L`ART EN JEU... POUR UNE MEDIATION LUDIQUE ET

Transcription

L`ART EN JEU... POUR UNE MEDIATION LUDIQUE ET
#7 – The Game / Le Jeu – 2007/12/08
www.edit-revue.com
L'ART EN JEU... POUR UNE MEDIATION LUDIQUE ET PEDAGOGIQUE ADAPTEE
AUX ENFANTS
« Le joujou est la première initiation de l’enfant à l’art, ou plutôt c’en est pour lui la première
réalisation ». Voici l’affirmation d’un lien intrinsèque entre le jouet et l’art par Baudelaire, dans son
texte « morale du joujou »1. L’enfant crée par l’intermédiaire du jouet, et les lieux d’art utilisent
aujourd’hui le vecteur jeu comme activateur de sens devant l’œuvre. Quel lien entre le jeu et l’art
et jusqu’où aller ? Les musées cherchent à attirer des petits visiteurs dans leur lieu d’exposition.
En effet, il y a encore vingt ans, le jeune public n’avait aucun impact dans les politiques muséales,
les accrochages et les cartels laissaient aux seuls adultes le privilège d’avoir accès à l’œuvre.
Désormais, l’on prend de plus en plus en compte les enfants car ils apportent la possibilité de
vivre la visite du musée en famille et engendrent une fidélisation accrue, du moins lorsque les
musées parviennent à renouveler le choix des activités proposées.
par Sandra Doublet
Depuis la loi musée du 4 janvier 2002, les établissements publics ont une mission d’éducation2 et
le jeune public est le plus visé par cette exigence pédagogique. Pour son ouverture, la Cité de
l’architecture et du patrimoine a proposé à neuf femmes architectes de réfléchir aux tendances de
la maison idéale : elles ont conçu « la villa de Mademoiselle B. »3, initiale derrière laquelle se cache
l’icône des poupées, Barbie. L’exposition s’adresse aux petits comme aux grands, les enfants
peuvent ensuite s’initier à un projet d’architecture en imaginant à leur tour la maison de Ken, un
concours de dessin est organisé, intitulé « A bachelor’s House for Ken » et pour lequel les
gagnants reçoivent des jouets ! Dans le même esprit, la Cité de la musique présente un panel
d’activités et de concerts destinés au jeune public : contes, ateliers musique et parcours avec
énigmes dans les collections du musée permettent d’explorer l’histoire de la musique à travers le
temps et les cultures.
Parfois ce sont des initiatives personnelles qui mènent à des projets singuliers. Les ateliers TokTok du Palais de Tokyo ont été créés par Tanguy Pelletier, aujourd’hui chargé de la
programmation des activités auprès du jeune public. Selon lui, l’art contemporain n’est pas si
hermétique qu’on le prétend, il est même à la portée des enfants par l’intermédiaire des activités
ludiques. Il ajoute que le médiateur tient alors un rôle essentiel, il devient le véritable trait d’union
entre l’œuvre et l’enfant, et va guider le petit visiteur dans sa découverte du musée.
Les lieux d’art s’orientent donc aujourd’hui vers la réception de l’œuvre par le jeune public. Même
les institutions qui par leur collections auraient pu laisser de côté cette démarche pédagogique et
ludique choisissent de proposer des activités auprès du public enfant. C’est le cas de la Maison
Rouge, fondation d’initiative privée dédiée à la création contemporaine, qui vient de créer un poste
de chargé des publics et adopte dans ses objectifs de diffusion de s’adresser spécialement à un
public ciblé dans ses activités, comme par « le mercredi on goûte aux contes », destiné aux 4-12
ans.
Mais lorsqu’un musée décide de consacrer un parcours de visite au jeune public, quel moyen est
alors utilisé pour le sensibiliser ? Le jeu est le meilleur ami de l’enfance, il va donc être mis en
œuvre comme l’élément déclencheur du plaisir et de l’apprentissage de l’art. Ateliers, mallettes et
espaces enfant fleurissent dans les musées, avec plus ou moins de perspicacité et les démarches
pour atteindre l’intérieur de leurs petites têtes blondes sont de plus en plus pertinentes. Quels
sont alors les ingrédients pour arriver à l’interaction des jeunes visiteurs avec l’art ? Voici quelques
1
Morale du joujou, 1853, réécrit en 1869.
Cette loi définit entre autres les missions des musées de France, dont concevoir et mettre en œuvre des actions
d’éducation et de diffusion visant à assurer l’égal accès de tous à la culture.
3
Exposition « La villa de Mademoiselle B. », Cité de l’architecture et du patrimoine, du 11 octobre 2007 au 27 janvier 2008.
2
#7 – The Game / Le Jeu – 2007/12/08
pistes sur la manière de tracer un parcours, une visite ou un atelier qui promettent ainsi de faire
éclore amusement et découverte de l’art. Petite leçon pour réussir à semer de l’art dans l’esprit
des enfants.
Creuser dans l'imaginaire à pleines mains
Il faut avant tout, pour concevoir une activité ludique réussie au musée, se replonger dans
l’enfance. Par le jeu, l’enfant va emprunter les voies de l’imaginaire pour mieux se saisir du réel.
C’est la théâtralisation de son quotidien le plus banal, il s’invente toujours de nouveaux rôles,
aventurier un jour, docteur le lendemain : jeu est un autre… L’approche ludique s’avère
indispensable dans les pratiques de médiation tournée vers l’enfant : c’est intégrer l’œuvre à son
quotidien fait d’imaginaire. En utilisant cette possibilité de s’échapper du réel, l’enfant ouvre un
passage pour découvrir l’œuvre d’art plus facilement que sans cet écran fictionnel. Il quitte alors
ses repères pour une expérience autrement relative du temps et de l’espace. Aussi ce mode
divertissant de pensée devant l’œuvre d’art permet à l’enfant de réorganiser le monde qui lui est
présenté en se l’appropriant. Mais il ne faut pas voir dans le ludique une simplification du discours
sur l’œuvre. Tanguy Pelletier ne considère pas seulement l’esprit ludique, pour lui il est plutôt
question d’une approche ludique : « Ce n’est pas s’amuser des œuvres, avec les œuvres, c’est
avoir différentes entrées possibles pour accéder à l’œuvre. Le processus narratif offre une manière
différente de poser le regard sur l’art »4. Il y a donc une liberté avec les œuvres, on va multiplier
les moyens d’accès : mimes, histoires loufoques, musiques, etc, qui vont aider à se laisser
emporter par le jeu de l’imagination.
C’est l’accessibilité plus que la simplification du discours qui se joue dans l’activité ludique. Le
magazine d’art destiné à la jeunesse, Dada, décomplexe ainsi totalement cette vision intellectuelle
de l’art depuis 1992 et joue avec les codes de l’imaginaire pour donner envie à l’enfant de
découvrir les œuvres au musée. L’enfant est encouragé à chercher des correspondances entre son
quotidien et les œuvres reproduites dans le magazine, à fabriquer des objets, à se rapprocher ses
propres expériences de celles de l’artiste auquel on l’introduit. In situ, le Palais de Tokyo propose
des contes, sous la forme d’une visite interactive autour d’une trame fictionnelle qui sera réutilisée
ensuite pour des activités. Les contes destinés aux 3-6 ans vont permettre à l’enfant de prendre
conscience des œuvres qui l’entourent : quand la fiction est dévoilée, l’œuvre devient un
accessoire avec lequel on prend des libertés. C’est donc essentiellement par le biais d’un
personnage et d’une histoire que l’enfant pénètre dans l’univers de l’artiste.
Planter ses petites créations
L’enfant comme acteur au musée va avoir la possibilité de s’approcher encore plus près de
l’oeuvre par le corps, en réalisant ses propres productions. Il aura alors une approche dépassant la
simple contemplation en ne se limitant plus à l’usage de ses yeux mais en mettant à contribution
ses mains, ses mouvements et déplacements, jusqu’à son corps tout entier dans la découverte…
Une œuvre qui se met à la hauteur de ses visiteurs, le toucher, les odeurs, les sons, les activités
manuelles créent alors une interactivité qui déclenche le plaisir en mobilisant le corps et l’esprit.
Il faut mieux choisir les sentiers détournés pour présenter une activité. Plutôt qu’une forme
littérale sans surprise du style « fabrique ton œuvre », l’on doit susciter l’envie de percer l’énigme
en passant par un filtre fictionnel. Dans une exposition consacrée à Liam Gillick5, le Palais de
Tokyo avait nommé son atelier « Fais pas ci fais pas ça tralala ». Les propos de Liam Gillick
abordant des aspects sociaux complexes étrangers à l’univers des enfants, on utilisait
l’intermédiaire d’un personnage imaginaire permettant aux enfants d’accéder au discours. L’atelier
consistait à recréer une manifestation dans le lieu de l’exposition où la contestation serait celle
des enfants contre les épinards, brossages de dents et autres tortures enfantines. Le petit visiteur
va donc à son tour créer, réaliser un objet toujours dans une cohérence avec le monde qu’il s’est
fabriqué, peuplé de personnages imaginaires. Il va donc se tourner vers la peinture, les
découpages, les montages photo pour s’amuser et approcher par ce biais la genèse d’une œuvre
d’art. Il met également son corps en scène et prend conscience de celui d’autrui dans l’espace. Le
4
Entretien avec Tanguy Pelletier, chargé de la programmation des activités auprès du jeune public au Palais de Tokyo, le 15
octobre 2007.
5
Du 26 janvier au 27 mars 2005.
#7 – The Game / Le Jeu – 2007/12/08
Centre Georges Pompidou propose par exemple
professionnels devant les œuvres d’art.
des ateliers mimes, animés par des
Les bornes interactives sont également un médium permettant l’implication et l’activité de
l’enfant. Les musées étaient le monde de la médiation écrite réservée aux adultes depuis leur
invention. Aujourd’hui, la borne interactive permet à l’enfant de jouer, sinon de toujours utiliser la
borne pour ce à quoi elle a été conçue et propose une porte d’entrée de plus vers l’univers de
l’objet à découvrir. L’enfant va toucher, agir sur le discours proposé, son investissement va
idéalement donner une possibilité d’activer des notions qu’il découvre ou retrouve. L’exposition
Ombres et Lumières à la Cité des Sciences6 révélait cette importance du jeu, de l’expérience
scientifique à travers le parcours d’une maison, de l’entrée au jardin en passant par la cuisine.
L’enfant s’impliquait en réalisant des expériences simples et amusantes pour tenter de
comprendre la difficile notion du spectre de la lumière. Le jeu se fait alors par l’expérimentation et
c’est par ce moyen que l’enfant participe à une activité sociale et éducative. Cependant ce format
de présentation est pour Tanguy Pelletier « plus pertinent dans les expositions scientifiques,
surtout quand il n’y a pas la matière palpable évidente ». Selon lui, dans le champ de l’art
contemporain, l’œuvre est le matériau qui va porter les commentaires, il n’est donc pas toujours
nécessaire de faire appel à la technologie, mais il convient par contre de privilégier les relations
humaines. C’est sur ce point que les ateliers enfants du Palais de Tokyo ont souhaité mettre
l’accent.
La main dans la main
Jeu et temps de socialisation, les ateliers sont également le lieu des relations avec les autres. Les
dispositifs de parcours avec mallettes ou outils multimédia sont une approche différente, souvent
individuelle, pouvant apporter de nombreux outils de compréhension. Cependant ces moyens
pédagogiques doivent rester un support pour l’atelier et non devenir un but en soi. Au Palais de
Tokyo, on tente de mettre en avant l’importance de la personne qui accompagne l’enfant dans sa
découverte du musée. Le médiateur va mettre en avant sa personnalité et sa voix posée et
dynamique fera entrer l’enfant dans l’univers ludique de l’art. Un bon médiateur alternera les
moments de distraction et moments plus sérieux, facilité et difficulté, réflexion et divertissement
s’alternent pour mettre l’enfant en condition de réussite. Lorsque la borne et la mallette suivent le
même fil directeur, les ateliers conçus uniquement autour des médiateurs laissent la possibilité de
varier et de faire évoluer semaine après semaine les activités. De façon pragmatique, la conception
et la réalisation de l’atelier sont intimement liées. Tanguy Pelletier remarque que ses ateliers «
sont toujours mieux en milieu d’exposition qu’au début ». Cela prouve l’importance des qualités
humaines mises en jeu, les médiateurs voient ce qui fonctionne plus ou moins dans le dispositif
ludique et modifient la manière d’aborder l’activité en fonction des ressentis des enfants. Le
maître mot ici est donc le détournement des formes, on recrée sans cesse de nouvelles activités:
l’utilisation des qualités humaines et de l’humour dans l’approche de l’œuvre permettront alors
d’atteindre un dérèglement des sens proche de l’infini.
Repartir avec son bouquet à la main
Ne pas vouloir inculquer un savoir mais inviter à voir : voilà le but du jeu dans les visites destinées
au jeune public. Ici, c’est un rapport à la production différent de celui de l’école qui est proposé.
Dans les activités du musée, la curiosité l’emporte, on veut découvrir la solution de l’énigme, car
le jeu n’est ce pas démêler un secret ? L’enfant produit un scénario par l’imagination et,
accompagné du médiateur, il va garder la trace de son activité. De cette manière, une réalisation
créative éclot hors de toute sphère évaluative. Cette technique pédagogique se voudra toujours
gratifiante pour l’enfant. Il faut le hisser vers la réussite, car ce n’est pas une évaluation scolaire,
toute participation étant encouragée et validée, qu’elle soit exacte ou redirigée. Le résultat ne peut
qu’être positif pour l’enfant qui apprend, s’amuse, et recrée ainsi son petit théâtre de l’art. Il n’est
pas dans une optique de résultat, il doit seulement passer un moment agréable au musée. Les
jeunes visiteurs réalisent une œuvre qui sera ramenée à la maison, mise en valeur, par
l’accrochage, parfois dans le lieu même d’exposition. Les sites internet des institutions stimulent
également les productions artistiques hors du musée, en manière de préambule à la visite ou en la
prolongeant. Aujourd’hui de nombreux espaces sont dédiés aux enfants sur les sites des musées,
6
Exposition « Ombres et lumière », du 18 octobre 2005 au 1er juin 2007 à la Cité des Sciences.
#7 – The Game / Le Jeu – 2007/12/08
proposent d’amener découverte, création et réflexion à domicile et l’enfant a même parfois la
possibilité de réaliser son œuvre d’art en ligne. Ainsi, le petit internaute découvre avec le Centre
George Pompidou plusieurs artistes exposés ou intervenant au musée, et crée une œuvre avec des
matériaux donnés (photomontages), qui sera affichée dans une rubrique révélant un patchwork
détonant d’œuvres enfantines. Ailleurs, un espace de composition musicale est proposé sur le site
de la Cité de la musique, « La pâte à son » offre à l’enfant la possibilité de réaliser sa propre
création musicale. Ces productions, au musée ou hors les murs lui permettront de se découvrir,
même seul, un potentiel de créativité.
Qu’il soit dans le salon ou le musée, l’enfant va entraîner son accompagnateur dans son monde, et
lui faire redécouvrir sa propre enfance. Les visites en famille doivent aujourd’hui être repensées et
sans cesse renouvelées, car les parents sont de plus en plus demandeurs de ces modes
d’accompagnement. Plus besoin de trouver un prétexte du genre « Je vais rester avec le petit
Kévin, il est timide » pour suivre une visite au musée : on propose aujourd’hui aussi aux parents
de suivre un parcours divertissant avec leurs enfants. Pourquoi ne pas envisager alors des visites
ludiques pour les adultes ? En regard de ce bouillonnement d’activités féeriques et divertissantes
proposées aux enfants autour de l’œuvre, il est possible d’affirmer que faire entrer le jeu dans le
musée ce n’est pas instaurer un monde Disneyland de la culture au rabais. Au contraire, le ludique
peut devenir poétique sensible, touchant les petits et grands.
C’est par ces voies détournées que l’enfant atteindra l’essentiel : ressentir devant l’œuvre d’art. Le
jeu au musée ou la voie de la connaissance vers l’œuvre d’art...
+++
Espace dédié Jeunesse de la Cité de la Musique
Exposition Ombres et lumières à la Cité des Sciences
www.junior.centrepompidou.fr/
Calendrier des ateliers Tok Tok du Palais de Tokyo
www.cityjunior.com/

Documents pareils