Cultural Studies ». - prepa-bl
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Dossier de sociologie. Les « Cultural Studies ». Document 1.Une présentation des « Cultural Studies ». Source : Erik NEVEU, « Les voyages des cultural studies », revue L’HOMME, éditions de l’EHESS, n° 187-188, 2008. Document 2. L’actualité des Cultural Studies. Source : Anne CHALARD-FILLAUDEAU, « Les Cultural Studies : une science actuelle ? », revue L’HOMME ET LA SOCIETE, n°149, 2003. Document 3. Le rock et la culture populaire comme objet d’étude en Grande-Bretagne. Source : Simon FRITH, « Une histoire des recherches sur les musiques populaires au Royaume-Uni », revue Réseaux, n°141, 2007. Document 1.Une présentation des « Cultural Studies ». Source : Erik NEVEU, « Les voyages des cultural studies », revue L’HOMME, éditions de l’EHESS, n° 187-188, 2008. S’il fallait cadrer, pour un lecteur peu familier de ces recherches, ce que sont les cultural studies, trois repères pourraient en donner une approximation. Il s’agit avant tout d’un regard sur les pratiques culturelles – au sens large, anthropologique – et styles de vie des classes populaires. Dans le texte fondateur qu’est La Culture du pauvre (cf. Hoggart 1957), pareille exploration passe par un examen des « décors » de la vie domestique, de la sociabilité populaire, par une exploration des manifestations du « réalisme » populaire, des cadres d’une « bonne vie » (espace du foyer, chorales). La structure même du livre, opposant l’ordre ancien des pratiques aux bouleversements de l’après-guerre, suggère aussi une attention à l’histoire, tout simplement à la nécessité de comprendre les changements sociaux qu’ouvrent le welfare state et les Trente glorieuses. La référence à un « regard sur » les cultures populaires veut aussi souligner une posture : celle d’une observation du social par le bas, d’une disposition compréhensive à l’égard des groupes populaires, et donc de la valorisation d’outils adaptés à ces visées (…). Il s’agit ensuite d’une approche doublement politique. Les questionnements de la plupart des fondateurs de la première génération (Hoggart, Williams, Thompson, Hall plus tard) sont indissociables d’appartenances au parti communiste de Grande-Bretagne, à la gauche travailliste, ou à des mouvements d’éducation populaire. Les pères fondateurs interrogent le monde pour le changer. […] Il ne s’agit pas seulement de penser leur cohérence, le « système » culturel propre à tel sous univers populaire, mais d’examiner le rôle de ces cultures dans une problématique du pouvoir : sont-elles des vecteurs de résistance, les grains de sable dans la machinerie de la domination, ou contribuent-elles à la perpétuation de l’ordre social ? Ouvrages fondateurs des cultural studies. HOGGART Richard, La Culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, [1957]Paris, Minuit,1970. HOGGART Richard, 33 Newport Street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires,[1988] Paris, Gallimard-Le Seuil, 1991. HALL Stuart, « Encoding/decoding », in Center for Contemporary Cultural Studies, ed., 1973 (Trad. franç. : « Codage/décodage », Réseaux 1994, n°68, 1994). THOMPSON, Edward P. The Making of the BritishWorking Class. [1963] New York, Pantheon Books. [Trad. franç. : La Formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Gallimard-Le Seuil, 1988.] WILLIAMS, Raymond, Television. Technology and Cultural Form. London, Fontana, 1974. Les cultural studies sont enfin un espace interdisciplinaire. Leurs promoteurs sont au départ plutôt des « littéraires » désireux de combattre le légitimisme en transportant sur des objets tenus pour indignes (romans photos, littératures populaires, jazz) des méthodes d’analyse venues des études littéraires. Cette posture les pousse à réaliser des emprunts théoriques audelà des humanités, vers la sociologie, vers les paradigmes structuralistes plus tard.(…). Explorer empiriquement les cultures et identités ouvrières et populaires a conduit à un dépassement de la polarisation sur la classe, à une attention inédite aux clivages de génération, aux identités de genre (Women’s Studies), aux appartenances ethniques. La prise en compte des pratiques culturelles quotidiennes fit entrer au catalogue des objets analysés la télévision, le rock, la mode, la publicité etc. Document 2. L’actualité des Cultural Studies. Source : Anne CHALARD-FILLAUDEAU, « Les Cultural Studies : une science actuelle ? », revue L’HOMME ET LA SOCIETE, n°149, 2003. C’est en cela, justement, que les Cultural Studies sont profondément actuelles : elles procèdent et témoignent de la relative désorientation des humanités dans la société d’aujourd’hui, humanités dont les domaines d’application mutent rapidement et qui doivent redéfinir en conséquence leur champ d’action : comment penser la diffraction du modèle culturel en un faisceau de sous-cultures ? Comment positionner la culture par rapport aux autres champs d’expression de l’humain dans un monde dominé par le multiculturalisme et l’idéologie capitaliste ? Humanités qui, par ailleurs, sont en butte au relativisme postmoderne…(…) Pour entrer dans le vif de la discipline, nous dirons que les Cultural Studies se fixent pour objectif principal une compréhension globale de la culture, ou mieux : des cultures contemporaines qu’elles définissent comme des totalités expressives constituées de pratiques sociales, de croyances, de systèmes institutionnels, etc. En d’autres termes, elles abandonnent le versant humaniste de la notion de culture pour tenter une approche sociale des cultures, nécessitant du même coup l’élargissement à des champs culturels marginaux comme la culture populaire, ou bien l’abolition de la distinction entre culture d’élite et culture de masse, et de manière générale la conception de la culture comme une réalité plurielle. Cet élargissement, on s’en doute, n’est pas sans implications pour le protocole scientifique qu’il leur incombe de mettre en place. Ainsi les Cultural Studies tendent-elles à rapatrier dans leur giron des disciplines aussi diverses que l’anthropologie, la sociologie, l’ethnographie, la littérature, la linguistique, la sémiotique, la psychanalyse, etc. — seule manière de ressaisir la réalité plurielle de la culture. On peut à ce titre parler de décloisonnement des disciplines tant sous l’angle de la pluridisciplinarité que de l’interdisciplinarité et de la transdisciplinarité. Elles définissent, en outre, une méthodologie propre articulée autour des études empiriques et de terrain, des sondages, des démarches ethnographiques, de l’étude des textes et de l’analyse des discours. Ce qui leur attire les critiques des uns et des autres… Ce petit rappel nous permet en tout cas d’entrevoir la face seconde de leur « actualité » : elles sont nécessairement consubstantielles à un cadre historico-sociétal donné. Selon l’un de leurs pères fondateurs, Stuart Hall, « l’identité culturelle n’est pas figée, elle est hybride et découle toujours de circonstances historiques particulières ». Non seulement, les Cultural Studies résultent d’un contexte scientifique et socio-historique déterminé, mais elles produisent une réflexion sur ce même contexte et appréhendent, tout en les théorisant, les mutations, évolutions et tendances diverses qui se font jour. Il n’est que de revenir à leur point de départ : la situation précaire du jeune boursier anglais (« scholarship boy ») dans les années d’aprèsguerre, telle qu’elle est théorisée dans les textes fondateurs des Cultural Studies : The Uses of Literacy de Richard Hoggart et Culture and Society de Raymond Williams. Il s’agit en l’occurrence de la situation type de l’étudiant qui quitte la classe ouvrière mais n’appartient pas encore à l’élite et qui, de ce fait, évolue dans un « no man’s land culturel » ; tel un apatride, il se sent écartelé entre un milieu d’origine (qui définit sa culture de départ) et l’univers de la science et de la culture auquel il aimerait accéder mais dont il déteste l’arrogance. Pour avoir vécu ce tiraillement, Hoggart et Williams en viennent à remettre en cause la conception morale et humaniste de la culture pour autant qu’elle n’intéresse que des œuvres et processus intellectuels ou esthétiques, et à l’infléchir vers une définition anthropologique : la culture relève du vécu quotidien et des pratiques signifiantes dont il est ponctué. On voit bien que la genèse des Cultural Studies s’inscrit dans un contexte particulier : celui des années cinquante, de l’embourgeoisement de la classe ouvrière et de l’émergence d’une nouvelle génération qui pose le problème de l’appartenance à une ou plusieurs cultures. De même réfléchissent-elles les changements socio-historico contemporains dans la mesure où elles les répercutent dans leurs topiques et évoluent de façon concomitante. De là leur caractère profondément actuel. Leur thématique glisse ainsi d’un problème de génération à une analyse de la culture populaire, puis, dans les années soixante-dix, à l’étude de la « Modern Jazz Quartet Generation » et de la « Pop Generation », la génération de cette jeunesse révoltée qui forge ses codes culturels en opposition aux codes sociaux bourgeois. Les Cultural Studies font en l’occurrence appel à la sémiotique et l’intègrent dans leurs recherches interdisciplinaires afin qu’elle réalise un décodage des pratiques de la génération pop (le choix des vêtements, les programmes regardés à la télévision, l’enthousiasme pour la musique, la fréquentation des cafés comme lieux communautaires, etc.). Puis les Cultural Studies se penchent, au cours des années soixante-dix, sur le problème des genres et des sexes, sur le féminisme et les conflits politiques ethniques. Notons à cet égard le profil particulier des Cultural Studies aux États-Unis qui recouvrent les études sur les communautés africanoaméricaines, américano-asiatiques, hispaniques aussi bien que les études ethniques, postcoloniales ou « diasporiques » comme enfin les études sur les sexes et l’homosexualité. Ce faisant, elles s’adaptent au contexte américain des années soixante-dix et surtout des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, marqué par les revendications identitaires des différents groupes socioculturels victimes d’une marginalisation ou d’une discrimination. Les Cultural Studies s’attaquent enfin au problème de la mondialisation et de ses répercussions sur l’expression culturelle d’une part et sur la conception de l’Autre d’autre part : l’exotisme ne se pense plus en termes d’« excentricité », mais d’élément structurel de la nouvelle configuration sociopolitique. Une actualité qui est nôtre cette fois. Deux caractéristiques majeures distinguent en effet les Cultural Studies des approches sociologique, économique, sémiotique, littéraire, etc. Elles privilégient le point de vue de la subjectivité et, surtout, elles sont une forme d’analyse « engagée » en ce qu’elles se fondent sur l’axiome que les sociétés sont structurées de manière inégale, qu’il existe divers types (injustes la plupart du temps) d’accès à l’éducation, l’argent, la santé, etc., et qu’elles affichent l’ambition d’œuvrer pour les intérêts des moins favorisés et se déclarent les tenantes d’une culture de gauche. Il n’est dès lors guère étonnant qu’elles se réclament de Walter Benjamin, qui a mis en exergue le problème des laissés-pour-compte de la culture et incarne exemplairement la figure de l’intellectuel engagé et indépendant. Cette seconde caractéristique situe d’emblée les Cultural Studies par rapport au contexte politique, ou mieux : dans un rapport critique au normatif — rapport critique dont la manifestation type consiste en des prises de position publiques et écrites dans la revue Universities and Left Review, l’organe de la Nouvelle Gauche créé en 1957, laquelle théorise à ses débuts le changement de génération dans son rapport au fait culturel, en s’appuyant notamment sur la littérature, le langage, les loisirs, le cinéma (ainsi le « Free Cinema » de Lindsay Anderson et de Karel Reisz), le théâtre (le « Vital Theater » de Shelagh Delanoy ou de Arnold Wesker) et l’éducation. Les débats publics, colloques et réunions universitaires favorisent en outre des prises de position orales qui ont cela de caractéristique qu’elles répercutent presque toujours la « perspective du moi » et la dichotomie « eux/nous ». Une dichotomie littéralement reprise de l’idiolecte ouvrier où le « eux » désigne symboliquement la classe de l’oppression, soit l’élite. En 1964, Richard Hoggart crée le Center for Contemporary Cultural Studies à Birmingham (CCCS), sorte d’académie concurrente où des chercheurs issus de disciplines variées travaillent en synergie. D’emblée, ces chercheurs proposent de repenser les contenus de l’enseignement littéraire et en particulier de procéder à une réévaluation des textes canoniques en tant qu’ils véhiculent une certaine idéologie et participent de la culture hégémonique. Ainsi, par leurs discours transgressifs (ceux-là mêmes qu’ils préconisent de déployer à l’université), ils orchestrent le passage des Literary Studies aux Cultural Studies qui incluent désormais, en dehors de la stricte composante littéraire, les dimensions historique, philosophique et sociologique. On assiste alors, dans les années soixante-dix, à un procès de modernisation qui est l’actualisation même des théories énoncées et consiste en une revalorisation des pratiques de la culture de masse comme des formes d’expression légitimes. Document 3. Le rock et la culture populaire comme objet d’étude en Grande-Bretagne. Source : Simon FRITH, « Une histoire des recherches sur les musiques populaires au Royaume-Uni », revue Réseaux, n°141, 2007. Il s’agit ici d’écrire une introduction à l’histoire des études sur la musique populaire en tant que discipline académique en Grande-Bretagne, en déterminant quels en sont ses origines intellectuelles, ses concepts fondamentaux, ses lacunes et points aveugles, les questions politiques qui l’ont formée, son développement probable. Pour raconter cette histoire, je me trouverai à devoir écrire sur moi-même, en tant qu’acteur des recherches sur les musiques populaires, considérant que l’exercice d’autobiographie intellectuelle peut offrir un accès privilégié à ce type de savoir, même s’il est aussi, inévitablement, centrage sur soi. Je commencerai donc en explicitant mon rôle dans les études sur la musique populaire en Grande-Bretagne. Mon livre, The Sociology of Rock a été la première étude académique sur le sujet, et sa version révisée, Sound Effects :Youth, Leisure and the Politics of Rock’n’Roll, est devenue un texte fondateur pour les études sur la musique populaire, entendues comme un domaine distinct de la recherche académique. Pendant plus de vingt-cinq ans, donc, j’ai occupé une place centrale au sein d’un réseau académique et social (enseignement, publications, journalisme) [qui a contribué à instaurer la musique populaire et le rock comme objets d’étude légitimes]. Dans les études sur la musique populaire en Grande-Bretagne, telles qu’elles ont émergé dans les années soixante-dix, se mêlaient trois courants intellectuels : le concept de culture populaire, le concept de culture jeune (youth culture), le concept de culture de masse. Il y avait des intersections entre les différents débats liés à ces concepts, comme entre les significations des termes eux-mêmes. De même, certains penseurs importants peuvent être rattachés aux trois courants à la fois (…). Saisir la musique populaire comme culture populaire signifiait distinguer entre expression musicale authentique et inauthentique, et donc mettre en rapport le fonctionnement de la musique comme musique, d’une part, avec sa motivation et sa réception culturelles, de l’autre. L’argument sous-jacent était que la valeur est liée à la place prise dans un mode de vie, plutôt que dans un mode de commercialisation. Nous voyons ici certaines des hypothèses qui allaient présider à la distinction, établie à la fin des années soixante, entre le pop et le rock (entre la valeur de Cliff Richard et celle des Beatles). Le concept de culture jeune existait avant celui de musique jeune. En effet, la deuxième était comprise à partir la première. Ou peut-être est-il plus précis de dire que, dans les années soixante, il y avait trois approches de la culture jeune dans le monde académique. C’est en rassemblant les éléments de ces approches qu’on a théorisé la musique jeune. La première approche dérivait de la longue tradition britannique des études de communauté (community studies), c’est-à-dire de la tentative sociologique, dès le dix-neuvième siècle, de rendre compte de la classe ouvrière urbaine qui émergeait alors. On avait reconnu assez tôt que les jeunes de la classe ouvrière avaient des habitudes et des loisirs distincts (par exemple la danse) ; on interprétait le rock’n’roll des années cinquante, la musique des adolescents, en référence à la manière dont avaient grandi les enfants de la classe ouvrière, en termes de socialisation, d’importance des groupes d’amis, de différences de genre, de tensions dans la mobilité sociale, etc. C’était là – l’accent mis sur la classe sociale – l’une des tendances de ce qui allait devenir la théorie des sous-cultures (subculture theory). La deuxième approche était plus large, plus théorique (et plus nettement durkheimienne). La jeunesse était ici encore perçue comme une catégorie sociologique importante, mais la culture jeune était définie en termes de générations plutôt que de classe. Elle correspondait à une période de transition à la fois potentiellement problématique et fondamentalement marquée par les symboles et les rituels. Dans cette perspective, le rock’n’roll des années cinquante était moins important que la musique – qu’on commençait à appeler « rock » – qui accompagnait les jeunes des années soixante dans leur découverte de l’hédonisme et dans leur refus de devenir adultes. La troisième approche dérivait des études américaines sur la délinquance et s’est fait connaître en Grande-Bretagne sous le nom de « nouvelle criminologie ». L’élément central de cette nouvelle criminologie pour les études sur la musique populaire était l’accent placé sur le discours (un accent trahissant l’influence de l’interactionnisme symbolique). La culture jeune, ou plutôt la sous-culture jeune, est l’effet d’un processus continu de négociation, de querelle et d’accord entre des acteurs individuels composant un monde sous-culturel. Les auteurs britanniques ajoutaient à cela un intérêt pour la façon dont les médias devenaient partie prenante de ce processus. Le texte le plus influent ici était Folk Devils and Moral Panics : the Creation of the Mods and Rockers de Stanley Cohen, un livre qui établissait le rôle central de l’expression symbolique dans la façon dont les sous-cultures jeunes se définissaient à la fois par et contre le discours des médias. Cohen, lui-même, ne prêtait pas beaucoup d’attention à la musique des mods et des rockers, mais offrait un modèle pour les analyses à venir de la musique populaire en termes de sous-culture. […] La troisième influence intellectuelle qui a marqué les études britanniques sur la musique populaire est l’étude de la culture de masse. La culture de masse (au sens où je l’emploie ici) est un concept explicitement marxiste impliquant que la culture doit être analysée en référence aux conditions matérielles – dans ce cas, le capitalisme – au sein desquelles elle est produite. La culture de masse se réfère donc à une forme particulière de production culturelle – « l’industrie culturelle », pour utiliser les termes de Horkheimer et Adorno – mais aussi à un type particulier de circulation d’idées, en tant qu’idéologie. Les biens de la culture de masse sont ainsi conçus pour réaliser un profit et pour dissimuler les contradictions du capitalisme. Ils ne peuvent pas prétendre à une valeur artistique autonome (…). Pour sauver la musique populaire (de type commercial), il fallait questionner la vision de la culture proposée par l’école de Francfort (et jusqu’à aujourd’hui le besoin de réfuter Adorno est le moteur d’un nombre surprenant d’études dans le champ de la musique populaire). Mais, fondamentalement, la critique adressée à Adorno impliquait une mise en cause de l’idée du public « passif », du consommateur dupé par l’idéologie. En s’appuyant sur les arguments d’Antonio Gramsci concernant la lutte culturelle et sur les analyses d’Henri Lefebvre (et plus tard celles de Michel de Certeau) concernant la politique du quotidien, on parvenait à décrire des circonstances où la « résistance » symbolique à l’idéologie était possible, où la culture commerciale était transformée en une expression authentique des rêves et des valeurs de la classe ouvrière. Par contraste, The Sociology of Rock, bien qu’influencé par l’ensemble des idées discutées jusqu’ici, avait des préoccupations plus empiriques. Le rock, affirmait en effet cet ouvrage, doit être compris comme un système de production et comme un système de consommation liés l’un à l’autre par une série de discours idéologiques. Je m’intéressais encore à l’industrie musicale en tant qu’industrie culturelle, en tant que technique de production, avec sa façon spécifique de gérer les risques, d’accumuler du capital, et de manipuler les marchés. Il en allait de même pour les forces sociales et matérielles qui modelaient les goûts musicaux des consommateurs (en particulier à la relation entre la jeunesse comme culture [youth culture] et la jeunesse comme marché [youth market]). Mon argument était qu’au sein d’une forme culturelle populaire comme le rock, c’étaient les relations contradictoires entre l’industrie, les musiciens et les auditeurs qui ouvraient des espaces idéologiques où la musique pouvait à la fois connaître le succès commercial et être culturellement libératrice.