II - La Plaine du Forez

Transcription

II - La Plaine du Forez
Partie 3 : Une méthodologie évolutive…
II - La Plaine du Forez
Il y a un pays nommé Forez qui en sa petitesse, contient ce qui est de plus rare au reste des
Gaules, ça étant divisé en plaines et en montagnes, les uns et les autres sont si fertiles et situés en
un air si tempéré que la terre y est capable de tout ce que peut désirer le laboureur
Honoré D’Urfé, Astrée
La méthodologie élaborée pour caractériser les acteurs dans leurs rapports aux autres
et au territoire est en premier lieu expérimentée sur un terrain exploratoire : la Plaine
du Forez. Située dans le département de la Loire entre les villes de St-Etienne et de
Roanne, la Plaine du Forez est traversée par le fleuve Loire et encadrée par les Monts
du Lyonnais et du Forez. Avant toute expérience de terrain, et encore davantage si l’on
s’intéresse aux relations homme-nature, il apparaît essentiel de présenter le territoire
étudié : son histoire, ses écosystèmes, sa géographie, ses particularités. Quelles ont
été les étapes de l’anthropisation de la plaine ? Quels sont les éléments clés qui
composent l’hydrosystème ? Le fleuve est-il plus menaçant que menacé ? Quels ont
été les faits historiques marquants qui ont servi de base à la construction du
territoire ? Quels enjeux peut-on recenser pour demain ?
1. Une morne plaine ?
1.1. Présentation générale
La plaine du Forez, vue à vol d’oiseau, se présente sous
l’aspect d’une longue et large vallée parcourue du sud au
nord par un des grands fleuves de France, la Loire. D’une
largeur d’environ 20 km sur une longueur presque double,
la plaine du Forez est située en région Rhône-Alpes dans le
Zone d’étude
n°1
département de la Loire, à l'est du Massif Central, et
s’étire
de
Saint-Etienne,
ville-porte
du
Parc
Naturel
Régional du Pilat, à Roanne (Figure 37). Moyennement
peuplée, la plaine
du Forez présente une densité de
l’ordre de 40 habs/km2. Couvrant une surface d'environ
Figure 37 : localisation de la Plaine
du Forez
760
kilomètres
carrés,
cette
cuvette
à
350
mètres
d’altitude fait partie du bassin hydrogéographique Loire-
Bretagne et constitue l’hydroécorégion sédimentaire du Forez. Le cours du fleuve Loire drainant de
larges rives limoneuses et fertiles, ce couloir constitue des secteurs agricoles privilégiés : « les
Chambons », « les Chaninats », « la terre de Varenne ». Il est rare de rencontrer un ensemble
naturel aussi délimité et typé. Cependant, l’apparente simplicité de la plaine est contredite par la
complexité des formations sédimentaires accumulées depuis le tertiaire ; une complexité qui se
traduit au niveau des formations superficielle des sols, tantôt limoneux, tantôt argileux… voire
caillouteux (Bethemont, 2000).
Figure 37 : Localisation de la Plaine du Forez
La Plaine du Forez résulte de l'effondrement de certaines portions de socle qui n'ont pu résister à la
violence des forces tectoniques au début du tertiaire, en l'occurrence le plissement alpin ayant
engendré entre autre les Monts du Forez. Elle est alors remblayée au cours du tertiaire par des
formations argilo-sableuses localement gréseuses ou carbonatées de l’oligo-miocène (Le Griel,
1984). Un fossé qui s'est empli peu à peu de sédiments pour la plupart lacustres (marnes vertes ou
168
… au fil de trois terrains
lauzes), auxquels est venu s'ajouter un comblement quaternaire d'origine fluviatile. En effet, la
plaine représente le lit d’un ancien lac qui se vida quand se rompirent, où à mesure que
s’érodèrent, les digues rocheuses derrière lesquelles refluait le fleuve, et à mesure que se
creusèrent les gorges tortueuses où coule aujourd’hui la Loire en amont de Roanne. On notera que
son encaissement vaut à la plaine un méso-climat relativement sec : 600mm par an.
N
20 km
Sources : Universalis (gauche)
et Joanne, 1874 (droite)
Figure 38 : Présentation de la Plaine du Forez : carte actuelle et carte de 1874
Un bassin d’effondrement, donc, dominé à l’ouest par les monts du Forez (massifs cristallins de
1200 à 1600 mètres d’altitude) et à l’est par les monts du Lyonnais (granites hercyniens et terrains
métamorphiques de 500 à 900 mètres d’altitude). Ces montagnes de l’est font partie de la grande
ligne de faîte européenne, parce qu’elles séparent les eaux qui vont à la Loire, c’est-à-dire à
l’océan Atlantique (bassin Loire Bretagne) de celles qui courent vers le Rhône, c’est-à-dire vers la
Méditerranée (Bassin Rhône Méditerranée-Corse). La plaine est délimitée au nord par le seuil de
Neulise et au sud par le seuil du Perthuiset (Gorges de la Loire et Monts du Velay). Du sein de cette
plaine ou à sa lisière s’élancent une trentaine de cônes isolés qui furent autrefois des volcans : les
pics basaltiques. Restes d’anciens cratères, ces pics basaltiques témoignent d’une activité
volcanique intense générant encore des sources d’eau minérale. La plaine du Forez se termine
brusquement au pied des collines de Nérondes. De longues gorges la séparent de la plaine de
Roanne, beaucoup moins vaste (Figure 38).
169
Partie 3 : Une méthodologie évolutive…
1.2. La marque de l’homme
Plaine du Forez: occupation du sol, 2000
La Plaine du Forez est avant tout une plaine
agricole.
étangs
3%
céréales
surfaces en
27%
herbe
51%
Des
corps
de
ferme
importants,
bâtiments construits en pisé apparaissent au
détour des petites routes du Forez et reflètent la
vocation agricole de la plaine. L’agriculture est
ici dominée par la culture du maïs, de céréales,
de la betterave à sucre et par l’élevage (vaches
cultures
fourragères
20%
à
viande
et
reproducteurs).
L’occupation
agricole est le fait d’exploitations moyennes, de
l’ordre de 30 à 40 hectares avec, vers le Nord,
quelques grandes propriétés. Le sol est partagé
Figure 39: Terres cultivées (source : Bethemont, 2000)
entre les céréales (14.000 hectares dont la
moitié en blé et maïs, ce dernier en nette
progression), les cultures fourragères (10.000 hectares), les surfaces toujours en herbe (26.000
hectares) et un peu de vigne (300 hectares) sur les coteaux (Figure 39). L’élevage tient un place
considérable, avec 45.000 bovins dont 16.000 laitières et 25.000 porcins.
Figure 39 : Terres cultivées (source : Bethemont, 2000)
« Les vaches blanches du Forez paissent en troupeaux, dans des champs plats bien délimités. Elles
sont placides. La hâte leur est inconnue. Elles prennent leur temps. Elles le rendent aussi, le
temps, au promeneur qui s’était arrêté pour les contempler. Mais elles le rendent légèrement
transformé, comme ralenti, et devenu paisible. Dans leurs prés tracés au cordeau par des haies
vives, les vaches blanches du Forez donnent des leçons de savoir vivre » (Blanc, 2000).
Sans doute encore témoins de l’époque tertiaire, de nombreuses étangs et marais plus ou moins
asséchés vont devenir des secteurs très favorables aux cultures (céréales) et à l’élevage
(embouche). Ces étendues d’eau peu profondes favorables à la prolifération de plantes aquatiques
constituent un habitat idéal pour de nombreux oiseaux (canards, hérons, etc...), ce qui leur confère
une vocation cygénétique. La pisciculture est également développée sur bon nombre d’étangs
foréziens, pour la production de différentes variétés de poissons d’eau douce (carpes, tanches,
etc...)..
« Elles viennent bien souvent des étangs du Forez, assure-t-on, les carpes de la rue des Rosiers. Et
leur farce aussi. A regarder nager tous les poissons dans les bassins de ciment où le propriétaire
les trie après avoir vidé ses étangs, on ne leur trouve pourtant pas une tête à s’en aller folâtrer du
côté du Marais. On observe les carpes qui dérivent dans l’eau sombre. On voudrait leur demander
si elles ont envie, vraiment, d’un tel voyage. Elles ne répondent pas. Muettes évidemment. Comme
leur nom l’indique. Quand même, on éprouve des doutes » (Blanc, 2000).
Parallèlement, la chasse et la pêche de loisir occupent une place importante dans la vie de la
Plaine. La pêche aux poissons blancs et cyprins d’eau vive a la part belle dans les rivières de la
plaine du forez, sur le fleuve et les grands barrages de Grangent et Villerest. Les grands
carnassiers se pêchent essentiellement dans le fleuve Loire, les barrages et les rivières de la plaine
(Aix, Lignon, Mare, Coise, Sornin).
Au niveau industriel, on note quelques extensions péri-urbaines de villes comme Feurs et
Montrond-les-Bains, mais surtout la présence d’exploitations de granulats encore en activité. En
effet, les bords du fleuve de la plaine du Forez sont très marqués par la présence d’anciennes
zones d’exploitation de granulats, dont certaines ont fait l’objet de réhabilitation écologique. Il
s’agit en effet d’un partenariat instauré au début des années’90 entre un industriel exploitant de
granulats et une association de protection de la nature, une première. Cette collaboration
170
… au fil de trois terrains
pionnière, à un moment où aménageurs et protecteurs étaient plus généralement en conflit, a
permis la réhabilitation de plans d’eau laissés à l’abandon après exploitation en s’appuyant sur le
savoir-faire du carrier, et pourrait constituer une réponse anticipée aux enjeux environnementaux
médiatisés aujourd’hui dans le cadre de la gestion équilibrée.
De cette coopération est née en 1994 l’Ecozone du Forez, un projet à vocation écologique situé sur
les bords de la Loire entre Feurs et Chambéon, au cœur de la plaine du Forez. L’Ecozone du Forez
appartient au district naturel de la Plaine du Forez et s’étend sur environ 160 hectares le long du
fleuve Loire. A l’intérieur de ce projet, est situé l’Ecopôle du Forez, qui s’étend sur 55 hectares. Il
s’agit d’un ancien site d’exploitation de granulats, localisé dans l’espace de liberté du fleuve,
réhabilité de façon écologique par la FRAPNA Loire avec l’aide de ses partenaires. L’Ecopôle
accueille actuellement plus de 400 espèces d’oiseaux et offre au public plusieurs observatoires pour
profiter, sans déranger, de cette richesse ornithologique.
On distingue alors dans la plaine du Forez plusieurs types de paysages :
- fleuve, affluents et cours d'eau,
- étangs avec rives boisées,
- gravières au bord du fleuve,
- paysages agricoles constitués de pâturages et monocultures,
- boisements constitués de chênaies, peupleraies, quelques résineux, haies
- paysages urbains et peri-urbains au sud (zones industrielles et lotissements)
1.3. Une richesse écologique certaine
87
Les milieux créés par la dynamique du fleuve sont variés dans la plaine du Forez : gourds ,
roselières, prairies, boisements, etc... Cette richesse est propice à la présence de nombreuses
espèces animales et végétales, telles que le chevalier guignette, le bihoreau gris, le pulicaire
commun
88
89
ou la limoselle aquatique . La Plaine du Forez, et notamment les bords de Loire, sont
donc caractérisés par une diversité d'habitats qui recèle une flore et une faune typique dont
certains éléments présentent un intérêt patrimonial reconnu et font l'objet d'une protection. Hormis
certains milieux très particuliers comme les pics basaltiques, les principaux biotopes de la Plaine du
Forez comportant des espèces patrimoniales sont situés en zones d'étangs ou en rives de fleuve. A
ce titre, on note trois habitats naturels d'intérêt communautaire dans la Plaine du Forez (CORINE
90
BIOTOPE ) :
-
étangs du Forez : « lacs eutrophes naturels avec végétation du type Magnopotamion ou
Hydrocharition, végétation annuelle des rives exondées, plantes flottantes libres, hydrophytes »
- le Lignon : « forêts alluviales des petits cours d'eau Alnion-glutinoso-incanae »
- le cours de la Loire et milieux associés : « forêts alluviales résiduelles Querco-Ulmetum minoris »
Si la Plaine du Forez est classée en ZNIEFF de type 2, une quarantaine de ZNIEFF de type 1
couvrent les étangs du Forez ainsi que le site de l’Ecozone du Forez. Celle-ci présente un intérêt
pour son avifaune nicheuse, hivernante et migratrice et pour les successions de végétation, depuis
les stades pionniers jusqu’à des forêts riveraines très élaborées (saulaie, aulnaie-frênaie, frênaieormaie, et chênaie-pédonculé). Une ZICO couvre également la Plaine du Forez. Finalement, parmi
les sites présélectionnés pour la Directive Européenne Habitats de Natura 2000 dans le
département, plusieurs d’entre eux se situent dans la Plaine du Forez : les étangs du Forez, le
87
Partie creuse d’un cours d’eau, remplie d’eau même en période sèche.
Plante des milieux humides appelée herbe à puces.
89
Plante des milieux bourbeux.
90
Dufrêne M. (1998) - Description des Habitats CORINE [http://mrw.wallonie.be/cgi/dgrne/sinw/sibw.habitats.des.pl ?CODE=65]
88
171
Partie 3 : Une méthodologie évolutive…
Lignon et le cours de la Loire et les milieux associés. Bien que la plaine du Forez corresponde aux
91
critères de la convention de RAMSAR , elle n’appartient pas à la liste des zones inscrites. Il est
néanmoins certain que la Plaine du Forez présente une richesse biologique réelle, et occupe une
place importante pour l'avifaune.
2. L’eau dans la Plaine du Forez
Le Forez, écrivait Anne d’Urfé, était anciennement un lac que traversait la Loire, « comme le Rhône
parmi le lac Leman ». Honoré d’Urfé, lui, imagine que la nymphe Galatée explique à Céladon
comment Jules César a drainé l’immense nappe d’eau qui recouvrait « de toute ancienneté cette
contrée »
Utilisé de mille manières, le réseau hydrographique a contribué de tous temps au développement
économique de la plaine du Forez (irrigation, consommation courante, alimentation des moulins à
eau, force motrice dans les scieries et usines, barrages hydroélectriques, transport de
marchandises, etc.…). La situation hydrographique et hydrologique de la Plaine du Forez est
étroitement liée à la présence du fleuve Loire et aux reliefs alimentant le bassin versant. La
dynamique de ce fleuve, considérée ici sous l'aspect des crues, est d'une importance capitale pour
le bon fonctionnement et la pérennité de l'écosystème. Outre le fleuve Loire et ses affluents
(Lignon, Coise, Mare…), le réseau hydrographique de la Plaine du Forez présente plusieurs autres
composantes non négligeables au niveau des flux et des échanges hydrologiques : les étangs, les
nappes phréatiques, les gravières, les digues et le canal du Forez.
La relative sécheresse de la plaine explique l’intérêt porté depuis longtemps à l’irrigation avec, pour
équipement principal, le vieux canal du Forez, créé au XIXè siècle mais totalement rénové depuis
une trentaine d’années. La construction du canal du Forez a débuté en 1865 sous Napoléon III. Cet
ouvrage, concédé au département de la Loire, était destiné, à l’origine, au moyen des eaux de la
Loire, à arroser la partie de la Plaine du Forez située sur la rive gauche du Fleuve. Les travaux,
interrompus pendant la guerre de 1870, s’échelonnent jusqu’en 1966, année d’achèvement des
travaux d’extension. Le canal est alimenté par la Loire au barrage de Grangent. La branche
principale, d’une longueur de 44km traverse l’ouest de la plaine du Forez jusqu’au ruisseau des
Combes qui se déverse dans le Lignon du Forez. Au total, 17 stations de pompage et 500 km de
canalisations sous pression permettent d’irriguer plus de 6.000 hectares pour 700 exploitations
agricoles. Le canal dessert également 500 hectares d’étangs, au moyen de prises d’eau, et
contribue ainsi à favoriser la production piscicole. Divers industriels bénéficient de la fourniture
d’eau du canal ; son eau est également destinée à la consommation humaine, pour un volume
d’environ 1 million de m3 par an. Considéré par certains comme une entité vitale pour la plaine,
enrichissant
des
terres
primitivement
ingrates,
par d’autres comme une ponction d’eau
catastrophique sur le fleuve Loire… le canal du Forez fait débat sur le territoire.
La grande originalité du Forez reste la présence d’étangs artificiels, creusés depuis le Moyen-Age.
Beaucoup ont été détruits au XIXè siècle pour cause d’insalubrité, mais le patrimoine récent est
loin d’être négligeable : 310 étangs couvrant 1.500 hectares. C’est là où le substratum argileux ou
marneux imperméable est proche de la surface que se trouvent de nombreux étangs, répartis en
trois plaques principales (Arthun, Feurs et Mornant). Leur vocation initiale était la pisciculture qui
reste encore une activité économique notable avec des rendements allant jusqu’à 600 kilos/ha
(carpes, brèmes, brochets) mais les étangs de chasse tiennent une place toujours plus importante
au fil des ans. Les principales réserves d’eau quant à elles, considérées sous l'aspect
hydrogéologique, sont situées dans les formations alluviales quaternaires. L’alimentation des
91
RAMSAR : Convention internationale relative aux zones humides, aux habitats des oiseaux d'eau.
172
… au fil de trois terrains
nappes phréatiques ainsi constituées se fait par infiltration, par apports des versants et par les
crues du fleuve : la Loire occupant une position drainante pour l’ensemble du système.
« Ils sont creusés de main d’hommes, les étangs du Forez. Dès le XIIIè siècle. Par des moines et
par des nobles. Qui faisaient alterner l’évolage et l’assec : la pisciculture, puis la culture de céréales
sur le sol enrichi d’alluvions. Sur ce, développement de la fièvre des marais : à bas les étangs. On
met quelques siècles à en supprimer la moitié. Ceux qui restent changent de nature : autrefois
bordés de roseaux qu’on focardait, les voilà entourés d’une exubérance d’arbres et de taillis.
Territoire idéal pour le gibier d’eau. Donc pour la chasse. Les grands bourgeois relancent les étangs
à la fin du XIXè siècle. Moines, nobles, bourgeois : voici les pères de ces étangs qu’on croit
paysans (Blanc, 2000) ».
3. La Loire dans la Loire
3.1. Un fleuve menaçant d’un côté…
La Loire est le plus long des fleuves français. Elle a plus de 1.000 km de longueur, tous détours
compris, et son bassin renferme près de 12 millions d’hectares. La Loire naît à 1.373m au dessus
des mers, dans le département de l’Ardèche, d’une montagne des Cévennes, le Gerbier de Joncs,
cône d’origine volcanique ayant 1.562m d’altitude. En sortant du département de l’Ardèche, elle
entre, bien faible encore dans la Haute Loire, puis dans la Loire ; deux départements ayant pris son
nom. En ce point, le fleuve ne se trouve qu’à 60 km de sa source, mais il fait tant de détours que
la longueur totale de son cours est de 138 km quand il entre dans le département. Le fleuve Loire
qui reçoit les eaux des versants orientaux des monts du Forez, des Bois Noirs et des monts de la
Madeleine, et celle des versants occidentaux du Pilat et des monts du Lyonnais coule dans la vallée
centrale du département de la Loire, vallée qui s’élargit à l’issue des gorges de St-Victor pour
former le large bassin de la Plaine du Forez. Le contact entre la plaine et les gorges est occupé par
deux barrages-réservoirs : au sud, le vieux barrage de Grangent destiné à la production
d’hydroélectricité, au nord, le barrage de Villerest qui assume une fonction complexe de régulation
par stockage des crues et soutien d’étiage. Passés les deux verrous que sont les barrages, la Loire
retrouve ses aises. Trois lits sont visibles : le chenal d’étiage, toujours en eau, même au plus fort
de l’été ; le lit apparent, où prolifère une végétation qui en précise les limites et le lit majeur, où le
fleuve divague lors des hautes eaux. Dans les bras morts, se créent des mares où frayent les
brochets. Sa pente est relativement modérée dans la plaine, ce qui explique son tracé où alternent
méandrage et tressage. Le fleuve Loire qui traverse le département éponyme fut la première voie
de communication forézienne sud-nord et ce, jusqu’à l’implantation de la ligne de chemin de fer StEtienne - Roanne. En outre, il irrigue les terres traversées, soit directement ou par la déviation que
constitue le canal du Forez.
Pour laisser le fleuve dissiper son énergie, on a cessé d’entretenir les enrochements et les digues
qui stabilisaient son cours jusqu’au milieu du XIXè siècle. Face aux errances fluviales, certains
voient avec inquiétude le fleuve grignoter leurs terrains. Le régime de la Loire est en effet très
contrasté, marqué par des étiages sévères qui peuvent être opposés à de rapides montées des
eaux. Les crues sont brutales et irrégulières dans le cours supérieur du fleuve et les débits très liés
au relief et au climat. Les milieux annexes sont constitués de gourds (bras morts) connectés ou
non au fleuve, de bras secondaires, et de tressage avec de multiples chenaux et îlots. La
dynamique fluviale est marquée par des crues qui se manifestent sous forme de pulsations brutales
et donne au fleuve un caractère irrégulier caractéristique. Cette instabilité est due à l'influence des
précipitations méditerranéennes sur le haut bassin-versant (crues de type cévenol), à laquelle vient
s'ajouter la perturbation occasionnée par des flux océaniques. Ainsi, si en hiver la Loire roule
173
Partie 3 : Une méthodologie évolutive…
beaucoup d’eau, elle baisse considérablement en été. Devant Roanne, elle ne débite que 7m3/
seconde à l’étiage, quand de longues sécheresses ont tari ou singulièrement diminué les sources,
ruisseaux et rivières de son bassin. En revanche, à la suite de longues pluies, d’orages violents, de
fontes des neiges dans la montagne, elle débite quelquefois devant cette même ville de Roanne,
7.000m3/seconde. Elle est donc mille fois plus forte dans ses grandes crues qu’à son étiage
extrême.
Pourquoi une telle irrégularité ? D’abord, car les débits du fleuve Loire sont étroitement liés à la
pluviométrie. Il existe ensuite une opposition marquée entre les affluents des deux rives de la
Loire, correspondant à une différence d'ampleur des reliefs qui l'encadrent. La rive gauche reçoit
des rivières dont les bassins versants se situent sur les pentes est des Monts du Forez (Lignon, Aix,
Mare…) à régime pluvio-nival, rentrant parfois en crues violentes. A droite, les affluents provenant
des Monts du Lyonnais sont plus modestes et leurs crues moins puissantes en raison de la moindre
altitude du bassin-versant (Loise, Coise…). Il est important de noter que la Plaine du Forez
correspond à la première zone de ralentissement des écoulements et donc d'expansion des crues,
ce qui permet de souligner le rôle tampon des zones humides.
3.2. … un fleuve menacé de l’autre
Le fleuve Loire et ses abords présentent une richesse écologique importante, d’abord au niveau
92
floristique. L’épervière de Loire
93
ou la molène pulvérulente
en sont quelques exemples
caractéristiques. On recense aussi une diversité et une abondance des espèces de poissons. Les
oiseaux pêcheurs qui pullulent sur les rives du fleuve et celles de ses affluents témoignent de cette
opulence. Hérons cendrés, hérons pourprés, martins-pêcheurs, cincles plongeurs, gravelots,
sternes naines, guêpiers, grèbes huppés ou colverts trouvent refuge en bord du fleuve Loire. Les
cormorans, absents du territoire il y a 20 ans, se comptent aujourd’hui par centaines ; la colonie
reste stable grâce à un abattement de 15% du cheptel.
« Ces marques brunes sur le dos des brochets, dans les étangs, ces traces de plaies, ces cicatrices,
c’est le résultat des attaques des cormorans. Tactique de raid. Rapide, redoutable. Les éleveurs et
les pêcheurs comptent les coups, et n’en pensent pas moins.
La guerre est déclarée » (Blanc, 2000).
Un fleuve abritant une diversité biologique unique ; un fleuve néanmoins menacé. En 1980, une
crue
fait
huit
morts
à
Brives-Charensac.
Six
ans
plus
tard,
est
lancé
un
programme
d’aménagement prévoyant quatre barrages pour limiter les crues. Simultanément est créé le
comité « Loire vivante » pour apporter des preuves scientifiques contre l’aménagement du fleuve.
L’association SOS Loire Vivante voit le jour en 1988 et s’élève contre le barrage de Serre de la
Fare ; elle réussit à mobiliser des milliers de personnes contre ce projet. L’année d’après,
l’association bloque les bulldozers du chantier et dépose une plainte ; en 1991, le projet Serre de la
Fare est annulé. Successivement, on assiste au démantèlement des barrages EDF de St-Etienne du
Vigan et Maison-Rouges ; on abandonne également le projet de barrage de Chambonchard.
Depuis 1994, c’est le « Plan Loire Grandeur Nature » qui remplace le programme d’aménagement
et qui doit permettre à la Loire de conserver ses crues, assurer les besoins en eau et préserver ses
milieux naturels. Sur le fleuve, ce plan tente de concilier activités humaines et équilibre écologique
d’un fleuve, sécurité de la population vis-à-vis des crues et préservation de la biodiversité. Une
action qui est passée par des actes forts, comme le démantèlement de barrages, le déplacement
d’usines construites en zone inondable ou la maîtrise de la consommation d’eau pour l’agriculture.
92
93
Plante réputée pour améliorer la vue de l’épervier.
Plante appelée bouillon blanc.
174
… au fil de trois terrains
Le programme contient également un volet protection du patrimoine naturel, ce qui signifie que
d’importantes sommes sont allouées pour la protection de l’anguille, le saumon ou l’alose. En
dévégétalisant les bras morts, le plan Loire Grandeur Nature vise finalement à rendre au dernier
fleuve sauvage d’Europe sa capacité d’écoulement. En 2000, la Loire est classée patrimoine
mondial de l’humanité et les gorges de la Loire sont retenues comme site Natura 2000.
Le plan Loire Grandeur Nature parviendra-t-il à concilier activités humaines et protection des
milieux ? On recense aujourd’hui quatre points noirs sur le fleuve Loire… dont deux concernent
directement la plaine du Forez (*):
- le bouchon vaseux de l’estuaire, une barrière chimique entre le fleuve et l’océan
- l’usine chimique Synthron en Indre et Loire : c’est l’établissement le plus préoccupant des
soixante sites Seveso du bassin ligérien.
- * la retenue d’eau de Granjent : ce lac de barrage de 3.7km², qui n’a connu qu’une seule vidange
complète depuis sa création, accumule phosphates et nitrates. Certaines bactéries profitent de ces
nutriments pour proliférer : l’été, la surface de la retenue est couverte d’une pellicule verte à
l’odeur persistante.
- * l’enfoncement du lit du fleuve : l’extraction de 12 millions de tonnes de granulats par an, de
1950 à 1980, n’a pas épargné le lit de la Loire qui s’est enfoncé, de 1 à plusieurs mètres selon les
endroits. Cet effondrement augmente les risques de destruction de digues de protection contre les
crues, assèche les bras secondaires et les marais, et abîme les frayères. Si l’extraction dans le lit
mineur est interdit depuis 1992, les dégâts sont faits. Mais l’extraction dans le lit majeur demeure
autorisée sous certains conditions.
La Loire, dernier fleuve sauvage d’Europe… sauf dans la plaine du Forez ? Le lit naturel du fleuve a
subi deux types d’altérations par endiguement et surtout par exploitation de gravières (Bethemont,
2000). Concilier activités humaines, préservation de la faune et de la flore, sécurité des population
et divagation du lit… accorder ceux qui voient le fleuve comme une menace et ceux qui le voient
menacé… la Loire n’a pas fini de faire parler d’elle.
4. Le Forez d’hier : de Forum Segusiavorum à Pagus Forensis
« Le nom de Forez n’évoque rien de concret par lui-même. Les étymologies fantaisistes le font
donc découler de Forest, d’où ils tirent la preuve que la contrée fut autrefois, selon eux, boisée
d’importance. Bêtise historique. Le sol ici ne se prête guère aux bois. Sur les varennes ne viennent
guère, par pousse naturelle, que la bruyère et le genêt, et sur les chaminats, le chardon. Pas de
forêt naturelles, donc, dans le Forez. Ni sangliers, ni druides. Forez vient de Forum Segusiavorum.
Arbres, non, marché, oui » (Blanc, 2000).
Le territoire de la plaine du Forez eut pour premiers habitants les Ségusiaves, les Eduens et les
Arvernes. Les Ségusiaves en occupaient la plus grande partie ; leur capitale, appelée Forum
Segusiavorum a donné son nom au Forez. Commerçants et agriculteurs, les Ségusiaves vivaient en
paix, quand les légions romaines, ayant à leur tête Jules César, entreprirent la conquête des
Gaules. La domination romaine assura une grande prospérité au pays et l’on y retrouve encore
presque partout des traces de leur long séjour. Le commerce, l’industrie et l’agriculture prirent des
développements d’autant plus considérables que, pendant près de cinq siècles, les cités foréziennes
n’eurent à souffrir ni de l’invasion, ni de la guerre, ni d’aucune autre calamité publique. Vers la fin
du cinquième siècle, les Burgondes ou Bourguignons, profitant des troubles qui désolaient alors
l’empire romain et de la faiblesse des empereurs, se rendirent maîtres de ce pays, suivis de près
par les Francs qui s’emparèrent de l’espace forézien: Pagus Forensis.
175
Partie 3 : Une méthodologie évolutive…
Après le partage du Forez en 1174, les Comtes firent construire des forteresses sur les lieux
stratégiques afin d’assurer une meilleure protection du vieux Comté en privilégiant la surveillance
des grands chemins et le cours de la Loire, artères vitales du Forez. Sous les Carolingiens,
l’empereur Louis Le Débonnaire se préoccupa des débordements de la Loire, dont les inondations
fréquentes causaient les plus terribles désastres. Il fit faire, à Roanne, les premiers travaux
d’endiguements dont l’histoire ait gardé le souvenir. Pendant la guerre de Cent ans (1336-1453),
les Anglais prirent et brûlèrent Montbrison et quelques autres villes. Le Forez n’eut pas moins à
souffrir de ces troupes d’aventuriers et de mécontents qui s’appelaient les Mangelards, les
Croquants, les Retondeurs et les Tard-venus. Et le Forez passa aux mains des ducs de Bourbon en
1369. Les populations foréziennes eurent beaucoup à souffrir, entre la guerre civile, la peste , la
famine, et l’inondation de 1589, après les guerres de religion.
Le XVIII et XIXè siècles furent propices à la progression des terres labourables (céréales, cultures
fourragères, vignes, etc...) et à l’élevage (embouche en plaine et élevage traditionnel). Le
commerce sur le fleuve Loire est alors florissant et concerne d’abord le vin, mais aussi le blé, le sel
de Guérande, les pommes d’Anjou, le cacao ou le sucre des Antilles ainsi que de nombreux
matériaux de construction. La période révolutionnaire, qui fut particulièrement redoutable sur le
territoire pour les nobles et les ecclésiastiques, apporte de nouvelles espérances aux habitants de
la région. Le commerce et l’industrie prennent des développements considérables, favorisés par
l’ouverture des canaux, notamment le canal de Roanne à Digoin créé en 1832, et par
l’établissement des chemins de fer, dont le premier construit en France a été celui de Lyon à StEtienne en 1827. Mais c’est aussi avec l’apparition du chemin de fer, suivi de la route, que s’est
éteint le commerce sur la Loire fin XIXè.
Les plaines du Forez, de Roanne et de Montbrison sont à l’époque des régions agricoles
importantes, mais qui produisent moins qu’elles ne consomment. Les récoltes en froment, seigle,
avoine et orge sont insuffisantes pour les habitants qui achètent le surplus aux pays voisins. Ce qui
constitue alors la richesse des campagnes du Forez, ce n’est donc pas la plaine mais les coteaux,
accueillant gras pâturages et terres vigneronnes ainsi que les forêts des monts du Forez et du Pilat,
offrant plantes médicinales et bois pour les scieries. A l’écart, la plaine du Forez a mauvaise
réputation ; on la considère toujours comme marécageuse et insalubre. Ainsi peut-on lire dans un
manuel de géographie datant de 1874 :
« La plaine du Forez est fertile mais trop humide, semée d’étangs et de marais, aussi n’est-elle
point d’une irréprochable salubrité. Elle a besoin d’être drainée et irriguée, et c’est dans le double
but de la dessécher et de la féconder que l’on a entrepris la construction du canal du Forez,
emprunté à la Loire. Les curiosités naturelles du territoire sont nombreuses mais n’ont rien de
remarquables. On y trouve des volcans éteints, de hautes montagnes d’où l’on domine de vastes
horizons, de grands rochers, des gorges profondes, des cascades, des grottes. Mais ces volcans
éteints sont bas et n’ont rien d’exceptionnel ; ces montagnes sont faciles à gravir et elles n’ont ni
neiges éternelles, ni glaciers ; ces gorges sont belles mais elles ne sont pas grandioses ; ces
cascades ne sont que des cascatelles » (Joanne, 1874)
Puis, le territoire va très vite connaître des transformations considérables amorçant déjà le déclin
des campagnes. Par les pertes consécutives aux deux guerres mondiales conjuguées avec un
exode rural grandissant, la campagne forézienne subit au cours du XXè siècle une chute
démographique sans merci.
Le patois forézien appartient, pour la plus grande partie du territoire, aux dialectes romans ; dans
le nord du Roannais, il dérive de la langue d’oïl. Dans sa forme romane, ce patois a produit de
nombreuses poésies, remarquables de naïveté (Joanne, 1874).
176
… au fil de trois terrains
5. La Plaine du Forez en questions
La plaine du Forez, dessinée par les activités humaines, représente un territoire aux multiples
enjeux. On distingue cinq problématiques majeures dans la plaine, toutes issues d’altérations
anthropiques :
- l’agriculture intensive encourage la fertilisation et l’extraction d’eau phréatique pour l’irrigation
par aspersion corollaire (élevage bovin et cultures de maïs, céréales, betteraves…)
- les digues tout le long du fleuve, marquant une barrière nette entre lit mineur et lit majeur,
limitent la divagation et la dynamique du fleuve lors des crues. L’endiguement des berges
provoque un certain nombre de dysfonctionnements, car ce sont des milieux dynamiques
pouvant évoluer très rapidement grâce aux phénomènes de sédimentation, d’embâcle et
d’érosion. La construction des digues ralentit tous ces phénomènes privant ainsi le fleuve de
l’érosion latérale et de sédiments à charrier. Quand le fleuve ne peut plus utiliser son énergie à
éroder les berges protégées par des digues, il l’utilise à inciser son lit. Cette incision provoque
l’enfoncement de la nappe phréatique. De plus, les digues coupent le fleuve de ses milieux
annexes et on assiste à l’assèchement des marais et des bras morts.
- l’extraction de granulats a eu lieu chronologiquement dans le cours vif de la Loire, puis en lit
mineur et actuellement en lit majeur du fleuve. On distingue deux types de gravières : les
gravières en eau et les gravières remblayées avec des débris de démolition. L'extraction de
granulats a été faite au détriment du stock alluvial, ce qui a provoqué un abaissement général
du lit, l’affleurement des marnes tertiaires, la disparition des bancs et des îles. L’affleurement
des marnes a des conséquences négatives sur la flore et la faune car elles constituent un
substrat biologiquement pauvre. De plus, l’exploitation intensive de granulats en lit mineur a
privé le fleuve de ses filtres naturels que constituaient le sable et les graviers.
- le barrage de Grangent, en amont, qui coupe le fleuve et limite l’apport en sédiments. La Plaine
du Forez se situe entre le barrage de Grangent à l’amont et celui de Villerest à l’aval. Le premier
dysfonctionnement dû aux barrages est constaté au niveau des débits. Au cours d'une même
journée, le débit instantané peut varier de moins de 5m3/s à plus de 200m3/s suite aux lâchers
du barrage. Les débits sont fortement dépendants de la production hydroélectrique de Grangent
qui a tendance à réguler le régime hydrique du fleuve. Le turbinage influence les niveaux d'eau
au moins jusqu'à Feurs. En revanche, le barrage n'a aucune influence sur les grosses crues,
mais il écrête les crues de faibles amplitudes, ce qui se traduit par un développement généralisé
de zones boisées dans le lit mineur de la Loire et par une disparition des milieux ouverts. Cette
végétation, associée aux déchets, forme des embâcles pouvant être dangereux. Parallèlement à
cela, les barrages constituent un obstacle pour la faune. De ce fait, même si la qualité de l’eau
et du milieu naturel permettent la re-colonisation du fleuve par des espèces de poissons
migrateurs comme les saumons, la présence de barrages non aménagés pour le passage de la
faune, comme Grangent et Villerest, empêche toute évolution de ce type. En créant une
coupure sur le fleuve, les barrages créent un cloisonnement des milieux naturels.
- le canal du Forez, deuxième axe structurant de la Plaine du Forez après le fleuve Loire. Sa prise
d’eau est située au niveau du barrage de Grangent. Ce canal, essentiellement à usage agricole,
permet l’irrigation de la rive gauche de la plaine et dans une moindre mesure celle de la rive
droite jusqu’à Feurs. L’eau qu’il fournit est aussi utilisée pour l’industrie (verrerie) et pour
l’adduction d’eau potable. Sa ponction sur le fleuve Loire est de 2 à 3m3/s, ce qui ne va pas
sans poser de problème, notamment l’été, lorsque le fleuve présente un débit d’étiage. Il
177
Partie 3 : Une méthodologie évolutive…
dessert actuellement 5.500 hectares à quoi s’ajoutent plus d’un millier d’hectares par pompage
direct dans la Loire et ses affluents.
Les nombreuses extractions de granulats et la rétention des sédiments dans le barrage de
Grangent ont marqué le secteur par l’enfoncement du lit et l’apparition du seuil de marne. Cet
enfoncement a pour conséquence la déconnexion des milieux humides avec le fleuve et la
disparition de certains d’entre eux. De plus, l’intensification des pratiques agricoles entraîne une
banalisation importante des milieux prairials contigus. On voit donc que la plaine du Forez est
partagée entre des thèmes productivistes (irrigation, pisciculture), des thèmes de gestion
traumatisants au plan écologique (production énergétique, gravières, digues de protection) et des
thèmes environnementalistes (conservation des paysages d’étangs, gestion d’une avifaune de
qualité notamment dans le cadre de l’écopôle du Forez) (Bethemont, 2000). Une multiplicité
d’acteurs, des usages divers, des vision du monde qui s’affrontent.
« Certains défenseurs de la nature s’indignent contre toute modification du beau paysage du Forez.
Que tout y demeure en l’état, que rien ne change : conservons, disent-ils, les équilibres. Les
équilibres ? Pendant des siècles, la terre du Forez a été réputée désolée, le sol pauvre, le climat
aride. Du Moyen-Age jusqu’au début du XIXè siècle, on n’y voyait presque point d’arbres ni de
haies vives. Il a fallu le développement des étangs, le drainage, le creusement du canal du Forez et
tout l’immense travail d’hommes modestes, patients et opiniâtres, pour que peu à peu, le paysage
change. Le Forez n’est pas né d’une opération du St-Esprit, il est né de main d’homme. C’est
pourquoi il est beau » (Blanc, 2000).
Ancien Forum Segusiavorum, la Plaine du Forez subit successivement la domination
des Romains, des Bourguignons, des Francs, des Anglais pour prendre son envol à la
Révolution ; un développement important mais de courte durée. La plaine du Forez n’a
jamais été une région riche et connaît aujourd’hui, comme d’autres, le déclin des
campagnes. Plaine agricole avant tout, ce terrain exploratoire présente un paysage
anthropisé, ce qui n’empêche pas une richesse faunistique et floristique importante.
L’hydrosystème qu’intègre la Plaine est principalement caractérisé par la Loire et ses
affluents, la nappe et de nombreux étangs. Le plus long fleuve français, la Loire, par
sa dynamique irrégulière, est vu comme menaçant ; par les barrages, la pollution et
les gravières, est vu comme menacé. Les grands enjeux de la Plaine du Forez sont
d’ailleurs tous reliés au fleuve Loire à savoir les impacts de l’agriculture intensive, les
digues, l’extraction de granulat, le barrage de Granjent et le canal du Forez. Une
plaine agricole, donc, traversée par une Loire qui fait parler d’elle.
178