PEUT ON DEPLACER ORTHODONTIQUEMENT LES DENTS

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PEUT ON DEPLACER ORTHODONTIQUEMENT LES DENTS
Formation l Orthodontie
Peut-on déplacer orthodontiquement
une dent traumatisée ?
CPEA
Rubrique dirigée par Pierre Machtou et Dominique Martin
Arnaud Costi
Les traumatismes dentaires touchent
en premier lieu les incisives : le risque est
particulièrement élevé dans les cas
de proalvéolie maxillaire. Parfois, le choc
se produit alors que la racine n’est pas
encore totalement édifiée. Avec toutes
les complications encourues à moyen
et long terme, il est légitime de se poser
la question de la faisabilité d’un traitement
orthodontique à la suite d’un traumatisme.
À travers la présentation d’un cas clinique,
nous démontrerons qu’il est non seulement
possible, mais également souhaitable
de recourir à l’orthodontie, de façon
à minimiser les risques de survenue
d’un traumatisme ultérieur.
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Traumatisme dentaire
et orthodontie
Les complications post-traumatiques
à redouter
Elles peuvent intéresser l’organe dentaire et/ou son
parodonte.
L’atteinte du complexe dentino-pulpaire peut avoir
des expressions diverses et variées : pulpite réversible ou irréversible, oblitération canalaire, résorption interne ou externe, nécrose… Si la dent est
immature au moment du choc, la perte de vitalité
pulpaire entraîne généralement l’arrêt de l’édification radiculaire, avec, à terme, une susceptibilité
accrue pour les fractures.
L’atteinte desmodontale, en particulier le risque
d’ankylose, constitue un facteur limitant pour l’orthodontie. En effet, le déplacement orthodontique
d’une dent dépourvue de desmodonte est tout simplement inconcevable sur le plan histologique ; sans
compter les effets parasites engendrés au niveau
des dents voisines (fig. 1).
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traumatisme et orthodontie
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1. Ankylose de 14 : la radiographie rétroalvéolaire montre la fusion
entre l’os et la dentine radiculaire (a) ; une traction orthodontique
a semble-t-il été tentée, mais, au lieu d’égresser la 14, elle a occasionné
des mouvements parasites au niveau des dents adjacentes, comme
en témoigne la courbe de Spee inversée (b).
La marche à suivre
pour un déplacement sécurisé
Avant d’entreprendre un traitement orthodontique, il faut s’enquérir de la bonne santé pulpaire et parodontale des dents touchées de près ou
de loin, et réaliser les soins qui s’imposent. Pour ce
faire, il suffit de se référer aux recommandations de
l’IADT [1] qui détaillent la prise en charge adaptée
pour chaque type de traumatisme en fonction du
stade d’édification radiculaire.
L’orthodontie pourra ensuite avoir lieu normalement, sous réserve qu’il n’y ait pas de dents ankylosées ; les examens cliniques (son métallique à la
percussion, infraclusion) et radiologiques (absence
de ligament alvéolo-dentaire) nous auront permis de
poser le bon diagnostic. Des forces légères devront
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être appliquées, en particulier si des mouvements
radiculaires sont envisagés (ingression, torque). En
effet, les traumatismes dentaires potentialisent
les risques de résorptions radiculaires postorthodontiques [2, 3].
Il faut bien garder à l’esprit que les complications,
notamment pulpaires, se révèlent parfois plusieurs
années après le choc, et que l’orthodontie peut agir
comme un catalyseur [2, 4, 5]. C’est pourquoi il
faudra rester vigilant et continuer le suivi des dents
traumatisées avant, pendant et après le traitement
multiattache.
Enfin, il arrive parfois que le traumatisme survienne au cours du traitement orthodontique.
Dans ce cas, l’orthodontiste devra faciliter l’accès
aux soins d’urgence, en déposant l’arc et, éventuellement, certains brackets. Après réduction d’une
luxation ou réimplantation d’une dent expulsée,
l’IADT recommande une contention souple pour
favoriser la cicatrisation parodontale [1, 6] : un arc
orthodontique de faible section pourra être utilisé
à cet effet, à condition qu’il soit parfaitement passif,
c’est-à-dire qu’il n’exerce aucune force. Les déplacements dentaires ne pourront reprendre à l’arcade
concernée qu’après une pause dont la durée (généralement 1 à 3 mois) sera fonction du type et de la
sévérité du traumatisme.
Cas clinique
Nous illustrerons nos propos en présentant le cas
d’Arthur, qui a subi un traumatisme sur ses deux
incisives centrales maxillaires permanentes à l’âge
de 8 ans et demi. La fracture avec exposition pulpaire de 11 et 21 n’a pas pu être prise en charge
dans de bonnes conditions le jour de l’accident : il
s’en est suivi une nécrose de ces deux dents encore
immatures.
Traitement endodontique
Le traitement endodontique des dents immatures
pose un réel problème pour l’obturation canalaire,
en raison de l’absence de constriction apicale.
Trois techniques ont été décrites pour pallier cette
difficulté. La plus ancienne utilise l’hydroxyde de
calcium Ca(OH)2 comme médication intracanalaire pour favoriser l’apexification. Malgré un taux
de guérison élevé, de l’ordre de 95 % (77 à 98 %
en fonction des études) [7], cette technique souffre
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d’un certain nombre d’inconvénients, à commencer par sa durée globale de mise en œuvre (6 à
18 mois), et du nombre important de visites
requises. De plus, l’utilisation prolongée d’hydroxyde de calcium diminuerait la résistance de la
dentine à la fracture et donc compromettrait l’avenir de la dent à moyen et long terme [8].
L’une des alternatives consiste à placer un bouchon
de MTA (Mineral Trioxide Aggregate) au niveau
apical, ce qui permet de réaliser l’obturation canalaire à la gutta percha dans la séance en toute sécurité. Les résultats obtenus avec ce biomatériau sont
très probants, comme le montrent les premières
études cliniques disponibles [9, 10]. En revanche,
le risque de fracture radiculaire existe toujours en
raison de la finesse des parois dentinaires.
Enfin, il est possible de stimuler l’apexogenèse
grâce aux techniques dites de revascularisation.
L’idée est séduisante, puisqu’il s’agit de régénérer
la pulpe à partir des cellules souches périapicales.
Comparativement aux techniques d’apexification,
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2. Traitement endodontique de 11 et 21 nécrosées à la suite
d’un traumatisme : radiographies rétroalvéolaires pré-opératoire (a),
maître-cône sur 21(b), bouchon apical de MTA sur 21 (c), obturation
à la gutta percha et pansement coronaire au Cavit sur 21 (d) ; bouchon
de MTA sur 11 (e), obturation à la gutta percha et pansement
coronaire au Cavit sur 11(f). (Courtoisie du Dr Caron)
elles permettent d’obtenir un réel accroissement de
la racine, aussi bien en longueur qu’en largeur [11].
Même si les premières séries de cas publiées dans la
littérature sont convaincantes, le protocole opératoire ne fait pas encore l’objet d’un consensus [12].
En ce qui concerne Arthur, l’utilisation du MTA
a été privilégiée par le Docteur Caron pour toutes
les raisons que nous venons d’évoquer. L’obturation
canalaire à la gutta chaude a été réalisée lors d’une
séance ultérieure, après vérification de la prise du
MTA. Les restaurations au composite effectuées
par le Docteur Pavlov ont permis d’assurer l’étanchéité coronaire (fig. 2).
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3. Traitement orthodontique multiattache : photographies initiales
en vue vestibulaire (a), latérale gauche (b) et occlusale maxillaire (c).
c
de
Photographies en cours de traitement orthodontique multiattache (d, e, f) ;
après débaguage et pose de la contention (g, h, i).
f
gh
Traitement orthodontique
Le traitement orthodontique a débuté deux ans
après l’accident, à l’âge de 10 ans et demi. Arthur
présentait un décalage sagittal interacarde
de classe II division 1 d’Angle, avec un excès de
surplomb antérieur caractéristique. La vestibuloversion de ses incisives maxillaires lui faisait courir le risque d’un second traumatisme, avec à la
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4. Suivi radiologique
des incisives maxillaires :
clichés rétroalvéolaires avant
traitement (a), en cours
de traitement orthodontique
multiattache (b),
après débaguage et pose
de la contention (c).
4a
clé une fracture radiculaire cervicale entraînant la
perte de ses incisives centrales. Les rétroalvéolaires
de contrôle étaient rassurantes. Nous avons donc
décidé de commencer au plus vite, sans attendre le
remplacement de 55 et 65 par les prémolaires sousjacentes (fig. 3).
L’utilisation de forces légères a permis de normaliser les rapports d’occlusion dans un délai raisonnable (inférieur à 20 mois), sans porter atteinte à
l’intégrité des racines des incisives (fig. 4).
En conclusion, les dents traumatisées
peuvent parfaitement faire l’objet d’un
traitement orthodontique, à condition
qu’elles ne soient pas ankylosées. Il faudra
simplement s’assurer que les soins d’urgence ont été réalisés convenablement,
effectuer un suivi clinique et radiologique
rapproché pendant toute la durée du traitement et surtout appliquer des forces
légères.
L’auteur adresse ses remerciements
aux Docteurs Grégory Caron et Iona Pavlov,
pour leur participation respective au cas clinique.
Auteur
Arnaud Costi
Ancien interne en odontologie (Paris 7)
Spécialiste qualifié en orthopédie dento-faciale
Assistant hospitalo-universitaire (Paris 7)
Correspondance
21 avenue Niel - 75017 Paris
20
b
c
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