LL iviATRICULE DES AN

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LL iviATRICULE DES AN
Date : JUIN 16
Page de l'article : p.1,19
Journaliste : T. G.
Pays : France
Périodicité : Mensuel
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LL iviATRICULE
DES AN
temporaire
Antidata
Mario Vargas Llosa
Gilles Ortlieb
Joseph Andras
Hwang Sok-yong
Erika Fatland
Ishikawa Takuboku
Velibor Colle
les morsures
de l'exil
Tous droits réservés à l'éditeur
GALLIMARD 2945128400524
Date : JUIN 16
Page de l'article : p.1,19
Journaliste : T. G.
Pays : France
Périodicité : Mensuel
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Je vous écris d'ailleurs
Vitrail sensible de l'errance, le nouveau roman de Velibor Collé s'inscrit dans la veine
autobiographique d'un homme déraciné.
C
'est le récit fragmenté d'une
errance perpétuelle Celle
d'un homme que l'Histoire a
jeté aux vents mauvais Jeté
hors de sa terre, jeté hors de son temps,
conduit hors de sa langue natale C'est
aussi le récit, peut-être, d'une renaissance quand l'écrivain part vers l'Est a
la rencontre d'autres fétus humains aux
dépens desquels l'Histoire a ricané
On débarque a Rennes avec Velibor
Colle, puisque c'est lui, ce « je » qui, se
dévoilant, décrypte aussi ce pays qui est
le nôtre. Arrivée douloureuse parmi les
demandeurs d'asile du foyer : « La. mi
sere du monde s'est donné rendez-vous à
Rennes en cette fin d'été 1992. ( ..) des
Tous droits réservés à l'éditeur
hommes perdus depuis longtemps, peut-être
depuis toujours, entre les diverses administrations et ks frontières, entre k vrai monde
et ce sous-monde des Moyens de seconde
classe, sans papiers, sam visage et sans espoir » (p 21) Lin monde où manger nécessite une strategie, où le suicide devient une rêverie. À la porte duquel
viennent frapper les souvenirs de la
guerre qui brûle la terre des Slaves du
sud Ce sont de longues semaines durant lesquelles l'écrivain se découvre
analphabète, le gouailleur muet. Pas de
pathos pourtant dans ces pages où
chaque texte est une pièce de mosaique, dessinée au plus près d'une
condition humaine cabossée. L'élégance du désespoir insuffle
à Velibor Colle l'art de la
chute,
drôle souvent,
comme s'il fallait en rire
plutôt que d'en pleurer. Ou
lyrique d'autres fois, tel l'alcoolique qui tutoie les
étoiles. Comme si l'écriture
n'avait d'autre fonction que
celle de réécrire, en mode
meilleur, la chose vécue.
L'écriture est aussi ce qui
sauve du suicide . « J'écris
tout le temps, partout Je papillonne au moins dix fois par
heure entre mes récits. » Deux
romans tiennent l'écrivain à
sa table, ainsi qu'un essai
sur la guerre et un long
poème Le sang coule aussi
dans ses stylos.
Tmtm et Albert Camus lui
enseignent la langue d'adoption • « /? me faut apprendre le
plus rapidement possible le
français Ainsi ma douleur restera à jamais dans ma langue
maternelk. » Et la littérature
le sauve quand paraît, che?
Galilée d'abord, au Serpent
à plumes aussitôt après le magnifique
Les Bosniaques qu'il écrit à Strasbourg.
La guerre est là qui, à défaut d'mtéresser les Français, dessine un champ d'affrontement mediatique aux intellectuels
français Pour faire couleur locale, Velibor Colle est invité avec quelques-uns
de nos beaux esprits maquilles pour les
plateaux téle On devine lesquels et cela
donne des pages aiguisées au vitriol
C'est que l'écrivain croato-franco-bosnien excelle dans le croquis vif, le trait
tiré sur le motif Portraits et saynètes
sont saisis comme noix de beurre sur
plancha . maîs c'est le lecteur qui grésille de plaisir. L'humanité résiste à l'air
du temps autant qu'aux méfaits de
l'Histoire.
Tant qu'on meurt à Sarajevo, l'écrivain
bosniaque intéresse les radios. Ironique
et lucide, Velibor Colle préfere porter
son affection a ses semblables, les perdants magnifiques Maîs il ne s'épargne
pas lui-même, geant maladroit et enfant
éternel, dans un autoportrait sans fard
qui puise cependant dans la large palette des émotions humaines.
Et puis il y a ce voyage vers l'Est, la
Hongrie où il rencontre un rescapé des
camps, Joseph Korda et sa galerie de
morts. On est au plus noir du siecle et
pourtant ces pages sont lumineuses.
C'est que Velibor Colle a su trouver
dans l'Autre, dans son destin, une manière de raconter son propre gouffre
Dans un partage pudique où tout à
coup plus aucune voix ne fanfaronne
II faut donc lire Manuel d'exil à rebours
de ce qu'il propose • non pas comme le
vade-mecum d'un monde aux frontières tangibles, maîs plutôt comme un
art de se rendre present aux courants
d'air et à la silhouette d'une femme qui
passe.
T. G.
MANUEL D'EXIL Comment réussir son exil
en trente-cinq leçons, Gallimard, 199 p , 17 €
GALLIMARD 2945128400524

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