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L’AVC
Le cauchemar
Juillet 2007, pendant mes vacances en Corse.
… Cette nuit-là, je fais un cauchemar.
Je rêve que je suis dans un lit, dans une espèce de chambre d’amis.
La moitié de mon organisme est complètement déglingué, ne répond plus. Je comprends rien à rien ! Cette
moitié de corps est comme morte. Je suis en train de rêver que je suis hémiplégique alors que je ne connais
même pas l’existence de ce handicap. Impossible de m’arracher de ce pieu gluant. Je fais pourtant tous les
efforts possibles imaginables, j’y mets toutes mes forces, à fond.
Rien à faire, je n’arrive qu’à me traîner sur le lit. À chaque fois que je veux m’en extirper, je retombe.
J’essaye bien de me dépatouiller, mais je suis englué jusqu’au trognon, comme un insecte pris dans une toile
d’araignée. Impossible de me dépêtrer de là.
Au bout d’un moment, exténué, je me résigne : ma « panne de corps » est la plus forte.
À mon réveil, je ressens encore cette gêne rêvée. Mon esprit est encore trop brouillon pour comprendre que
je suis éveillé. Pourtant… j’ai bien l’impression d’être dans la réalité ?
Je ne suis plus sûr de rien.
Je fais un effort de concentration, mais tout reste obstinément flou. Seul en pleine nuit, perdu dans cette
maison, tout s’embrouille. Où suis-je ? Qui suis-je ? En quelle année sommes-nous ? Quel siècle ?
Tout ça m’a l’air si réel ! Les pensées les plus folles m’assaillent. Voyons, réfléchissons…
De toute façon, cet état ne peut être que passager : une grosse grippe ou quelque chose dans ce genre. Ma
petite capacité d’imagination est – de beaucoup – dépassée ; je suis largué.
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Je constate l’ampleur des dégâts : je ne dispose plus que de la moitié de mon corps. Je suis à la rue,
expulsé, hors de moi-même, banni ! Il ne me reste plus qu’à appeler à l’aide.
Je rampe jusqu’à mon téléphone. Je l’attrape. Je cherche ma nièce dans le répertoire et j’appelle son numéro.
Elle décroche. Au moment où j’ouvre la bouche, horreur : ma voix est toute déformée, toute « ronde ». Je la
reconnais pas ! J’ai l’intonation d’un hémiplégique.
Ma nièce me dit qu’elle arrive avec de l’aide.
Peu après, un camion rouge déboule dans mon jardin. Les pompiers m’allongent sur le canapé pour me faire
quelques tests, mais ils savent très bien ce qui m’arrive. Mon sort est scellé.
Ils m’embarquent à bord. Le camion se rend à la piste d’hélicoptère du village d’où je m’envole pour
l’hôpital d’Ajaccio ! Je ne suis plus qu’en état de subir. Trop, c’est trop ! Je jette l’éponge. J’abandonne.
Advienne que pourra.
À mon arrivée à l’hôpital, les yeux exorbités et les cheveux en bataille, on me met des tuyaux plein les bras.
Les médecins s’attendent à une éventuelle seconde crise.
Puis, j’attends. Je sais pas quoi, mais j’attends...
J’essaye de faire le point. Bon. J'arrive encore à me démerder à peu près. Mon côté droit a été salement
touché, d’accord, mais l’autre est intact. Ça tombe bien, je suis gaucher ! Je tâche de trouver un bon côté à
ce qui ce passe.
Je me lève et je parviens à faire quelques pas. Allez, un effort !
Le lendemain, une seconde attaque me fige : un véritable coup de grâce ! Je me retrouve entièrement
paralysé de bas en haut, cloîtré dans ma boîte crânienne et muré dans le silence. J’entends, vois, et pense,
mais c’est tout ! Je regrette cette saloperie de voix qui, au moins, me permettait de communiquer.
J’essaye à nouveau d’établir un bilan, mais là, c’est trop ! Mon côté gauche, celui avec lequel je compensais,
j’espérais, est désormais inerte. Il ne me reste que les yeux. Et là encore, j’arrive même pas à faire le point :
je vois double. L’horreur totale !
C’est un peu comme si mon esprit, au lieu de s’évaporer de mon corps, était resté coincé à l’intérieur.
Le médecin, les infirmiers, et mes proches se succèdent à mon chevet. Ils décèlent ma présence dans mon
regard. Je suis là, enfermé quelque part dans ce corps quasi inerte.
Lorsqu’on est atteint d’une grave maladie, quel que soit l’amour de la famille, du conjoint, ou des proches,
on se retrouve seul. L’entourage a beau faire preuve d’empathie, une telle détresse ne se partage pas, même
pas un peu. C’est en toi et toi seul qu’il faut chercher les ressources pour t’en sortir (lorsque c’est possible).
Les docteurs disent à ma famille que je suis atteint d’un locked-in syndrom1. Je ne serai plus qu’un légume
pour le restant de mes jours. Ça porte, hélas, bien son nom. Enfermé en moi-même, j’habite une coquille
inerte. Je me sens comme un bernard-l’ermite trop amorphe pour en changer.
J’ai un gros coup de blues. Toutefois, une fois le choc du constat passé, l’instinct de survie reprend le dessus.
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Unsyndromed’enfermement(uneparalysiecomplète).
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Peu importe la gravité de notre état, nous sommes prêts à n’importe quoi pour exister encore un peu. Je
me suis accroché à mon reliquat de vie, à l’espoir, aussi improbable soit-il. Quoi qu’il reste, ce sera toujours
mieux que le néant.
L’important n’est pas de vivre heureux, mais de vivre.
Les produits qu’on m’injecte me maintiennent à flot, me sauvent la vie, mais, d’un autre côté, me font partir
en délire…
En réa, j’aurais beaucoup aimé pouvoir parler pour rassurer mes proches, leur dire que j'allais m’en remettre,
ça va passer, faut pas s’affoler. J'étais si désolé de causer tant de souci à ceux que j’aime.
Quatre jours plus tard, j’atterris dans une autre section de l’hôpital, chez les cérébrolésés.
Non seulement je n’ai pas la moindre idée du monde dans lequel je mets les pieds (façon de parler), mais je
suis encore complètement embrouillé dans ma tête : l’épaisse fumée qui y règne refuse toujours de se
dissiper. Je fais tous les efforts possibles pour y voir à travers : je plisse les paupières.
Durant la journée, je tombe parfois sur du sport à la télé. Ça me rend sarcastique. Je ne suis plus concerné
par tout ça, moi qui n’arrive même plus à mettre un pied devant l’autre. Pauvres types ! Gesticuler au point
de transpirer ! Je les plains. Et puis d’abord, lorsque le corps fonctionne bien, où est l’exploit ?
En réalité, je les envie. Si je pouvais…
Un beau matin, miracle ! Je reparle. Je suis à peine audible, mais c’est tellement génial de retrouver la
parole ! Pffou, quelle délivrance ! Ma voix n’est plus comme avant. Maintenant, je dois souffler pour faire
vibrer mes cordes vocales. Mais je suis si content d’avoir retrouvé au moins ça pour communiquer.
Dorénavant, il va me falloir muscler ma colonne d’air. En tout cas, je parle. Faiblement, mais je parle.
J’attaque la kinésithérapie avec un garçon doux, gentil et patient. Il me fait faire des mouvements de plus en
plus amples. Le côté droit revient doucement : chaque jour je gagne quelques centimètres.
Un beau matin, le côté gauche frémit à son tour ! Mon kiné, épaté, m’explique que s’il y a eu mouvement, ça
veut dire que je vais récupérer un peu de ce côté inerte.
Je commence à être capable de faire quelques pas entre deux barres ou à m’asseoir sur un vélo
d’appartement avec de l’aide.
À partir du moment où l’organisme a basculé dans le handicap, tous ces gestes, si simples auparavant, sont
maintenant inaccessibles. Je fais tous les efforts possibles pour essayer de retrouver cette coordination
perdue, mais sans grande réussite : je suis à la traîne.
Désormais, mon but est d’essayer de ressembler aux autres, de me fondre dans la masse - tout en sachant
que maintenant, je ne suis plus que capable de les singer, de tricher avec mon corps pour le faire marcher.
J’y arriverai plus jamais vraiment !
Oui, mais d’un autre côté, je « re-nais », tel le phénix. D’accord, j’ai une aile et une patte amochées, mais je
suis si heureux d’être de retour ! J’ai même du mal à y croire. Nous sommes de sacrés veinards, nous, les
vivants !
Nous sommes des funambules qui avancent sur des lignes de vie qui peuvent casser à tout moment.
N’importe qui peut tomber à tout instant.
Mon état s’améliore - doucement. On me lave et on me rase quotidiennement. On s’occupe de moi comme
d’un vieux nourrisson.
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C’est incroyablement extraordinaire de retrouver l’usage de son corps. Il devrait, en principe, me rester
autant de temps à vivre que si je n’avais pas eu cet AVC. Je vais tout faire pour le passer dans le meilleur
état possible. Croyez-moi, je vais le bichonner, ce reste de corps !
Quand je vois toutes ces personnes complètement déglinguées essayer de hisser le leur comme elles
peuvent...
Aux W.C, des infirmier(e)s sont là pour aider les malades. Avec tous ces gens autour, au début, faire ses
besoins est impossible. En plus, ça m’enlève le peu de dignité qu’il me reste de ne pas pouvoir y aller seul.
Ce putain d’AVC, il pourrait pas me lâcher un peu les baskets, au moins là ?
À côté, d’autres toilettes normales sont destinées aux autonomes.
Une après-midi, je décide d’y aller. Là, je suis contraint de me rendre à l’évidence : je suis incapable de faire
ce que j’ai à y faire sans aide. Je me vois même infoutu de déchirer le papier toilette et de le plier en deux.
C’est terrible pour mon amour propre de réaliser que j’en suis là ! Je me le prends en pleine poire et suis
obligé d’appeler au secours. On me nettoie pendant que je me vide de toutes les larmes de mon corps.
En ce qui concerne l’alimentation, l’orthophoniste substitue petit à petit les plats mixés à des repas normaux.
À table, je prends conscience que ce qui se passe derrière les dents est incroyablement complexe. Avant, le
choix du tuyau se faisait automatiquement, sans réfléchir. Mais maintenant, il me faut apprendre à gérer tout
ce bazar. On a plein de tubes dans la bouche. Pour l’heure, je ne peux que « manger » de l’eau gélifiée. Hors
de question de boire la moindre goutte de liquide : elle irait droit dans les poumons.
Au cours des séances de kiné quotidiennes, je redeviens petit à petit capable de m’asseoir et de me relever.
Je reprends tout à zéro.
Tout d’abord, je dois prendre conscience de chaque composante de chaque geste. Par exemple, pour se lever
d’une chaise ou d’un banc, il faut d’abord basculer le poids du corps vers l’avant. Ce n’est qu’ensuite qu’on
pousse sur les jambes. Je n’avais jamais fait gaffe à ce genre d’équilibre auparavant malgré le fait que je
l’utilisais tous les jours.
À partir du sol, c’est une autre paire de manches. Se relever seul n’est pas donné à tout le monde. C’est
même plutôt rare par ici. J’apprends une à une les phases par lesquelles je dois forcément transiter pour
pouvoir passer à la suivante. Par exemple, au sol, il me faut d’abord me mettre en position du chien (à quatre
pattes), sinon, je reste scotché par terre. Point. J’apprends donc les étapes nécessaires pour pouvoir faire ce
que je faisais naturellement. Et encore heureux d’y parvenir (à peu près) !
Faire des pas me semblait inné ! Je n’en avais jamais analysé la complexité. Marcher naturellement
appartient désormais au confort de ma première vie. Maintenant, il me faut décomposer chaque geste dans
ma tête chaque fois que je l’exécute (je dois y réfléchir encore et encore, des milliers de fois). Voyons
voir… je dois déplier la jambe, relever la pointe du pied, poser le talon en premier au sol, dérouler le pied
tout en basculant le poids du corps sur cette jambe, répéter la même opération avec l’autre pied, puis essayer
d’alterner de plus en plus vite tout en restant synchro, etc.
Je prends conscience que la marche est une succession de chutes en avant. Je découvre tout ce dont j’étais
capable auparavant sans jamais y avoir prêté attention. J'en suis épaté. Aujourd’hui, c’est loin d’être évident
de réaliser de telles prouesses !
Quatre mois plus tard, je passe du fauteuil roulant à la canne anglaise.
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Un beau jour, mon docteur m’annonce qu’il va me faire quitter l’hôpital. J’ai envie de ça, bien sûr, mais
je l’appréhende aussi. Comment c’est, dehors ?
Le jour de ma sortie, tout ce qui « m’étayait » m’abandonne. J’évolue sans filet. J’ai beau essayer, j’arrive
pas à imaginer comment va se dérouler ma réadaptation à la vraie vie. Je suis si loin de la réalité. Je sors
d’un cocon. Il me faut tout réapprendre. Chaque tâche me semble démesurée.
Dehors
« Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, mais parce que nous n'osons pas
que les choses sont difficiles. » (Sénèque, un philosophe Romain)
I
l faut que je me rende à l’évidence : celui que j’étais avant l’AVC n’est plus. Ma perception des choses a
radicalement changé.
Il me faut tout reprendre à zéro.
Courir ou sauter ? Pour quoi faire ? J’ai déjà tant à (re)découvrir. Je suis de retour à l’école de la vie. Putain,
qu’est-ce que c’est crevant ! J’aurais quand même aimé avoir conservé quelques acquis. Mais apparemment,
il me faut tout redémarrer. Bon. Tant pis. Remarque, s’il n’y a que ça…
À ma sortie d’hôpital, on m’a plongé dans un environnement inadapté à mon cas. J’imagine ce que doivent
ressentir les personnes clouées sur un fauteuil roulant. Elles vivent un véritable purgatoire sur roulettes ! Le
monde n’est que peu adapté aux handicapés. Chacun est obligé de se démerder.
Parfois, j’ai le sentiment d’être un extra-terrestre ou je ne sais quoi. Qu’est-ce que je fous ici ? Vivre dans un
endroit où on est assisté vingt-quatre heures sur vingt-quatre n’a rien à voir avec la vraie vie et ses
agressions quotidiennes. Ça fait un sacré choc ! Mais je suis si heureux d’être de retour.
Je m’adapte sans bruit : on sait jamais, si quelqu’un quelque part venait à décider pour une raison ou une
autre de me renvoyer à l’hôpital ! Chut ! Je la boucle et me concentre sur mon corps. Je profite de l’aubaine
d’être parmi les autres, je déboule dans la vie « normale » sur la pointe des pieds. J’observe et imite. Je
m’accoutume aussi à mon nouveau moi. J’essaye de maîtriser mes émotions (d’intérioriser mes crises de rire
et de pleurs). C’est pas évident : je suis comme un petit enfant : mes sentiments transpirent sans cesse. C’est
chiant. Parfois même, c’est gênant.
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Suivant le degré de son handicap, arrivé à un certain stade de sa rééducation, l’amélioration de la
condition d’un infirme ne dépend plus de lui, mais de son entourage. L’handicapé, lui, est au bout de ses
capacités, il ne peut pas aller plus loin. À partir de là, les autres l’aident à continuer à évoluer.
Pour l’entourage, aucun problème (en principe). Mais ce n’est pas toujours le cas des gens que l’on croise au
quotidien. La plupart ressentent une espèce de gêne. Peut-être parce qu’ils savent, inconsciemment, qu’ils
peuvent tomber dans ce monde à chaque instant. Émerge alors une peur sournoise, insidieuse, du même
genre que celle que l’on ressent face à une contagion. À moins que ce soit la peur de la différence ? Bref, on
se dit qu’il vaut mieux ne pas établir de contact. On sait jamais...
Mais la curiosité pousse à observer les handicapés à la dérobée. En général, les enfants entrent naturellement
en contact avec les infirmes. En tout cas, le seul vrai moyen de s’adresser à un invalide, c’est de l’aborder
tout simplement, comme si on abordait n’importe qui.
Heureusement, les choses évoluent (lentement).
La différence entre un valide et un handicapé est grosso modo la même que celle entre le propriétaire d’une
Ferrari et celui d’une 2CV. C’est pas forcément le premier le plus gentil ou le plus intelligent, mais l’autre
sera moins performant à la course.
Une personne est une personne, quels que soient son aspect ou ses capacités.
Un infirme n’est pas seulement quelqu’un qui n’a pas toutes ses capacités, c’est aussi quelqu’un qui - à mes
yeux - a quelque chose en plus : il (a) fait l’effort de chercher, développer un moyen pour compenser ce
qu’il a perdu (ou n’a jamais eu) afin de se l’approprier. Il en existe deux types :
1/ Ceux qui, en piteux état, ne peuvent pas progresser. Ceux-là ont malheureusement perdu le choix. Il ne
leur reste qu’à se noyer dans le chagrin devant l’ampleur des dégâts. C’est horrible. Je ne le souhaite à
personne, pas même à mon pire ennemi. Mais d’un autre côté (ça vaut ce que ça vaut), ils sont encore en
vie...
2/ Les autres, ceux qui peuvent évoluer, composent avec leur handicap qu’ils intègrent, et avancent tout en
compensant tant bien que mal ce qu’ils leur manque.
Cependant, il existe un troisième type : ceux qui ne peuvent pas améliorer leur condition, mais font des
efforts surhumains pour avancer. Ils se battent contre vents et marées. Quelle putain de leçon de vie ! Et
pendant ce temps, d’autres baissent les bras alors qu’il n’y a pas vraiment lieu. Dire qu’il y en a qui vont
bien physiquement et qui se suicident. Je les plains, mais, bon sang, comment ne pas être aussi révolté ce
gâchis de corps, quand on sait que d'autres donneraient n’importe quoi pour en avoir un qui fonctionne !
En voyant mon évolution alors que d’autres sont cloués pour le restant de leur vie sur un fauteuil roulant, je
relativise mon handicap. Pauvres bougres ! Et encore, c’est pas le pire : certains « fonctionnent » à peu près,
mais la tête ne suit plus. Et quand la tronche n’est plus là, peu importe l’état du corps, tout est foutu : adieu
veaux, vaches, cochons… Malgré ce qui m’arrive, j’ai du bol ! Les dysfonctionnements physiques ne sont
rien comparés aux troubles du cerveau !
7
Conclusion
C
hristophe est mort, Chris est né en 2007.
Il m’a fallu dix mois d’hôpital pour recommencer (à peu près) à marcher.
J’ai, bien sûr, conservé mes liens avec ma famille et mes amis, néanmoins, il faut recréer le contact : je ne
suis plus le même. Tout est à rebâtir. C’est épuisant. Parfois, je me dis que j’y arriverai jamais !
En tout cas, heureusement que je l’ai eu, cet AVC, sinon j’aurais bêtement traversé ma vie en courant. Cet
accident m’a contraint à faire une pause dans ma vie et à la regarder, autour de moi. Il a modifié ma façon de
penser, de sentir les choses. Finalement, je ressens ce handicap comme un privilège : même si j’ai morflé
physiquement, j’ai énormément gagné dans la tête. Ça valait (largement) le coup. D’accord, c’est pas facile
de mettre tout ça dans la balance : l’agilité de certains membres contre un état d’esprit.
Mon existence reprend doucement son cours. Je sais que je ressemble grosso modo à ce que je vais être
jusqu’à la fin de mes jours. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg : le physique. Le plus important
est sous mon crâne. Je boite (de moins en moins) et j’ai du mal à utiliser la main gauche, mais l’essentiel
(re)fonctionne. Je n’ai jamais été aussi heureux.
Je range, je classe ma première vie. Je l’archive. Aujourd’hui, je ne suis plus le même : je n’ai plus les
mêmes goûts, les mêmes envies.
C’est crevant d’avoir à tout redémarrer de zéro, à tout rebâtir. On baisse forcément les bras à un moment
donné. Parfois, je me dis que c’est trop. Tout ça me paraît une montagne. Je suis pas à la hauteur.
Mais c’est si génial de recommencer une existence toute neuve tout en bénéficiant de l'expérience de la
précédente, si extraordinaire d’être de retour dans l’arène de la vie, et si merveilleux de s’y sentir à nouveau
enfant…
Avant, je ne prenais pas le temps de réfléchir. Maintenant, j’accepte l’être humain que je suis (et qui n’est
pas que gentil). Je n’ai plus envie de perdre mon temps à essayer de ressembler à ce que la société attend de
moi. Aujourd’hui, mon cap, ma pensée dominante, c’est : « Deviens ce que tu es. » (Pindare, un poète grec)
Je n’ai aucune idée de quoi sera fait demain, mais une chose est sûre : je vais dire ce que j’ai à dire. Je n’ai
plus peur. Maintenant, je sais que je vais droit à ma mort, mais ça non plus, ça ne me fait plus peur. Ma
principale crainte, c’est que ce surplus d’existence ne serve finalement à rien.
Être vivant est un privilège incroyable, magnifique. Je ne sais pas à quoi nous le devons, mais je compte
bien en profiter tant que j’ai le privilège d’être là, avec vous.
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L'important, c'est d'avoir un avenir. À partir de là, tout est possible.
D’après le livre Voyage en AVC
Ce résumé décrit surtout le côté physique de l’accident.
Le livre, plus complet, sonde aussi « l’abîme de l’esprit ».

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