Souvenirs d`enfance

Transcription

Souvenirs d`enfance
Séquence 2
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Souvenirs d’enfance
des textes qui offrent des points communs pour faire
apparaître plus nettement les différences ! Par ailleurs,
ce discours sur soi doit être porteur de sens pour des
adolescents qui s’interrogent sur le sens de leur vie et
qui peuvent trouver chez les écrivains des échos de
leurs interrogations, de leurs désirs. Enfin, il ne faut
pas oublier que, comme l’a montré une enquête récente,
nombre d’adolescents écrivent et que cette pratique
personnelle peut être nourrie par la découverte des
œuvres ainsi que par des exercices d’écriture variés.
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La séquence
et les instructions officielles
L’autobiographie et les discours de ce genre sont
explicitement au programme de la classe de troisième : il en sera de nouveau question en classe de
première dans le cadre plus large de la biographie.
Mais en troisième, on met l’accent sur la lecture
de textes autobiographiques et de poèmes lyriques
notamment parce que l’expression de soi est aussi
une question centrale ; c’est dans cette perspective
qu’on peut orienter l’approche de ce genre. Les programmes stipulent que l’on doit faire lire au moins
une œuvre du genre autobiographique tandis qu’un
groupement de textes permettra de faire émerger les
règles et variantes du genre. C’est dans cette combinaison entre la lecture cursive et le groupement de
textes que peuvent se construire des apprentissages
de lecture et des savoirs notionnels et littéraires.
Les textes que nous avons choisis peuvent s’accompagner de la lecture intégrale des œuvres d’où
ils sont extraits ; les premiers livres des Confessions
sont à la portée de bons lecteurs de troisième, des
lecteurs moins à l’aise pourront lire Moi, boy de
Roald Dahl ou Escadrille 8O qui en constitue la suite,
avec profit. Le Lazarillo de Tormès peut nourrir une
séquence « problématique » qui aidera les élèves à
percevoir nettement les enjeux du genre dans un
contexte culturel très riche. Les autres œuvres peuvent également s’adresser à des élèves de troisième.
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Déroulement de la séquence
ÉTAPE 1
Lazare raconte sa vie
Ce texte est au centre de la problématique de la
séquence : La vie de Lazarillo de Tormès est une
œuvre qui a donné lieu à bien des débats car son
origine reste inconnue : son auteur est anonyme. De
là, les interrogations sur ce texte souvent considéré
comme à l’origine du récit picaresque.
Cet extrait présenté en ouverture pose d’emblée
la question de l’autobiographie et du pacte de lecture proposé au lecteur. On ne peut lire ce texte de
la même façon suivant qu’on le considère comme
une fiction, le récit des aventures d’un « picaro » ou
le témoignage authentique d’un de ces petits « gueux »
qui peuplaient l’Espagne du début du XVIesiècle.
On pourra s’attarder davantage sur ce texte jusqu’à en faire une lecture cursive accompagnée d’activités qui pourraient très à propos réunir le professeur d’espagnol et le professeur de français. L’édition
G. F. Flammarion est une édition bilingue qui permet de s’attarder sur la version castillane et le contexte
historique de l’œuvre. Le CD-Rom propose des exercices qui approfondissent la question de la traduction. Deux traductions fort différentes quant à leurs
buts et aux lecteurs qu’elles privilégient y sont
confrontées. Les élèves de 3e, qui sont supposés lire
des œuvres étrangères, pourront ainsi s’interroger sur
les questions de la traduction et des choix qu’elles
imposent. Le professeur fera ainsi la démonstration
de l’impossible transparence d’une langue dans une
autre, particulièrement quand il s’agit d’une œuvre
du passé dont le contexte historique et littéraire est
fort éloigné du lecteur contemporain.
Le CD-Rom permet aussi d’explorer de manière plus
approfondie la question de l’autobiographie en invitant
les élèves à découvrir l’avant-propos de « l’auteur ».
L’exercice 1, « le texte rongé », pourrait constituer
une excellente entrée en matière car il demande à
2
La place dans
une progression annuelle
Comme on l’a déjà dit, cette séquence constitue
avec la première « un bloc de compétences1 » mais
cela n’impose pas d’étudier ces deux problématiques
dans la continuité. Ce qui importe, c’est de rappeler les notions étudiées à propos du récit à la première personne pour aborder l’autobiographie. La
séquence 14, consacrée à l’écriture de Simenon, peut
constituer un prolongement à cette question en
ouvrant à la question des genres de l’oral et au genre
du roman policier.
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Les objectifs et les supports
La thématique choisie reste proche de celle de la
première séquence : en effet, on ne peut comparer que
Cette notion est utilisée dans les accompagnements des
programmes de 3e, livret 1, CNDP, 1999, p. 13.
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l’élève d’adopter la position d’écriture de l’auteur –
autobiographe ou non – qui réfléchit à la rédaction
de son récit et explicite des contraintes d’écriture
qui éclairent son projet et l’image qu’il veut donner
de son narrateur. Ce faisant, il « naturalise » son récit
et légitime une lecture autobiographique. Mais il
éveille aussi les soupçons de son lecteur qui se
demande si une telle culture et un tel discours peuvent être ceux d’un petit valet !
La lecture du texte telle qu’elle est proposée dans
le manuel permettra d’intégrer cette expérience de
lecture et d’écriture pour expliciter les enjeux de la
lecture de cette œuvre.
discours du narrateur et l’emploi du registre familier confirme l’origine des personnages : « mon négro
de parâtre », « le mioche », « petit négrillon ».
Si les adresses ou prières à Dieu témoignent du
respect du narrateur pour les valeurs de son temps,
elles ne cachent pas totalement les « dérapages » familiaux qui lui donnent notamment un demi-frère, fils
d’un palefrenier noir ou basané qui vole ses maîtres
pour séduire sa mère !
On pourra conclure en signalant que la pauvreté
condamne à vivre d’expédients, la rigueur des lois –
on pourra relever comment le vol de grain est puni
à cette époque – prive de ressources et condamne à
vivre en marge des règles morales qui coïncident, en
ce début du XVIe siècle, avec les règles religieuses.
■ Un récit (extrait 1)
Les premières lignes inscrivent le récit dans une
situation d’énonciation où un narrateur qui écrit à
la première personne s’adresse à un destinataire,
« Monsieur », pour se présenter à lui et évoquer les
circonstances de sa naissance. Le titre de « Monsieur »
peut donner à penser que ce destinataire est un personnage important et / ou le lecteur à qui « je »
adresse son récit avec un certain respect. Cette adresse
est énoncée dans le présent de l’écriture du récit
puis le récit s’écrit ensuite dans les temps caractéristiques d’une énonciation coupée de la situation
d’énonciation, le passé simple et l’imparfait.
■ Les adieux de la mère à son fils (extrait 2)
L’extrait 2 offre à lire un épisode incontournable
du récit de vie qu’est le départ de l’enfant du foyer
familial pour vivre sa vie. Ce récit est très court, sans
pathos et il fait apparaître le caractère nécessaire de
cette séparation. On notera la suite de propositions
brèves, juxtaposées qui montrent l’enchaînement inéluctable des faits : « Un aveugle vint » ; « il me demanda » ;
« celle-ci me confia à lui ». Le reste du récit reproduit
de manière indirecte les propos de la mère à l’aveugle
et la réponse de ce dernier. On peut noter que la
mère, pour exciter la pitié de l’aveugle, ne lui fait pas
un récit très fidèle de la mort de son mari à Djerba
« pour l’exaltation de la sainte Foi ».
L’âge du héros permettra aux élèves de prendre
conscience de la dureté de la vie de ces personnages
de la Renaissance : cette séparation a lieu quand
l’enfant a une dizaine d’années : autant dire que son
enfance s’achève à ce moment-là !
La mère se sépare de son fils en le bénissant,
détail significatif de l’importance de la religion à
cette époque, particulièrement en Espagne.
Si les pleurs et la tristesse de la mère sont attendus dans ces circonstances, plus étonnants sont ses
mots : « Mon fils, je sais que je ne te verrai plus. » Dans
cette société précaire, les liens familiaux sont brisés
très tôt et chacun poursuit sa vie de son côté. Le
commentaire de la mère disant à son fils qu’elle lui
a donné « un bon maître » peut donner à sourire compte
tenu de la rapidité de la tractation et du peu d’information que l’on peut lire sur l’aveugle !
Difficile pour le lecteur d’aujourd’hui de comprendre ces relations, habitué qu’il est à la valorisation des relations familiales et à l’importance des
enfants dans la société.
« À toi de te débrouiller », les derniers mots adressés à un enfant de dix ans peuvent leur sembler bien
cruels !
L’enfance de Lazarillo
Le texte se lit d’emblée comme la première page
d’un récit et le titre du premier chapitre signale la
dimension biographique du récit et annonce ce seuil
qu’est celui des origines familiales. Ce titre explicatif renvoie à un type d’énoncé qui semblera sûrement daté aux élèves. On privilégie aujourd’hui des
titres beaucoup plus courts et rarement sous la forme
d’une phrase.
Le contexte ancien de ce récit annoncé par le titre
et le chapeau introductif renvoie à un passé qu’on
pourra préciser à partir d’indices comme celui des
lignes 24 à 33 qui fait allusion à l’expédition de
Djerba contre les Maures vers 1520. Les lieux sont
précisés de manière géographique, Tejares,
Salamanque, la rivière Tormès. Ce type d’information, important dans une première page, s’impose
particulièrement ici puisque c’est le lieu précis de sa
naissance qui donne son nom au personnage narrateur.
Les circonstances de la naissance de Lazare, le
métier de son père, « meunier », permettent de le
situer socialement comme fils de paysans sans doute
pauvres car réduits à voler et à opérer « certaines saignées malicieusement faites aux sacs ».
La mère de Lazare devenue veuve et sans ressources doit ensuite aller à la ville et se retrouve cuisinière et lavandière. Ces personnages du peuple au
centre du récit sont victimes d’une grande pauvreté.
Leur comportement et leurs actions sont donc expliqués d’emblée par la précarité de leur situation.
Les paroles des personnages apparaissent rarement en discours direct sinon dans la dernière phrase
qui restitue la prononciation de l’enfant. Toutefois,
les paroles des personnages se lisent surtout dans les
■ Le genre de l’œuvre (extraits 1 et 2)
La narration en « je » peut laisser à penser qu’il
s’agit là d’un récit autobiographique.
Par ailleurs, il s’agit d’un récit rétrospectif comme
le montrent les indices chronologiques et temporels
que l’on rencontre fréquemment dans le texte autobiographique. Toutefois, l’indice déterminant qui
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serait la coïncidence entre le nom de l’auteur et celui
du narrateur n’est pas vérifiable puisqu’il s’agit là
d’un récit anonyme.
Même si la critique aujourd’hui penche plutôt
pour une fiction qui mime l’autobiographie, rien de
certain ne permet de trancher. L’avant-propos fournit un élément de débat sur cette question : on
pourra donc y revenir à ce moment de l’étude.
On pourra à ce moment énoncer la définition
minimale de l’autobiographie telle qu’on la trouve
dans le bilan des pages 60-61.
Si les deux scènes semblent traitées de façon comparable, la toile de Goya offre une représentation
plus réaliste de la condition des valets. Les vêtements
des deux personnages en témoignent, déchirés
et moins joliment disposés que chez Murillo. Les
élèves préfèreront sans doute la représentation de
Murillo mais c’est celle de Goya qui est la plus
proche de l’univers de Lazarillo.
On pourra conclure cette comparaison en signalant que les peintres comme les écrivains créent à
partir des représentations de leurs prédécesseurs : la
toile de Goya fait écho à celle de Murillo et Goya
devait l’avoir en mémoire en représentant son
« Lazarillo de Tormès ».
■ Lecture de l’image
Les deux illustrations qui accompagnent ce texte
proposent des représentations du petit valet espagnol. Celle de Murillo, la plus convenue, témoigne
d’un certain maniérisme dont on pourra repérer les
caractéristiques : la scène de genre tout d’abord,
dans une disposition en croix, une diagonale qui suit
le corps de l’enfant et l’autre qui va du chien à l’élément d’architecture qui sert d’arrière-plan. Cette composition équilibrée donne de la profondeur de champ
à l’espace ; la lumière qui parvient de la fenêtre
éclaire le visage de l’enfant et son expression et met
en valeur la scène entre les deux personnages, le
chien et l’enfant, l’échange des regards et le sourire
qui touchent le spectateur. Le souci du détail apparaît dans le costume de l’enfant et le panier accessoire de sa condition. L’ensemble offre une image
touchante et belle de cet enfant du peuple, traitée
toutefois de façon peu réaliste, si l’on se réfère aux
témoignages que donnent les historiens sur la condition des petits valets du XVIIe siècle, ces « picaros »
qui peuplent la littérature classique espagnole.
La toile de Goya est intitulée « Lazarillo de Tormès » :
elle signale donc par son titre que c’est le personnage du livre qui est représenté dans une scène qui
le met aux prises avec l’aveugle, son premier maître.
À la suite de l’extrait cité dans le manuel, l’aveugle
et Lazare quittent Salamanque et l’enfant se rend
compte que son maître est un avare impénitent qui
ne lui donne que très peu à manger. Lazare se voit
donc forcé de voler pour survivre, ce qu’il fait en
volant notamment un morceau de saucisse qu’il nie
avoir dérobé (p.113 à 115, édition G.F.Flammarion).
Pour le confondre, son maître lui fait régurgiter la
saucisse et le bat ensuite pour le punir !
Comme l’histoire, la scène est marquée par la violence du geste de l’homme qui serre le cou de l’enfant en lui mettant deux doigts dans la bouche pour
vérifier que l’enfant lui a volé de la nourriture !
La peinture, qui offre des éléments de ressemblance avec la toile de Murillo, peut lui être comparée : la composition suit aussi une diagonale mais
une seule et le fond noir prive la scène de profondeur de champ ; la lumière, inversée quant à son
origine, éclaire les visages mais pour en faire apparaître les traits saillants, la blancheur des dents de
l’enfant et le teint blafard mais aussi cramoisi sur
les pommettes et le nez (pour indiquer que le personnage aime le vin ?) de l’aveugle. Les yeux presque
clos du vieil homme et ceux révulsés de l’enfant ne
se croisent pas.
■ Travail d’écriture
Le travail d’écriture comme les activités du CDRom visent à engager les élèves dans la lecture de
cette œuvre : c’est donc une suite de texte que les
élèves vont écrire pour imaginer une aventure des
deux héros de l’histoire.
L’imagination des élèves devra rester en cohérence
avec le cadre historique et énonciatif de ce récit
rétrospectif adressé à ce personnage de condition,
« Monsieur ».
ÉTAPE 2
Vacances en Norvège
Le cadre de la séquence a donc été construit par
l’analyse du texte précédent qui a permis de fixer
les premières caractéristiques du genre de l’autobiographie. Les séances suivantes vont permettre de
préciser les règles du genre, d’en explorer les formes
différentes et les thèmes.
Et pour faire le lien avec la séquence 1, on lira
un « incontournable » de ces récits, les bonheurs de
l’enfance.
■ Vacances, souvenirs idylliques (extrait 1)
Tout fait que ces vacances évoquent d’heureux
souvenirs qui donnent à l’auteur « des frissons de joie ».
Le mot « vacances » est déjà porteur de connotations
positives. Mais c’est le mot « idyllique « qui explique
le mieux ce bonheur. On explorera la signification
de ce mot et son origine pour le montrer. L’étymologie
de l’adjectif l’assimile à la poésie et fait apparaître
l’importance de la nature et des sentiments associés
pour construire une évocation lyrique. Ces vacances
en pleine nature, en famille autour de la mère, et ce
dans le cadre du pays d’origine, la Norvège, tout
contribue à faire de cette évocation un hymne à l’enfance et à ses bonheurs.
Retourner en Norvège, c’est retrouver la famille,
se retrouver en famille, « c’était un peu comme rentrer
au pays » et retrouver aussi la langue : « Nous étions
tous de purs Norvégiens d’origine. Nous parlions tous
norvégien… ».
Le voyage est le premier grand événement des
vacances et la distance à parcourir conjuguée avec
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le nombre des participants à l’équipée l’expliquent
aisément. Roald Dahl fait le détail de cette « véritable troupe » qu’il fallait mener à bon port après un
voyage de quatre jours préparé longtemps à l’avance.
Le détail des bagages permet de se représenter
l’expédition et sa démesure pour l’époque. On pourra
demander aux élèves de faire quelques recherches
puis un croquis pour représenter le trajet entre
Londres et Tjöme.
sensations visuelles tout d’abord qui permettent de
restituer le paysage, « goulet », « étroits chenaux »,
« minuscule langue de sable ».
Les impressions tactiles suggérées aussi par des
impressions visuelles, la fraîcheur de l’eau, et sonores,
la cadence des rames, permettent de récréer le voyage
de « quarante minutes » vers l’île secrète.
Quant aux « extraordinaires coups de soleil », ils
offraient sans doute des sensations inoubliables à la
fois à cause de l’intensité visuelle et douloureuse des
effets du soleil et ils demeurent le signe hyperbolique de cette concentration d’eau et de soleil qui
résume les bonheurs de ces vacances.
Le CD-Rom offre le récit savoureux d’une farce
jouée par les plus jeunes aux vieux, « la vieille demisœur » qui a alors une vingtaine d’années et son fiancé
qui va découvrir les effets du « tabac de chèvre » !
La lecture de cet épisode prolonge l’étape 2 en
dévoilant d’autres plaisirs de l’île et en centrant la
réflexion sur les choix lexicaux qui témoignent de
l’humour et de la distance du récit.
■ L’écriture autobiographique (extrait 1)
Le paratexte de ce texte permet au détour de la
biographie de Roald Dahl d’identifier Moi, boy comme
un récit autobiographique.
Les dates proposées coïncident avec celles citées
dans la biographie de l’auteur. Il avait en effet 4 ans
en 1920 quand il est allé pour la première fois en
Norvège et 17 ans en 1932. Le livre a été publié en
1987 quand Roald Dahl avait 71 ans. C’est donc un
récit rétrospectif. Une période intermédiaire à ces
dates extrêmes est désignée par le présent d’écriture,
« quand j’y repense maintenant », ce moment qu’on ne
peut dater et où l’auteur rédigeait ses souvenirs.
Un passé simple isolé signale, dans ce texte écrit
surtout à l’imparfait pour évoquer un passé non
borné, à la fois celui de la répétition – ces vacances
en Norvège se sont répétées pendant douze ans – et
celui de la description, une énonciation coupée du
moment de l’écriture qui alterne avec le plan ancré
dans la situation d’énonciation. C’est ce plan qui
domine ici avec les commentaires rétrospectifs d’un
narrateur adulte qui se souvient et éprouve ce faisant à nouveau les plaisirs évoqués, comme on peut
le voir dans les deux phrases nominales qui introduisent le texte : « Les grandes vacances ! Mots
magiques ! «
Cette énonciation ancrée se lit aussi dans un
énoncé adressé à son lecteur : « N’oubliez pas qu’en
ce temps-là il n’existait pas d’avions commerciaux ». Ces
interlocuteurs qui n’ont pas connu cette période pourraient bien être les jeunes lecteurs pour qui Roald
Dahl a l’habitude d’écrire avec l’humour et la distance de celui qui regarde l’enfant qu’il était et pour
qui une jeune fille d’une vingtaine d’années est
vieille : « ma demi-sœur, si vieille ».
L’étude de la situation d’énonciation marque bien
qu’avec ce texte sont réunies les caractéristiques du
discours autobiographique.
ÉTAPE 3
Surpris !
Parler de l’autobiographie impose ce passage par
l’œuvre fondatrice du genre !
Un exercice à variantes proposé dans le CD-Rom
offre une entrée en lecture de ce texte qui fera apparaître, à travers les choix de variantes proposés, la
spécificité de ce récit épique raconté avec la distance
amusée d’un adulte qui se souvient. La lecture résonnée du passage constitue ensuite un exercice propre
à mettre en évidence à travers l’oralisation du récit
les caractéristiques du récit mises en lumière par le
débat instauré autour des variantes et le commentaire des choix opérés par Rousseau. Le langage spécialisé de l’analyse se révèle ici nécessaire pour procéder à cette lecture « résonnée ».
Le questionnement qui accompagne le texte vise
à mettre en évidence les caractéristiques du texte
éclairées par les deux exercices. Il peut être utilisé
en partie en travail personnel car les élèves auront
intégré certaines notions concernant ce genre.
■ Un souvenir d’enfance de Rousseau
Si l’on peut évaluer approximativement l’âge de
Rousseau au moment où il écrit ses mémoires, entre
52 et 58 ans, il est plus difficile de savoir son âge
exact au moment des faits racontés dans ce texte.
Toutefois, la courte biographie qui l’accompagne permet de déduire que, si les livres 1 à 4 racontent les
vingt premières années de sa vie, le livre 1 doit être
consacré aux années de l’enfance. On peut aussi
déduire de l’anecdote racontée que ce voleur de
pommes doit être encore un jeune enfant comme
l’indique sa naïveté, l’objet de son larcin et les ruses
qu’il invente pour « réussir son coup ».
Le présent prend ici des valeurs différentes : il y
a le présent d’énonciation qui réfère au moment
■ Vacances de rêve (extrait 2)
Sur le plan thématique aussi, on retrouve dans
l’extrait 2 le stéréotype du bonheur des vacances.
L’île, celle de Tjöme, est à elle seule un lieu magique
pour tout enfant : on ne s’y déplace qu’en bateau
pour se rendre dans une autre île plus petite encore,
« minuscule » et surtout « secrète », le mot est répété
plusieurs fois, et l’on s’y rend en empruntant un
chemin compliqué. De là, le bonheur sans doute de
posséder cet endroit ignoré de tous et livré à eux
seuls comme les îles désertes des récits d’aventures,
comme l’île de Robinson.
L’évocation de ce bonheur se fait à travers des
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d’écriture de ce récit, « un souvenir qui me fait frémir
encore… », et le présent de l’impératif de l’adresse
au lecteur qui s’écrit évidemment dans cette sphère
d’énonciation ancrée dans la situation d’énonciation.
Une autre valeur est celle du présent de narration qui se substitue au passé simple : « je me remets
à l’ouvrage ». Cette utilisation du présent appartient
à la sphère du récit coupé de la situation d’énonciation.
quelques 50 ans plus tôt ! Par ce raccourci, Rousseau
marque combien le fait de raconter le passé permet
de le revivre et d’éprouver ainsi à nouveau les émotions du passé. Il met en évidence l’identité du narrateur et de l’enfant qu’il a été.
Écrire son histoire, c’est composer un autoportrait comme on l’aura vu, c’est aussi goûter à nouveau aux plaisirs et émotions de l’enfance, du passé.
On peut, en prolongement de cette analyse, lire
avec les élèves le préambule des Confessions si l’on
veut à ce moment de la séquence dégager les principes de l’autobiographie moderne et le pacte de lecture proposé au lecteur (cf. Un point sur… page 59
et Bilan pages 60-61).
■ Un double registre pour conter les événements
« Chasse aux pommes », ces mots de la ligne 2
pourraient jouer le rôle de titre du texte. Ils mettent
l’accent sur le choix de raconter cette petite histoire
dans un registre qui en fait un exploit épique.
Le réseau lexical qui suit, « gibier », « chasse »,
« broche », « les pièces », « prêt à piquer », « le dragon ne
dormait pas », contribue à développer cette image
d’un exploit. La référence au « jardin des Hespérides »
renforce cette geste héroïque du narrateur enfant qui
transpose son aventure dans ce lieu mythique qui a
vu les exploits d’Hercule transformant les objets de
sa gourmandise en pommes d’or et se métamorphosant ainsi en demi-dieu !
Ce petit récit rapide et léger est très vivant. Au
service de ce dynamisme, on trouve de nombreux
verbes d’action au passé simple dans des propositions juxtaposées qui disent la succession et l’enchaînement rapides des actions ( lignes 3 à 17). La
parataxe est ici très efficace. Les commentaires du
narrateur dramatisent le récit notamment grâce aux
modalités interrogative et exclamative : « Qui dira ma
douleur ? », « Que d’inventions ne mis-je point en usage
pour la tirer ! ».
À partir de la ligne 19 (et non 18), le récit se
poursuit au présent : on aura déjà noté la valeur de
ce présent : reste à interroger ses effets. Ici, le récit
se poursuit dans un tempo encore plus rapide
qu’avant : le présent donne à voir l’action et contribue ainsi au rythme de l’ensemble.
ÉTAPE 4
Images de Sido
Ces deux extraits de Sido vont éclairer les rapports entre la biographie et l’autobiographie.
Parler de sa mère, c’est pour Colette parler de
son enfance, c’est aussi s’interroger sur soi à travers
le regard que les autres vous renvoient.
■ Extrait 1 – Portrait de Sido
Deux portraits de Sido se lisent sous la plume
des biographes de Colette : celui d’une « rustique fermière » ou celui d’une femme qui affiche son goût
pour la « bohème fantaisiste », deux portraits opposés
entre le monde rural et le monde des artistes auquel
la rattacherait l’écriture « d’œuvrettes littéraires ».
Le regard porté sur l’enfant
La distance entre le « je » narrateur adulte et l’enfant se marque de différentes manières : dans les
énoncés ancrés dans le moment de l’écriture comme
c’est le cas dans la première phrase ; dans les commentaires qui émaillent le récit.
Le choix du registre témoigne à la fois du monde
imaginaire de l’enfant et du regard ironique, ou du
moins amusé, que les paroles du narrateur font
revivre : « Un souvenir qui me fait rire… ». L’enfant
y est montré inventif et naïf, opiniâtre et gourmand.
Rousseau entend bien faire rire aussi son lecteur
au récit de ses malheurs et de ses fautes qu’il rend
ainsi pardonnables. Il s’assure donc de son indulgence.
Le texte s’achève sur la phrase « La plume me tombe
des mains. ». Ici, se confondent l’enfant et le narrateur adulte dans un présent qui réfère à la fois au
moment des événements et à celui de l’écriture. Ce
qui autorise cette interprétation, c’est cette plume
de l’écrivain qui tombe comme a dû tomber la broche
« rustique fermière »
Française
Enfance dans l’Yonne
Retour dans l’Yonne
Commun des mortels
« bohème fantaisiste »
Éloignement de tout culte
Adolescence parmi les
peintres, journalistes, virtuoses de la musique
En Belgique
S’y maria, deux fois
Clarté originelle
Les biographes de Colette n’attachent d’importance qu’à tel ou tel détail de son histoire. Colette
montre que l’histoire de sa mère a fait d’elle un personnage plus complexe dont la vie l’a conduite à
manifester des goûts et des capacités qui font d’elle
un être double, riche de sa double origine qui lui a
donné « sa rurale sensibilité » et « son goût fin de la province », deux expressions souvent oxymoriques dans
les représentations et le langage commun et qui marquent ici la symbiose entre ces deux mondes.
■ Le merle dans le cerisier
L’épisode du merle va permettre à Colette de faire
comprendre par une anecdote la sensibilité de Sido.
Colette évoque en une ligne l’oiseau, insistant sur
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■ Extrait 2 – Portrait de la narratrice
Il va de soi qu’il est assez paradoxal d’être jugée
« bête » et « jolie », non pas que les deux qualificatifs
soient incompatibles mais parce que l’un fait figure
de compliment tandis que l’autre offre un point de
vue beaucoup plus négatif !
D’après Sido, l’air bête implique des images plutôt positives : « les yeux plus grands », « tu rajeunis ».
Ce qui rend ce jugement moins cruel est que Sido
compare sa fille à elle-même et dise que toutes deux
pèchent « par excès d’expression ». La ressemblance
gomme le caractère désobligeant du jugement.
L’enfant semble touchée par les mots de sa mère
qu’elle nomme « louange piquante » car il y a de l’esprit dans le paradoxe mais aussi une volonté de toucher et peut-être de faire mal ; elle rougit, preuve
qu’elle identifie bien ces mots à des critiques : « elle
ne m’appelait ‘ma fille’ que pour souligner une critique
ou une réprimande ». Ensuite, c’est elle-même qui se
dit inconstante et qui quitte sa mère, « légère » après
avoir reçu « l’absolution ». L’enfant semble très sensible aux paroles de sa mère, blessée facilement par
ses reproches mais tout aussi rapidement rassurée
par ses compliments. Le texte fait apparaître l’extrême importance des paroles de la mère pour l’enfant.
les couleurs - noir, vert, violet, rose – puis c’est Sido
que fait le portrait du merle dans un dialogue avec
sa fille. Ce faisant, elle se montre particulièrement
sensible à ses mouvements : leur précision, leur efficacité, l’intelligence mais aussi le port de l’animal et
son « arrogance ».
Sido, amoureuse de la nature et des plantes, protège son cerisier des merles avec un épouvantail et
dans le même temps est capable de se perdre dans
l’observation d’un oiseau en train de dévorer ses
cerises, attitude qui peut sembler contradictoire mais
qui témoigne de cette ambivalence.
Dans cet épisode, Colette enfant permet de mettre
en scène cette mère amoureuse de la nature qui initie sa fille à la beauté ; l’évocation du merle est rendue très spontanée, très naturelle et très vivante dans
ce dialogue en discours direct. L’enfant joue aussi
le rôle du « naïf » et par ses questions révèle l’attitude contradictoire de sa mère : « – Mais, maman,
l’épouvantail… » et cette réponse étonnante de la
mère se méprenant sur la remarque de sa fille :
« l’épouvantail ne le gêne pas… ». L’enfant doit reformuler sa question pour que sa mère retrouve son
rôle de « rustique fermière » et se soucie enfin de ses
cerises en revenant « sur la terre » !
■ Du regard de Colette enfant à celui de
Colette auteur du portrait
Dans les premières lignes de ce texte, Colette
apparaît sous les traits de l’auteur à succès qu’elle
est devenue au point qu’on lui a déjà consacré plusieurs biographies. Elle montre le peu d’intérêt qu’elle
porte à ce qu’on écrit sur elle en signalant de façon
incidente qu’elle les « renseigne peu ». Toutefois, elle
semble s’offusquer davantage de ce que l’on peut
écrire sur sa mère. La deuxième phrase marque aussi
qu’au moment où Colette écrit Sido, sa mère ne vit
plus puisqu’elle ne peut plus obtenir certains renseignements que sa mère seule aurait pu lui donner.
La courte biographie qui accompagne le texte le
confirme. Elle est, dans cette posture distante et
même un peu méprisante, bien éloignée de la fillette
naïve qu’elle évoque quelques lignes plus loin.
Colette ne se donne pas pour objectif d’expliquer
l’origine du caractère de sa mère : « je ne saurais le
dire ». Ce qu’elle veut, c’est chanter : « je la chante,
de mon mieux ». Le verbe chanter évoque le projet
du poète qui veut raconter la guerre de Troie « cano
arma virumque ». Ici, Colette veut raconter sa mère
en poète pour la célébrer, comme le poète célébrait
les hauts faits des héros, en racontant ce qu’elle a
vu : « je l’ai vue suspendre… ».
Dans cet extrait, Colette s’interroge sur le peu
d’intérêt que sa mère manifeste pour la religion et
elle poursuit en montrant que la religion de sa mère,
c’est la contemplation de la nature, qu’elle la trouve
« à la rencontre du ciel d’où elle bannissait les religions
humaines ». On aura vu que ce qu’elle admire dans
cette nature, ce qu’elle trouve beau, c’est son extrême
intelligence, sa précision et son efficacité, à l’image
du merle.
La religion de Colette, c’est sa mère, qu’elle veut
célébrer comme on célèbre un culte.
■ Autoportrait de la narratrice
Les lignes 25 à 45 peuvent être lues comme un
autoportrait de la narratrice qui complète celui que
vient de faire sa mère.
Autour du « ruban bleu », se construit le portrait
d’une jeune fille associée aux personnages d’un peintre
et d’une esthétique simple et libre du XVIIIe siècle.
Les coiffures des personnages de Madame VigéeLebrun sont simples, libres et peu apprêtées. La couleur bleue, couleur de l’innocence, renvoie aussi à la
nature et aux fleurs. La narratrice sait que cette coiffure lui sied particulièrement et elle le dit avec modestie en renvoyant ce jugement à sa mère : « j’étais pendant une heure, un jour, particulièrement jolie, et qu’elle
s’enorgueillissait de moi. »
■ La nature
Cette coiffure met Colette en harmonie, en symbiose avec la nature, avec ces fleurs qu’elle est chargée de distribuer : « coiffée de ce large ruban […] porter un message de fleurs ». Et ce ruban est comparé à
« un papillon épanoui ». La beauté naturelle de sa fille
fait d’elle la messagère de la nature et de ces fleurs
qu’elle prenait « à mesure que Sido les coupait. »
■ Extrait 3
L’image de Sido est indissociable de l’évocation
de l’enfance de Colette, une enfance heureuse. L’étoile
qui représente les points cardinaux est le symbole
associé à sa mère et au rôle qu’elle a joué dans sa
vie : les points cardinaux, c’est ce qui permet de ne
pas se perdre, ce qui permet de se diriger de diriger sa vie ! Rappelons que la première version de
Sido s’intitulait Sido ou les points cardinaux.
Cet extrait renvoie à plusieurs périodes de la vie
24
– les interrogations d’Anne sur ses états d’âme, son
désir d’écrire et le besoin qu’elle ressent de posséder une amie « avec un grand A » du début du
texte à la ligne 31 ;
– ensuite, elle recompose sa généalogie pour dire
qui elle est et le début de l’histoire de sa famille
jusqu’à la date où elle commence ce journal en
1942.
Les titres proposés par les élèves devront mettre
en évidence ces thèmes. Les sous-titres proposés pour
les analyses qui suivent peuvent en constituer des
exemples.
de Colette : son enfance qui se divise en deux temps,
avant et après douze ans, l’âge du départ de la maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye et des difficultés.
Il y a l’image de sa mère lorsque Colette quitte
le foyer et l’image d’elle qu’elle retrouve au moment
où elle se met à écrire Sido. À ce moment-là, Sido
est morte depuis 1912.
Ce court texte nous montre comment la biographie permet de faire revivre celui dont on raconte
la vie.
Le CD-Rom propose la lecture d’un texte « Hymne
à la nature » qui explore notamment à partir de
variantes de Colette les réseaux sémantiques attendus, ou moins, de cette évocation sensuelle de l’été.
Le journal intime est une des formes de l’autobiographie : le Journal d’Anne Franck offre aux jeunes
lecteurs matière à s’interroger sur les effets de l’expression de soi dans un contexte qui est au programme d’histoire, la deuxième guerre mondiale.
■ Kitty (lignes 1 à 35)
Anne Franck décrit l’humeur dans laquelle elle
se trouve fréquemment en évoquant son « apathie »,
« ces jours de légère mélancolie où je m’ennuyais » et « je
restais plantée là à me morfondre ». L’ennui est au cœur
de son projet au début de son Journal, un ennui
qu’elle met au compte du manque d’une amie intime.
C’est donc le Journal qui doit remplacer cette amie
absente.
Anne se présente tout d’abord sous l’identité d’une
« écolière de 13 ans ». Ensuite, comme on l’a vu, elle
se peint sous les traits d’une adolescente un peu
indécise, ennuyée et solitaire.
Mais cette solitude est contredite par ce qui suit :
Anne fait la liste de ceux qui l’entourent, une famille
aimante, et beaucoup de « camarades et amis », la liste
se complète de manière hyperbolique pour évoquer
cette « nuée d’admirateurs » et leurs manœuvres pour
« capter [son] image dans un petit miroir de poche ».
Anne, dans le cercle de la famille et de l’école, attire
l’intérêt des autres.
Ce qui peut sembler paradoxal dans cet extrait
est l’opposition entre deux images de la jeune fille,
à la fois solitaire et apathique, et vivant entourée
d’admirateurs et au sein d’une famille unie et heureuse. Mais l’explication est simple : Anne se plaint
de n’avoir pas cette vraie confidente qui comblerait
sa solitude.
Les raisons qu’Anne Franck a d’écrire un journal sont celles que tout diariste peut énoncer :
– s’exprimer par l’écriture est sans doute la première
raison qui pousse à écrire un journal ou tout autre
écrit : « j’ai envie d’écrire » ;
– l’écriture permet aussi de s’épancher sans lasser
celui qu’on a choisi pour confident : « le papier a
plus de patience que les gens « ; qui plus est, on n’est
pas obligé alors de limiter ses confidences et on
peut « dire vraiment ce que [l’on a ] sur le cœur » et
pas seulement « aligner les faits » ;
– enfin, elle assigne à son cahier un autre rôle encore :
« faire de ce journal l’amie elle-même ».
Dès les premières pages de son journal, Anne
Franck manifeste une grande lucidité sur ses motivations et ce qu’elle peut attendre de l’écriture. Sa
maturité intellectuelle est étonnante.
■ Extrait 1
Le texte peut se découper en deux temps nettement distincts :
■ La famille d’Anne (lignes 36 à 53)
L’origine de la famille d’Anne Franck est aisée
puisque son père occupe la fonction de « directeur de
■ Le genre de Sido
Comme on vient de le noter, Sido ressuscite la
mère de l’auteur et donc son enfance dont elle est
indissociable. Parler de sa mère, c’est aussi parler de
soi comme on l’a vu, c’est expliquer ce qu’on est
devenu à partir de son origine, de l’histoire de son
enfance.
C’est aussi se mettre en scène et se peindre dans
ses relations aux autres et dans l’image que le autres
nous renvoient. En cela, on peut dire que la biographie que Colette consacre à sa mère est aussi une
autobiographie.
■ Travail d’écriture
Il s’agit pour les élèves de collecter toutes les informations disponibles sur Colette dans le manuel (en
n’oubliant pas les pages 66 et 67) en élargissant
éventuellement leurs recherches à d’autres sources.
L’écriture impose la récriture, dans un genre différent de la biographie, de ces informations.
On pourra faire la liste des contraintes qu’imposent cette transposition :
– inventer un personnage/journaliste qui témoignera
dans un article d’un entretien ;
– prévoir le cadre de cet entretien ;
– élaborer un questionnaire et organiser les questions de manière à donner de la cohérence au discours recomposé ;
– prévoir plusieurs modes de citations des propos
prêtés à Colette ;
– éviter les anachronismes ;
– écrire un article de journal, etc.
ÉTAPE 5
« L’amie avec un grand A »
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Séquence 2
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Souvenirs d’enfance
la société néerlandaise Opekta ». Les parents sont soucieux de l’éducation de leur fille et choisissent pour
elle une école dont la pédagogie est très attentive
aux enfants, « l’école Montessori », puis c’est le lycée
qui ne reçoit à cette époque que des enfants socialement favorisés.
Otto Franck a quitté l’Allemagne puis est venu
s’installer en Hollande en 1933 pour occuper ce
poste de directeur. La phrase met en relation ce
départ avec l’origine juive « à cent pour cent » de la
famille. Mais Anne Franck ne dit pas explicitement
que les Juifs de Francfort étaient persécutés par les
nazis, elle le fera dans le passage qui suit ; le lecteur
d’aujourd’hui décode cet implicite à la lumière de
ce qu’il sait de cette période.
Les réponses aux questions précédentes sont autant
d’explications au succès de cette œuvre, témoignage
historique mais aussi pathétique de la vie d’une famille
en ces temps difficiles. Par ailleurs, Anne Franck
manifeste comme on l’a déjà dit des qualités d’expression et une analyse de ses sentiments qui la rendent très proche de son lecteur et le conduisent à
s’identifier à elle et à partager son point de vue.
Le CD-Rom propose un exercice de lecture qui
permettra aux élèves d’apprécier la distance induite
par la seule transcription de données biographiques
de la première personne à la troisième personne.
Toute la force du discours d’Anne Franck tient dans
cette énonciation, gage d’authenticité et de vérité
psychologique et historique. La troisième personne
marque au contraire une distance qui rapproche le
texte de la fiction.
■ Extrait 2
La suite du journal pourrait très bien figurer dans
un document historique comme témoignage de cette
période. Dates et événements évoquent les persécutions (pogroms) dont sont victimes les communautés juives, les interdictions et lois raciales sont rappelées…
La question suivante vise à faire apparaître comment le destin de la famille Franck a été totalement
interdépendant des événements historiques : on
pourra mettre en relation dans un tableau les événements historiques et leurs conséquences pour eux.
L’effet de liste qui, sur le mode de la répétition,
énonce toutes les obligations et les interdictions faites
aux Juifs, rend encore plus pesantes cette exclusion
de la vie économique et sociale, ces conditions de
vie qui finissent par sembler presque absurdes tant
les raisons des interdictions peuvent sembler (et sont)
arbitraires et ne répondent qu’à une volonté d’humiliation.
L’absence presque totale de commentaires d’Anne
Franck, qui ne tente même pas d’émouvoir sur son
sort, renforce l’efficacité de son discours comme la
réflexion de son ami Jacques qui sert de conclusion :
ces règlements inversent la règle selon laquelle tout
ce qui n’est pas interdit est autorisé. Ici, on pénètre
dans un monde où tout ce qui n’est pas autorisé est
interdit. C’est le comble de l’aliénation : on « n’ose
plus rien faire ».
ÉTAPE 6
Enfance russe
Ce temps de la séquence peut faire l’objet d’une
évaluation qui permettra de vérifier que les apprentissages mis en place dans la séquence sont maîtrisés en lecture et en écriture.
■ Le travail de la mémoire
Un trait spécifique de cette écriture est l’utilisation des points de suspension : une vingtaine de fois
dans ce seul extrait. Cette utilisation d’une typographie qui marque la pause, l’incomplétude peut
être interprétée comme l’indice de ce temps où la
mémoire se recompose, où les sensations analysées
deviennent des mots, un contexte précis (l. 5), un
début d’histoire (l. 7), l’insertion d’un commentaire
(l. 10), le passage à une autre évocation (l. 29). Ce
signe de ponctuation articule le caractère disparate
des évocations et les ordonne.
■ Le contexte russe
Les noms propres des lieux et de personnages
confirment les indications paratextuelles et conduisent le lecteur à identifier tout ce qui lui paraît
Les événements historiques
• En Allemagne
1933 : début des persécutions contre les Juifs
lois antijuives
1938 : pogroms en Allemagne
• En Hollande
Mai 1940 : capitulation de la Hollande, entrée des Allemands dans le pays
Les lois antijuives se succèdent
La vie de la famille Franck
Otto Frank quitte l’Allemagne pour la Hollande ; sa femme le rejoint en
septembre, ses filles en décembre 33 et en février 34.
Deux oncles d’Anne partent pour les États- Unis ; la grand-mère d’Anne
vient les rejoindre en Hollande.
1940 : « la guerre venait de se terminer aux Pays-Bas », on oublie l’anniversaire d’Anne.
1941 : la grand-mère tombe malade puis meurt en 1942.
1942 : début du Journal
26
étrange comme faisant partie de la culture russe. On
peut ainsi relever le décor de « la salle », la pièce qui
manifeste l’aisance de la famille de la narratrice et
ce décor impressionnant entre « les parquets luisants »,
« les glaces », « le grand piano à queue ».
Le rite de la sortie de table et ces enfants qui
embrassent la main de leurs parents peut aussi paraître
étrange aux adolescents d’aujourd’hui. Les domestiques, nourrice, cocher, témoignent aussi d’une
époque révolue.
quer » qui implique un « certain ton », une entreprise
de bilan. Quand Nathalie Sarraute écrit à nouveau
entre guillemets « des beaux souvenirs d’enfance »,
elle prend ses distances avec le projet autobiographique que nombre d’auteurs ont annoncé à la suite
de Rousseau. Elle souligne les soupçons qui entachent toute autobiographie, ceux d’en « rajouter »,
d’enjoliver pour « faire joli » et pouvoir ainsi comme
elle le dit encore, les exhiber avec une « certaine
nuance de fierté » au risque de transgresser la règle
de vérité.
Dans ce passage, pourtant, Nathalie Sarraute
raconte avec toute la précision des sensations ressenties un séjour en Russie, moment idyllique qui
concentre toutes les lois du genre.
■ Le narrateur auteur
C’est bien évidemment le paratexte qui permet
d’identifier ce texte comme un texte autobiographique
ainsi que le fait de figurer dans une séquence qui
traite de cette question !
Comme le signale le paratexte, ce texte est énoncé
à travers un dialogue intérieur de la narratrice qui
se dédouble entre celle qui désire raconter ses souvenirs d’enfance et celle que ce projet gêne. Les deux
parties d’elle-même dialoguent et argumentent dans
ce discours ancré dans la situation d’énonciation que
caractérise ici l’utilisation généralisée du présent, à
la fois présent d’écriture et présent des souvenirs qui
resurgissent dans ce moment.
Le narrateur adulte apparaît dans ses commentaires : « comme il se doit » (l. 12), « rien ne manque »
(l. 13), « de je ne sais plus quelle plante » (l. 26), « des
incantations faites de syllabes barbares et drôles que j’ai
longtemps retenues et que je n’arrive pas à retrouver »
(l. 37-38) avoue Nathalie Sarraute qui marque ainsi
les limites de sa mémoire.
Sur le plan thématique, on retrouve dans ce passage les thèmes récurrents de l’évocation de l’enfance : la découverte d’un autre milieu, d’autres lieux,
d’autres codes dont la nouveauté enchante, ainsi l’été
passé chez l’oncle avocat ; il y a aussi les personnages qui peuplent ces familles, domestiques ou amis
proches ; il y a le moment du goûter et ses sempiternelles tartines ; il y a aussi le jardin et cet enterrement simulé, ici celui d’une plante, qui permet de
conjurer ou d’apprivoiser la mort.
Les bonheurs de l’enfance sont surtout faits de
sensations : on pourra relever que tous les sens sont
concernés : l’odeur du cuir du gilet du cocher, les
saveurs du sucre mouillé des tartines, la pression sur
les coques jaunâtres que les enfants font éclater et
les sifflements qu’ils tirent des herbes… et puis toutes
ces notations visuelles qui font de ces souvenirs un
spectacle haut en couleurs.
L’imagination aussi participe de ces plaisirs : incantations inventées dans une langue inconnue, contes
qui font du puits la cachette d’un monstre invisible…
La répétition de « évoquer tes souvenirs d’enfance »
dans les premières lignes du livre et le dédoublement du « je » qui dialogue avec soi marquent la difficulté de Nathalie Sarraute à concilier son désir,
celui de raconter son enfance, et les représentations
que ce projet suggère, le caractère convenu et peutêtre la prétention de ce passage obligatoire pour tout
écrivain. C’est ce que semblent signaler les mots mis
entre guillemets et les connotations du mot « évo-
■ Lecture de l’image
La première de couverture de l’édition Folio
d’Enfance met en perspective deux photos de Nathalie
Sarraute dont l’analyse est riche de sens sur le texte.
Parallélisme et oppositions caractérisent ces deux
représentations de l’auteur dans ce dédoublement
qui est aussi celui du discours autobiographique : le
« je » personnage enfant dans son carré et le narrateur adulte dans ce rectangle long qui insiste sur la
disproportion entre les deux, comme les vêtements
qu’elles portent : anciens pour l’enfant mais aussi
égayés de rouge et signes de l’appartenance à un
groupe social favorisé, « classiques d’aujourd’hui »,
en noir et blanc pour la femme. Si le visage de la
petite fille est éclairé par un sourire et le visage de
l’adulte plus sérieux, la ressemblance entre l’une et
l’autre est évidente surtout dans cette prise de vue
de trois quarts et cette légère plongée qui dirige leur
regard et donne l’impression qu’elles regardent la
même chose.
Cette mise en scène rappelle donc la « duplicité »
de l’écriture autobiographique, son caractère rétrospectif et ce regard qui privilégie souvent le temps
de l’enfance comme le rappelle le titre. Cette couverture insiste aussi sur l’identité qui existe entre les
deux personnes, même si l’une semble veiller sur
l’autre, si l’une fait exister l’autre.
Enfin, la distance du temps se lit dans les traits
de la femme vieillie et dans les vêtements démodés
de la petite fille.
Tous ces indices confirment bien la dimension
autobiographique de l’œuvre ainsi annoncée.
■ Travail d’écriture
Il permet d’explorer avec les élèves le stéréotype
du « beau souvenir d’enfance » propre à émouvoir ou
à réjouir le lecteur.
Les textes de la séquence offrent des modèles
divers que les élèves pourront utiliser pour imaginer
leur récit. Ils pourront aussi trouver l’inspiration dans
leur propre histoire.
On attend d’eux qu’ils construisent un récit complet dans une situation d’énonciation cohérente dans
laquelle le narrateur adulte fera entendre sa voix,
comme le précise le libellé, et l’expression de sa nostalgie.
27
Séquence 2
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Souvenirs d’enfance
c’est le train mentionné aux vers 3, 12, 26, signe de
modernité.
Les parents du narrateur semblent éprouver autant
de plaisir et d’émotions que l’enfant à partir en
excursion, à vivre ces « aventures » et rien ne les
arrête, ni le vent ni la pluie ni la chaleur ; : « on plaisante », on rit, on a – ou non – le mal de mer, on
s’impatiente…
Au détour d’un vers, le vers 24, on apprend que
le père souffre d’« une maladie du foi’ » tandis qu’on
imagine la mère se scandaliser de s’être fait escroquer de « dix balles ».
L’image qui ressort des ces évocations est donc
celle de petits boutiquiers provinciaux que tout étonne
et ravit, heureux de vivre des moments forts, de
ramener des souvenirs de leurs aventures et surtout
contents de se retrouver chez eux.
ÉTAPE 7
Du roman à la poésie
La séquence s’achève avec un genre moins attendu
à propos de l’autobiographie : il s’agit de montrer
ici aux élèves que les écrivains continuent à explorer les formes susceptibles de dire « je » et nouent
de nouveaux pactes de lecture avec leur lecteur, que
les genres enfin se construisent en évolution et en
rupture avec les écrits antérieurs.
■ Extrait 1
Chêne et Chien commence avec ces vers et ces
informations qui annoncent dans d’autres écrits un
témoignage autobiographique : date et lieu de naissance, profession des parents…
Ce qui est inattendu, c’est évidemment le choix
d’une forme qui ressemble bien à de la poésie !
Le vocabulaire choisi, la syntaxe assez simple signalent un registre courant qui peut même sembler familier par rapport aux attentes d’un lecteur qui pense
lire de la poésie et s’attend donc à une formulation
plus élaborée. Les précisions qu’on peut qualifier
d’anatomiques à propos de sa nourrice, les qualificatifs « avide et bête » dressent un portrait en rupture
avec les clichés attendris sur la petite enfance mais
renforcent l’authenticité du témoignage. La souffrance
de la séparation avec la famille étant un autre passage incontournable de l’autobiographie.
Le choix du sous-titre « Roman en vers » marque
un volonté de perturber les attentes et représentations du lecteur qui reconnaît bien les vers mais
éprouve plus de difficultés devant le mot roman ; on
peut y reconnaître la dimension narrative propre à
ce genre et à l’autobiographie, un récit également,
mais ce choix engage à lire ce qui est raconté comme
une fiction. Raymond Queneau ne fait pas à son lecteur la promesse de dire toute la vérité, comme le
fait Rousseau. Il se protège par ce sous-titre de tout
reproche de mensonge qu’on pourrait lui faire et
sans doute aussi joue avec le paradoxe, autre façon
de dire que le projet autobiographique est toujours
de l’ordre de la fiction.
On n’attend sur cette question que des hypothèses
que l’on peut justifier à partir du texte et des savoirs
des élèves sur le genre. Le groupement de textes qui
suit permet d’éclairer cette question : Roald Dahl,
Michel del Castillo disent leur point de vue aussi
sur la question de la vérité et de la fiction dans l’autobiographie.
■ Extrait 3 – Un poème autobiographique
« Je » donne la parole à « on » dans les 7 premières
strophes de ce poème et il la reprend ensuite dans
la huitième et dernière pour conclure dans un récit
de quatre vers dans lesquels il évoque l’adulte qu’il
est devenu. On reconnaît à ce « on » indéfini qui
s’adresse au narrateur un membre de sa famille, son
père ou sa mère, qui connaît tout de son enfance et
s’autorise à lui en faire grief.
On peut reconnaître pour les premières strophes
une énonciation ancrée dans la situation d’énonciation, « me dit-on », dans le moment présent de ce discours direct qui lui est adressé.
La dernière strophe se détache de ce plan et s’écrit
dans une énonciation coupée de ce présent du discours direct, au passé simple : « je me mis… décrochai ».
Les deux derniers vers au passé composé rattachent ce bilan au présent, au moment de l’écriture,
ce « plus tard » que marque aussi l’aspect accompli
« je suis devenu ».
Les trois temps que l’on peut distinguer sont :
– celui de l’enfance, « Tu chiâlais, enfant, comme un
veau » ;
– « Maintenant tu es devenu le plus grand cancre de ta
classe », c’est le temps de l’adolescence, des classes
du secondaire où l’on apprend l’anglais. Ce temps
correspond au moment de l’échange entre « je » et
« on » comme le signale le déictique « maintenant » ;
– enfin la troisième époque, c’est presque l’âge adulte
ou du moins l’état de « jeune homme ».
On pourra aussi évoquer ce temps de l’écriture,
l’âge adulte que postule ce récit rétrospectif.
■ Extrait 2
Les voyages de la famille Queneau se situent de
la Normandie à Paris autour du lieu où la famille
est installée : Le Havre, « ma maison ».
Les excursions ont pour objet les lieux « emblématiques » de chaque destination. La Bénédictine
pour Fécamp, la Tour Eiffel et le musée Grévin pour
Paris, la famille est curieuse de ce que tout le monde
connaît, de ce dont tout le monde parle. Et l’on voit
bien que ce qui plaît le plus, au moins à l’auteur,
■ Du portrait…
C’est le discours direct et cette parole familière
et spontanée de l’adulte qui donne à ce poème une
dimension authentique.
On pourra relever les expressions familières, le
caractère récurrent des reproches qui fréquemment
sont adressés aux enfants : « tu hurlais pour une calotte
et tu rameutais les badauds ». Les parents accusent le
narrateur enfant d’être « braillard », peu soigneux, un
peu machiavélique aussi ! Les expressions sont amu-
28
par le regard des autres et celui que « je » se construit.
On retrouve aussi cette double énonciation d’un je
qui évoque un passé révolu coupé du présent de
l’écriture et ces commentaires du narrateur qui juge
le passé du point de vue de l’adulte qu’il est devenu.
Le regard ironique porté sur soi enfant l’est moins
que sur le projet autobiographique mis à distance
par le traitement des attentes du lecteur et notamment le choix du genre, la poésie, pour raconter sa
vie et le traitement distancié de ce genre, la trivialité ou la banalité de ce qui est évoqué dans un
registre de langue souvent familier. Néanmoins, cette
prise de distance n’empêche nullement et voire favorise l’impression d’authenticité, de vie et de gaieté
de ces évocations d’un monde très éloigné aujourd’hui de celui des élèves.
santes, de « cornichon » à « bon-à-lier » pour « fou à
lier ».
Plus tard, c’est de « cancre » qu’il est traité. Le
cancre, c’est celui qui n’apprend pas, par paresse ou
par désintérêt : ce cancre ne fait rien en anglais et en
gym et peut-être même s’agite-t-il puisqu’il est retenu,
mais il peut l’être aussi parce qu’il ne travaille pas
assez : c’est donc ici un portrait assez conventionnel
du cancre qui surtout ne fait que ce qui lui plaît, et
ne s’intéresse qu’à l’histoire, à la géométrie, aux langues
rares et a le goût de l’écriture : « tu écris de longues
histoires, des romans, dis-tu, d’aventures ».
Ce cancre a bien du talent, semble-t-il, et beaucoup de curiosité et d’imagination !
■ … à l’autoportrait
Le lecteur d’aujourd’hui sait que Raymond
Queneau est considéré comme un grand écrivain :
il lit donc ces informations autobiographiques comme
des éléments explicatifs à la naissance du goût et du
talent pour la littérature. Comme Sartre dans Les
Mots, il invite à lire ce poème comme le récit de
l’enfance de celui qui deviendra un grand écrivain,
c’est du moins de cette façon que le lecteur d’aujourd’hui les lit.
On pourra s’attarder à ce moment sur le choix
du langage poétique et du décalage que crée une
langue d’ordinaire élaborée au niveau du signifiant
qui, ici, se caractérise par sa dimension prosaïque.
Toutefois, Queneau a bien écrit un poème : en
témoignent ces huit quatrains d’octosyllabes dont les
rimes sont embrassées et qui alternent rimes féminines et rimes masculines, pauvres (ex. vers 1 et 4)
et suffisantes (ex. vers 30 et 31). Toutefois, il prend
quelques libertés avec la tradition en faisant rimer
« classe » avec « anglaise », « géomètres » avec
« Archimède » et surtout en la faisant disparaître entre
les vers 29 et 32, c’est-à-dire à la fin du poème, dans
une dernière pirouette.
Cette distance humoristique se lit aussi dans les
trémas ajoutés à « pauvre » et « suis » qui signalent
de manière claire qu’il faut prononcer les diphtongues en faisant des diérèses, ce qui est tout à fait
anormal avec ces deux mots. L’octosyllabe est ainsi
respecté mais la prononciation inattendue et comique
montre qu’il s’agit de poésie pour rire, comme des
vers de mirliton et que ce « paûvre jeune homme »
est une formule ironique.
Ce portrait est donc écrit dans un registre léger,
distancié et comique. Le portrait des parents qui ne
voient pas les talents de leur fils et au contraire les
prennent pour des défauts est assez drôle et surtout
montre que l’auteur ne se prend pas au sérieux dans
cette image rétrospective de l’enfant puis de l’adolescent qu’il a été.
■ Travail d’écriture
Il propose une nouvelle fois aux élèves d’explorer leur propre univers, leurs souvenirs pour écrire
sur le modèle de Queneau quelques vers, des octosyllabes, alexandrins ou heptasyllabes, pour évoquer
ces objets qui fascinent les enfants. On pourra demander, à l’image des derniers vers, que le dernier objet
soit évoqué dans une structure grammaticale calquée
sur le modèle des vers 10, 11, 12 et 13 en utilisant
un registre de langue « alambiqué » et pédant comme
le fait Queneau.
5
Brevet des collèges
■ Vipère au poing, Hervé Bazin
Cet extrait, tiré du chapitre IV, marque le début
d’un changement fondamental dans la vie du narrateur/personnage de ce roman : avec son frère aîné,
Frédie, il va découvrir ses parents et son petit frère,
de retour d’un long séjour en Chine. Il s’agit d’un
regard d’adulte (Q. 1 et 2) qui retrace un passé mis
à distance par l’utilisation de l’indicatif passé simple
et de l’indicatif imparfait. Cette scène de retrouvailles, ou plutôt de première rencontre, va très vite
se transformer en scène de cruelle désillusion. Ce
choix d’un narrateur en « je » qui retourne vers son
passé, cette apparence autobiographique renforce la
crédibilité des situations et du personnage qui vient
faire partager au lecteur ses sentiments, son point
de vue, ses douleurs d’enfant.
L’état d’esprit des deux enfants (Q. 4) qui vont
accueillir leurs parents est assez conforme à la représentation que chacun peut se faire de la situation :
« Le tortillard… parut avec un retard qui nous semblait
insupportable ». En revanche, cette relative impatience
est aussitôt contredite, dans la même phrase et dans
un même mouvement, par une nette contradiction,
par une déclaration sans ambiguïté du narrateur omniscient qui anticipe sur un avenir dont il détient tous
les éléments, « mais que bientôt nous pourrons souhaiter centenaire ». La présence d’une gouvernante à leur
côté laisse penser à un milieu bourgeois (Q. 3) de
■ Extraits 1, 2 et 3
Ces extraits témoignent de la dimension autobiographique de ces poèmes : sur le plan des thématiques, on y retrouve les évocations incontournables des origines familiales, des plaisirs et traumatismes de l’enfance, le portrait de soi composé
29
Séquence 2
R O M A N
O U
A U T O B I O G R A P H I E
?
Souvenirs d’enfance
des temps du passé évoquant l’enfance). Au plan du
sens, cette pensée intérieure doit se situer entre
espoirs et craintes, espoirs conformes à la situation
et craintes liées, par exemple, aux « soupirs inquiets »
de l’entourage.
même que la remarque d’Ernestine, « Mme Rezeau
me prend pour la femme de chambre. ». Cette constatation sera à prendre en compte pour traiter le sujet
de rédaction.
La découverte des parents se fait selon un procédé cataphorique. Ils ne sont d’abord qu’ « une paire
de moustaches » et « un chapeau en forme de cloche à
fromage », puis une voix, « De la cloche à fromage jaillit
une voix ». À souligner le caractère humoristique de
cette expression qui associe métonymie et métaphore
(Q. 6).
La présence du père (Q. 7) est très peu soulignée, il s’agit d’un « monsieur ennuyé … engoncé dans
une lourde pelisse « dont on ne remarque que « le grand
nez et les bottines à boutons ». Très effacé, sans véritable personnalité, il semble avant tout craindre sa
femme. C’est en fait la mère qui emplit toute la
scène. Sa sécheresse de cœur apparaît dès le premier
contact. À l’envie bien légitime des enfants de se
jeter dans ses bras, elle répond par des gifles données avec force et précision, image de violence relayée,
plus loin, par une attitude similaire, « un coup de talon
dans le tibia ». Cette tyrannie semble d’ailleurs s’exercer sur tout son environnement (Q. 1O) puisque à
la question « – Vous dites, ma chère amie ? » dont on
devine le ton sans appel, « Nul ne broncha ».
Le narrateur, ou plutôt l’enfant qu’il était, semble
déjà être sa victime privilégiée ; ne l’appelle-t-elle pas
« Brasse-Bouillon » ? (Q. 11)
Face à cette invivable situation, pour faire front,
l’alliance entre les deux grands frères, qui peut facilement s’expliquer par leur passé commun, se lit
dans leur attitude complice « Frédie, se touchant le nez
du bout de l‘index, fit à mon intention le signal de
détresse. » (Q. 12). Complicité qui sera certainement
bien utile également pour faire face à l’apparente
indifférence du petit frère, « Frédie lui tendit une main
qu’il ne prit pas », dont on ne peut dire encore si elle
est naturelle ou conditionnée par la présence de la
mère, « Louchant dans la direction de Mme Rezeau,
Marcel venait de s’apercevoir » (Q. 13).
La fin de cet extrait, qui est aussi la fin du chapitre IV, ne laisse aucun doute quant à la suite de
ce roman et à sa tonalité d’ensemble : les relations
entre « cette dame » qu’il n’a « déjà plus aucune envie
d’appeler maman » et le narrateur seront au centre
du roman et seront les marques d’une enfance malheureuse. La prédominance de la mère se lit déjà
dans la place accordée à la présentation des personnages : le père apparaît peu, parle peu ; le petit
frère moins encore (Q. 14 et 15).
Le choix de l’aspect autobiographique donné au
roman laisse à penser que l’auteur a peut-être un
peu puisé dans ses souvenirs personnels ; il permet
surtout au lecteur d’entrer dans les pensées et le
regard de l’enfant (Q. 16).
Le sujet de rédaction proposé demande, en conformité avec les instructions officielles, d’expanser un
texte. Il oblige l’élève scripteur à prendre en compte
les éléments de sens construits lors du questionnement, à bien comprendre le statut du narrateur, à
bien utiliser les temps (à distinguer notamment le
présent d’énonciation évoquant le présent d’écriture
6
Groupement de textes
■ Regards sur le projet autobiographique
Ce groupement d’extraits confrontera plus strictement les discours préfaciels ou les seuils des œuvres
et permettra d’interroger les raisons de l’écriture en
« je », les méfiances aussi qui accompagnent les discours autobiographiques : Dahl « Ceci n’est pas une
autobiographie » ; del Castillo sur les rapports entre la
fiction et l’autobiographie ; Julien Green « Cette journée qui me paraît sans intérêt maintenant » ; première
page de Sarraute et son dédoublement « Alors, tu vas
vraiment faire ça ? » ; préface de Sido, la robe bleue.
Ces textes sont en résonance avec ceux de la
séquence 2, éclairant les choix des auteurs étudiés
et plus généralement permettant de confronter des
projets distincts qui donnent lieu à des genres autobiographiques différents.
Le questionnement proposé est un outil destiné
aux élèves pour une lecture de ces textes rattaché à
la problématique de ces deux premières séquences.
Il n’est pas exhaustif et surtout peut être complété
ou réorganisé pour servir des projets très différents.
Pour cette raison, nous ne proposons pas de réponses
détaillées aux questions mais explicitons les enjeux
des textes proposés.
TEXTE 1
■ Les Confessions (1782),
Jean-Jacques Rousseau
Le texte de Rousseau est considéré comme le
point de départ à l’autobiographie moderne et, à ce
titre, il fait figure de modèle à tout projet, qu’il soit
copié ou mis à distance.
Le questionnement, sur lequel nous reviendrons
peu tant le texte est connu, vise à expliciter les caractéristiques de ce projet après un examen précis de
la façon dont le texte progresse, de son énonciation
et de ses destinataires.
Ce qui est important, c’est évidemment la promesse d’être franc, de dire la vérité que fait Rousseau
ainsi que les précautions qu’il prend pour se faire
pardonner toute erreur qui ne serait due qu’à un
défaut de mémoire.
Le texte doit être replacé dans son contexte historique pour que les élèves ne prennent pas pour de
la seule prétention ce qui est un projet très nouveau,
très original à la fin du XVIIIe siècle : se proposer
comme modèle du genre humain quand on n’est
que le fils d’un horloger, c’est poser que tous les
individus ont la même valeur, que leur vie, à ce titre,
est intéressante. Nul en effet ne l’a jamais dit.
30
Par ailleurs, Rousseau développe le paradoxe de
l’appartenance de tous les individus à une communauté, et à ce titre le caractère identique de tout être
humain, en même temps qu’il affirme, et ce n’est
plus un paradoxe aujourd’hui, le caractère fondamentalement différent de chacun.
La dernière phrase du texte engage le lecteur dans
ce début des Confessions et en marque le seuil qui
deviendra un passage incontournable.
Ce qu’il raconte contrairement aux autres, ce sont
des événements qui ne sont pas « très importants »,
« des incidents » qui ne constituent pas un cadre explicatif, puisqu’ils ont « émaillé » de façon presque aléatoire sa vie. Ainsi, il ne s’agit pas d’expliquer comment il est devenu Roald Dahl, ni de faire le bilan
d’une vie : il s’en tiendra à ses années de jeunesse,
« mes jeunes années à l’école et juste après », à ces événements qui se sont produits cinquante ou soixante
ans plus tôt.
Le seul critère qui justifie l’évocation de ses souvenirs, c’est justement qu’il s’en souvienne facilement : « il m’a suffi d’effleurer la couche supérieure de
ma conscience pour les y retrouver avant de les consigner par écrit ». Contrairement à ce que disent les
autres autobiographes, l’écriture de ses souvenirs n’est
pas douloureuse, sa mémoire est fidèle et, par conséquent, « tous sont véridiques ». Une façon implicite de
dire que ceux des autres ne le sont pas forcément
et que d’aucuns inventent ?
Les extraits de Moi, boy proposés dans le manuel
(cf. p. 45-46) et le CD-Rom répondent bien à cette
définition : souvenirs de détails et d’incidents de l’enfance, petites histoires mémorables comme le « tabac
de chèvre », coups de soleil, Roald Dahl n’a pas de
prétention : il raconte tout simplement.
TEXTE 2
■ Journal 1926-1934 « Les Années
faciles » (1926), Julien Green
Cette première page du journal intime de Julien
Green permettra de faire apparaître la spécificité de
ce genre sur le plan de l’énonciation ancrée dans le
présent de l’écriture et sur les caractéristiques du
genre, notamment l’écriture au fil des jours indiqués
par leur date.
Par ailleurs, on pourra la confronter au Journal
d’Anne Franck pour y retrouver sur le plan thématique la justification du projet d’écrire un journal,
ainsi que l’autoportrait de soi qu’il offre pour un
destinataire qui n’est autre que le « je » futur, relecteur de cette page, « dans un an ou deux ».
TEXTE 3
■ Sido (1930), Colette
L’édition que Maurice Delcroix a faite du manuscrit de Sido nous offre, écrite de sa main, la préface
de Colette ornée de deux ratures. Ce texte présente
des informations intéressantes pour comprendre le
projet de Colette.
On apprend qu’elle avait recouvert son manuscrit
de l’étoffe bleue qui était auparavant une robe de sa
mère. Cette robe permet de recomposer une image
de Sido, de sa taille mais aussi du temps écoulé dont
témoigne le palissement de la couleur au fil de « plusieurs belles saisons ». Cette robe devient donc une
partie de Sido qui, de façon métaphorique, « habille »
son évocation, lui donne corps. C’est aussi l’occasion d’évoquer à nouveau la « rustique fermière » des
biographes de Colette, la « rurale sensibilité » dont
parle sa fille, lavant le chien ou pétrissant la pâte.
La deuxième rature du texte montre le souci de
Colette d’écrire une langue soignée, poétique.
L’apposition « d’un bleu doux, et ramagée de blanc »
crée un effet d’attente et de rythme qui met en valeur
le groupe verbal « elle habille ». L’anaphore du verbe
scande la fin de la phrase autour d’une image de
l’éternité, « comme par le passé », « encore et toujours ».
Ce vêtement devient le symbole de l’entreprise de
l’auteur : raconter la vie de sa mère, de Sido, c’est
lui conserver sa vie.
TEXTE 5
■ Tanguy (1957), Michel del Castillo
Tanguy ne possède pas les caractéristiques d’une
autobiographie : c’est un récit écrit à la troisième
personne du singulier et le nom du personnage principal est différent de celui de l’auteur. Cependant, le
lecteur aura repéré des ressemblances très nettes entre
la jeunesse de l’auteur et le récit de l’enfance de
Tanguy. Il peut donc être conduit à penser qu’il s’agit
là « d’une autobiographie plus ou moins romancée » comme
le signale Michel del Castillo lui-même. La préface
de Michel del Castillo à la réédition de son roman,
vingt-huit ans après sa première publication en France,
lui permet d’aborder la question du genre de son
œuvre en se référant à un premier état du texte qu’il
avait oublié et qu’il n’a retrouvé qu’en 1992. Ce « premier jet » est écrit en espagnol à la première personne. La confrontation des deux textes permet à
l’auteur d’interpréter les différences : au centre de
Tanguy, il y a l’Histoire qui relègue au second plan
les destins des personnages, qui devient le « moteur
de l’action ». Ce faisant, il abandonne un point de vue
subjectif pour un point de vue objectif.
Le choix d’un point de vue de narration n’a pas
de rapport avec la vérité des faits racontés : la littérature est un art qui, comme la musique, suppose
que l’on trouve le ton juste, « guidé par l’oreille ».
Le projet de Michel del Castillo est donc littéraire ; voilà pourquoi il ne cherche pas de modèle
dans sa propre vie mais comme il le dit dans la littérature, chez Dostoïevski par exemple.
La question de l’autobiographie est donc ici subsidiaire, même si pour le lecteur elle reste une piste
de lecture que l’auteur ne dénie pas mais qu’il dépasse.
TEXTE 4
■ Moi, boy (1957), Roald Dahl
Roald Dahl épouse le point de vue du lecteur pour
évoquer ce qu’il pense de l’autobiographie et le mot
« fastidieux » signale bien qu’il n’éprouve aucun plaisir à ce genre d’œuvre. En traçant les caractéristiques
de son projet, il continue à se démarquer de ce modèle,
de celui de Jean-Jacques Rousseau par exemple.
31
R O M A N
Séquence 2
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A U T O B I O G R A P H I E
Souvenirs d’enfance
Dans le CD-Rom :
Dans la classe : On jugera de l’opportunité de l’exercice
en fonction du niveau de la classe. Il peut être réservé à
une fin de séquence dans laquelle on se pose les problèmes des formes et des justifications de l’écriture
autobiographique. On demandera de repérer ce qui, dans
la syntaxe, le rythme des phrases complexes, les choix
de vocabulaire, les indices d’archaïsme crée une « couleur » plus ou moins proche d’un texte espagnol du XVIe
siècle.
Le point essentiel de l’animation pédagogique permise
par l’exercice est le travail de justification des choix des
« coutures « : c’est là que se joue la compréhension et
la réflexion sur la langue et la nature du propos. Un travail de paraphrase cherchant à vérifier la compréhension
littérale du texte est possible dans cette négociation.
L’exercice se fait donc en deux temps : un choix par
groupes d’élèves et une mise en commun qui sert de
synthèse et de conclusion à la lecture des extraits présents dans le livre.
Un ultime prolongement ou un autre exercice est possible en éditant à partir des ressources les deux traductions : elles peuvent faire l’objet d’un travail ponctuel de
diction, et la comparaison peut utiliser un questionnement de même nature que celui du texte cousu.
ACTIVITÉ 1
RESSOURCES 1 et 2
?
La Vie de Lazarillo de
Tormès, autobiographie,
1554 : Texte cousu
Deux prolongements à la lecture du Lazarillo de
Tormès : un texte cousu (activités interactives)
et deux traductions (ressources).
Nous vous proposons de lire le prologue de cette
œuvre anonyme autobiographique (?) à travers un
exercice qui vise à mettre en valeur plusieurs problèmes de lecture :
à travers une lecture originale la nature
• interroger
de ce prologue autobiographique, qui ne déroge
pas à une règle observée dans toute l’histoire des
écrits autobiographiques, qu’ils soient vrais ou
faux : il faut justifier son entreprise d’écriture, se
défendre de mentir, signer avec le lecteur le « pacte
autobiographique » ;
les problèmes de la lisibilité d’un texte espa• poser
gnol du XVIe siècle tel que les traductions du XXe
siècle veulent nous le faire lire : ce texte cousu est
donc fait d’un mélange de deux traductions, celle
de Maurice Molho, Gallimard, 1968 (in Romans
picaresques espagnols, Bibliothèque de la Pléiade) et
celle de Bernard Sesé, GF-Flammarion, 1988 ;
demander, souris à la main ou comparaison de
• se
textes sous les yeux, ce qui, dans la syntaxe, le
vocabulaire ou tel ou tel indice d’historicité, d’archaïsme, crée une distance avec le lecteur contemporain, voire une difficulté de lecture ou une
« étrangeté » du texte ;
en place les éléments essentiels de défini• mettre
tion du roman picaresque, à la fois roman d’apprentissage, roman autobiographique et moyen de
satire sociale.
Sesé a été ajoutée pour les passages « cousus » en
encadré :
Je trouve bon, pour ma part, que des choses si
remarquables, et peut-être jamais vues ni entendues,
soient connues de beaucoup de gens et ne demeurent
pas ensevelies dans le tombeau de l’oubli, car il se
pourrait bien que quelque lecteur y trouve une chose
à son goût, et que ceux-là même qui n’iraient point
aussi profond, y prennent plaisir. À ce propos Pline
dit « qu’il n’y a pas de livre, aussi mauvais soit-il, qui
ne contienne quelque bonne chose » ; d’autant que
les goûts ne sont pas tous les mêmes et que pour ce
que l’un refuse de manger, un autre damnerait son
âme. Nous voyons ainsi aucunes choses d’aucuns
dédaignées, qui ne le sont point par d’autres. À cette
raison nulle chose ne devrait être déchirée ni dépiécée, si
elle n’est trop détestable, sans être premièrement à tous
communiquée, principalement si c’est sans dommage
et qu’il en revienne quelque profit.
Le CD-Rom vous propose de rendre à chaque traducteur son texte en identifiant les choix faits par
chacun :
de lisibilité, Bernard Sesé « modernise »
• soucieux
le texte ; sa syntaxe plus fluide nous l’a fait choisir
pour constituer l’ossature du texte ;
ans avant, Maurice Molho, dans l’édition de
• vingt
romans espagnols proposée par La Pléiade, nous
avait fait découvrir ce texte dans une traduction
« anachronique » qui voulait restituer aujourd’hui
la tonalité d’un texte écrit au XVIe siècle.
Et c’est ainsi que nous voyons des choses dédaignées par les uns, ne l’être point du tout par
d’autres. Ainsi, aucun écrit ne devrait-il être
déchiré ou détruit, à moins qu’il ne soit fort détestable, mais au contraire communiqué à tous, particulièrement s’il est inoffensif et que l’on puisse
en tirer quelque fruit.
S’il n’en était point ainsi, en effet, bien peu parmi
ceux qui écrivent écriraient pour un seul lecteur, car cela
ne va pas sans peine, et puisqu’ils prennent cette peine,
ils veulent en être récompensés, non pas en argent, mais
par le fait qu’on voie et qu’on lise leurs œuvres et, le cas
échéant, qu’on en fasse l’éloge. À ce propos Cicéron dit :
« C’est l’honneur qui produit les arts. »
Ces deux sources composent un texte dont il faut
retrouver les coutures : cf. ci-dessous le texte avec les
éléments de la traduction de Maurice Molho soulignés.
Pour accompagner la lecture des élèves, un texte
codé : les choix de vocabulaire et les archaïsmes sont
en gras, les choix syntaxiques à commenter sont en
italiques. Par comparaison, la traduction de Bernard
Pensez-vous que le soldat qui, le premier, monte
sur la brèche ait, plus que d’autres, la vie en horreur ?
32
tionnaire des synonymes. On sera attentif, dans le travail de choix des variantes, au fait qu’on doit en
exclure certaines, et qu’il s’agit de se demander pourquoi : en répondant à cette question, on construit un
savoir fondamental sur l’autobiographie, et on sait de
quelle nature sera celle que nous propose Roald Dahl
avec Moi, boy. On peut bien sûr suggérer une lecture
cursive de cet ouvrage : il est parfaitement lisible et
très plaisant, il donnera en outre une épaisseur biographique intéressante à un auteur que les élèves
peuvent connaître par ailleurs.
Assurément non ; c’est son désir de gloire qui le fait
s’exposer au danger. Dans les arts et les lettres, il en
va de même. Le théologien prêche fort bien, en
homme qui désire beaucoup le salut des âmes. Mais
demandez donc à Monsieur s’il est fâché qu’on lui
dise : « Oh, que merveilleusement votre Grâce a
prêché ! »
Messire untel a fort vilainement jouté ; il n’en a
pas moins donné sa casque d’armes à son bouffon,
qui le louait d’avoir couru de bonnes lances.
Qu’aurait-il fait si cela eût été vrai ?
Un choix signifiant de 9 « trous » a donc été fait
dans le texte de Roald Dahl :
mot « autobiographie » d’abord, dont chaque
• le« synonyme
» est lourd de sens : il faut exclure
« mémoires », puisque la relation à l’Histoire n’est
pas explicite ici, il faut exclure « journal » (de bord
ou intime), puisque la dimension rétrospective est
explicite, il faut exclure « biographie », puisque
l’auteur entreprend bien de raconter sa propre vie
et non celle d’un autre… On mesure là l’intérêt du
texte à variantes pour amener l’élève à faire des
choix raisonnés et à élaborer, exemple textuel à
l’appui, des définitions opératoires pour la lecture
d’autres textes. On soulignera le paradoxe de la
deuxième occurrence du mot autobiographie : il
s’agit d’une prétérition : je dis ne pas écrire une
autobiographie alors que je suis précisément en
train d’en écrire une ! Cela participe d’une autre
dimension fondamentale de l’histoire de l’autobiographie, d’une sorte de loi d’écriture du genre :
tout prologue d’une entreprise d’écriture du moi
doit se justifier, se dédouaner d’une accusation
d’orgueil, faire vœu d’humilité. Même si on n’insiste pas en troisième sur cet aspect de l’histoire
littéraire, on sait qu’il y a là des jalons essentiels
pour le lycée et la classe de première, dont les programmes incluent un objet d’étude intitulé « Le
biographique ».
séries d’adjectifs ensuite (variantes 2, 6, 7, 8
• Cinq
et 9) : par le choix du positif ou du négatif
(variante 2, variantes 6 et 7 en parallèle) ou bien
par celui d’adjectifs qu’il faut choisir dans une gradation (intéressant, attirant, passionnant, fascinant, par exemple), il s’agit de se demander quel
regard Roald Dahl porte sur son entreprise autobiographique d’écriture. À travers la réponse à la
question « quel est son projet ? », qui se cache derrière ce choix d’adjectifs, on retrouve aussi le clin
d’œil au lecteur, complice de ce récit plaisant et
riche de péripéties. Les adjectifs posent également
les thèmes essentiels du « souvenir d’enfance ». On
insistera sur les synonymes du dernier (« véridique ») puisque il s’agit là d’un des éléments
essentiels du pacte autobiographique.
séries de noms enfin (variantes 3 et 5) : la
• Deux
première met l’accent sur les événements qui vont
faire progresser le récit. Tous ces noms appartiennent au champ lexical de ce qu’on appelle l’élément perturbateur dans le schéma narratif. Cet
événement, plus ou moins dramatisé, plus ou
moins original, est à même de faire progresser le
récit et de motiver la lecture : on insistera avec les
Il en va de même partout. Ainsi moi, qui confesse
ne pas être plus saint que mes voisins, de cette
babiole que l’écris en style grossier, je ne serais pas
fâché qu’y prennent part et s’en délectent tous ceux
qui y trouveraient quelque attrait, en voyant comment un homme vit au milieu de si grands hasards,
périls et adversités.
Je vous supplie, Monsieur, de recevoir cette
pauvre offrande de la main de votre serviteur, qui
vous l’eût donnée plus riche si son pouvoir s’accordait à son désir. Or, puisqu’il vous plaît me mander par
écrit que j’écrive et raconte mon affaire tout au long,
j’ai estimé qu’il serait bon de commencer non par le
milieu, mais par le commencement, afin que vous
ayez entière connaissance de ma personne, – afin
aussi que ceux qui ont hérité d’un noble état considèrent combien peu leur en est dû, car fortune a été
pour eux partiale, et combien plus ont fait ceux qui,
malgré elle, par force et par adresse tirant de l’aviron,
ont conduit leur esquif à bon port.
Je vous prie donc, Monsieur, de recevoir ce
menu service de qui vous en eût offert un plus
riche, si cela eût été à la mesure de son désir. Et
puisque vous me mandez, Monsieur, de vous écrire
et relater l’affaire tout du long, j’ai estimé devoir la
prendre, non point par le milieu, mais bien par le
commencement, afin que l’on puisse faire entière
connaissance avec ma personne ; et aussi pour que
ceux qui ont hérité d’une noble condition, considèrent combien peu leur est dû, car envers eux
Fortune s’est montrée partiale, et combien plus ont
fait ceux à qui elle fut contraire, par force et industrie, pour conduire leur barque à bon port.
ACTIVITÉ 2
Roald Dahl (1916-1990), Moi,
boy, 1987, traduit de l’anglais
par Jeanne Hérisson. [Boy,
tales of childhood, 1984] :
Texte à variantes
Un des problèmes de l’étude de l’autobiographie
en classe de troisième est de donner aux élèves des
repères génériques pour organiser la variété des écrits
qui caractérise ce genre. On trouve à la page 59 du
manuel un bilan des genres les plus importants. Cet
exercice à variantes vise à les mettre en lumière, sans
excès de théorisation, grâce aux ressources du dic-
33
registre très nettement comique, et pour le rendre
encore plus jubilatoire, nous avons inventé un exercice d’amplification synonymique.
élèves sur le caractère plus « accrocheur » de certains mots puisqu’on peut considérer que la préface développe aussi une stratégie de séduction
vis-à-vis du lecteur. La seconde série est d’un autre
ordre : elle est centrée sur le travail spécifique de
l’autobiographe, travail de mémoire (c’est le mot
choisi par Roald Dahl) que l’on peut nuancer ou
même problématiser en se demandant si cette
mémoire est affective (cœur), rationalisante (tête)
ou relayée par l’imagination.
•
Dans la classe : Comme pour les autres textes à variantes,
on procédera soit en trois temps (choix individuel, négociation en groupe et synthèse finale en classe complète),
soit en faisant un cours dialogué à partir d’une version
papier de l’exercice, d’une vidéoprojection de l’exercice
ou d’une séance en salle d’informatique lorsque les circonstances le permettent. L’exercice peut permettre
« d’ouvrir à d’autres lectures » et de faire un bilan sur
l’autobiographie en utilisant un moyen original.
•
•
•
Le texte de Roald Dahl avec les mots qui ont
fait l’objet d’un choix de variantes :
•
Une autobiographie, c’est un livre qu’on
écrit pour raconter sa propre vie et qui déborde,
en général, de toutes sortes de détails fastidieux.
Ce livre-ci n’est pas une autobiographie.
L’idée ne me viendrait pas d’écrire pareil
ouvrage. Par ailleurs, durant toutes mes jeunes
années à l’école et juste après, ma vie a été
émaillée d’incidents que je n’oublierai jamais.
Aucun n’est très important, mais chacun d’entre
eux m’a laissé une si forte impression que je n’ai
jamais réussi à les chasser de mon esprit.
Chacun d’entre eux, même après un laps de
temps de cinquante et parfois même de soixante
ans, est resté gravé dans ma mémoire.
Je n’ai pas eu à les rechercher. Il m’a suffi
d’effleurer la couche supérieure de ma
conscience pour les y retrouver avant de les
consigner par écrit. Certains furent drôles.
Certains douloureux. Certains déplaisants.
C’est pour cette raison, je suppose, que je me les
rappelle tous de façon aussi aiguë. Tous sont
véridiques.
ACTIVITÉ 3
Cet exercice d’amplification a plusieurs objectifs :
grâce à une banque de mots, mener un travail
d’écriture qui permet un apprentissage des
nuances du lexique en contexte. On sait en effet
que les besoins des élèves en matière de vocabulaire précis et nuancé peuvent être grands, mais
aussi que les séries de mots hors contexte peuvent
n’avoir que peu de sens ;
faire un travail de sélection motivée et d’insertions
dans le texte qui se posera aussi des questions de
stylistique : place et sens réciproque des mots,
notamment à travers les deux procédés d’écriture
que sont le rythme ternaire et la gradation ;
augmenter la charge comique de cet extrait de Moi
Boy en créant une sorte d’hyperbole jubilatoire
chez le narrateur : il en fait trop, c’est indéniable,
et cet excès nous plaît ;
insister dans la progression du récit sur la complicité
des protagonistes à travers les quatre séries convergentes de synonymes des mots « approbation »,
« connivence », « complices » et « conspiration » ;
accessoirement, faire découvrir aux élèves les ressources de cette démarche d’écriture pour leurs
propres productions, et leur signaler le dictionnaire des synonymes présent en ligne à l’adresse
www.elsap.unicaen.fr : le CNRS et l’Université de
Caen hébergent en effet un outil créé par le
Laboratoire CRISCO (Centre de Recherches
Inter-langues sur la Signification en Contexte). Ce
dictionnaire des synonymes contient approximativement 49 000 entrées et 396 000 relations
synonymiques. Cette ressource, développée au
travers d’une collaboration entre plusieurs équipes
de chercheurs avait pris pour base de départ sept
dictionnaires classiques (Bailly, Benac, Du
Chazaud, Guizot, Lafaye, Larousse et Robert)
dont ont été extraites les relations synonymiques.
Dans la classe : La manipulation informatique permet
d’insérer les mots avant ou après ceux déjà présents
dans le texte. On demandera aux élèves de créer un texte
amplifié, en jouant sur la juxtaposition à l’écran, en
étant attentif aux nuances de sens entre les synonymes,
à la place des mots et à leur complémentarité. Il s’agit
de créer le plus consciemment possible des effets de
gradation, d’hyperbole. L’amplification pourra aussi avoir
pour but de transformer cette scène de comédie en
farce, tout en maîtrisant la logique de sens de ces expansions.
Roald Dahl (1916-1990), Moi,
boy, 1987, traduit de l’anglais
par Jeanne Hérisson. [Boy, tales
of childhood, 1984], Gallimard,
collection Folio junior, 1997.
Extrait du chapitre « Le tabac
de chèvre » : Amplification
synonymique
Pour une mise en appétit et une suggestion
plus forte de lecture de l’œuvre intégrale, voici
l’extrait proposé augmenté d’un bonus pour les
lecteurs du livre du maître ou les utilisateurs du
CD-Rom :
Je regardai la pipe posée sur un rocher. À
quarante centimètres environ, je vis un petit tas
de crottes de chèvre rondes et desséchées,
Pour compléter le choix de textes extraits de Moi,
boy dans le manuel (pp. 45-46 et 68), nous vous proposons un autre extrait de cette œuvre, dans un
34
comme des baies brun pâle, et une intéressante idée germa alors dans mon esprit. Je
m’emparai de la pipe et en fis tomber tout le
tabac. Puis je ramassai quelques crottes de
chèvre et les émiettai doucement entre mes
doigts. Avec mille précautions, je versai ces
débris fibreux dans le fourneau de la pipe, les
tassant ensuite avec le pouce, comme l’avait fait
le viril amoureux. Je déposai ensuite par-dessus
une mince couche de vrai tabac. La famille tout
entière m’observait. Personne ne dit mot, mais
je sentis une onde d’approbation se propager
tout autour de moi. Je replaçai la pipe sur le
rocher et nous attendîmes le retour de la victime. Nous étions tous de connivence, ma mère
comprise. J’avais fait d’eux mes complices simplement en agissant ouvertement. Il s’agissait
d’une conspiration familiale, silencieuse et
sans danger.
Or voilà que revenait le viril amoureux, ruisselant d’eau de mer, la poitrine bombée, vigoureux, sain et bronzé.
– Merveilleux ! annonça-t-il au monde
entier. Cette eau est extraordinaire ! C’est fantastique !
Il se frotta vigoureusement avec une serviette, faisant saillir ses biceps, puis il s’assit sur
un rocher et tendit la main vers sa pipe.
Neuf paires d’yeux attentifs étaient fixées sur
lui mais personne ne vendit la mèche en pouffant.
Nous frémissions d’excitation anticipée et le suspense était d’autant plus grand que nul d’entre
nous ne savait ce qui allait vraiment se passer.
Le viril amoureux mit sa pipe entre ses
robustes dents blanches et craqua une allumette.
Tenant la flamme au-dessus du fourneau, il
aspira. Le tabac s’enflamma et se mit à rougeoyer, et la tête du soupirant fut enveloppée
d’un nuage de fumée bleue.
[Après quelques instants, une question de la
petite sœur et une embrassade énamourée de la
grande…]
La mer était calme, le soleil brillait, c’était
une journée magnifique.
Brusquement, le viril amoureux poussa un
cri perçant et son corps tout entier fit un bond
d’un mètre en l’air. Sa pipe lui échappa des
lèvres et rebondit bruyamment sur les rochers,
et le deuxième cri qu’il poussa était si aigu et si
assourdissant que toutes les mouettes de l’île,
alarmées, s’envolèrent. Les traits déformés
comme ceux d’un être humain soumis à la torture, il était devenu tout blanc. Il se mit à crachouiller, à suffoquer, à saliver, à expectorer et à
se conduire d’une façon générale comme un
homme atteint d’une grave lésion interne. Il ne
pouvait articuler un mot.
[…]
– Et c’était quoi ? demanda sèchement la
grande sœur. Qu’est-ce que vous avez manigancé ? Dites-le moi tout de suite !
[…]
ACTIVITÉ 4
Jean-Jacques Rousseau,
Les Confessions, Livre I,
« Les pommes », page 70, 1782 :
Le laboratoire de l’écriture
Dans les récits du beau souvenir d’enfance, thématique et enracinement autobiographique dont
nous avons choisi de faire un groupement de textes,
nous avons conçu ce texte à variantes pour mettre en
évidence deux tendances fondamentales de l’écriture
autobiographique :
distance critique, volontiers ironique, jeu subti• lalement
dérisoire avec les petites épopées du moi,
dans lequel on sent un plaisir d’écrire, de se
remettre en scène. Par identification ou par simple
reconnaissance du procédé comique, ce plaisir
peut être communicatif pour le lecteur, et nourrir
ses propres capacités d’autodérision.
scène traumatisante, la source d’un mal-être ou
• lad’une
souffrance, d’un deuil des illusions qui se dit
d’une manière pathétique dans le récit d’une
injustice, d’une exclusion.
Les variantes proposées dans cet exercice ne le
sont donc pas à l’aveugle et les élèves doivent le
découvrir : elles sont soit de l’ordre de l’épopée dérisoire (je suis un héros…), dans une ironie de soi bien
maîtrisée, soit de l’ordre d’une élégie de soi (souffrances de l’enfance…), c’est-à-dire d’une douleur
que même la distance rétrospective n’arrive pas à
conjurer, soit enfin, pour que la comparaison soit
plus parlante, d’un choix de récit plus neutre et distancié, sans effet littéraire particulier.
On notera que la différenciation est très nette pour
certaines variantes, tandis que d’autres proposent le
problème de la coexistence de registres, caractéristique de la narration autobiographique, qui réunit un
narrateur « âgé » qui a les moyens d’une distance ironique face à lui-même, et un personnage jeune, qui
vit un échec conclu par une humiliation.
On notera bien sûr que, pour ce texte de JeanJacques Rousseau, c’est la tendance dérisoire et l’ironie de soi qui l’emporte. Mais on sait que c’est loin
d’être toujours le cas dans les Confessions. Il faut
considérer également que ce texte entre en résonance
avec les autres souvenirs d’enfance qui composent la
séquence « Roman ou autobiographie ? » dans le
manuel.
L’extrait des Confessions (la variante de
Rousseau est la première)
Un souvenir qui me fait frémir encore et
rire tout à la fois / sourire / souffrir, est celui
d’une chasse aux pommes qui me coûta cher.
Ces pommes étaient au fond d’une dépense qui,
par une jalousie élevée recevait du jour de la cuisine. Un jour que j’étais seul dans la maison, je
montai sur la maie pour regarder dans le jardin des Hespérides ce précieux fruit dont je
ne pouvais approcher / pour repérer où
étaient les pommes / pour partir à la
conquête du fruit défendu. J’allai chercher la
broche pour voir si elle pourrait y atteindre : elle
35
N° de la variante
L’épopée dérisoire
L’élégie de soi,
la douleur
Le récit distancié
1.
frémir encore et rire tout
à la fois
souffrir
sourire
2.
pour regarder dans le jardin
des Hespérides ce précieux
fruit dont je ne pouvais
approcher / pour partir à la
conquête du fruit défendu.
pour regarder dans le jardin
des Hespérides ce précieux
fruit dont je ne pouvais
approcher
pour repérer où étaient
les pommes
3.
enfin je sentis avec transport
4.
Qui dira ma douleur ? /
Catastrophe !
Qui dira ma douleur ? /
Catastrophe !
J’échouai dans ma
tentative.
5.
Lecteur pitoyable, partagez
mon affliction.
Quel ne fut pas mon chagrin.
Dommage.
6.
tout aussi tranquillement que
si je n’avais rien fait / avec le
courage aveugle qui me
caractérise
7.
La plume me tombe
des mains
enfin je sentis /
puis je sentis
aussitôt,
j’en fus saisi de frayeur
de surprise.
était trop courte. Je l’allongeai par une autre
petite broche qui servait pour le menu gibier ;
car mon maître aimait la chasse. Je piquai plusieurs fois sans succès ; enfin je sentis avec
transport / enfin je sentis / puis je sentis que
j’amenais une pomme. Je tirai très doucement :
déjà la pomme touchait à la jalousie : j’étais prêt
à la saisir. Qui dira ma douleur ? /
Catastrophe ! / J’échouai dans ma tentative.
La pomme était trop grosse, elle ne put passer par le trou. Que d’inventions ne mis-je point
en usage pour la tirer ! Il fallut trouver des supports pour tenir la broche en état, un couteau
assez long pour fendre la pomme, une latte pour
la soutenir. A force d’adresse et de temps je parvins à la partager, espérant tirer ensuite les
pièces l’une après l’autre ; mais à peine furentelles séparées, qu’elles tombèrent toutes deux
dans la dépense. Lecteur pitoyable, partagez
mon affliction. / Quel ne fut pas mon chagrin. / Dommage.
Je ne perdis point courage ; mais j’avais
perdu beaucoup de temps. Je craignais d’être
surpris ; je renvoie au lendemain une tentative
plus heureuse, et je me remets à l’ouvrage tout
aussi tranquillement que si je n’avais rien
fait, / avec le courage aveugle qui me caractérise / aussitôt, sans songer aux deux témoins
indiscrets qui déposaient contre moi dans la
dépense.
Le lendemain, retrouvant l’occasion belle, je
tente un nouvel essai. Je monte sur mes tréteaux,
j’allonge la broche, je l’ajuste ; j’étais prêt à
piquer… Malheureusement le dragon ne dor-
je faillis m’évanouir
mait pas ; tout à coup la porte de la dépense
s’ouvre : mon maître en sort, croise les bras, me
regarde et me dit : Courage ! … La plume me
tombe des mains. / J’en fus saisi de frayeur
/ Je faillis m’évanouir de surprise.
ACTIVITÉ 5
Colette, Sido, 1930 :
Texte à variantes
À titre de ressource ou d’exercice supplémentaire,
le CD-Rom vous propose un autre texte extrait de
Sido sous forme de texte à variantes. Il existe en effet
une très belle édition du manuscrit de Sido (CNRS,
Bibliothèque Nationale de France, Zulma, collection
Manuscrits, 1994, 346 p., présentation, transcription
et notes de Maurice Delcroix), dont nous vous proposons par ailleurs un fac-similé.
Le texte à variantes proposé pour lire cet extrait de
Sido a donc été composé à partir de cette édition du
manuscrit : deux des trois variantes sont de Colette,
avec de légères adaptations dues au respect d’une
cohérence syntaxique, la troisième a été inventée par
nos soins pour des raisons de démonstration pédagogique plus nette, soit dans le sens d’un affadissement
« référentiel » du texte, soit d’un soulignement de certains réseaux sémantiques ou d’un jeu autour de
clichés.
Proposons d’abord une version du texte avec
toutes les variantes en contexte : la première est celle
du brouillon de Colette, la deuxième est la version
définitive (en gras), la troisième est celle que nous
avons inventée. Lorsque la première est en gras, les
deux autres sont inventées par nos soins.
36
les grands beaux jours / chaque jour, et je m’en
allais, un panier vide à chaque bras, au temps
des fraises et des groseilles barbues / rien / prête
pour une récolte de fruits et d’émotions / + vers
des potagers noyés de brume / vers des terres
maraîchères qui se réfugiaient / vers des cultures maraîchères + dans le pli natal / dans le
pli étroit de la rivière / dans les méandres +
vers les fraises, les cassis et les groseilles
barbues / [pas de texte] / vers le bonheur.
À trois heures et demie, tout dormait dans
un bleu originel, humide et confus, et quand je
descendais le chemin de sable, la fraîcheur qui
stagnait / le brouillard retenu par son poids /
l’atmosphère humide baignait d’abord mes
jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait
mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que le reste de mon corps… J’allais seule,
ce pays mal pensant n’était pas corrompu / était
sans dangers / était pur. C’est sur ce chemin,
c’est à cette heure que j’ai pris / je prenais / je
pris conscience de mon prix, d’un état de grâce
indicible et que ma fraîcheur était digne / de ma
connivence avec le / de ma complicité avec le
premier souffle accouru, le premier oiseau, le
soleil encore ovale, déformé par son éclosion…
Ma mère me laissait / regardait partir, après
m’avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ;
elle regardait courir et décroître sur la pente son
œuvre, – « chef-d’œuvre », disait-elle. J’étais peutêtre jolie ; ma mère et mes portraits de ce tempslà ne sont pas toujours d’accord … / . / ! Je l’étais
à cause de mon âge et du lever du jour, à cause
du bleu de mes yeux / des yeux bleus assombris
par la verdure, des cheveux blonds qui ne se
seraient lissés qu’à mon retour, et de ma supériorité / [pas de texte] / d’enfant éveillée / d’enfant observatrice sur les autres enfants endormis.
Je revenais à la cloche de la première messe.
Mais pas avant d’avoir mangé mon saoul, pas
avant d’avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l’eau de
deux sources perdues / que je connaissais / que
je révérais / que j’étais seule à connaître. L’une
se haussait hors de la terre par une convulsion
cristalline, une sorte de sanglot, et traçait ellemême son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L’autre
source, presque invisible, chuchotait / froissait
l’herbe comme un serpent / murmurait, s’étalait invisible / secrète / paresseuse au centre
d’un pré où des narcisses, fleuris en ronde, marquaient / attestaient seuls sa place / attestaient
seuls sa présence / signalaient sa présence. La
première avait goût de feuille de chêne, la
seconde de fer et de tige de jacinthe… Rien qu’à
parler d’elles je souhaite qu’une gorgée de leur
eau, froide à trois heures du matin, noire sous
l’herbe / que leur saveur m’emplisse la
bouche au moment de tout finir, et que
j’emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire…
Toute la difficulté, réelle, de l’exercice est liée à
la nature de l’écriture sensible de Colette, à
l’expression de ses sensations profondément
ancrées dans la nature qu’elle explore, qu’elle
goûte, qu’elle écoute, qu’elle regarde, qu’elle
sent.
Les objectifs de ce jeu de variantes sont bien sûr à
la mesure de la complexité de l’écriture autobiographique chez Colette. Ils sont donc de cinq ordres :
de manière annexe ici, mais sans doute plus
• noter,
importante ailleurs, les ressources de la ponctuation pour le sens : une variante propose de choisir
entre les points de suspension, le point et le point
d’exclamation. Il s’agit de choisir entre l’ouverture, le prolongement implicite de la phrase et de
la pensée du premier, la sécheresse banale du
deuxième, et les ressources expressives du troisième : étonnement, douleur, ironie de soi… ;
à travers les problèmes de cohérence que
• analyser,
posent certaines variantes (fin du premier paragraphe, fin du dernier) les lois de révisions du
brouillon que l’élève devra aussi expérimenter
pour ses propres écrits. On associera donc à cet
exercice la visualisation, sinon la reproduction de
l’extrait de manuscrit qui figure dans la partie ressources du CD-Rom ;
la progression de l’écriture de Colette
• comprendre
dans son brouillon : par exemple de gravier
« mélangé » à « jaune et chaud », qu’on opposera
encore plus nettement à « de la rivière », ou bien la
progression gourmande de ce rythme ternaire :
« vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues », ou
encore la source qui « froissait l’herbe comme un
serpent » ;
comprendre
l’importance dans cette autobiogra• phie de la figure
de la mère, celle qui « accorde
l’aube en récompense » et « regarde partir » cette
« enfant éveillée ». Reconstruire le texte à travers les
variantes, ce sera sentir cette importance, lui donner son statut autobiographique fondateur
puisque la thématique du souvenir dans l’autobiographie est aussi celle des racines de la personnalité de l’adulte qui raconte et se souvient. On mettra en relation ce texte avec les extraits proposés
par le manuel (p. 48-50) ;
et
enfin, insister sur l’image finale : l’autobio• graphe
met ici en scène sa propre disparition, et
rejoint l’évocation de la source (originelle, première, pure… gorgée imaginaire) et celle de la
mort.
Étés réverbérés par le gravier mélangé /
jaune et chaud / de la rivière, étés traversant /
la paille jaune / le jonc tressé / le tissage de mes
grands chapeaux, étés presque sans nuits… Car
j’aimais tant l’aube, déjà, que ma mère m’accordait le lever du jour en récompense / Car j’aimais tant l’aube, déjà, que ma mère me
l’accordait en récompense / Car je frissonnais
dès l’aube dans la nature endormie. J’obtenais
qu’elle m’éveillât à trois heures et demie / par
37
haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même
son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née
et replongeait sous la terre. L’autre source,
presque invisible, froissait l’herbe comme un
serpent, s’étalait secrète au centre d’un pré où
des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls
sa présence. La première avait goût de feuille de
chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe…
Rien qu’à parler d’elles je souhaite que leur
saveur m’emplisse la bouche au moment de tout
finir, et que j’emporte, avec moi, cette gorgée
imaginaire…
Dans la classe : Ce texte à variantes, par sa difficulté, est
un outil de différenciation et d’enrichissement qui
pourra s’adapter aux possibilités d’une classe de bon
niveau. Mais il ne faut pas oublier que ce type d’exercice
permet également pour tous, par la négociation qui se
fera entre élèves pour reconstituer le texte à l’écran par
exemple, une approche originale et productive de la lecture analytique. Le rôle du professeur sera alors d’accompagner le travail de chaque groupe en soulignant les
conséquences de tel ou tel choix. Le fait que le texte se
reconstitue immédiatement à l’écran pendant l’exercice
est un auxiliaire précieux pour prendre conscience de la
valeur de ses choix, immédiatement contextualisés. La
manipulation informatique permet en outre tous les
remords et les retours en arrière.
Davantage que pour les autre textes à variantes de ce
CD-Rom, nous sommes ici dans une perspective guidée,
dans une séance qui pourrait débuter, à titre d’événement et de « marqueur de mémoire », par une expérience olfactive, en guise de lancement original (huile
essentielle du type feuille de chêne ou parfum de
jacinthe…).
RESSOURCE 3
[Anonyme], La Vie de Lazarillo
de Tormès, 1554, traduction
de l’espagnol de Bernard Sesé,
Aubin, 1988, G.F. Flammarion,
1994, p. 85-87 : Texte rongé
On insistera, comme pour tous ces exercices sur
les éléments de mise en scène pédagogique : ils visent
à faire de la lecture une sorte d’événement. Nul n’est
dupe de la réalité de cette découverte, mais elle a un
sens littéraire et elle ajoute à l’éventuel faux du
manuscrit un autre mensonge : celui de sa redécouverte…
Le texte originel :
Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud,
étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés presque sans nuits… Car j’aimais
tant l’aube, déjà, que ma mère me l’accordait en
récompense. J’obtenais qu’elle m’éveillât à trois
heures et demie, et je m’en allais, un panier vide
à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se
réfugiaient dans le lit étroit de la rivière, vers les
fraises, les cassis et les groseilles barbues.
À trois heures et demie, tout dormait dans
un bleu originel, humide et confus, et quand je
descendais le chemin de sable, le brouillard
retenu par son poids baignait d’abord mes
jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait
mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que le reste de mon corps… J’allais seule,
ce pays mal pensant était sans dangers. C’est sur
ce chemin, c’est à cette heure que je prenais
conscience de mon prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle
accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale,
déformé par son éclosion…
Ma mère me laissait partir, après m’avoir
nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ; elle
regardait courir et décroître sur la pente son
œuvre, – « chef-d’œuvre », disait-elle. J’étais
peut-être jolie ; ma mère et mes portraits de ce
temps-là ne sont pas toujours d’accord… Je
l’étais à cause de mon âge et du lever du jour, à
cause des yeux bleus assombris par la verdure,
des cheveux blonds qui ne se seraient lissés qu’à
mon retour, et de ma supériorité d’enfant
éveillée sur les autres enfants endormis.
Je revenais à la cloche de la première messe.
Mais pas avant d’avoir mangé mon saoul, pas
avant d’avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l’eau de
deux sources perdues, que je révérais. L’une se
Par un hasard incroyable, dans le grenier d’un
vieux collège, on a retrouvé parmi d’autres
écrits le brouillon manuscrit, anonyme, d’une
autobiographie ou peut-être d’un roman picaresque oublié depuis le XVIe siècle. Mais, rongé
par le temps ou la vermine, le papier s’en est
délité et nous n’avons que des morceaux incomplets. Vous complèterez les blancs, vous corrigerez les fautes que le temps a créées en rongeant
les mots, vous replacerez les deux fragments
mis à part, bref, vous recomposerez cet extrait
du premier chapitre en vous demandant aussi
s’il s’agit bien d’une fiction (un roman écrit à la
première personne) ou d’une véritable autobiographie puisque figurent également dans ce
brouillon des commentaires de la main de l’auteur.
Nous sommes partis du fait que cette œuvre anonyme espagnole est une courte autobiographie
publiée pour la première fois en 1554. S’agissant
d’une « fausse » (?) autobiographie, l’objectif est de
mettre à jour, en confectionnant un autre faux, la
fabrication de cette autobiographie. Le texte rongé et
partiellement désarticulé, doit donc amener à une
lecture active qui le reconstituera. La mise en scène
inventée explique la découverte de ce manuscrit.
Une deuxième dimension, plus critique, devra être
accompagnée plus fortement selon la classe à laquelle
on a affaire. C’est celle qui fait apparaître des commentaires de la main du véritable auteur, et la nature
des commentaires est essentielle. Ils insistent sur le
choix d’un destinataire privilégié, un « correspondant
38
de qualité », un lecteur « premier » derrière lequel on
verra le lecteur que nous sommes : ces mémoires ont
une vertu de témoignage, ils ne sont pas tout à fait
ordinaires. Ils insistent aussi sur le type de personnage : « un gueux », à la fois aventurier et suffisamment cultivé pour employer le langage d’une personne de qualité.
dans le ruisseau. Or, comme j’avais atteint
l’âge de huit ans, mon père fut accusé de certaines saignées malicieusement faites aux sacs
de ceux qui venaient moudre au moulin. Il fut
alors mis en prison, il confessa, ne nia point, et
il souffrit persécution à cause de la justice.
J’espère en Dieu qu’il est dans la gloire Éternelle, car ceux-là, selon l’Évangile, sont déclarés
bienheureux.
En ce temps-là, on lança une expédition
contre les Maures, à laquelle participa mon
père, alors puni d’exil pour ladite infortune,
comme muletier d’un gentilhomme qui y partit aussi ; et là-bas, avec son maître, en loyal
serviteur, sa vie prit fin.
Ma mère, veuve, se voyant sans mari ni protecteur, décida de s’attacher aux gens de bien
afin d’être des leurs. Elle vint donc vivre à la
ville, y loua une maisonnette, et se mit à faire
la cuisine pour des écoliers, et à laver le linge
pour des palefreniers du commandeur de la
Madeleine ; elle en vint de la sorte à fréquenter
les écuries.
Elle fit ainsi connaissance avec un de ces
hommes au teint brun qui pansent les bêtes. Il
s’en venait parfois chez nous et en repartait le
matin. D’autres fois, en plein jour, il se présentait à notre porte, sous le prétexte d’acheter des
œufs, et il entrait dans la maison. Moi, lors de
ses premières visites, j’en prenais ombrage et
j’avais peur de lui, en voyant sa couleur et son
vilain faciès. Mais quand je m’aperçus qu’avec
sa venue, le menu s’améliorait, je me pris d’affection pour lui, car il apportait toujours du
pain, des morceaux de viande et, en hiver, du
bois dont nous nous chauffions.
Les plans d’énonciation ainsi mis en scène ont
donc pour objectif de montrer la triple nature du
texte autobiographique ici :
• bilan rétrospectif : le narrateur raconte sa vie ;
d’un récit d’apprentissage : le personnage
• amorce
quitte le domicile maternel à la fin de l’extrait 2 du
manuel (p. 44) ;
d’une fausse autobiographie : l’auteur
• l’hypothèse
anonyme se fait-il passer pour Lazarillo, ce qu’il
n’est pas ? Cet artifice d’écriture, cette « ruse » crée
de toute manière un puissant effet de vraisemblance, de vérité, mis à jour par les quatre commentaires de la main de l’auteur :
[penser à s’adresser régulièrement à mon correspondant de qualité]
[je vais écrire l’histoire d’un gueux, qui raisonne
comme un aventurier, mais qui écrit comme une personne de qualité]
[mélanger la critique et la piété]
[ajouter la chandelle ?]
Dans la classe : On pourra utiliser ce « manuscrit »
comme lancement de l’activité de lecture, le proposer
individuellement ou en groupe pour en interroger la
nature : il faut compléter les blancs, et en même temps
faire un bilan du caractère « autobiographique » de ce
document. Cette première lecture étant faite, on pourra
retrouver le questionnaire de la page 44 du manuel et
répondre avec des éléments critiques plus précis à la
question 2 du texte 1 : « Quel est le plan d’énonciation
privilégié ? » et à la question 4 du texte 2 : « À quel
moment de sa vie le narrateur fait-il le récit de son
enfance ? ».
RESSOURCE 4
Jean-Jacques Rousseau (17121778), Les Confessions, 1782,
Livre I, « Les pommes » :
Lecture « résonnée »
Le code de lecture vise à permettre une lecture
« résonnée ». Le concept, dû à une idée de Stéphane
Fouénard, professeur dans l’académie de Caen, est
d’aborder le texte par l’intermédiaire d’une mise en
voix réfléchie et de créer un lien profond de sens
entre la lecture analytique et la lecture à haute voix.
Il n’est pas nécessaire de théâtraliser celle-ci outre
mesure, mais il faut la penser à travers un travail
pédagogique que ce CD-Rom met en lumière. Vous
avez la possibilité de le proposer à partir des écrans
(salle d’informatique ou vidéoprojecteur) ou d’une
impression couleur, et vous bénéficiez alors des ressources visuelles qui différencient nettement les
énoncés. Mais, soucieux de réalisme, nous avons
aussi prévu un code typographique qui met en œuvre
des polices de caractères différentes pour permettre
une impression en noir et blanc.Vous y perdez un peu
de lisibilité mais les principes fondamentaux de
l’exercice restent les mêmes.
Texte rongé : la reconstitution
PREMIER CHAPITRE
Lazare raconte sa vie
et qui furent ses parents.
Sachez, Monsieur, avant toute chose, que
mon nom est Lazare de Tormès, fils de Thomas
González et D’Antonia Pérez, natif de Tejares,
village de Salamanque. Ma naissance eut lieu
dans la rivière Tormès, ce qui me valut mon
surnom. Voici ce qui advint : mon père (Dieu
lui pardonne) avait la charge de pourvoir la
mouture d’un moulin situé sur le bord de cette
rivière, où il fut meunier pendant plus de
quinze ans. Une nuit que ma mère, enceinte de
moi, se trouvait au moulin, les douleurs la prirent, et c’est là qu’elle me mit au monde. De
telle sorte qu’en vérité je peux dire que je suis né
39
teur, lien qui culmine dans l’apostrophe emphatique :
« lecteur pitoyable, partagez mon affliction ! ».
Pour cette lecture expressive, le CD-Rom vous
offre donc une ressource qui joue sur deux niveaux (à
choisir selon les classes, les élèves, les moments de
l’année…) :
codage, une visualisation de zones de texte qui
• un
devront faire l’objet d’une hypothèse de lecture :
pourquoi doit-on différencier la diction à ces
moments-là ? Comment cette diction souligne-telle une structure, un sens, un aspect essentiel du
texte (par exemple une distance ironique) ?
légende de ce codage, qui en souligne la fonc• une
tion et donne du sens à chaque choix typographique, oriente le travail de lecture expressive et
analytique pour lesquels les éléments de commentaire jouent le rôle des didascalies au théâtre.
RESSOURCE 7
Raymond Queneau, Chêne et
chien, 1937 : Texte déguisé
L’étape 7 de la séquence « Souvenirs d’enfance »,
consacrée à cette œuvre poétique et autobiographique de Queneau est intitulée « Du roman à la poésie ». Dans le CD-Rom, nous vous proposons de faire
le chemin inverse, c’est le sens du déguisement de ce
texte (qui vous est proposé également pour un poème
de Victor Hugo).
La perspective choisie ici est différente de celle du
manuel : celui-ci recompose à travers trois extraits
significatifs le projet original de Queneau, le CDRom a choisi de préserver l’unité des 54 premiers
vers, pour que le texte « en prose » semble plus naturellement cohérent.
La lecture « résonnée » vise ici à mettre en valeur,
par des moyens différents les mêmes principes de lecture que ceux qui ont été mis en œuvre pour le texte
à variantes conçu à partir de ce même texte. On se
réfèrera donc au commentaire de ces variantes pour
avoir l’orientation de cette lecture analytique d’un
nouveau genre. Le récit autobiographique, et particulièrement cette chasse aux pommes, conjugue, avec
des équilibres variables, trois modes d’écriture :
• le récit factuel, événementiel, qui permet une progression du propos et assure l’intérêt minimal de la
lecture en s’inscrivant dans une chronologie
claire ;
récit « épique », ici dérisoire et dominant, qui
• letransforme
le personnage en héros face à l’adversité ;
récit « élégiaque », qui dit la douleur et le trau• lematisme,
éventuellement ravivés par le souvenir et
l’écriture.
Les quatre premières questions du manuel (p. 59)
visent à faire comprendre l’originalité et presque le
paradoxe de cette entreprise autobiographique :
« roman en vers », Chêne et chien illustre parfaitement
l’un des enjeux de l’écriture autobiographique au XXe
siècle : comment être original, faire œuvre novatrice,
alors qu’il ne s’agit, un fois de plus, que de parler de
soi ?
Nous ajoutons l’originalité de l’exercice à celle de
l’écriture de Queneau. Il importera alors de guider
les élèves, et leur découverte peut être rapide, vers
une autre forme que celle, massive et pleine page, de
la prose. Le moyen le plus naturel pour cela est celui
proposé par la consigne : une lecture à voix au haute,
expressive et « résonnée » (voir l’explication de ce jeu
de mots dans l’exercice proposé pour Rousseau).
Dans la classe : Deux décisions pédagogiques sont à
prendre :
• choisir le texte à variantes ou bien la lecture « résonnée » pour aborder ce texte. Le cumul des deux est possible, la lecture « résonnée » peut devenir alors un test
de fin d’étude, une conclusion sonore qui manifestera
clairement une compréhension en profondeur de ce texte
apparemment anodin ;
• choisir le niveau 1 ou le niveau 2 pour la lecture
« résonnée », ou bien différencier dans la classe ceux
qui peuvent élaborer eux-mêmes leurs indications de
mise en voix et ceux qui ont besoin d’un guidage plus
fort.
Pour d’éventuelles raisons d’économie de temps, mais
aussi de démonstration, le professeur peut assurer luimême cette mise en voix, il peut le faire sans donner les
codes en ouverture de l’analyse de ce texte, et conclure
par le document légendé après les travaux proposés dans
le manuel. On peut aussi proposer aux élèves d’enregistrer une série de textes qui ont fait l’objet de ces lectures
« résonnées » : dès lors que le principe est compris, l’activité peut être répétée.
On amènera alors les élèves à reconstituer au
moins les douze premiers vers du poème en insistant
sur les indices poétiques qui permettront de mieux
répondre aux questions de la page 59 :
• le jeu des rimes croisées ;
rythme de l’alexandrin, ou du demi alexandrin
• le(alternance
de vers de 12 et de 6 syllabes) ;
le
travail
de
la
syntaxe : inversions de la position de
• certains constituants
(par exemple aux vers 5 et 9),
élision de certains sujets (« et fus mis »), appositions
et incises ;
totalement régulière de ce poème,
• construction
dans une alternance rythmique qui crée du blanc
dans la page et une respiration originale…
Les objectifs de ce retour provisoire à la prose, puis
de cette reconstruction de poème, sont donc les suivants :
l’élève à une relecture active d’un texte
• obliger
énigme ;
l’expérience des ressources de la diction pour
• faire
la compréhension d’un texte ;
prendre conscience des ressources tech• faire
niques, rythmiques et sonores du vers ;
• illustrer par l’exercice la porosité des frontières
Cette lecture « résonnée » insiste particulièrement
sur le lien complice (cf. question 10 à la page 47 du
manuel) que Rousseau veut instaurer avec son lec-
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•
que l’histoire littéraire installe à l’époque moderne
entre poésie et prose, roman et autobiographie,
formes fixes et combinaisons libres d’écriture,
dont Queneau est sans doute au XXe siècle l’un des
représentants les plus inventifs ;
préparer à la lecture des quatre extraits proposés
par le manuel (p. 56-58).
Dans la classe : Il importe pour cet exercice que les
élèves découvrent, à travers l’édition de cette ressource,
ce texte comme un texte en prose. Il ne peut donc s’agir
que d’un exercice de « lancement », et nous entendons
par là la première activité proposée, celle qui oriente le
travail et cherche à motiver les élèves par un dispositif
pédagogique original. Elle peut ne durer que très peu de
temps, mais elle doit marquer les esprits.
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