Shane Wolf Rencontre

Transcription

Shane Wolf Rencontre
u Thrust (série Eidolon), huile sur toile, 223,6 x 100 cm.
Rencontre
Wolf
Texte : Valérie Auriel
Photos : Shane Wolf
Shane
Corps en
majesté
Shane Wolf peint la beauté
naturelle du corps humain,
son énergie vitale. Dans
des grandes toiles pleines
d’énergie, il fusionne l’élégance classique du dessin
académique et la puissance d’une touche plus
contemporaine.
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l’espace d’une manière théâtrale. Sur
un chevalet, un nu féminin au fusain
s’offre à la contemplation. Un peu plus
loin, un écorché en argile est en train
de naître sous les doigts de l’artiste.
Pour Shane Wolf, le corps humain est
une passion et une source inépuisable
d’inspiration. « D’aussi loin que je me
souvienne, j’ai toujours été attiré par
le corps. Enfant, j’adorais regarder les
Jeux olympiques, les ballets à la télévision… Pour moi, le corps exprime
u Fusion (série Eidolon), huile sur toile, 116 x 73 cm.
toutes les qualités : la magnificence, la
force, la grâce, l’élégance, la sensibilité, la vulnérabilité, que des jolis mots
français ! Je peins des nus, car alors,
l’être ne revêt plus de masque, il est
naturel. »
Shane Wolf n’a pas toujours pensé
faire du corps humain un moyen
d’expression artistique. Une succession de hasards l’a amené à devenir
peintre. « J’ai toujours aimé dessiner,
mais je ne pensais pas pouvoir gagner
ma vie en tant qu’artiste. » Aux ÉtatsUnis, le jeune homme se destine au
métier de graphiste. Pendant ses
études, il effectue un stage chez Salomon, une entreprise française d’articles de sport, qui lui propose de venir
travailler dans notre pays. Il accepte
et s’installe à Annecy. Au moment de
renouveler son contrat, celui-ci part en
fumée dans l’incendie de son appartement. « C’était un signe du destin.
J’ai décidé de partir pour un tour du
monde. Au cours de mon voyage,
une personne m’a parlé d’une école
de dessins académiques à Florence
en Italie. À l’époque, je n’avais jamais
dessiné le corps humain, mais j’ai tout
de suite su que je voulais m’y rendre. »
Shane Wolf reprend ses études pour
quatre ans. Il dessine six heures par
jour plâtres, natures mortes, modèles
au crayon graphite, au fusain avant
d’attaquer le travail de la couleur et
de la matière à l’huile. « Je ne pouvais
pas trouver meilleure école ! C’était
une académie à l’ancienne avec très
peu d’élèves par atelier. Ma première
leçon a consisté à bien tenir et tailler un
crayon ! » Après sa formation, l’artiste
revient en France fin 2009. « Vivre à
Paris, c’était mon rêve ! Votre pays
mêle tradition et modernité. J’ai pensé
que cette atmosphère serait un catalyseur pour ma créativité. »
du peintre emplissent l’espace avec
énergie. L’artiste a choisi de ne pas
représenter ou de suggérer certaines
parties du corps. « J’aime que l’on se
demande si l’on assiste à une création
ou une désintégration. » Pour peindre
ces toiles, Shane Wolf suit un long
processus créatif. Il ne travaille qu’avec
des modèles vivants qu’il fait poser
dans son atelier. « Je ne veux pas que
mes toiles ressemblent aux académies
du passé. Je veux peindre pour mon
époque, pour le XXIe siècle. Je choisis
Le summum
des compliments
Dans la solitude de l’atelier, Shane Wolf
cherche à s’éloigner de l’académisme
pour affirmer un style plus personnel.
Il peint le corps humain en mêlant
culture classique et langage contemporain. Cette quête s’incarne dans une
série de toiles intitulée Eidolon. « C’est
un terme grec difficile à traduire, qui
désigne un être à la fois réel et irréel,
comme un reflet dans le miroir. » Dans
cette série, sur des fonds abstraits
très dynamiques, des corps féminins
et masculins magnifiés par le pinceau
Dessins & Peintures Thématique n° 36
u Serenity, huile sur toile, 73 x 50 cm.
u Vénus (série Eidolon), huile sur toile, 223,6 x 100 cm.
Un garage au fond d’une cour d’une
ville animée et populaire de la banlieue
parisienne. Au bout d’un long couloir
encombré d’objets hétéroclites, derrière une porte en fer, se cache l’atelier
du peintre américain Shane Wolf. Les
lieux, préservés de l’agitation bruyante
de la rue, semblent hors du temps.
Une verrière au plafond éclaire une
estrade de bois d’une douce lumière.
Un modèle prendra la pose très bientôt. De grands rideaux bruns délimitent
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Shane Wolf
Rencontre
des modèles au physique contemporain. J’ai peint des personnes tatouées,
des Métis, des sportifs. Ce sont souvent des personnes jeunes, athlétiques, mais j’aimerais bientôt peindre
des personnes âgées. » Si la beauté
est importante pour l’artiste, il affirme
ne pas s’arrêter au seul physique. Le
modèle doit dégager de la force, exprimer une personnalité. « La beauté
est un mot qu’on emploie facilement,
mais pour moi, il désigne le summum
des compliments. La beauté est l’ensemble des choses positives qui nous
font rêver, nous donnent des frissons.
La beauté est ce qui nous élève, nous
transporte. »
Pendant les séances de pose, l’œuvre
s’élabore lentement. Shane Wolf
recherche avec ses modèles la meilleure attitude, il se laisse guider par
leurs propositions. Il apprécie les compositions originales qui donnent une
autre vision du corps. « Je ne veux pas
que mes œuvres aient un air de déjà
vu. Dans un de mes anciens ateliers,
je disposais d’une mezzanine qui me
permettait de travailler en plongée ou
contre-plongée. J’utilise également
des miroirs qui changent les perspectives. » Shane Wolf est un perfectionniste. Il peut chercher la pose
idéale pendant plusieurs séances,
tout en réalisant des croquis rapides
au crayon. Quand il pense avoir trouvé, l’artiste effectue des dessins, des
ébauches à l’huile en tournant autour
du modèle pour mieux comprendre
les volumes et décider de l’angle.
u Les Jonquilles
pastel sec,
70 x 50 cm.
Matériel
Shane Wolf n’aime pas travailler sur les toiles apprêtées du commerce. Il tend
donc lui-même sa toile de
lin sur châssis, la prépare à
la colle de peau, puis l’enduit avec un apprêt gras à
base de blanc d’argent qu’il
laisse sécher pendant un
an. L’artiste teinte parfois ce
fond d’un brun rosé pour les
études plus académiques.
Sa palette de couleurs est
réduite. Shane Wolf utilise
surtout des terres et des
rouges : blanc d’argent,
ocre jaune, rouge perse,
rouge cadmium, terre
d’ombre naturelle, terre rougeâtre, terre d’ombre brûlée,
noir d’ivoire…
La force vitale
de l’Homme
u Soumission (série Eidolon), huile sur toile, 223,6 x 100 cm.
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Après ces séances d’après nature,
Shane Wolf passe à la toile. « J’aime
peindre sur de grands formats, parfois
au-delà de l’échelle réelle. C’est une
façon de sortir de l’académisme, où
les œuvres sont souvent petites. Dans
ma peinture, je souhaite représenter la
force vitale de l’Homme. Pour rendre
cette force, il faut un format important. » L’artiste commence par peindre
un fond abstrait à larges coups de
brosse. Comme il a réalisé des études
à l’huile auparavant, il sait quelles vont
être les harmonies de couleur, la composition. Même si parfois, il doute un
peu. « Cette étape est à la fois amusante et dynamique. Mais quand j’ai
terminé, je me demande si ce désordre aura un sens. » Il intègre ensuite
Dessins & Peintures Thématique n° 36
u Voici l’Homme (série Eidolon), huile sur toile, 223,6 x 100 cm.
Shane Wolf est né en 1976 à
Cincinnati, aux États-Unis. Il se
forme aux techniques du dessin
et de la peinture académiques
à l’Angel Academy of Art à Florence. Installé en France depuis
2009, il est représenté par la
Galerie L’œil du prince, à Paris.
u Ribes écarlates, pastel sec, 48 x 68 cm.
L’artiste
cependant une vingtaine d’heures à la
fin pour les derniers détails. »
Après cette série sur les Eidolons,
Shane Wolf se fixe un nouveau défi. Il
peignait jusqu’à présent des nus solitaires, il s’attèle maintenant à des compositions à plusieurs personnages.
Autre évolution, il ne commence plus
directement ses recherches préparatoires avec les modèles. Il construit
d’abord son projet sur le papier en
inventant les poses. « J’entre dans
une phase plus imaginaire. Je me
nourris de musique, de poésie. Je suis
moins dépendant du modèle. Même
si je continue ma pratique du dessin
d’après nature. » Ces toiles seront terminées et exposées dans quelques
mois. En attendant, elles sont dissimulées au regard du visiteur de l’atelier
derrière le grand rideau brun. Shane
Wolf ne sait pas tout à fait s’il mêlera
encore langage abstrait et dessin clas-
u Suspension (série Eidolon), huile sur toile, 223,6 x 100 cm.
le personnage sur le fond sec sans
le recouvrer totalement. « J’avance
assez lentement, car je n’ai pas le droit
à l’erreur. Je suis à l’écoute de ma
toile, je m’arrête régulièrement pour la
regarder. » Pour gérer le séchage de
l’huile, l’artiste travaille sur plusieurs
œuvres, en prenant son temps. Un
grand format lui demande une centaine d’heures. « Grâce mes dessins
préparatoires, je peux réaliser 80 % de
la toile sans modèle. Celui-ci revient
Dessins & Peintures Thématique 36
sique. Par contre, une chose est sûre,
l’artiste continuera à célébrer le corps
humain et sa beauté intrinsèque. « Je
viens d’un pays très puritain où la religion nous inculque l’idée que l’homme
est né pêcheur et qu’il doit se soigner,
s’améliorer. Pour moi, cette idée est
gravement fausse et malsaine. Dès
notre naissance, nous avons toutes
les qualités, toutes les capacités pour
nous accomplir. Je veux montrer ça
dans ma peinture. Nous sommes
tous des génies, nous sommes tous
magnifiques ! »
o
Contacts : reportez-vous à
notre carnet d’adresses p.52
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