images de marque - Diagonal Thoughts

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images de marque - Diagonal Thoughts
IMAGES DE MARQUE
Présentation
1. Une « im age d e m arque », cela a d 'a b o rd un s e n s pour les publicitaires. Un
produit qui ne s e refend pas d 'u n e image e s t un produit qui s e vend peu ou
mal. L'absence d e m arque elle-m êm e doit être m arquée pour être vue (« Voici
la lessive Lessive »). Nous avons toujours so u pçon né aux Cahiers que le
cinéma publicitaire n'était pas la m arge indigne du cinéma, mais sa vérité. Le
cinéma dom inant, co m m e on dit, vise avant to u t à la gestion d e s « im ages de
m arque ». C 'est celui du répondant (financier), du réfèrent (pris pour le réel) de
la bonne ca u se (à re-servir) ou de la m aison-m ère (« On trouve to u t à la
Samaritaine »). Le cinéma dom inant ne fait jam ais que de fa pubUicité ) pour son
hors-champ.
2. Une « im age d e m arque », cela a (de plus en plus) de sen s pour les
politiciens. Un ministre qui ne s e refend pas d 'u n e im age e s t un scandale s a n s
avenir (c'est la fonction d e s so n d ag e s d 'y veiller). Une ca u se s a n s im ages n 'e s t
pas seulem ent ignorée, elle e s t perdue. Le grand scandale, aux yeux
européens, n 'e s t p as qu'il y ait p e u t-ê tre d es m assac res au C am bodge, c 'e s t
l'audace d'un petit pays asse z cynique pour ne pas alimenter de s e s im ages
les chaînes déjà co n stituées pour les annuler. Et dans ce s chaînes, celles d e la
mondialisation d e s média, le m o t d'ordre n ’est jamais que celui du premier flic
venu : circulez I Ce silence cam bodgien (cf. l'article de Serge Le Péron,) fait
écho à un autre scandale : Munich 72, d es Palestiniens m etten t è profit
l'existence d 'u n e scè n e mondiale pour y faire entendre quelque chose. Frêle
bruit si l'on en juge par le co n se n su s (tacite, sa n s images) qui risque d 'a c !
co m pagner la liquidation d es Palestiniens et de leur ca u se (aujourd'hui, 10
juillet 1976, nouvelle a tta q u e du cam p d e Tell-el Zaatar, sans images).
3. La marque, c 'e s t « le signe servant à reconnaître une chose, à la distinguer
d'une autre, à identifier une fonction », mais c 'e s t aussi « la trace que laisse
sur le corp s une contusion, un coup, etc. ». L'image m arque (elle p o s s è d e un
pouvoir propre, une force à elle), mais en retour elle est m arquée (elle p orte
trace d e s forces, du pouvoir, qui l'ont voulue). Son avenir d'im age ? Devenir,
dans la circulation affolée d es signes, une butée, un em blèm e, une signature,
un stimulus. Du pouvoir solidifié, un nœ ud de domination. Sa fonction ? O c!
cuper une case, la place d'un maillon d ans une chaîne, em pêcher to u te autre
image d 'ê tre vue.
4. Prendre des images, les ranger dans des chaînes, les réduire, c'est, on le
sait, la fonction d es média. Mais il se peut q u ’on ait encore là-d essu s d es
idées naïves. La première constatation de ceux qui se penchent, par exemple,
sur la photo de presse (ce qu'entreprennent dans ce numéro Alain Bergafa et
J e a n -Ja c q u e s Henry), c 'e s t que ces p h o to s sont — paradoxalem ent — plutôt
rares, timidement ou sous-utilisées. Une ch o se est de co n state r que le
pouvoir (quel qu'il soit) cherche à installer, à affermir, son m onopole sur les
im ages (leur prise, leur circulation, leur archivage) ; une autre e s t d 'en conclure
qu'il sait au mieux com m en t se les soum ettre, les manipuler à son profit, les
faire parler pour lui. Contrairement à une idée assez répandue à gauche, les
images, pour le m om ent, font plutôt peur à tout le monde. Et si « l'audio!
visuel » (catégorie bancale et vague, venue d'en-haut) participe des
m écanism es de pouvoir, c'est plutôt en faisant de nous, chaque jour d av a n !
tage, des aveugles (capables seulem ent de ruminer du jamais vu-déjà vu) et
des sourds (à tout ce qui n 'e st pas de l'ordre du répondeur automatique).
Com m ent cela se produit ? C 'est un travail de réflexion auquel ce numéro des
Cahiers aimerait introduire.
5. Ce qui est vrai d 'un pouvoir d'Etat, l'est tout autant des partis qui a m !
bitionnent la gestion de cet Etat (et de son appareil culturel et d'information).
A l'heure où le m onopole d imager l'histoire du « peuple de France » et de se s
luttes sociales revient à des cinéastes qui se situent dans la m ouvance de
l’Union de la Gauche, il nous a paru im portant d'exam iner dans quelles c o n !
ditions, sur quel terrain, ce m onopole pouvait s'exercer. Il fallait pour cela
dégager le trait dominant, traditionnel, du cinéma français : un cinéma
amnésique et sans dimension généalogique. C 'est ce que nous avons.fait avec
Jac q u e s Rancière.
6. Cet entretien vient s'inscrire dans le sillage de celui que nous avions
réalisé en 1974 avec Michel Foucault. A l'époque, l'événem ent im portant (que
nous n'avons peu t-ê tre pas toujours su voir), c'était la résurgence d e ce qu'on
peut appeler un certain désir d ’histoire. Ce désir s'exprimait so u s deux formes)’
plus com plices que nous le soupçonnions : d'un côté, à travers le rétro, une »
curiosité réelle (et son inévitable récupération à droite) qui allait à rencontre,
irrespectueusem ent, de to u te pen sé e com m ém orative et figée ; de l'autre, à
travers la revendication d'une certaine « m ém oire populaire », un exorcism e
pieux.
Pourquoi Jac q u e s Rancière ? Parce que justem ent la lecture de La leçon
d'Althusser, il y a plus d 'un an, nous avait aidés à nous dém arquer d'une ce r!
taine dialectique figée (et stérile) où classes, instances et idéologies ne
faisaient que dem eurer assises à se regarder en chiens de faïence. Ce livre
perm ettait au contraire de mieux com prendre le jeu d e s idéologies, le sy s tè m e
de leur imbrication et leur opposition. Travail poursuivi aujourd'hui par J.
Rancière dans la revue Les révoltes logiques.
Cet entretien a lui-m êm e une histoire. Des strate s s'y voient. Il devait
démarrer avec la critique des positions althussériennes, le p o st-g au c h ism e
philosophique, le courant glucksmanien, etc. Et le cinéma ? Ignorant le rapport
qu'entretenait Rancière au cinéma, nous nous so m m es do n n és un certain
nom bre d e films à voir, parmi ceux qui nous travaillaient alors : MUestones, Ici
et ailleurs. N um éro deux, Un sim ple exem ple, etc. A propos d e ce dernier film,
nous avons d em andé à un m em bre du collectif Cinélutte, Alain Nahum, d e se
joindre à nous. Si les questions « Cahiers » ont é té finalement hom o généisées
et simplifiées, c 'e s t parce que J. Rancière a considérablem ent travaillé et ré!
écrit ses interventions.
Serge DANEY.
Serge TOUBIANA.