n’a pas de droit légal d’occupation.
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Ainsi, le processus de réhabilitation et de relogement débute en 1996 avec la réalisation
de ces enquêtes socioéconomiques dans les bidonvilles. Chaque ménage a le droit à une
unité de logement ou à une structure commerciale d’environ 20 m² (225 sq.ft.) située au
maximum dans un périmètre de deux kilomètres du bidonville d’origine. Si le
déplacement a des conséquences sur l’économie domestique du ménage, des
compensations financières sont prévues pour la perte de l’emploi ou pour les frais de
transport supplémentaires pour l’éloignement du lieu de travail. De même, les foyers dits
« vulnérables » (ménages en dessous du seuil de pauvreté, personnes ayant un handicap,
personnes âgées, femmes seules) bénéficient d’un ensemble de mesures pour surmonter
les difficultés causées par le déplacement.
Le montage et le dispositif du programme de relogement et de
réhabilitation
9
L’agence d’aménagement urbain régionale (Mumbai Metropolitan Region Development
Authority) est chargée de la gestion et de la coordination du programme de relogement et
de réhabilitation. Le gouvernement du Maharashtra refuse que la mise en place de ce
programme soit confiée à un organisme privé comme l’avait suggéré la Banque mondiale
(Randeria, Grunder, op. cit.). Pour cette agence d’aménagement, il s’agit alors d’assumer
une responsabilité nouvelle pour laquelle elle possède peu d’expertise. Avec ce
programme, la Banque mondiale s’engage aussi dans un processus inédit et exige un
dispositif institutionnel indépendant au programme de relogement et de réhabilitation
afin d’en garantir la coordination et la transparence. Quatre commissions sont créées
regroupant des personnalités issues du monde politique, du monde juridique et de la
société civile : 1) la commission qui surveille l’évolution du projet MUTP (High Power
Steering Committee) ; 2) la commissionquidirige la réalisation du programme et coordonne
les différentes agences (Project Coordination Committee) ; 3) le panel qui contrôle le
processus de mise en œuvre et assure la transparence du programme (Independent
Monitoring Panel) ; 4) la cellule de gestion du projet quiest responsable de l’ensemble du
programme : la réalisation, la coordination et le contrôle (Project Management Unit). Enfin,
il faut ajouter la présence d’une commission de doléances destinée à recevoir les plaintes
des personnes affectées par le projet5.
10
Le recours à des ONG locales est une des autres exigences de la Banque mondiale pour
mettre en œuvre le programme de relogement et de réhabilitation, dans un contexte où
l’agence d’aménagement urbain a des compétences limitées en relogement des habitants
des bidonvilles. Le bailleur international insiste pour que ces ONG aient une forte
légitimité auprès des personnes affectées par le projet MUTP. Les autorités indiennes
mandatent des ONG qui ont selon eux cette crédibilité : Society for the Promotion of Area
Resource Centres (SPARC) et Slum Rehabilitation Society (SRS). Ces deux ONG sont considérées
comme pionnières dans la défense du droit au logement des habitants des bidonvilles 6.
Elles mettent au cœur de leurs méthodes de travail et d’organisation la connaissance et
l’expertise des habitants et revendiquent une vision apolitique7. Depuis plus d’une
décennie, elles travaillent pour les projets de réhabilitation des bidonvilles du
gouvernement et entretiennent des liens étroits avec les autorités et le secteur privé8.
Elles reçoivent de plus des financements internationaux. L’ONG SPARC fait en particulier
l’objet de nombreuses critiques dans les réhabilitations des bidonvilles, qui remettent en
cause son approche initiale l’accusant de limiter la participation des habitants et de ne
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plus représenter leurs intérêts (Mukhija, 2003). L’introduction de financements
internationaux modifie leurs modalités d’intervention dans les bidonvilles : elles assurent
un rôle d’intermédiaire et de facilitateur entre les habitants et les autorités
gouvernementales dans la mise en œuvre des projets. Dans le cadre de ce programme de
relogement et de réhabilitation, ces deux ONG ont pour fonction de réaliser les enquêtes
socioéconomiques sur les foyers dans les bidonvilles avant le déplacement, tenir des
consultations publiques d’information pendant l’ensemble du projet, mettre en œuvre le
plan de relogement avec la participation des habitants, permettre aux habitants de
s’organiser en sociétés coopératives (cooperative housing societies) dans la cité de
relogement et mettre en place des infrastructures et des programmes sociaux après le
déplacement. Enfin, ces ONG ont surtout la responsabilité de déterminer les critères
d’éligibilité : en effet, si la politique du projet n’impose pas de critère d’éligibilité et
considère toute personne habitant dans le bidonville au moment de l’enquête comme
ayant droit pour le relogement, elle n’éclaircit pas par exemple un point tel que la
composition de la famille éligible (famille nucléaire ou famille élargie avec trois
générations vivant sous le même toit : grands-parents, parents et enfants).
11
Enfin, l’implication du secteur privé dans le programme de relogement et de
réhabilitation fait consensus entre la Banque mondiale et le gouvernement du
Maharashtra (Randeria, Grunder, 2009). Cette mesure fait déjà partie de la politique du «
Slum Redevelopment Scheme » de l’État du Maharashtra. Des entreprises privées sont
sélectionnées pour la construction des immeubles de relogement et, en échange, elles
gagnent des droits à bâtir (transferable development rights) dans d’autres quartiers de la
métropole, droits qu’elles ont la possibilité de vendre à un tiers.
Les mécanismes de contrôle et de transparence
12
Le projet MUTP entraîne pour la première fois la suspension des fonds de la Banque
mondiale en 2006 pour mauvaise gestion du programme de relogement et de
réhabilitation. L’organisation internationale remet en cause l’ONG SPARC et son travail
concernant le projet de route, Santa Cruz Chembur9. Des habitants et des propriétaires de
commerces et de petites unités d’entreprises affectés par l’extension de cette autoroute
portent en effet plainte auprès du panel d’inspection de la Banque mondiale en 2004 et
2005. Leurs principaux griefs sont le manque de concertation, le choix inapproprié du lieu
de relogement, la baisse de leurs revenus et la dégradation de leurs conditions de vie dans
la cité de relogement (problèmes d’eau, gestion des déchets, éloignement des transports
en commun, des écoles, des services médicaux...).
13
Le panel d’inspection10, créé en 1993 par la Banque mondiale, représente en effet une
innovation par rapport au droit international. Des citoyens affectés par des projets ont
accès pour la première fois à une organisation internationale pour porter plainte pour
violation des règles et des procédures de la Banque mondiale. La création de cet
organisme quasi indépendant tend à augmenter le degré de responsabilisation de
l’institution financière face au public dans un contexte critique et polémique (la
campagne contre le barrage « Sardar Sarovar »). Il constitue le dernier recours lorsque le
personnel ou la direction de la Banque mondiale n’a pas répondu aux plaignants.
14
Le recours au panel d’inspection montre le mauvais fonctionnement des commissions du
dispositif du programme de relogement et de réhabilitation au sein de l’agence
d’aménagement régionale. La Banque mondiale pointe en particulier trois commissions :
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1) la commission responsable de l’ensemble du projet (Project Management Unit) ; 2) la
commission responsable de la transparence du programme (Independent Monitoring Panel) ;
3) et la commission de doléances. Le mécanisme de transparence est sérieusement remis
en cause ainsi que la responsabilité de ses fonctionnaires et ses élus. Les habitants et les
commerçants affectés par le projet font entendre leurs revendications au niveau de la
Banque mondiale, puisque ni l’ONG ni le cadre institutionnel ne semblent être à leur
écoute. Il s’agit dans ce contexte d’examiner à présent le processus de mise en œuvre du
programme de relogement entre l’ONG Slum Rehabilitation Society etles habitants – en
faisant recours à l’autre projet de route Jogeshwari Vikhroli du MUTP– et d’appréhender
plus précisément et concrètement en quoi un tel processus peut amener à la suspension
des fonds de la Banque mondiale.
II- Les logiques des habitants avant le déplacement
face à l’ambivalence des ONG
L’illusoire droit à l’information et à la participation
15
Le montage institutionnel du projet donne un rôle central à deux ONG qui constituent les
principaux interlocuteurs des personnes affectées par les projets d’infrastructures
urbaines. Pendant toute la durée du projet, les ONG font le lien entre les habitants et les
autorités. Les responsables des ONG s’occupent essentiellement du contenu des politiques
de réhabilitation et des négociations avec les autorités publiques et la Banque mondiale,
alors que leurs employés ont la responsabilité des interactions quotidiennes avec les
habitants concernés par les déplacements. Ces employés sont responsables de la mise en
œuvre des différentes étapes du programme de relogement et de réhabilitation.
16
Dans un des sites étudiés, les interactions entre les employés de l’ONG Slum Rehabilitation
Society et les habitants du bidonville de Tiwari Wadi montrent que l’approche de l’ONG ne
favorise ni l’information, ni la communication11: « Pourquoi vous nous faites des lettres
d’attribution12 sans discuter avec nous, sans nous écouter et sans débattre de nos opinions
et de nos demandes avant ? », disent les habitants du bidonville de Tiwari Wadi. Ces
habitants remettent en cause les modalités de mise en œuvre de l’information donnée par
les employés : « Pourquoi l’agence d’aménagement régionale ne nous envoie-t-elle pas des
lettres d’information par exemple ? [...] Lorsqu’une réunion est prévue, elle [l’employée
de l’ONG] vient la veille nous prévenir. Pourquoi nous informent-ils ainsi ? Quand nous
sommes au travail ? Il n’y a que nos femmes à la maison, qui ne retiennent que les
menaces et le fait que l’on va être déplacé loin... ». Lorsque les hommes connaissent la
date de la réunion, ils restent chez eux afin de mieux comprendre les enjeux du
relogement, pouvoir dialoguer avec les employés de l’ONG et défendre leur point de vue.
De plus, ces mêmes employés n’hésitent pas à recourir à un discours menaçant pour
accélérer le programme et bafouent ainsi le droit de décision des habitants : « Laisseznous réfléchir une semaine avant d’accepter la lettre d’attribution » ont demandé les
membres du comité d’habitants du bidonville de Tiwari Wadi. Mais selon eux, l’employée
de l’ONG Slum Rehabilitation Society leur a bien fait comprendre leur intérêt d’accepter
aussitôt cette lettre à défaut d’être relogé dans un quartier plus loin. Les habitants des
bidonvilles ignorent, par exemple, l’existence du mécanisme de doléances. Les employés
de cette ONG taisent ce dispositif essentiel, qui leur permettrait de faire entendre leurs
réclamations. Les habitants sont au départ pénalisés par le manque d’information ou une
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information partielle. Cette situation réduit leur marge d’action et l’ONG est peu disposée
à combler ce déficit. Les habitants ne disposent pas, par ailleurs, du même degré
d’information et de communication. Plus le bidonville est proche de la cité de relogement
(où un bureau annexe de l’ONG se trouve), plus les habitants sont au fait des étapes du
projet, plus ils sont dans une attitude de soumission : « C’est un projet du gouvernement,
alors on doit partir. », disent les habitants du bidonville de Baman Wadi,très proche de la
cité de relogement. Au contraire, plus le bidonville est éloigné et plus les habitants
souffrent du manque d’information, plus ils sont dans des dynamiques de contestation et
de mobilisation comme dans le bidonville de Tiwari Wadi (cf. II, 2.). Les logiques et les
dynamiques d’action dépendent non pas de l’initiative de l’ONG, mais plutôt de la
cohésion sociale et de la structuration des liens sociaux qui préexistent dans le bidonville
et de la perception que le projet est inéluctable. L’absence de dynamique peut aussi
s’expliquer par le fait que l’ONG privilégie les leaders des bidonvilles comme
interlocuteurs. Ces derniers, qui ont le monopole de l’information, de la parole et de la
décision13comme dans le bidonville de Shivshankar Nagar, sont utilisés par les ONG comme
courroie de transmission auprès des habitants. A Shivshankar Nagar, le leader serait ainsi
le propriétaire du terrain et les habitants le laissent faire le lien entre le bidonville et
l’ONG. Selon les habitants de ce bidonville, ce leader contraint des familles à accepter
l’attribution de logement ou facilitent pour certaines familles non éligibles cette
attribution en échange d’une somme d’argent.
17
In fine, les observations de terrain démontrent que le droit à l’information et à la
participation énoncé comme central dans le projet est en grande partie bafoué et que le
rôle des ONG est à cet égard très ambigu. D’une part, l’information est diffusée au
compte-gouttes et non pas dans une logique continue d’information. Les ONG
apparaissent avant tout comme une courroie de transmission de l’agence
d’aménagement. Elles incitent les habitants à accepter les conditions proposées sans leur
donner les moyens d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Il n’y a en réalité ni
consultation, ni concertation et encore moins codécision. La participation est entendue
dans un sens utilitariste, comme le soulignent d’autres auteurs ayant étudié différents
processus participatifs à Mumbai (Sharma et Bhide, 2005 ; Zérah, 2011). D’autre part, les
ONG semblent avoir recours aux réseaux traditionnels existant dans les quartiers
concernés avec comme seul objectif d’utiliser les leaders comme intermédiaires. En ce
sens, la logique de contractualisation entre les ONG et l’agence d’aménagement, déjà mise
en évidence par Sharma et Bhide (2005) dans le cadre d’un programme de construction de
toilettes, produit un cadre institutionnel propice à une participation tournée vers des
résultats conformes aux objectifs du projet (logique instrumentaliste) plutôt qu’à une
participation de long terme visant à construire et consolider les capacités des habitants
(logique d’empowerment). On notera enfin qu’une analyse sociologique fine des ONG pour
comprendre leur organisation, a priori très hiérarchique, composée de responsables aux
capitaux culturels et économiques très différents de ceux de leurs employés (ou street level
bureaucrats), permettrait sans doute d’aller plus loin dans la compréhension de
l’ambivalence du processus de participation14.
Les stratégies collectives des habitants
18
Les habitants du bidonville de Tiwari Wadi se mobilisent pour faire entendre leurs choix
de relogement. L’alternative de relogement pose différents problèmes aux familles :
premièrement, le site choisi est éloigné de la gare et des infrastructures sociales (écoles,
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dispensaires), ce qui augmente le temps et les coûts de transport dans la vie quotidienne
(et en particulier l’accès au travail) ; deuxièmement, la superficie des unités de
logements est souvent inférieure à celle du bidonville ; troisièmement, le plan du
logement est inadapté au mode d’habiter (localisation des toilettes, espace cuisine réduit,
pas d’endroit pour sécher le linge...) ; enfin, la mixité socioculturelle envisagée avec
d’autres habitants de bidonvilles soulève des problèmes concrets. Le problème principal
reste celui de la localisation du site. Ce que les habitants réclament et cherchent à
défendre, c’est en réalité la préservation de leurs repères urbains en ville ; ils veulent
continuer de vivre du côté ouest15car les habitants ont conscience qu’un relogement du
côté est va avoir des répercussions sur leur économie domestique en termes de coût de
transport quotidien : l’accès au travail, au marché de l’emploi et à l’école. En l’absence de
confiance dans le rôle des ONG, ces habitants font donc appel au conseiller municipal
pour plaider leur cause auprès de l’agence d’aménagement régionale. Avant le
déplacement, lorsqu’ils rencontrent ensemble le responsable du programme
« réhabilitation et relogement », celui-ci leur répond : « On va prendre en compte vos
problèmes. Envoyez une lettre du comité d’habitants avec vos plaintes ainsi que l’original
de la lettre d’attribution ! ». 17 familles sur 36 renvoient cette lettre, mais elles ignorent
elles-mêmes les conséquences de leurs actes et si elles seront relogées. Renvoyer
l’original de la lettre d’attribution constitue bien un risque de non-relogement pour ces
familles.Ces habitants, qui ne connaissent pas le mécanisme de doléances, rédigent
pourtant une lettre de plaintes à la Banque mondiale.
19
La mobilisation des habitants ne se limite pas à faire valoir leurs préférences en matière
de relogement. Dans le bidonville de Shivshankar Nagar16, les habitants revendiquent le
droit de propriété de leur terrain et se sont formés en comité (society) pour plaider leur
cause devant la justice. L’enjeu ici est de recevoir des indemnisations pour la démolition
du bidonville et des habitats. Le terrain est disputé entre l’usine Nirlon et les habitants
depuis 20 ans. Dans les années 1950, les premiers travailleurs de l’usine s’installent sur
son terrain avec son accord17. Le bidonville s’agrandit et prend de l’ampleur (en
particulier autour de 1975). Le terrain est vendu au leader du bidonville (slumlord) et à sa
famille dans les années 1990. Les habitants estiment donc occuper le terrain de manière
légale.En 1986, le terrain est déclaré « zone de bidonville » (slum area)par le
gouvernement régional et peut donc ainsi faire l’objet d’opérations de réhabilitation. En
1991, la compagnie Nirlon s’oppose à cette décision lourde de conséquences et entame
une procédure judiciaire pour revendiquer le statut privé du terrain. Selon l’ONG
intervenant sur ce site, Nirlon voudrait expulser les habitants et c’est alors que le comité
d’habitants se crée. Tandis que le tribunal du Maharashtra statuant sur la situation des
bidonvilles (Maharashtra Slum Area Tribunal) prend une décision en faveur de la compagnie
(1992), la Haute Cour de Bombay (Higher Court of Bombay) prend position pour les
habitants (1993)18. Cette situation retarde la mise en œuvre du processus de relogement et
de réhabilitation et complexifie le travail de l’ONG sur le terrain.
20
Dans ce même bidonville de Shivshankar Nagar, des habitants d’autres bidonvilles non
affectés par le projet d’infrastructures urbaines viennent s’installer pour réclamer le
droit au relogement, puisque le seul critère d’éligibilité est l’occupation de l’habitat dans
le bidonville lors de l’enquête socioéconomique de l’ONG. Selon ces « nouveaux »
habitants, certains habitats ne sont pas inscrits sur la liste d’éligibilité, alors qu’ils
existaient bien pendant l’enquête de l’ONG. D’où la difficulté d’établir ces listes pour les
ONG en l’absence de critère d’éligibilité sur le terrain, responsabilité qui leur a été
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déléguée dans le cadre de la politique de relogement et de réhabilitation du MUTP.
Plusieurs hypothèses sont envisageables : soit ces habitats ont été construits après
l’enquête, soit ils étaient inoccupés pendant l’enquête, soit ils étaient occupés et les
résidents et les nouveaux arrivants se sont arrangés entre eux. En tout cas, de nombreux
habitants s’estiment biaisés et réclament la révision de la liste d’éligibilité auprès de
l’ONG. Ces conflits mettent en évidence la complexité du processus d’énumération et les
pièges que cette première étape du processus recèle pour les ONG (Zérah, 2009).
21
Enfin, selon la politique de relogement et de réhabilitation du MUTP, les locataires dans
les bidonvilles ont le droit au relogement. Pourtant, dans le bidonville de Shivshankar
Nagar, l’ONG se contente d’avertir les propriétaires de ne plus louer leurs logements. Ces
locataires sont au courant du projet de démolition. Soit ils ont la possibilité d’anticiper la
situation grâce à leurs réseaux familiaux et/ou leurs histoires résidentielles dans la
métropole, soit ils se retrouvent dans une grande précarité.
Le cas des commerçants
22
Le projet d’infrastructures routières affecte des bidonvilles mais aussi de nombreux
commerces. La manière dont les commerçants, et en particulier les petits commerçants,
sont touchés par les programmes de réhabilitation a été peu documentée à Mumbai alors
même que les moyens d’existence d’une partie des habitants de ces quartiers sont liés à la
présence de ces activités. Le projet MUTP propose une relocalisation des commerces, mais
ces commerçants craignent une diminution de leur revenu. Pour les employés de ces
commerces, c’est la perte de leur emploi qui est en jeu comme le montre l’exemple
suivant.
23
La route de Ram Mandir est une voie commerçante localisée non loin du bidonville de
Tiwari Wadi. Elle est constituée de petits restaurants, de boutiques d’alimentation
générale et de petites unités d’entreprises artisanales. Depuis l’annonce du projet
d’infrastructure il y a 15 ans, l’ONG Slum Rehabilitation Society vient régulièrement (parfois
tous les deux mois, parfois tous les six mois) et attribue des numéros aux structures dans
le cadre de l’enquête socioéconomique. Pour autant, l’ONG ne les informe pas sur le projet
et son évolution. Ici, comme dans les bidonvilles, les commerçants ne distinguent pas
l’ONG de l’agence d’aménagement régionale. Ils vivent avec cette rumeur de la démolition
et redoutent la disparition de leur fond de commerce du jour au lendemain. Ces
commerçants se sont rassemblés pour créer une association, Ram Mandir Commercial
Association (septembre 2006). Leur principale revendication est de conserver les
commerces à l’ouest des lignes de chemin de fer. La relocalisation des commerces dans les
cités de relogement qui sont des espaces fermés, la superficie19 et le plan de l’espace
commercial (sombre, sans fenêtre) inadaptés à certains types de commerces, sont autant
de problèmes qu’ils relèvent. L’association a rédigé à plusieurs reprises des lettres
adressées à l’agence d’aménagement régionale et au directeur de l’ONG Slum Rehabilitation
Society (cf. Encadré 1) : elle propose des lieux alternatifs pour la relocalisation des
commerces. Ces lettres restent sans réponse, de même que les visites faites à l’agence
d’aménagement où les fonctionnaires se contentent d’enregistrer les plaintes et les
demandes. Les personnes concernées au sein de l’agence d’aménagement régionale leur
diraient même de changer de fond de commerce. Face à la surdité des autorités,
l’association a donc décidé d’envoyer son dossier à la Banque mondiale, qui apparaît
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Les ONG contre les habitants. La gestion du relogement et de la réinsertion d...
comme un dernier recours, avec comme argument « Notre niveau de vie va baisser, on
perd notre business au nom du développement ! ».
Encadré 1 :Exemple de lettre
Lettre de l’association des commerçants de Ram Mandir à Mr Milind Mhaiskar, Mr Sonawane,
directeur du projet, Mr Pande et Mr Tragler, gérant du projet :
“Nous sommes propriétaires de commerces à Jogeshwari Nord (ouest). Nous ne nous opposons
pas au projet de la MMRDA, mais en tant que commerçants, nous demandons à être réhabilités
convenablement et à recevoir la même superficie que celle dont nous disposons actuellement
sur les sites de réhabilitation.
Suite à la discussion du 21 juillet 2006, lors de la réunion au bureau de Mr Sonawane, directeur
du projet de R&R, selon ses directives, nous vous soumettons une liste de suggestions des lieux
de relocalisation.
1. RNA plaza, R-14 (en cours de construction) la route de Ram Mandir.
2. MMRDA MUIP (ODC – II) 38 PAP projet de logement (sous l’ONG SPARC) Immeuble SNS,
numéro P\10, P\8, route de Somani Gram, près du parc Deshmukh.
3. Le site de réhabilitation de Ram Mandir pour le projet MUIP.
4. L’espace libre près du pont sur la route S.V (a besoin d’être construit).
5. Avec ceci, vous trouverez ci-joint une photocopie de la liste des propriétaires des
commerces de Ram Mandir et leurs signatures. Certains d’entre eux ont une superficie mal
calculée, pourriez-vous s’il vous plaît rectifier ces erreurs ?
6. Nous devons être réhabilités sans frais à notre charge –même après construction.
Nous espérons bénéficier de la coopération de tous les administrateurs concernés par le projet.
(lettre traduite par K. Parkar du marathi à l’anglais/ anglais à français par D.O)
24
Néanmoins, les arbitrages ne sont pas aisés car les divergences d’intérêts entre
commerçants sont importantes. Le cas du complexe commercial Hiranandani 20 est à cet
égard exemplaire. Les commerçants fortunés s’opposent à cette relocalisation dans le
complexe et leur association Powai Merchant Welfare Association ne s’implique pas dans le
projet21. La quasi-majorité des autres commerçants (90 % selon eux) se disent en revanche
satisfaits de cette relocalisation et pensent que les commerçants aux revenus élevés vont
tirer profit du projet et parvenir à leurs fins en négociant avec l’ONG et la MMRDA. D’un
côté, il y a des riches commerçants, qui ont les « capabilités »22 de négocier directement
avec l’ONG et/ou l’agence d’aménagement ; de l’autre côté, il y a des petits commerçants
qui sont dépendants à l’égard du projet et n’ont pas le choix selon eux. Rien ne garantit
toutefois à ce stade du processus de réhabilitation que les petits commerces vont
réellement déménager dans le complexe. On peut penser que sa configuration physique et
son inadaptation, son éloignement de la vie de quartier vont entraîner des stratégies de
sorties de projet pour les petits commerçants –comme c’est déjà le cas pour certains des
habitants relogés. La troisième partie se concentre sur ces différentes stratégies
d’adaptation ou de sortie des habitants après le déplacement et le relogement.
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Les ONG contre les habitants. La gestion du relogement et de la réinsertion d...
III- La diversité des stratégies d’adaptation ou de
sortie post-relogement
Organisation sociale et dynamiques collectives
25
Entourée par des murs, la cité de relogement est un espace fermé constitué d’immeubles
de 7 étages23. Les habitants d’un même bidonville sont relogés dans un même immeuble
mais l’attribution des logements y est tirée au sort24. Quatre foyers habitent à chaque
étage et, malgré l’attention portée au bidonville d’origine, les habitants regrettent
vivement de ne pas pouvoir choisir leurs voisins. Les modes de vie et les liens sociaux et
communautaires se transforment25 : tournées vers l’extérieur dans le bidonville, les
relations sociales et personnelles sont ici circonscrites à l’espace domestique.
L’importance de l’espace domestique et l’apparition de l’espace privé ne favorisent pas
non plus les relations de voisinage mais plutôt le repli familial des ménages, et ce d’autant
plus que les espaces communs, très importants dans les bidonvilles, sont réduits au
minimum. Ces espaces communs sont par ailleurs majoritairement occupés et dominés
par les hommes, les jeunes et les enfants. La mobilité quotidienne des femmes semble être
réduite et les liens communautaires semblent s’affaiblir.
26
Les conflits d’usage entre immeubles et entre habitants empêchent une dynamique de
gestion collective de la vie quotidienne dans la cité : les conflits concernent la gestion des
déchets, l’alimentation en eau et les charges de maintenance des immeubles. Il s’agit de
respecter les règles de vie commune, d’assumer les frais d’entretien et d’accepter de
devoir vivre avec d’autres habitants de bidonvilles, de castes et de classes sociales
différentes. Ces responsabilités représentent autant de nouveaux apprentissages pour les
habitants que ces derniers perçoivent comme des contraintes. Néanmoins, il en résulte
aussi une lente et progressive responsabilisation et prise d’initiative des habitants pour
améliorer leurs conditions de vie.
27
L’ONG joue un rôle dans la responsabilisation des femmes, qui s’organisent en comités (en
hindi, mahila mandal) : en effet, elle a la charge de mettre en œuvre des équipements
socioculturels au rez-de-chaussée de chaque immeuble. Une pièce réservée aux femmes et
aux enfants permet de donner des cours (couture, informatique, soutien scolaire,
alphabétisation, microcrédit) et sert de crèche. Par ce biais, ces comitésparticipent au
processus d’après-relogement, apportent un soutien moral, matériel et financier et
encouragent le travail des femmes. La participation des femmes à la vie socioculturelle
reste encore limitée et attire peu de membres. Le défi pour ces comitésest bien de
perdurer et de s’inscrire dans la vie de la cité une fois que l’assistance de l’ONG sera
terminée. Pendant notre travail de terrain, le comité de gestion d’un des immeubles
faisait déjà pression sur le comité des femmes pour pouvoir louer leur local. Une fois
l’ONG partie, on peut supposer que ces pressions se feront plus fortes.
28
Aussi, soit les familles fières de participer à un projet du gouvernement montrent une
volonté de s’intégrer, soit les familles aspirent à quitter la cité et retourner vivre dans le
bidonville d’origine. Plusieurs scénarios peuvent expliquer cette différence :
premièrement, les habitants sont satisfaits du relogement, lorsque les conditions
matérielles du bidonville étaient plutôt défavorables ; deuxièmement, plus la cohésion
sociale et communautaire dans le bidonville est forte, plus les habitants veulent retourner
y vivre, surtout lorsqu’il y prévaut une appartenance à une même région d’origine ou
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Les ONG contre les habitants. La gestion du relogement et de la réinsertion d...
lorsque l’histoire résidentielle et familiale s’y est construite26 ; troisièmement, les
habitants attribuent différentes significations au relogement selon leur trajectoire
familiale : image de modernité, accès à la propriété, rêves et opportunités d’avenir versus
violence symbolique. Enfin, ces situations ne sont pas mutuellement exclusives : on peut
regretter la vie sociale du bidonville et vouloir malgré tout s’intégrer au nouveau lieu
tout comme on peut aspirer à retourner vivre dans le bidonville même si les conditions de
vie y sont plus rudes. L’adaptation et/ou la résistance au changement dépend en
définitive surtout de la situation économique des ménages, de leur parcours résidentiel
dans la métropole, de leur situation d’origine et d’arrivée.
29
Comme l’a montré Henri Coing dans son travail sur la rénovation urbaine dans le XIIIème
arrondissement de Paris et comme il l’a redit lors d’un retour 40 ans après sur son terrain,
« la rénovation urbaine, c’est à la fois changer de logement mais en changeant de
logement, c’est changer de vie »27. De tels projets d’urbanisme bouleversent les relations
et l’accès au travail, la gestion des budgets familiaux et la relation au logement et à
l’extérieur. Les conditions matérielles de logement impliquaient une vie importante à
l’extérieur, comme dans les bistrots par exemple, alors que le passage dans des grands
ensembles produit un recentrage de la vie sur le logement lui-même. Or celui-ci, à Paris
dans les années 1960 comme à Mumbai, nécessite un autre processus d’adaptation.
Cadre de vie et habitat
30
En bordure de l’autoroute, il n’y a pas d’infrastructures sociales (écoles, hôpitaux, lieux de
cultes religieux, commerces) dans l’environnement de proximité de la cité de relogement.
La distance et l’éloignement de la station de train de banlieue contraignent les habitants à
se déplacer en bus, puis à emprunter le train. Les quelques commerces autour de la cité
sont chers et les ménages doivent s’approvisionner dans les marchés près de la gare
ferroviaire28. La cité de relogement ne s’intègre ni au tissu urbain ni à un environnement
social préexistant. Comme pour de nombreux autres projets de relogement, la notion de
relogement et de réhabilitation est entendue dans un sens minimal. Les logements sont
construits et les infrastructures physiques sont fournies (eau, électricité, collecte des
déchets…) mais les infrastructures sociales ne sont pas planifiées (Vaquier, 2010).
L’attente des habitants en matière d’équipements sociaux et religieux dans la cité est
grande. De plus, l’intégration de ces quartiers de relogement avec les immeubles alentour
ne se produit pas, même si les directives internationales de la Banque mondiale
préconisent idéalement la création de liens avec les « communautés hôtes » (c’est-à-dire
l’environnement social de proximité). Au contraire, pour une part des habitants de classe
moyenne logée à proximité, l’accession à la propriété grâce à un projet financé par la
Banque mondiale est perçue comme une injustice29.
31
Si l’on s’intéresse maintenant aux processus d’appropriation de l’habitation elle-même,
l’organisation spatiale reste inadaptée au mode de vie des occupants. Si les habitants se
satisfont de la surface du logement30 (d’environ 20 m²) et de l’accès aux services de base
(eau et électricité), ils cherchent à aménager et modifier leur espace domestique pour le
rendre plus fonctionnel et l’adapter à leurs besoins et leur mode de vie. Ainsi, la
construction d’un mur dans la majorité des unités de logement témoigne de la recherche
d’intimité : cette partition permet de créer un second espace et de séparer la cuisine pour
des raisons culturelles31. Les habitants doivent normalement obtenir une autorisation de
l’agence d’aménagement et de la municipalité mais n’en font que rarement la demande.
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Les ONG contre les habitants. La gestion du relogement et de la réinsertion d...
Des espaces de rangement sont créés à la hauteur du plafond car rien n’avait été prévu
pour le stockage des denrées alimentaires. Enfin, la disposition d’un grillage aux fenêtres
relève également de l’initiative des habitants : le grillage permet d’agrandir le logement
et devient l’espace où on étend le linge, où on dispose des objets. Mais c’est surtout une
mesure de sécurité pour les enfants. On retrouve ici des comportements d’appropriation
(ou de rejet) analysés dans le groupe de recherche dirigé par Chombard de Lauwe en
France au moment de la construction de grands ensembles et d’une transition vers
d’autres formes d’habitat. Comme le résume Fijalkow (2002 : 32), les nouveaux logements
créent une forme de frustration pour les ouvriers et « [ces] espaces exercent sur eux une
violence, les obligeant à changer de mode de vie ou à le calquer sur celui des classes
moyennes ».
Entre dépendance et prise d’initiative
32
Les habitants montrent surtout une relation de dépendance à l’égard du projet et des
institutions : « l’agence d’aménagement régionale devrait faire ceci, devrait faire cela... »,
disent les habitants relogés. Ils attendent en effet des biens et des lieux collectifs (un
moulin à grain, une salle commune, une école) et l’amélioration des infrastructures (la
mise en place de réverbères, la résolution des problèmes de fuite d’eau...). C’est d’ailleurs
une des plaintes de l’ONG : les habitants attendent beaucoup mais ne coopèrent pas avec
elle. L’absence du sentiment de responsabilité accroît les problèmes de gestion. Les
habitants continuent selon elle d’avoir les mêmes comportements que dans le bidonville.
« Il faut éduquer les gens », dit l’employée de l’ONG dans la cité32. Les initiatives
collectives sont effectivement encore très rares ; pourtant, quelques exemples montrent
la connaissance qu’ont les habitants du fonctionnement de la vie politique locale, leur
savoir-faire avec le système administratif local et leur capacité à recourir aux
intermédiaires les plus efficaces. Ils ont ainsi approché leur conseiller municipal 33 pour
trouver une solution au problème des égouts, que l’ONG et l’agence d’aménagement
laissaient sans réponse34.
33
La faiblesse de l’action collective s’explique-t-elle par la relation ambiguë
qu’entretiennent les habitants avec leur nouveau logement ? Ainsi, selon l’employée de
l’ONG dans la cité, 20 % des habitants sont des locataires, ce qui implique que 20 % des
ménages sont retournés vivre dans unbidonville et/ou qu’ils ont quitté Mumbai et louent
leur unité de logement. Pourtant, la lettre d’attribution provisoire spécifie clairement
l’interdiction de vente ou de location de l’unité de logement. Ce n’est qu’au bout de 10 ans
que les habitants acquièrent le statut définitif de propriétaire. L’ONG considère qu’elle ne
peut rien faire face à cette situation. Un autre type de location est en cours dans la cité et
illustre la difficulté de mise en œuvre du programme de relogement : à l’échelle du projet,
certains habitants ont reçu leur attribution de relogement mais, puisque leur habitat n’a
pas été détruit par le projet, ils continuent de vivre dans leur bidonville et louent leur
unité de logement. Différentes motivations poussent les habitants à sous-louer ces
logements35: l’inadaptation du mode de vie dans la cité et de l’unité de logement semblent
être des facteurs d’explication, d’autant plus que la sous-location constitue une source de
revenu bienvenue36. D’ailleurs, certains fonctionnaires de l’agence d’aménagement
n’expliquent ces transactions que par la recherche de profit de la part des habitants sans
s’interroger aucunement sur l’adéquation ou non des logements construits aux besoins
des habitants et aux coûts parfois plus élevés qu’ils engendrent (transports, sans compter
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Les ONG contre les habitants. La gestion du relogement et de la réinsertion d...
la moindre accessibilité au marché du travail). Plutôt qu’une stratégie uniquement
opportuniste, c’est probablement un ensemble de facteurs ainsi qu’un calcul en partie
rationnel de la part des ménages qui expliquent cette sortie de projets, pourtant perçus
comme une forme d’accès à la modernité par l’administration.
Conclusion
34
Le programme de relogement et de réhabilitation des personnes déplacées à Mumbai qui
fait partie du projet de développement et d’amélioration des réseaux de transports
urbains, s’inscrit dans un cadre institutionnel innovant et original. Parce qu’elle finançait
le projet, la Banque mondiale a imposé un certain nombre de conditionnalités à l’État du
Maharashtra pour ce qui est du contenu du volet de relogement mais aussi sa mise en
œuvre. La contractualisation de deux ONG pour prendre en charge l’intermédiation
sociale a en effet été imposée par la Banque mondiale. La suspension des prêts en 2006
pour quelques mois montre la difficulté de mise en œuvre d’un tel programme à l’échelle
de Mumbai, en particulier le mauvais fonctionnement des mécanismes de gestion et de
transparence même si un bilan plus récent du programme montre un processus
d’apprentissage au sein des institutions concernées.
35
Sur le terrain, les ONG inscrivent leurs actions dans une approche d’assistance et de
processus technocratique. Il est bien question ici de gérer le déplacement et le
relogement des personnes affectées par le projet MUTP et de remplir les obligations
définies par le gouvernement du Maharashtra plutôt que de mettre en place une action de
long terme pour assurer la transition vers une autre forme d’habitat. Par conséquent, la
mobilisation et la contestation des habitants se tournent vers d’autres intermédiaires, à
leurs yeux plus légitimes : le conseiller municipal, le leader du bidonville (et les
conditions préexistantes dans le bidonville en termes de cohésion sociale produisent des
résultats plus ou moins favorables).
36
La transition vers la cité de relogement et une nouvelle forme d’habitat bouleversent
donc les modes d’habiter et les conditions de vie, les relations entre lieu de vie et lieu de
travail et les budgets familiaux. Les liens sociaux et communautaires semblent s’affaiblir
avec le repli des ménages sur eux-mêmes. Alors que la faiblesse de l’action collective pour
améliorer les conditions de vie dans la cité éclaire sur des relations ambiguës entretenues
avec les nouveaux logements, le sentiment de « violence symbolique » tend pourtant à
s’effacer. Après le déplacement et le relogement, les familles n’ont-elles pas le choix des
stratégies d’adaptation ou de sortie ?
37
Malgré les initiatives et les mobilisations, les habitants sont globalement dépendants du
projet. D’abord, du fait de l’absence de choix (lorsqu’il ne s’agit pas de pression) face à ce
projet du gouvernement, ensuite en raison de l’attitude de l’ONG qui, au lieu de les
responsabiliser à toutes les étapes de la procédure, les assistent ou non. Toutefois, les
habitants tentent de négocier avec les contraintes du projet en adoptant de nouvelles
aptitudes. Si on peut dire que les compétences mises en œuvre sont souvent individuelles,
tournées vers l’espace domestique, les apprentissages s’inscrivent plutôt dans des
logiques collectives : les habitants et les commerçants sollicitent des élus locaux, forment
des associations de défense de leurs droits. Ils font d’ailleurs plus preuve d’initiative pour
faire valoir leurs droits avant le déplacement que lors des programmes « sociaux » des
ONG (qui sollicitent aussi un esprit d’initiative collectif). Ainsi, différentes stratégies
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Les ONG contre les habitants. La gestion du relogement et de la réinsertion d...
s’esquissent : stratégie d’acceptation et de soumission versus stratégie de contestation,
recherche de profit versus recherche de justice.
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NOTES
1. Par déplacement dit « involontaire », l’organisation internationale entend des déplacements
forcés et provoqués par des projets de développement.
2. Le financement de la Banque mondiale couvre 57 % du coût du projet dont le budget total
s’élève à 808,20 millions d’euros.
3. Il faut préciser que le sens du terme de réhabilitation comprend ici l’idée de relogement et de
réhabilitation économique. Les personnes déplacées doivent recevoir des indemnités à
différentes étapes du projet : avant le déplacement, des indemnités pour les pertes subies,
pendant la période de transition, des aides pour faire le déplacement et assurer les moyens de
subsistance sur le site de relogement et, enfin, après le relogement, des aides pour améliorer ou
au moins rétablir leur niveau de vie, leur capacité de revenu et leur niveau de production
antérieurs.
4. Cette date butoir n’est donc pas la même pour tous les habitants ; elle est fonction du travail
des ONG sur le terrain et dépend aussi des projets de transport. Chaque révision d’un tracé de
projet de route implique par exemple que l’enquête socioéconomique soit remise à jour.
5. Cette commission de doléances (constituée par le Project Management Unit) reçoit les plaintes
individuelles et comporte deux niveaux : Field Level Grievance Redress Committee et Senior Level
Grievance Redress Process. L’Independent Monitoring Panel (composé de personnes nommées par le
gouvernement du Maharashtra) s’occupe des intérêts collectifs (association de résidents, de
commerçants).
6. SPARC est créée en 1984 à l’initiative d’un groupe de femmes appartenant aux hautes castes de
la société indienne et étant formé au Tata Institute of Social Sciences. SRS est créée en 1972 par un
Autrichien, Adolf Tragler, ayant acquis la nationalité indienne et possédant un diplôme de master
en travail social du même institut.
7. La majorité des organisations de base travaillant dans les bidonvilles, et en particulier les
syndicats, est fortement politisée et instrumentalise les habitants des bidonvilles pour avoir leur
vote (Appadurai, 2001).
8. Le gouvernement du Maharashtra met en place le programme « Slum Redevelopment Scheme »
en 1991 sur la base du partenariat public-privé, qui permet la production de logements et
l’implication des promoteurs dans le dispositif. Ces derniers tirent bénéfice de ce type
d’opérations en gagnant des droits à bâtir (transferable development rights) dans d’autres quartiers
de Mumbai. Les ONG, elles, jouent le rôle de facilitateur entre les habitants, les promoteurs et les
autorités (voir Zérah, 2011, Nijman, 2008).
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9. Il existe deux projets de routes dans le MUTP : Santa Cruz Chembur Link Road et Jogeshwari
Vikhroli Link Road. L’extension de ces deux autoroutes s’est ajoutée tardivement au projet MUTP
en 2002.
10. Le panel est composé de trois membres (dont le président) nommés par le président de la
Banque mondiale pour cinq ans et approuvés par le conseil d’administration. Afin de garantir son
indépendance, les membres ne doivent pas avoir exercé de fonction au sein de la Banque
mondiale les deux années précédentes et il leur est interdit d’y travailler par la suite.
11. Nous nous appuyons sur le cas du bidonville Tiwari Wadi, complété par l’exemple du
bidonville de Shivshankar Nagar. Le bidonville de Tiwari Wadi est composé de 36 ménages
originaires de l’État du Maharashtra et de l’Uttar Pradesh. Ils y vivent depuis trois générations.
Les citations mentionnées ci-dessous ont été extraites d’entretiens menés en septembre 2006.
12. Cette lettre d’attribution temporaire permet officiellement d’avoir une unité de logement
dans la cité de relogement.
13. Les leaders sont ceux qui imposent leurs propres règles et les font respecter dans le
bidonville. Ils sont l’intermédiaire entre le bidonville et le monde extérieur. Ils peuvent aussi
régler des problèmes administratifs, trouver des opportunités de travail aux habitants.
14. Cette analyse n’a pas été menée dans le cadre de ce travail de terrain mais ouvrirait de
nouvelles pistes de recherche.
15. La métropole et son espace urbain sont fortement marqués par la dichotomie ouest/ est
symbolisée par les lignes de chemin de fer des trains de banlieue. La cité de relogement se situe
du côté est, alors que le bidonville de Tiwari Wadi est à l’ouest des lignes des chemins de fer. Les
quartiers ouest, qui font face à la mer, sont plus valorisés socialement que les quartiers est qui
font face à la lagune.
16. Ce bidonville est composé de 55 familles originaires de l’État du Maharashtra et du Gujarat.
Les familles y sont installées depuis 40 ans.
17. Ce bref récapitulatif des faits repose sur le discours des habitants.
18. Au moment de l’étude de notre terrain, l’affaire était toujours en justice.
19. Les commerçants doivent payer des sommes supplémentaires s’ils veulent des superficies
plus grandes –sinon la superficie de l’espace commercial est la même que celle de l’unité de
relogement.
20. Situé au bord de l’autoroute Jogeshwari Vikhroli dans l’arrondissement de Powai dans un
quartier résidentiel aisé.
21. Lors de la réunion organisée par l’ONG dans le complexe pour vérifier les documents et
l’attribution des titres, ces commerçants étaient absents et leur association n’était pas
représentée.
22. Ces riches commerçants ont la capacité de faire les choix qu’ils veulent dans le cadre du
programme de relocalisation –ce qu’Amartya Sen appelle aussi « liberté positive »–, alors que la
majorité des petits commerçants n’ont pas l’autonomie de faire des choix (« liberté négative »).
23. Il s’agit ici de la cité de relogement Majas Rehabilitation Colony, qui se situe à trois kilomètres
de la station de train de banlieue de Jogeshwari (est).
24. Lors de l’enquête, 7 bidonvilles d’origine sont recensés : Pratap Nagar, Sariput Nagar, Pameri
Nagar, Milind Nagar, Durga Nagar, Kanjur Marg, Hari Om Nagar.
25. Ces résultats reposent sur des discussions et des entretiens avec les habitants de la cité.
26. Les bidonvilles ne sont pas entièrement détruits : seuls les habitats qui se situent en bordure
de la route, dans le périmètre du projet, sont démolis.
27. Voir le film de Catherine Tissier et Yankel Fijalkow : Henri Coing, Retour dans l’îlot n° 4.
28. Les coûts quotidiens en transports sont déjà un indicateur, qui montre l’augmentation des
dépenses dans l’économie domestique.
29. Selon le représentant de la Banque mondiale localisé au sein de l’agence d’aménagement
pour le suivi du processus de relogement.
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30. Les habitants qui vivaient dans le bidonville dans un espace de taille inférieure, sont d’autant
plus satisfaits, alors qu’à l’opposé les autres habitants considèrent cette politique comme injuste.
31. Tous les habitants interrogés se plaignent de cette absence de partition et ont l’intention de
la construire (lorsqu’elle n’existe pas encore).
32. Chaque cité de relogement comporte un bureau annexe de l’ONG où un employé référent
travaille pour la cité.
33. Ce dernier s’érige en défenseur des droits des habitants. Il améliore les services de base,
organise des campagnes de distribution de médicaments dans la cité et critique surtout l’agence
gouvernementale et l’ONG. Chacun sert ses propres intérêts politiques.
34. Les habitants ont en général une meilleure connaissance des acteurs institutionnels du projet
de relogement et de réhabilitation et de leur rôle une fois déplacés –contrairement à ceux qui ne
sont pas encore relogés.
35. Le terrain effectué n’a pas permis de rencontrer ces habitants.
36. Selon les habitants, on peut louer dans la cité une unité de logement pour 6 000 roupies (env.
100 euros) et vivre en location dans un bidonville pour 2 000 roupies (env. 33 euros).
RÉSUMÉS
Le « Mumbai Urban Transport Project » (MUTP) est le premier grand projet d’infrastructures
urbaines à Mumbai qui s’accompagne d’une politique de relogement et de réhabilitation. En effet,
ce projet de transport, largement financé par la Banque mondiale, nécessite la démolition de
bidonvilles dans la banlieue de cette grande métropole et le déplacement des habitants. La
Banque mondiale impose un certain nombre de conditionnalités au gouvernement du
Maharashtra dans la mise en œuvre du programme de relogement : le cahier des charges doit
respecter la politique de « déplacement involontaire » du bailleur international et des ONG
doivent s’inscrire dans le cadre institutionnel et opérationnel du programme. Ces nouveaux
partenaires dans la gouvernance urbaine doivent relever autant de défis de gestion, coordination
et suivi dans les opérations de relogement que de responsabilités envers les familles affectées par
le projet MUTP. L’accession à la propriété est considérée par la Banque mondiale et les autorités
publiques comme une alternative inédite de réinsertion des familles et un moyen de minimiser
les conséquences et les risques d’appauvrissement liés aux mobilités contraintes. Pour aborder la
question du relogement, cet article met en avant une approche qualitative visant à comprendre
le rôle ambigu des ONG et la diversité des logiques et des stratégies d’adaptation ou de résistance
des familles par rapport à l’option de relogement. Il apparaît au final que les ONG se préoccupent
davantage de répondre aux exigences de la Banque mondiale que d’accompagner les familles
dans une transition vers une nouvelle forme d’habitat et d’un nouveau cadre de vie.
The "Mumbai Urban Transport Project" (MUTP) is the first large-scale urban infrastructure
project in Mumbai to be accompanied by a resettlement and rehabilitation policy. Indeed, this
transport project, which is largely financed by the World Bank, requires the demolition of slums
located on the outskirts of this large metropolis and the displacement of its inhabitants. The
World Bank has imposed a number of conditionalities on the Government of Maharashtra in the
implementation of the resettlement program: the specification must comply with the
"involuntary displacement" policy of the international lender and NGOs must be part of the
institutional and operational framework of the program. These new partners in urban
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Les ONG contre les habitants. La gestion du relogement et de la réinsertion d...
governance face many challenges in management, coordination and monitoring in the
operations of resettlement as well as responsibilities towards the families affected by the MUTP
project. Home ownership is considered by the World Bank and authorities in Mumbai as a new
option for the rehabilitation of families and a tool to minimize the consequences and risks of
impoverishment due to involuntary displacement. To address the issue of resettlement, this
article highlights a qualitative approach that seeks to understand the ambiguous role of NGOs
and the diversity of logics and strategies of adaptation or resistance of the families towards the
option of resettlement. It appears that NGOs are more concerned with meeting the requirements
of the World Bank than helping families to make the transition towards new forms of housing
and a new living environment.
INDEX
Mots-clés : relogement, Mumbai, bidonville, politique de la Banque Mondiale, action collective
Keywords : relocation, rehabilitation, slum, World Bank policy, collective action
AUTEUR
DERYA OZEL
Doctorante en ethnologie (Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie Comparative, UMR 7186 CNRS/ Université Paris Ouest Nanterre La Défense)
[email protected]
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