Guy Marchand

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Guy Marchand
C OUP
DE CŒUR
l’écoute de réalisations comme celles-ci
— et certaines bien plus récentes — on
peut se demander si ce n’est pas lui le
plus grand crooner de l’Hexagone —
même incompris ou ignoré trop souvent
— et personne d’autre... Sur le plan de
la qualité, non de la quantité s’entend.
Les éditions du Reader’s
Digest nous gratifient d’une de
leurs plus belles réalisations
avec un coffret de 3 CD de Guy
Marchand.
Chacun d’entre eux est
consacré à une facette musicale
de cet artiste d’exception. On y
trouve ses côtés « crooner »,
« latino » et « jazzy ». Voire jazz
tout court.
Même si toute classification
de ce genre est vouée à être
quelque peu réductrice, elle
atteint pleinement son but ici.
On ne peut que s’émerveiller
de l’éclectisme inouï, de la
palette si large de talents d’un
des tout grands chanteurs français de l’après-guerre.
Même si une certaine critique
plus ou moins influente semble
complètement sourde à ceux-ci.
Comme dirait Léo Malet, le
père de Nestor Burma : « Ils n’y
entravent que pouic » ! Ou ils le
méconnaissent plus que probablement.
• Coffret de 3 CD
(Sélection du Reader’s Digest)
Dès sa fameuse Passionnata, son
premier disque et plus gros succès
(1965), Guy Marchand, un artiste déjà
totalement décalé, frappe très fort. Un
cocktail de charme à peine macho et
d’un sens subtil de la dérision. Et puis
ce cri primal qui revient, ce contre-ut
insensé qui ne doit rien à quelque traficotage de studio. Sur ce même CD
« Crooner », on retrouve ce Sentimental
qui est presque une auto-citation stylistique où son chant flamboyant évoque un
paon qui fait la roue. Il a même été un
rocker très épisodique à cette période,
avec Le Knack et un Dancing qui est une
sorte de petite chronique de la vie des
jeunes de banlieue, qui se rêvent en
Johnny et Sylvie le soir au dancing. Il
faut noter que Guy n’est pas qu’une voix
et un clarinettiste occasionnel, c’est aussi
une sacrée plume.
Un tout grand moment de ce CD
« Crooner » est l’incomparable C’est une
chanson d’amour, avec un grand
orchestre — ce sont encore les années
fastes (1969). Avec sa voix magnifique
de baryton léger exceptionnellement bien
timbrée et si riche en nuances, il parvient
à égaler les plus grands evergreens d’un
Dean Martin.
Mais l’ambiance langoureuse et
rêveuse de la chanson ne sombre pas
dans le sirupeux : elle est interprétée sur
un tempo à la fois chaloupé et énergique
du meilleur effet.
Une exceptionnelle création du duo
Marchand-Missir (son directeur artistique alors).
Si on dit « crooner français n° 1 », on
pense en général à quelqu’un d’autre. Je
n’hésite pas à proposer une thèse : à
JE CHANTE MAGAZINE N° 2 — 1ER TRIMESTRE 2008 — PAGE 6
Talents d’auteur
Il faut évoquer ses talents d’auteur si
rarement mis au pavois. Las Vegas sur
Marne est une de ses faces B d’anthologie, ici celle du langoureux Relax.
Une dizaine d’années après Dancing
Guy, avec Hugues Dumas et son directeur artistique de haut vol Jean
Frédénucci, se penche avec une tendre
ironie sur la vie de jeunes gens qui se la
jouent dans une discothèque de banlieue
ou de province, qui rêvent en grand
format (américain) en s’inventant un
destin à paillettes que la vie leur refusera
toujours. Encore un auteur témoin de son
temps avec ses deux comparses, qui
livrent ensemble une chanson du type
« peinture réalistico-poétique d’une
micro-société » du niveau d’un Eddy
Mitchell des meilleurs jours. Eddy, son
vieux pote.
Le CD « Crooner » recèle d’autres
petits joyaux rares tels Les filles on
n’sait jamais, une des tentatives les plus
réussies de Guy adaptateur — sans doute
contraint et forcé et c’est paradoxal vu
la qualité — de succès anglo-saxons !
(Oh babe what would you say, de
Hurricane Smith en l’occurrence).
Le genre de refrain qui tape l’incruste
dans votre disque dur et qu’aucun bug ne
pourra déloger. Et puis évidemment le
tube-malentendu Destinée, une parodie
prise au premier degré par le grand
public et qui consolide sa réputation de
crooner — après ce Hey Crooner
toujours dans toutes les mémoires.
La pan « latino » de son œuvre — non
le mot n’est pas trop emphatique — est
peut-être encore plus riche et chatoyant.
Moi je suis tango est certes un classique,
mais il faut absolument (re)découvrir la
face B de ce single de 1975 crédité à
Guy ET Astor Piazzolla, qui a adoubé
son grand admirateur et thuriféraire français, dont les veines charrient du sang
gitan et espagnol. C’est Mister Tango.
De la lave en fusion
L’atmosphère de cette adaptation est
capiteuse, prenante et comme légèrement
menaçante. Puis arrivent des parties de
scat d’un Guy transcendant, qui se livre à
une sorte de joute violente et exaltée
avec le bandonéon déchaîné du maître.
De la lave en fusion. Et ce final avec
l’instrument de Piazzolla qui COGNE
véritablement... Certainement une des
plus belles collaborations de tous les
temps entre un artiste d’ici et un grand
musicien étranger, sous la direction de

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