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Rappels théoriques Pratiques kinésithérapiques Les limites de l’apprentissage Perspectives et avenir NEUROPHYSIOLOGIE ET STRATÉGIES POSTURALES Dr Serge MESURE1 MOTS CLÉS Apprentissage Cognitif Posture Sensori-motricité Stratégies adaptatives “ L’impact des déficiences sensorielles sur les activités humaines est multiforme. Il est important d’en comprendre les mécanismes afin d’identifier les handicaps qui en résultent et ainsi chercher et proposer une stratégie supplétive efficace et appropriée pour donner au sujet les moyens d’y remédier ” 1 CNRS-UMR Mouvement et Perception Marseille (13) ’ÉDUCATION et la rééducation sont encore trop souvent affaire d’habitude ou d’empirisme. Le phénomène d’apprentissage sensorimoteur, “ensemble de processus associés à l’exercice ou l’expérience conduisant à des modifications relativement permanentes du comportement habile” [1], accrédite l’hypothèse d’une stratégie élaborée et centrée sur les éléments informatifs permettant de faire, d’une part l’économie d’une exploration exhaustive et, d’autre part d’éviter l’effet de la précipitation manifestée lorsque le temps imparti à l’exploration d’un nombre donné d’éléments du champ est limité. L Le sujet qui “anticipe” est donc celui qui relève dans la situation à laquelle il est confronté, des indices perceptifs qui lui permettent de réduire l’incertitude événementielle, spatiale ou temporelle de cette situation et par voie de conséquence, d’y faire face de manière efficiente. Ceci correspond à la tendance générale de tout processus d’apprentissage, qui est d’inclure dans la commande centrale tout ce qui est possible pour l’accomplissement de l’acte moteur [2], avec passage d’un processus avec feedback (boucle fermée) à un processus en feedforward (boucle ouverte). La performance motrice peut donc être considérée comme le produit de l’adaptation du système cognitif et sensori-moteur du sujet aux contraintes des situations auxquelles il est confronté (fig. 1, page suivante). L’apprentissage représente la théorie du contrôle moteur qui doit être capable de proposer une base vérifiable pour expliquer les changements de la performance à travers le temps, sur la base d’une perception qui intervient dans la détection et le prélèvement de l’information disponible. L’habileté motrice doit ainsi requérir une coordination, de préférence multi-segmentaire ou posturo-segmentaire, qui peut être cyclique ou discrète, symétrique ou asymétrique. Cette coordination doit être finalisée par une performance quantifiable (vitesse d’exécution, précision, force...) qui vont être les bases de la construction de toute échelle d’évaluation de la performance. Une relation non équivoque doit exister entre la coordination et la performance ; toute modification de la coordination doit se traduire par un changement de la performance. La performance doit résulter de la coordination entre des variables perceptuelles et des variables d’actions identifiables et quantifiables. L’apprentissage suppose que l’apprenant exerce un contrôle délibéré sur son activité KS n° 474 février 2007 23 NEUROPHYSIOLOGIE ET STRATÉGIES POSTURALES Superviseur adaptatif Superviseur conscient Évocation nvir onnement Attention Intention Stimuli Processus sensori-moteurs éponses Valeurs biologiques A CT ION Processus cognitifs Représentations Influences motivations Valeurs psychologiques A B Figure 1 Deux niveaux de traitement des informations sensorielles pour l’intégration de nouvelles stratégies adaptatives A Le niveau des traitements sensori-moteurs entretient des dialogues sensorimoteurs directs avec l’environnement. Il peut répondre aux stimulations du milieu extérieur mais il peut aussi interroger cet environnement et recueillir ses réponses. Il opère sur un répertoire moteur génétiquement inscrit ou à partir de prédispositions secondairement acquises. Il dispose d’un superviseur adaptatif capable de modifier, dans une certaine marge, les capacités réactionnelles de son répertoire de base pour s’adapter automatiquement aux contraintes nouvelles de son environnement. B Le compartiment cognitif introduit des possibilités nouvelles. Les informations issues des traitements sensori-moteurs contribuent à la construction progressive d’une représentation virtuelle de l’environnement (nouveau système de contrôle conscient). Il instaure des dialogues entre la représentation interne prévisible et les conséquences des actions qui y seront dirigées. Ces dialogues vont permettre, par anticipation des conséquences, un choix raisonné des projets d’action à entreprendre. Par les processus attentionnels ce niveau sélectionnera les informations qu’il jugera utiles à la réalisation de ses objectifs et mobilisera intentionnellement les instruments moteurs. Ces activités internes auto-organisatrices et auto-adaptatives vont se trouver orientées et guidées, dans leur motivation comme dans leur achèvement, par les systèmes de valeurs biologiques et sociales qui ordonnent et finalisent tous nos comportements (modifié d’après Paillard, 1985) d’étude et sur les processus qui régissent cette activité, et cela à différents niveaux. D’abord, l’apprenant doit réorganiser l’information qui lui est présentée (ou alors qu’il se procure) en fonction des appréciations qu’il se fait des situations, des significations qu’il élabore à leur propos, des représentations du savoir qu’il établit. Ensuite, l’apprenant doit concilier l’ensemble des paramètres précédents pour constituer un nouveau savoir. Enfin, il doit repérer les ressemblances et les différences entre les anciennes connaissances et les nouvelles et résoudre le plus souvent les contradictions. La neurophysiologie au service de la rééducation et de la compréhension : l’exemple des stratégies posturales “Tout individu peut être représenté comme un système très complexe qui recherche activement dans son environnement les conditions d’une existence optimale”. Ce principe élémentaire, qui organise toutes nos activités quotidiennes, nous montre toute l’importance des informations et du traitement de ces informations que nous effectuons en permanence. En effet, l’être humain doit continuellement prélever des informations sur son environnement pour structurer et organiser tous ses actes moteurs. Actes moteurs qui sont sous la dépendance d’un contrôle particulier : le contrôle postural. Afin de gérer au mieux ce contrôle postural, l’individu est confronté aux caractéristiques de la tache, de l’environnement, et de ses propres possibilités [3]. Pour maîtriser et contrôler tous nos actes moteurs il est primordial de pouvoir gérer au mieux son contrôle postural. Pour cela l’individu dispose de trois sources principales d’information : le système visuel, le système vestibulaire et le système somato-proprioceptif. Ne pouvant traiter toutes ces informations en même temps par le système nerveux central, le sujet est obligé de trouver une stratégie adaptative. Un certain nombre d’expériences dans le domaine des neurosciences a permis de mettre en évidence certaines particularités dans la mise en place et la gestion de ce contrôle posturale [4, 5]. La perception visuelle de l’homme est dépendante du mouvement volontaire de l’observateur et non pas, n° 474 février 2007 24 KS comme on pouvait le penser, de mécanismes purement passifs de traitement de l’information optique. Utilisant un dispositif de réalité virtuelle, les chercheurs ont comparé la perception d’objets tridimensionnels par un observateur en mouvement volontaire et par un observateur passif et immobile. Bien que dans les deux cas la stimulation visuelle ait été rigoureusement identique, la perception résultante a été très différente. Ceci montre que l’action de l’observateur contribue de façon essentielle à la construction perceptive de l’espace en trois dimensions. Ces résultats ouvrent la voie à une meilleure compréhension des mécanismes qui donnent la possibilité à un observateur de distinguer les parties immobiles de l’espace visuel, mécanismes dont on connaît l’importance dans des domaines tels que le contrôle de l’équilibre et de la locomotion [6]. La performance motrice doit donc être considérée comme le produit de l’adaptation du système humain aux contraintes des situations auxquelles il est confronté et de la détection, le prélèvement de l’information disponible en fonction de son expertise dans un domaine spécifique et de son vécu antérieur. L’écart entre la posture actuelle et celle prescrite par la valeur de référence régulée qui est la projection au sol du centre de gravité, est mesuré par une série de récepteurs qui appartiennent aux organes sensoriels visuels, vestibulaires et somato-proprioceptifs [7]. Lors d’une perturbation de l’équilibre, il existe plusieurs manières ou “stratégies” pour rétablir la position du centre de gravité. Ces stratégies sont utilisées en fonction de l’importance de la perturbation. Il est possible tout d’abord d’accroître, avant la perturbation, la raideur des différentes articulations corporelles, ce qui réduit l’amplitude des perturbations et tend à rétablir la posture initiale. Une seconde solution consiste à rétablir la position d’équilibre en provoquant une rotation correctrice du corps autour de la cheville (stratégie de cheville) ou en déplaçant le bassin (stratégie de hanche) ou encore en fléchissant les jambes pour rapprocher le centre de gravité du sol [8]. Une quatrième solution consiste à effectuer un pas ou encore à étendre les bras pour amortir la chute. Pour chaque stratégie existe une commande musculaire ou synergie qui met en jeu un certain nombre de muscles répartis au niveau des différents segments corporels. Ainsi lorsque le support sur lequel le sujet est debout se déplace rapidement, on observe dans le cas de la stratégie de la cheville l’activation d’une série de muscles de la jambe, de la cuisse et du bassin, situés à l’arrière du corps lors d’un déplacement du support vers l’arrière ou à l’avant lors d’un déplacement vers l’avant. Comment le système nerveux peut-il répondre à la nécessité de contrôler simultanément un ensemble de muscles pour rétablir l’équilibre selon la stratégie choisie? Trois hypothèses ont été proposées. Selon la première, il existerait un répertoire de synergies fixes, déterminées génétiquement et dépendant de réseaux nerveux précâblés, qui seraient sélectionnés en fonction de l’intensité de la perturbation et de sa nature. Selon la seconde, il existerait un répertoire de synergies flexibles, assurées par des réseaux construits ou modifiés par apprentissage et susceptibles d’adaptation rapide lorsque les conditions de l’environnement sont modifiées. Selon une troisième hypothèse, les synergies seraient computationnelles et résulteraient du calcul effectué à chaque perturbation sur les conditions d’appui et l’intensité de la stimulation et conduirait au choix de la combinaison musculaire appropriée [9]. Il est difficile actuellement de trancher entre les trois hypothèses. Il est vraisemblable que chacune d’elle puisse se manifester selon le contexte ; les synergies flexibles sont sans doute le plus souvent utilisées lors des corrections de l’équilibre. Nous pouvons donc distinguer au niveau de l’être humain, les “programmes câblés” dans le circuit neurologique central dont l’existence n’est absolument pas contestable. Ces programmes répondent à la définition stricte comme expression de “ce qui est écrit d’avance” dans la connectivité du système et qui doit faire l’objet d’une simple relecture. Ces programmes câblés, et pour une part génétiquement précâblés, doivent être distingués des “programmes générés” par un processus d’autoconstruction, à l’intérieur d’un champ de contraintes qui en détermine la trajectoire d’expression et les états finaux [10]. Les premiers constituent assurément l’armature rigide du répertoire de base des dialogues sensori-moteurs nécessaires à toutes KS n° 474 février 2007 25 NEUROPHYSIOLOGIE ET STRATÉGIES POSTURALES nos organisations. Ils appartiennent aux activités déclenchables “réactivement”. Les seconds concernent essentiellement les activités dirigées par une représentation de l’objectif à atteindre, activités qui font l’objet de ce que nous avons appelé une “gestion prédictive” [11]. Applications théoriques La connaissance qui précise les différents paramètres qui gèrent la posture et les phénomènes posturaux, doit amener le clinicien et le rééducateur à coordonner son action sur le renforcement ou la suppléance des déficits. Cette action devra être réalisée en gardant constamment à l’esprit que l’être humain est un outil de prise d’information sensorielle et que, lié à la gravité, il peut structurer un ensemble de réponses motrices multiples et variées en fonction de la spécificité de la tâche. Nous intégrons là l’ensemble des facteurs, physiologiques, mécaniques et cognitifs présents dans nos activités quotidiennes. Néanmoins quelques grandes idées peuvent être résumés concernant la prise en charge éducative ou rééducative des troubles posturaux (base de tous les mouvements humains). Cette rééducation doit se baser sur les théories de la mise en place des programmes moteurs tout en restant attachée à la conception d’un double niveau sensori-moteur avec processus adaptatif et cognitif du traitement de ces informations (avec notion de charge attentionnelle par le système nerveux [12]). • Considérant le rôle organisateur, calibreur de l’action et plus spécifiquement le rôle de l’action intentionnelle, il paraîtrait opportun de distinguer les opérations éducatives portant sur l’espace des formes de celles intéressant les localisations dans l’espace des lieux. • Réaliser des mouvements de pointage de cibles visuelles tactiles ou sonores, diriger ses activités dans un espace orienté, c’est opérer dans l’espace des lieux. • Engendrer des formes motrices impliquant le corps dans son ensemble, comme dans la danse, ou un segment privilégié du corps, comme dans l’écriture, c’est opérer dans l’espace des formes. Dans chacune de ces deux approches, le champ des informations sensorielles revêt une importance toute particulière. • Les situations éducatives où se trouve favorisée la mise en jeu des référentiels égocentriques (privilégiant l’intervention calibrante des informations proprioceptives réafférentes nées des mouvements actifs) jouent un rôle n° 474 février 2007 26 KS particulier dans la “calibration” de l’espace dans lequel le sujet évolue. • En partant de la connaissance des processus nerveux supposés impliqués dans la stabilisation de nouveaux circuits, il faut être tout particulièrement attentif à l’arrangement de situations éducatives qui préservent, au cours de la répétition des exercices compensateurs, la disponibilité sous forme de configurations stables des informations, spécifiques ou contextuelles, jugées utiles au processus éducatif. • L’organisation temporelle de ces configurations reste cruciale pour l’efficacité de l’exercice. • L’existence reconnue d’une certaine variété de typologies réactionnelles devrait être plus systématiquement prise en compte. Certains sujets sont plus visuels que proprioceptifs. Ils tendraient à mieux tirer parti des stratégies cognitives [4]. D’autres, plus proprioceptifs, adopteront préférentiellement des stratégies adaptatives du niveau sensori-moteur. • Ces deux stratégies sont parfois incompatibles et peuvent s’inhiber réciproquement. Mais certains sujets apparaissent aussi capables de tirer profit de ces deux stratégies utilisées en parallèle avec addition de leurs effets positifs. • La recherche d’outils d’identification de ces typologies pourrait contribuer à mieux orienter le choix de pratiques éducatives ou rééducatives individuelles. • Enfin, il est nécessaire de garder à l’esprit au niveau de l’organisation nerveuse, l’existence de canaux de traitement de l’information parallèles et redondants susceptibles de contribuer, en combinaisons variées, à des productions perceptives ou comportementales de même nature. • Cette redondance de circuits disponibles pour atteindre la même finalité offre une variété de solutions possibles aux thérapeutes, éducateurs, et entraîneurs, de manière à solliciter chez le sujet les structures et les mécanismes vicariants pour la réalisation de la tâche [13]. CONCLUSION Les dispositifs sensori-moteurs apparaissent ici comme une interface privilégiée entre les capteurs périphériques et les structures cognitives où s’élaborent l’univers de la pensée symbolique [14]. Notre organisation neurophysiologique, basée sur le modèle explicite de la perception et de l’action peut se résumer ainsi : d’une part un équipement sensori-moteur élaboré qui entretient avec l’environnement des dialogues directs diversifiés et permanents, d’autre part un appareil cognitif qui accumule dans ses mémoires représentatives tous les éléments de structuration d’un modèle interne de la réalité physique et d’une connaissance approfondie des capacités de ses propres instruments sensori-moteurs. D’un côté, un ensemble de dispositifs prédisposés à réagir aux sollicitations diverses du milieu externe et qui fonctionne sur un mode réactif (conforme aux modèles réflexologiques classiques). De l’autre, un appareil psychique complexe, doté de la capacité d’extraire de l’environnement toutes les informations qui lui serviront à élaborer une représentation interne de son environnement le plus probable et prévisible. Bibliographie 1. SCHMIDT R. Motor control and learning. A behavioral emphasis. Champaign, III, Human Kinetics Publishers, 1982. 2. MASSION J. Postural and movement coordination. Current Opinion in Neurobiology 1994;4:877-87. 3. PAILLARD J. Système nerveux et fonctions d’organisation. In : Piaget J, Bronckart JP, Mounoud P (eds) La psychologie. Paris : Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, 1987 : 1378-1441. 4. MESURE S. AMBLARD B, CRÉMIEUX J. Effect of physical training in head-hip coordinated movements during quiet stance. Neuroreport 1997;8(16):3507-12. 5. MESURE S, LAMENDIN H. Postures, activités sportives et rééducation. Paris : Éditions Masson, 2001. 6. WEXLER M, PANARAI F, LAMOURET I, DROULEZ J. 2000 Self-motion and the perception of stationary objects. 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