15/08/13 Embrunman Race Report Dossard 1112
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15/08/13 Embrunman Race Report Dossard 1112
15/08/13 Embrunman Race Report Dossard 1112 alias Christophe Baniol Il y a le sport, celui qu’on fait pour le plaisir, pour souffrir, mais juste un peu, pour l’excitation du jeu surtout et la compétition parfois. Il y a le triathlon. Il y a le triathlon qui commence dans l’excitation des formats sprints ou CD pour finir dans la fierté des longues distances conquises à la sueur de sa sueur dont on apprend à aimer la saveur. Et puis vient l’Ironman, le grand, le vrai, l’incontournable totem, le tatouage sportif et social, son décorum, ses rêves d’Hawaï et de son championnat du monde, sa souffrance bling bling, ses frissons en cinémascope. Encore un peu plus loin (au bout du chemin ?) il y a Embrun… Embrun et son Embrunman… Posé là sur la route il y a un bloc de granit, brut comme l’Izoard, sans chichis, sans à-côtés, pur comme un lac de montagne, un saut dans l’inconnu qui commence dans l’angoisse et se termine en corps à corps avec soi-même… ou avec ce qu’il reste de soi-même… Ca dépend. Oui, j’ai plongé avant l’aube dans l’eau noire du lac de Serre Ponçon sans autre point de repère que le phare du zodiac qui au loin accompagne les pros et sans autre réconfort que ma combinaison qui ne me laissera pas couler quoi qu’en pensent les autres fous à mes cotés qui veulent me faire la peau... Oui, après 180 km sur la selle et près de 4000 mètres de dénivellé positif je me suis mis une nouvelle fois debout sur le vélo pour avaler Chalvet, et ses 5 kilomètres à plus de 6%... Oui, j’ai été treize heures d’effort durant, « in the zone », dans un état d’harmonie physique et mentale irréel, me regardant nager, rouler, courir, hypnotisé par les battements de mon cœur, admiratif de ce qu’un corps peut faire quand on en tire le meilleur, extra lucide, heureux… Oui, au kilomètre 35 du marathon, je me suis arraché d’un camion de pompier, d’une civière qui voulait m’engloutir, d’une détresse physique que je n’aurais pas cru possible pour repartir en claudicant et finalement ressusciter, quatre kilomètres plus loin, par la magie d’une parole, simple, prononcée par un pote. Merci Antho. Oui, j’ai clôturé cette course, presque deux heures durant, par un voyage cauchemardesque, au bout du bout de moi-même, et pour finir, debout. Oui, à Embrun plus qu’ailleurs, la roche tarpéienne est proche du Capitole… Oui l’Embrunman est grand et je suis tout petit. Je pourrais m’arrêter là, car au fond j’ai tout dit. Mais en même temps tout reste à dire. Il me faut raconter, pour les autres, pour moi-même. Il me faut dire pour les aspirants Embrunman qui y trouveront l’effroi et la grandeur qui nourriront leur rêve, dire encore pour les déjà finishers, les seuls qui comprendront vraiment et revivront leur course, dire toujours pour mes proches qui s’interrogent sur le sens de ces croisades païennes et dire enfin pour moi, pour tuer le dragon dont les derniers écarts agitent encore mes nuits. Alors j’envoie ! C'est au cœur de l’hiver que l'aventure démarre, comme si la lumière avait besoin de l’ombre. Le temps sur Paris est plus rude que jamais en ce 6 janvier 2013 ; il ne donne pas envie de mettre le nez dehors ni même de penser à le faire. Je n’ai pas fait de sport depuis ma dernière course, le Naturman, le 7 octobre précédent. Un tendon d'Achille droit entamé par une fin de saison éprouvante m’a servi de passe droit pour une vie de farniente. Je suis seul. La nuit semble être tombée depuis le matin même. Plusieurs semaines déjà qu’un projet un peu dingue me trotte dans la tête et voilà qu’il s'impose, évident. Quelques clics et me voilà inscrit ! Date d'assaut : le 15 août 2013. Drop zone : Embrun! Objectif : un maillot de finisher à l’Embrunman ! Plus de retour arrière. Les dés en sont jetés. J’ai lu les récits de course des copains, j’ai expérimenté l’Ironman l’été précédent à Nice, je sais dans quoi je m’engage, ou tout du moins je le crois. Je sais les sacrifices, je sais les renoncements, je connais la souffrance. Mais j’ai aussi gouté à l’adrénaline du jour J, à la saveur unique du mouvement perpétuel, à la beauté des moments de partage à l’entrainement avec les potes, à l’étincelle d’admiration dans les yeux de Léna. Et j’aime que passe sur ma vie un souffle d’autre chose. Alors, moteur ! L’hiver passera doucement. Des conditions climatiques difficiles d’un coté, une envie vacillante de l’autre limitent mon engagement. Je plafonne à huit heures d’entrainement par semaine. Je ne me prépare pas encore à la course, je me prépare… à me préparer ! Tôt ou tard il faudra changer de braquet, en volume, en intensité. C’est chose faite le 15 mars, date à laquelle j’entame un coaching avec Jo. Nous partons sur une base de dix à douze heures par semaine jusqu’à l’été, pour monter à quinze dans les deux mois précédents l’épreuve. Son approche est globale (entrainement micro et macro, récupération, alimentation, psycho). Elle est portée avec conviction et exprimée de manière limpide. J’adore. Tout cela va me coûter un peu d’argent, beaucoup de temps, mais j’aime l’idée d’aller au bout des choses qui en valent la peine et de vivre en grand cette grande aventure. Pour cette même raison j’ai consulté un nutritionniste, fait des analyses assez pointues et adapté mon alimentation. Très rapidement je fais quelques autres choix de vie qui favoriseront l’alignement des planètes le jour J : les vacances cet été se feront dans les Alpes, une semaine d’entrainement en juillet, puis quinze jours sur Embrun même, à partir de début août, en famille cette fois. S’y ajoutera la semaine de stage de préparation spécifique avec le Stade Français programmé début mai. Coté boulot, j’ai l’avantage d’être en fin de poste, de maîtriser mon sujet et d’avoir une équipe en or. Cela laisse du temps libre. Coté Léna, je l’ai inscrite à l’Embrunkid, programmé la veille de la grande course, objectif qui, je le sais, nous mettra dans le même train… d’enfer ! L’Embrunman, l’Embrunkid occuperont une bonne part de nos conversations jusqu’à la course et sûrement bien après, jusqu’à la fin du monde ! J’embarque aussi les parents qui nous rejoindrons sur Embrun la semaine de la course. Ils ont bien choisi leur première ! Mais ontils eu le choix ? L’Embrunman est une quête égoïste qui ne se vit pas seul. Le projet prend donc forme. Et de fait, à l’exception d’une petite blessure à la cuisse qui me tient arrêtée quinze jours en avril, et d'un gros rhume fin mai, la préparation se déroule au mieux, parsemée de trois belles courses, parce que rien de remplace la compétition pour savoir si les points sont effectivement sur les i. Le Courte Distance de Fains le 2 juin, la Time Megève le 9 juin (Cyclo de 145km dans les Alpes) et le Longue Distance de Dijon le 7 juillet, s’enchainent avec leurs lots d’enseignements, de grands moments, de grands tourments. Mes compagnons d’échappée sont eux aussi au top : Didier, Jean-Fa, Robert, Jean-Loup, JC, tous tendus vers le même objectif. Ils ont la détermination sans faille de ceux prêts à faire de grandes choses et l’enthousiasme rigolard qui les garde de se prendre au sérieux. Nous nous payons de magnifiques tranches de vie au grand air, des débats passionnés sur les chaines glucidiques ou la vitesse de rotation des jambes en ascension et des fous rires en cascade à se chambrer avec affection. Les petits bobos vont et viennent mais restent de petits bobos. La semaine d’entrainement du 14 juillet dans les Alpes aux cotés de Jean-Fa, Didier et JC passe presque en souplesse malgré l'enchainement de séances de kosovars ! Trente cinq heures d’efforts, 530 km de vélo avec 11000 mètres de dénivellé (Izoard, Alpe d’Huez, Croix Fry, Bizane, Aravis, etc.), 55 de cap et bien sûr un peu de nat pour se détendre tout de même! La reconnaissance du parcours vélo de l’Embrunman est pleine d’enseignements aussi, même si nous ratons Pallon ! J’arrive à Embrun début août, « fort dans ma tête et solide dans mon corps » écrirait un reporter de l’Equipe. Je m‘envoie une dernière grosse semaine d’entrainement sur place (avec notamment une ressucée de la grande boucle du parcours vélo, Pallon comprise cette fois). Puis arrive « l’affutage » : une petite nat par çi, un petit footing par là, quelques tours de roues faits sans y penser. J’ai parcouru le plan d’eau en long, large et travers, ainsi que le parcours du marathon à pied et en vélo. Léna a fait le 14 août un Embrunkid magnifique et inspirant. Mon pouls au réveil bat à 38 contre 44 en temps normal et j’affiche depuis quelques semaines 72kg sur la balance contre 75 à 76 au cœur de l’hiver. Mon matériel a été vérifié, revérifié et sur vérifié par tous les vélocistes de France. J’ai écouté religieusement le briefing d’avant course de Jo, clair comme l’eau du lac de Serre-Ponçon. J’envisage 15 heures comme temps pivot mais je me sens capable d’approcher les 14. L’essentiel sera toutefois de finir ; ici plus qu’ailleurs, c’est le maillot de finisher qui compte ! Je suis PRET ! 15 août 2013, 4h15, le réveil sonne. Surprise, j’ai bien dormi. Je me sens reposé, serein. Tout le contraire de Nice. Je suis un peu inquiet mais avant tout ultra concentré. Léna, dans le lit d’a coté, s’est réveillée bien sûr, surexcitée. Mes affaires sont prêtes depuis la veille ; je n’ai plus qu’à enfiler ma trifonction, remplir les gourdes, récupérer au frigo du réfectoire du Centre de vacances Chadenas, le petit ranequin de pates préparé pour le sommet de l’Izoard et avaler lentement mon Gatosport. Renaud, un vacancier gentil, sportif dans l’âme, a proposé aux triathlètes du centre de nous déposer en voiture au départ. Il n’y a que 1,5km à faire mais c’est loin d’être un luxe, surtout chargés comme nous le sommes. Merci à lui ! L’aire de transition respire le calme et la concentration. Les mines sont fermées et les quelques sourires sentent un peu le moisi ! Il fait nuit noire, même si tout au fond, à l’autre extrémité du lac, le ciel semble moins sombre. Les réverbères diffusent une lumière pâlotte, inquiétante, qui sied aux circonstances. Je retrouve Jean-Loup puis Jean-Fa et JC pour de brèves accolades. L’heure n’est pas aux effusions. J’ai une pensée pour Didier et Robert qui auraient du être avec nous. Fait chier quand même ! Mais bon c’est aussi ça la course, être là le jour J ; c’est moins facile qu’on ne le croit. Je dépose mon sac ravito que je récupérerai làhaut à l'Izoard et dans lequel j’ai glissé deux grands bidons pleins d'hydrixir/malto, 200g de pates assaisonnées d'une cuillère d'huile d'olive, 2 gels et 3 barres énergétiques en complément de ceux que j’emporte. Mon intestin bon prince me pousse aux toilettes et choisit de se vider. De l’avantage d’être émotif… Un souci de moins pour la course ! Il fait un peu frais mais nous savons que la journée sera chaude, 28 degrés prévus dans l’après-midi. En attendant, il n’est pas désagréable d’enfiler la combi. La température de l’eau est annoncée à 21,4°, autant dire parfaite. Nous sommes 1430 partants ; ça va swinguer sur les deux premiers virages car les trajectoires sont serrées ! Je m’y suis préparé. Un peu d’échauffement balistique puis Jean-Loup et moi nous glissons vers le sas de départ, positionnés à la fin du premier tiers. Cinq heures cinquante, départ des filles. Six heures pile, nouveau coup de feu, la testostérone s’ébroue, c’est parti ! Je lance la Garmin, puis me lance à mon tour, trottinant vers l’eau noire, lisse, intimidante. Très vite, violée par les premiers pingouins, elle n'est plus qu'une écume en colère. J’y entre sans déplaisir, et plonge dans la mêlée ! C’est serré ! Vraiment serré ! Bien plus qu’à Nice par exemple, même en faisant l’extérieur. Il me faudra quatre cent mètres et deux bouées pour me mettre à nager correctement. Mais je réussi à rester calme et, dès que je peux tourner les bras, le plaisir monte à bord. Top ! Tout au fond du plan d'eau, surprise : une seconde bouée a été ajoutée. Elle ne figurait pas sur le plan de course et n’était pas posée la veille! C’est aussi ça Embrun ! « Depuis plusieurs années, les 3800m n'y sont pas à Embrun », nous disait Jo l’avant-veille. Cette année ils y seront, et même largement puisque je sortirai de l'eau avec plus de 4300m au compteur malgré une tenue de cap correcte. Le jour se lève peu à peu sur les montagnes autour, c'est beau, c'est euphorisant. Je nage lentement mais sans effort avec l'impression de pouvoir le faire toute la journée si nécessaire. Chouette impression. Fin de la seconde boucle, sortie de l'eau en 1h21. Ce n'est pas brillant mais assez en phase avec mon niveau de nat. Me voila 1065ème, le sourire aux lèvres, frais comme un gardon. C'est le principal. Pour la forme, parce que c’est une course quand même, je me hâte à la transition ou plutôt je crois le faire. Comme d'habitude le chrono indiquera qu’au contraire j’ai enfilé des perles ! J'en sors après sept minutes et me demanderai après-coup comment Zamora, futur vainqueur de l'épreuve, a pu n'y passer que 1mn30 !! Peu importe, j’avale une dernière bouchée de Gatosport et m’élance à vélo ! Le parcours vélo est LE morceau de choix, celui qui fait de l’Embrunman une course mythique : 188km, 4000 mètres de dénivellé positif, l’Izoard posé en son milieu (14km d’ascension, souvent à 8 ou 9%), et peu d’instants de répit entre montées en prise continue et descentes techniques. Et pour saler la sauce, la première grosse difficulté se pointe au kilomètre… zéro (5km à 6/7% vers Puy Sanière) et la dernière au kilomètre… 180 (la fameuse côte de Chalvet à peu près du même acabit !). Du début à la fin l’engagement est total, physiquement, psychiquement. Dans ces conditions la stratégie élaborée avec Jo tient en une formule : « facile quand c’est dur et dur quand c’est facile ! ». Pour faire simple, on mouline dans les montées sans faire bruler les cuisses ni monter le cardio… et l’on relance dans les transitions à savoir les descentes, les portions de plat, les faux plats, partout où l’on peut rouler vite à énergie minimale. Sur ces bases j’attaque la première montée lentement, collé à ma zone 2. Sans surprise, pas mal de concurrents me passent. Même chose au kilomètre 35 sur les deux petites difficultés à la sortie de Savine et idem dix kilomètres plus loin, dans l’ascension vers St André d’Embrun où démarrent les balcons de la Durance. Au kilomètre 50, les candidats à l’exploit se raréfient autour de moi et les positions se figent. Au kilomètre 60, nous quittons la vallée de la Durance pour partir vers l’Izoard. Vingt cinq kilomètres de plat et de faux plat au menu à partir de Guillestre. A l’aise, bien dans mon rythme, je m’allonge sur le prolongateur et remonte les braquets. Je pédale sans effort en petite zone 2 et pourtant je reprends les concurrents par grappes, en déposant certains parfois littéralement ! Cool ! Kilomètre 83, bifurcation à gauche et début de l’ascension de l’Izoard. Un p’tit pissou dans la nature, un premier gel dans le gosier, et c’est parti ! Toujours un œil sur le cardio, je m’y attèle doucement. La montée est difficile mais le 34x28, sollicité dès que nécessaire, fait des merveilles. Je monte presque confortablement en toute petite zone 3, me sentant mieux à chaque virage. Je ne double plus personne… jusqu’au trois derniers kilos sur lesquels de nouveau j’avale sans forcer plusieurs dizaines de concurrents, collés sur le bitume. Sommet de l’Izoard, 1h19 d’ascension, km 97, 4h43 sur le vélo et 6h10 de course au total. Il est midi dix, c’est tôt, c’est bien. Et surtout je me sens en pleine forme ! Je récupère mon ravito, échange mes bidons, avale mes 200 grammes de pâtes, salut Jean-Loup que je viens de rejoindre (il m’a mis dix minutes en nat le polisson !). Je me demande brièvement où en sont Jean-Fa et JC. Si tout se passe comme prévu, je devrais faire la jonction avec eux… demain midi à l’apéro ! Faut pas trainer donc ! Alors j’enfile mon coupe-vent, mes manchettes et m’élance dans la descente, le sourire aux lèvres ! La route est large, belle, fermée à la circulation, les virages sans traitrise et le temps magnifique. Du coup, j’attaque quand beaucoup se laissent descendre ! Grisant, à plus de 70 sur certaines portions, et diablement efficace ! En moins d’une demie heure me voilà à Briançon, kilomètre 117 avec une bonne vingtaine de concurrents de plus dans la besace. Top ! Direction Embrun maintenant ! C’est bon ça d’attaquer le retour ! Pas une once de fatigue, pas le moindre bobo, je maîtrise mon affaire. Les pièces du puzzle s’assemblent parfaitement. La montée sur Les Vigneaux, facile, est une formalité même si, comme prévu, le vent du sud s’est levé pleine face. Ma remontée n’en finit plus et je me prends pour Pac-Man avalant ses pastilles ! Kilomètre 140, Pallon la terrible. Pas long oui, mais raide ! 1,5km à 10, 12, 14%, en plein soleil, une rampe droite comme un i ! J’adore ! La chaine toute à gauche, debout sur les pédales, j’assure en restant en toute petite zone 3 là encore. Je me traine mais savoure chaque coup de pédale tant ils me semblent facile. Autour de moi je vois de la souffrance, des grimaces, de la sueur. Personnellement, je ne sens que la joie d’être là et d’y être bien ! J’avais avalé mon second gel juste avant : bonne pioche ! Pallon évacuée, c'est la redescente dans la vallée. Du coté de l’aérodrome, le vent forcit, normal. Je sais qui est le plus fort de nous deux et ne vais pas au clash : tranquille dans ma zone 2 je choisi de négocier ! Retour de l’autre coté de la Durance maintenant, sur les fameux balcons, splendides. Il reste quarante bornes. J’avance fort, euphorique, les jambes comme des pistons de locomotive, doublant, doublant et doublant encore, m’interdisant pourtant de passer en zone 3 car la course est encore longue et que je sais ce que j’ai à faire. Je me dis que c’est mon jour, que je suis parti pour une grosse perf et j’en souris tout seul. Aucune fatigue encore, juste le plaisir de l’effort. Génial ! Je continue à boire, à manger, régulièrement, au cadencement de mon alarme, toutes les dix minutes, comme depuis le premier coup de pédale. Je le fais avec plaisir, preuve que mon système digestif est lui aussi dans le rythme. Bon signe tout cela ! A cette allure, le retour sur Embrun est rapide et m’y voilà après 7h18 de course, enthousiaste à l’idée d’attaquer l'effrayante Chalvet ! Sur les conseils de Jo, j’avale mon troisième gel. L'idée à ce stade est avant tout de demeurer lucide. Approche gagnante encore car la montée passe comme dans du beurre. Je pense au marathon, juste derrière, et bride donc mon moteur à une stricte zone 3.0. Pourtant, même à l’économie, je reprends des concurrents par brassées sur ces cinq kilomètres de côte. Je bénis Jo et ses conseils tactiques ! Il avait vu le film le loustic ! Le ravito du sommet est encombré de collègues qui récupèrent tant bien que mal. Je les dépasse sans un coup de frein et me concentre sur la descente, particulièrement vicieuse. Ca tourne à droite, à gauche, serré, sur des revêtements pourris parfois plein de gravillons, alors j’y vais mollo ! Je pense à Julien et à son soleil de l’avant-veille, ici même à l’entrainement. Pas envie de ça, pas maintenant, non ! Heureusement, c’est vite réglé et me voilà en bas. J’entre dans le parc à vélo après 7h59 sur la selle et 9h27 de course : inespéré ! Il est 15h30. J’ai repris 353 concurrents en vélo et fais le 642ème temps, un truc énorme pour moi. Plus fort encore, je ne ressens ni fatigue ni douleur ! J’avais l’année passée à Nice terminé un vélo de 6h18 dans un état d’épuisement avancé, un tendon d’Achille en vrac. Quel contraste ! Dingue ! C’est mon jour me dis-je, c’est MA course ! La préparation a payé ! Le marathon s’annonce au mieux ! Imbééééécile ! Transition 2 donc. J'y commets ma première (et je crois seule) erreur tactique : je refuse le massage des jambes qui m’y est proposé. On ne masse pas des pistons de locomotive mademoiselle ! J'y gagne cinq minutes ; j'y perds peut-être une heure... Je repars donc en moins de six minutes contre douze à Nice l'an dernier, toujours aussi frais, toujours aussi lucide. Les jambes démarrent au quart de tour bien sûr. Je n'en attendais pas moins d'elles! C'est l'exercice qu'elles préfèrent. Un marathon en 4h30, hypothèse envisageable (4h04 à Nice l'an passé sur un parcours tout plat), m'amènerait à terminer en 14 heures, scénario invraisemblable il y a encore quelques semaines ! Mais attention, pour cela il va falloir gérer. Je retiens donc les chevaux : 5.45/6mn au kilo avec quelques secondes de pause à chaque ravito pour avaler une gorgée de coca ou d'eau et s'asperger copieusement, la tête bien sûr mais aussi les jambes. Et bien sûr le fameux "walk & run" pour gérer les montées les plus rudes, celle qui mène au centre ville notamment mais aussi celle, de l'autre coté de la Durance, qui monte à Baratier. Ce marathon est magnifique mais terriblement costaud avec 400 mètres de dénivellé positif. Selon les mots de l'ami Robert, pourtant un dur au mal, on peut s'attendre à une boucherie! Alors prudence. Kilomètre 3, tout au fond sur la digue, Léna, les parents ! Génial ! Ma fillette hurle comme une damnée, un vrai soleil dans son tee-shirt jaune vif ! Elle court avec moi quelques mètres avant qu'un officiel ne l'arrête. Magnifique ! Je suis aux anges ! Je reviens à ma course, concentré, à l'écoute de mon corps. Je m'avale un gel tous les 5 kilomètres, gorgée d’eau à l’appui et carbure au coca pour le reste. Sur ces bases je boucle le premier semi en 2h10. Pas le moindre signe de fatigue, pas le début d'une crampe, je suis bluffé. Je sais que la course commence maintenant et que le second semi sera forcément dissonant, lui, mais je ne peux pas m'empêcher d'être optimiste. Antoine, au pied de la seconde montée sur Embrun, court quelques mètres avec moi, et me répète que je suis bien, que je fais un gros truc, que c'est génial ! Bêtement, j’adhère ! Un peu plus loin c'est Jo qui m'encourage. Il m'annonce que je suis sur le point de reprendre Nadège : j'ai du mal à le croire. Deuxième passage dans le centre ville, kilomètre 23, les jambes durcissent sérieux. Elles n'ont pas aimé la montée, même faite en marchant. Bon... Dans la descente vers la plaine, un kilomètre plus loin, je reprends Nadège en effet, qui marche, le visage marqué. Je m'arrête à ses cotés quelques secondes ; elle trouve la force de sourire. Je lui propose de repartir ensemble mais elle ne le sent pas. Je continue tout seul. Trop dur ici pour faire autre chose que SA course. Kilomètre 29, Jo s'est posté à la fontaine, au pied de la falaise. "T’as un bon rythme" me crie-t-il, "Continue comme ça". S'il le dit... J'ai l'impression de me trainer pourtant et les jambes font un mal de chien. Kilomètre 32, ravito juste avant de couper la Durance et d'attaquer la dernière montée : je m'y arrête, tente d'avaler le gel réglementaire mais j'y renonce après un haut le cœur ! Il va falloir finir au coca. Jouable… mais que mes jambes sont douloureuses, bon dieu de bois! Pas le début d’une crampe pourtant mais que ça fait MAL ! Le chrono marque 3h28. Je me sais sur le fil désormais. Je voulais de la bagarre, en voilà ! J'attaque en marchant la montée vers Baratier. Et là, mauvaise surprise, marcher s’avère pénible, tout autant que courir ! Alerte rouge ! Chaque pas me coûte un putain de prix, et le suivant plus encore et encore et encore. La fatigue, la FA-TI-GUE, me tombe sur le paletot ! Mama mia, mais qu'est-ce que c'est que ce truc ?! C'est juste insupportable. Ca ne ressemble à rien. C'est horrible! Bon an mal an je me traine jusqu’à Baratier, en haut de la côte, kilomètre 35. Le chrono marathon affiche 4h00. C'est gagné devrais-je me dire, quatre kilomètres de descente à venir, suivis de trois autres plats comme la main, du gâteau quoi. Mais non. Je m'arrête au ravito, et m'accroche à la table comme à une bouée de sauvetage. J'avale une demie gorgée de coca qui me donne envie de vomir. Une bénévole quitte sa chaise un instant ; je vais m'y affaler, la tête entre les mains, assommé de fatigue. Après quelques minutes, un pompier vient prendre de mes nouvelles. "Ca va ça va" parvins-je à murmurer, "Je récupère, merci". Quelques minutes plus tard, je n'ai pas bougé d'un pouce et un second pompier revient, plus incisif : "Monsieur, venez avec nous dans le camion, qu'on vous examine". Son ton m'alarme. Je ne dois pas être beau à voir. Je le suis docilement. Que c'est bon de s'allonger, même sur une civière ! Une fois dans le camion, j'ai droit à quelques examens de base qui semblent rassurer mes anges gardiens. Après quelques questions pour juger de ma lucidité, ils me donnent le feu vert pour repartir. En ai-je vraiment envie ? C'est tellement dur, merde ! Je tergiverse, toujours allongé dans l'intérieur rassurant de ce camion de pompiers. Finir ou en finir ? Le temps passe, sûrement, mais je n'en sais trop rien. Et puis je me décide. Je m’extrais du camion et repars en marchant, attaquant péniblement la descente, un pas, et puis l'autre, et un autre derrière, toujours dans la souffrance. C'est tellement dur... Comment est-ce possible? Je suis tellement déçu aussi ! Toute cette préparation pour en arriver là, à se trainer comme une merde et à souffrir comme un damné ! Nom de Dieu ! Kilomètre 39, 14h30 de course, il est 20h30, la digue, pour la quatrième et dernière fois, déserte maintenant, déprimante. Un couple traine encore sur le coté et je reconnais Antho et Caroline. Nous marchons ensemble, je m'avoue à la dérive, Antho me réconforte comme il peut. Ses mots glissent sur ma détresse jusqu'à ce qu'il me dise "Mais tu voulais faire moins de 15 heures non ? Regarde, 14h30 là ! Tu peux encore le faire !". Et oui, moi qui pleure sur mon sort, j'ai tout bonnement tout faux ! Le rêve d'une grosse perf s'est envolé certes, mais le maillot de finisher me tend les bras, et en moins de 15 heures si je me bouge les fesses! On ne crache pas sur un tel truc ! "T'as raison mon gars" dis-je à Antho. Je me botte le cul et tente de courir. Etrangement, ça passe et sans souffrance excessive en plus, à 8 ou 9 à l'heure, et même de mieux en mieux au fur et à mesure que cèdent les kilomètres ! Etonnante alchimie du mental et du corps ! Au coin du dernier virage, dans la foule redevenue compacte, je distingue un point jaune qui s'agite ! Léna, qui hurle en me voyant, "ALLEZZZZZ PAPAAAA!!!", et les parents aussi, visiblement soulagés de me récupérer sur l’écran radar dont j’avais disparu ! J'attrape Léna ; nous nous lançons main dans la main dans la dernière ligne droite, sur le doux tapis bleu. Elle a préparé le dessin pour Mu que je lui avais commandé et nous coupons la ligne tous les deux, le dessin entre nous, tous les trois donc plutôt, après 14h49 de course, ou plutôt d'épopée, à 20h49, dans le jour finissant, 722ème ! Whaou ! J’ai bouclé le marathon en 5h15. Malgré ma défaillance je n’y ai perdu que… dix places ! La boucherie annoncée a bel et bien eu lieu. 2h45, du matin le 16 août, je rallume la lumière. Léna dort à poings fermés ; quant à moi j'y renonce. Je sors sur le balcon et finis de bon appétit mon pique-nique entamé à mon retour de course. J'en profite pour consulter sur le web les résultats finaux. Nous sommes tous finishers et je ne sais pas pour lequel de mes compagnons d'échappée j'ai le plus d'admiration : pour Jean-Fa et JC, Robocops quadragénaires qui finissent dans les deux cents premiers, en moins de 13 heures pour l'un et à peine plus pour l'autre? Pour Nadège qui, six mois après son accouchement, boucle la course en 14h30 (elle m'a redoublé sans le savoir, planqué que j'étais chez les pompiers!) ? Ou pour Jean-Loup qui, au bout de la nuit, a arraché avec les dents, en 16h28, son maillot de finisher ? J'ai pour tous une bouffée d'affection... et pour moi-même une bouffée de rancœur! Je ne digère pas la trahison de mon corps. J'ai beau me dire qu'au final elle ne m'a pas coûté grand chose (30, 40 minutes peut-être), que tout est bien qui finit bien, que les treize premières heures fantastiques compensent largement les deux dernières d’horreur, que seul compte in fine le maillot de finisher... Rien à faire... J'ai haï cette défaite, ce corps à corps perdu avec mon propre corps, cet abandon du moi... Le 16 août au réveil le sentiment demeure, renforcé par l'absence totale de courbatures ! Absolument totale ! Seule une vague gêne au mollet gauche m'indique que j'ai du faire un peu d’exercice la veille ! Tout le contraire du réveil douloureux de Nice l'an passé où je marchais à peine. C'est donc ma tête qui a cédé. Mon corps lui était prêt. C'est ce que Jo me dira le lendemain en debriefing. Je n'ai pas eu la résistance nerveuse pour une épreuve de cette longueur, mon "gouverneur central" en surchauffe a fini par bugger. Ecran noir! « Je te laisse seul avec ton corps », m'a-t-il dit, « Je n’en peux plus » ! Ce ne fut pas beau à voir ! Vendredi 23 août. Je finis d'écrire ces lignes. La rancœur est passée, enfin. Il me reste l'ivresse, il me reste la fierté, celle d’être allé au bout, celle d’avoir fait le voyage. J'ai connu le très haut, j'ai connu le très bas : au fond, c'est ce que je cherchais. Je me suis senti vivant alors que la mort, depuis plusieurs semaines, tournait autour de moi. J'ai fait un beau voyage et découvert en moi des paradis perdus et de sombres contrées peuplées d'anthropophages pressés de me faire la peau. Ils en furent pour leurs frais ! "Tu te rends compte de l'aventure de malade dans laquelle tu t'es lancé?" m'écrivait Jo il y a quelques semaines. Non, je ne m’en rendais pas compte ! Quelques chiffres pour les amateurs, concernant les 5,5 mois d’entrainement spécifique Embrunman (1er mars au 14 août 2013) : • 300 heures d’entrainement au total, soit 12h par semaine en moyenne sur la période (mais avec une pointe à 16 heures par semaine sur les 8 dernières semaines et 2 stages d’entrainement d’une semaine à plus de 30h début mai et mi juillet) o Dont 176h de vélo soit 3690km et 50300 mètres de D+ o Dont 57 heures de course à pied soit 583km o Dont 49 heures de natation soit 130km o Dont 16 heures muscu, yoga, streching Plus environ 50h de travail foncier sur janvier et février 2013.