Une prévention du risque suicidaire chez les jeunes Une prévention

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Une prévention du risque suicidaire chez les jeunes Une prévention
Vous trouverez, ci-dessous, le texte de la conférence donnée par M. François LADAME, professeur de psychiatrie à la faculté de
médecine de Genève, chef des unités pour adolescents et jeunes adultes à l’Hôpital Universitaire de Genève, lors du
2ème Colloque sur « La Prévention du risque suicidaire », organisé par le CREAI, la DRASS de Bourgogne et la DRPJJ de
Bourgogne – Franche Comté, le 20/10/2000 à Dijon, dans le cadre du Programme Régional de Santé (PRS) de Bourgogne 19982002. Ce texte a été rédigé par Danielle SICHEZ, conseillère technique du CREAI, à partir de l’enregistrement de la conférence,
puis revu et corrigé par l’auteur.
Une prévention du risque suicidaire chez les jeunes
estest-elle possible ?
Par François LADAME, psychiatre, chef des unités
pour adolescents et jeunes adultes, Hôpital Universitaire de Genève
Dans un premier temps, je parlerai de ce qui a été mis en place à Genève, depuis bientôt 4 ans, pour
aider les jeunes suicidants et/ou suicidaires. Ensuite, pour répondre à la question « Une prévention du
risque suicidaire chez les jeunes est-elle possible ? », j’essaierai de préciser mon point de vue sur les
principes directeurs qui doivent nous guider et les garde-fous dont nous devons nous entourer quand
nous songeons à implanter un programme de prévention du suicide.
Voici ce que nous faisons à Genève depuis Novembre 1996.
Tout en haut, il y a le service d’urgence de l’hôpital, où arrivent les jeunes qui ont fait une tentative de
suicide, plus précisément ceux qui ont été repérés comme suicidants puis envoyés aux urgences, c’està-dire hélas une minorité d’entre eux.
Une double flèche relie le service des urgences médico-chirurgicales à l’unité pour jeunes suicidants. Il
s’agit d’une unité hospitalière située en dehors du bâtiment même de l’hôpital général, mais à 100 m à
peine de celui-ci. C’est une unité de 8 lits où peuvent être admis, pour une durée d’un mois au
maximum, des adolescents et jeunes adultes de 16 à 22 ans qui viennent de faire une tentative de
suicide ou qui traversent une crise suicidaire grave, avec un risque considéré comme très important de
passage à l’acte. Dans ce second cas de figure, les patients sont admis en prévention d’un nouveau
passage à l’acte suicidaire, car l’expérience nous a montré que tous ceux qui sont hospitalisés à titre
préventif dans l’unité avaient, dans leurs antécédents, une, sinon plusieurs tentatives de suicide.
A gauche, une double flèche relie l’unité pour jeunes suicidants à l’hôpital psychiatrique, car un certain
nombre de ces jeunes patients sont dans un état suffisamment inquiétant pour que s’impose une
hospitalisation psychiatrique non volontaire (c’est-à-dire sous contrainte). Une autre flèche part en
direction des praticiens de la ville : généralistes, psychiatres, psycho-thérapeutes travaillant en libéral et
qui peuvent demander à l’unité pour jeunes suicidants d’évaluer et d’admettre l’un de leurs patients.
Bulletin d'Informations du CREAI Bourgogne
n°203
Avril 2001
7
2ème Colloque du 20/10/2000 – Dijon (21)
« La Prévention du risque suicidaire chez les adolescents et jeunes adultes »
Vers le bas du schéma se trouve une boîte avec le nom : Unité Etude et Prévention du Suicide.
L’originalité du modèle que nous avons établi à Genève tient à l’indissociabilité entre le pôle des soins,
en particulier des soins hospitaliers, et le pôle de prévention.
Tout en bas, une flèche est orientée du côté de la cité : à l’opposé de l’hospitalo-centrisme, elle montre
que l’unité de prévention essaie d’être à l’écoute et de répondre à d’autres types de besoins : les
besoins dont vous êtes ici les représentants, en tant qu’enseignants, travailleurs sociaux, infirmiers en
milieu scolaire, vous qui côtoyez au quotidien des jeunes à risque de suicide mais des jeunes qui ne sont
pas demandeurs de soins, du moins qui ne le sont pas encore.
A partir des praticiens en ville, une flèche en forme d’arc de cercle transite par l’Unité Etude et
Prévention du Suicide. Cela signifie qu’un praticien en libéral peut se trouver, schématiquement, devant
deux cas de figure : soit celui-ci est face à un jeune patient à risque de suicide qui est preneur de soins,
et il va s’adresser directement à l’unité pour jeunes suicidants ; soit il est face à un jeune homme ou
une jeune fille, peut-être tout aussi inquiétant, peut-être encore plus inquiétant, mais qui refuse de voir
quelque spécialiste que ce soit. A ce moment-là, plutôt que d’imaginer que le praticien en question (qui
peut être un médecin, un psychologue, un enseignant…) reste seul face à un risque de suicide, celui-ci
peut contacter l’unité de prévention. En effet, il n’y a rien de plus paniquant que de se trouver seul et
impuissant devant quelqu’un qui vous inquiète beaucoup et qui ne veut pas être soigné, voire qui dénie
le risque devant lequel il se trouve quand bien même son comportement, sa façon de se mettre en
permanence en danger nous montrent qu’il est à haut risque.
Etude et Prévention
du Suicide
OBJECTIFS
Etablir un filet de sécurité autour
des jeunes à risque de suicide et
de ceux qui les côtoient sur le
terrain
Prévenir le risque de suicide
ultérieur
chez
les
jeunes
confrontés à un suicide ou à une
TS (Tentative de Suicide) dans leur
entourage
Améliorer les connaissances sur
le suicide chez les jeunes
Les aspects originaux de ce programme de prévention ont été tirés d’une longue expérience dans les
soins ambulatoires. Combien de fois mes collègues et moi nous sommes-nous trouvés démunis face à
des appels au secours de parents, d’amis, de collègues, d’enseignants, de travailleurs sociaux, nous
décrivant des situations fortement inquétantes mais à qui nous ne pouvions que répondre : « Ecoutez, si
le jeune ne veut pas venir, je ne peux rien faire. Si la situation se dégrade, il vous reste à appeler une
ambulance, un médecin d’urgence… ». C’était extrêmement frustrant.
Quand nous avons ouvert ce dispositif il y a 4 ans, nous avons voulu tenter une expérience qui nous
permette de ne pas tomber dans le piège du tout ou rien (ou bien je vois le patient et je le soigne, ou
bien je ne le vois pas et je ne peux rien faire), renvoyant ceux qui nous appelaient à leur solitude et à
leur impuissance.
Le premier objectif de cette unité de prévention du suicide est d’établir un filet de sécurité avec ceux qui
côtoient quotidiennement les jeunes à risque. Autrement dit, essayer de créer une chaîne humaine où
sont partagées l’inquiétude et la responsabilité de ce qui peut éventuellement advenir, sans perdre pour
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« La Prévention du risque suicidaire chez les adolescents et jeunes adultes »
autant l’espoir qu’un jour (cela peut prendre quelques semaines, quelques mois, parfois plus) cet
adolescent finira par franchir la porte de notre bureau. En attendant, nous essayons de constituer un
filet de sécurité, une sorte d’embryon de réseau. Nous sommes partis de l’observation que même des
adolescents à haut risque ont généralement conservé un minimum de liens avec quelqu’un (un parent,
un camarade, un entraîneur de club de sport…).
Si l’on admet que la rupture des liens interpersonnels est l’une des causes connues du suicide, il est
aisé de comprendre que, lorsqu’il n’existe plus que des fils très ténus, il soit impératif de ne pas les
rompre. Exiger la rupture d’un lien existant pour aller vers quelqu’un qu’on ne connaît pas, c’est-à-dire
le « spécialiste », cela peut être aberrant. Mieux vaut travailler au maintien et au renforcement de ce qui
existe, mais encore une fois sans que cela ne devienne une fin en soi. C’est une stratégie. Nous qui
sommes dispensateurs de soins devons toujours garder à l’esprit qu’idéalement, cet adolescent ou cette
adolescente devrait recevoir des soins appropriés à son état.
Pour en finir avec ce transparent, ce qui est vraiment original dans notre programme, c’est le premier
objectif ; les deux autres objectifs sont tout à fait courants et caractéristiques de tous les programmes
de prévention : améliorer les connaissances sur le suicide des jeunes et ce qu’on appelle la postvention,
c’est-à-dire les interventions auprès de groupes ou de personnes individuelles qui ont été confrontés
dans un passé tout proche à un suicide ou à une tentative de suicide. De nombreuses recherches et
expériences cliniques ont montré que, lorsqu’un jeune est confronté à un suicide, tenté ou fatal, autour
de lui, surtout s’il s’agit d’un jeune vulnérable, cela le met en danger potentiel de devenir lui-même
suicidaire. Les interventions de postvention sont donc extrêmement importantes du point de vue de la
prévention à long terme.
Au mieux, un adolescent suicidant sur trois, voire un sur quatre, est connu des dispositifs sanitaires.
Cela signifie que deux sur trois ou trois sur quatre échappent à toute prise en soins par le réseau
sanitaire. Des études, effectuées il y a déjà un certain nombre d’années en Hollande puis vérifiées dans
d’autres pays européens et extra-européens, nous ont mis devant cette réalité.
Parmi les adolescents demandeurs de soins, on trouve surtout le sexe féminin. Les jeunes filles
suicidantes ou suicidaires sont beaucoup plus demandeuses de soins que les garçons, mieux prêtes à
accepter ou prêtes à reconnaître l’importance d’une aide extérieure ou de soins spécialisés.
Dans notre unité pour jeunes suicidants, sur les 450 séjours enregistrés depuis l’ouverture, 85 % voire
un peu plus concernent des jeunes filles, alors que ce sont les garçons qui constituent le groupe le plus
à risque. Le suicide fatal entre 15 et 24 ans frappe le sexe masculin plus que le sexe féminin. Le
devenir, l’évolution générale au fil des ans, sont beaucoup plus sombres chez les garçons suicidants que
chez les filles suicidantes.
Les garçons constituent donc un groupe à plus haut risque, et c’est précisément ce groupe-là que le
réseau sanitaire a de la peine à toucher, d’où l’importance d’inventer des stratégies susceptibles de
parler mieux aux garçons qu’une simple proposition toute sèche de soins. Il faut probablement des
médiations, des intermédiaires.
La règle d’or dans notre unité de prévention est de ne pas nous substituer aux réseaux existants, mais
de renforcer ce qui existe sur le terrain.
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« La Prévention du risque suicidaire chez les adolescents et jeunes adultes »
Voici le bilan de 3 ans ¾ (Novembre 1996 - Juillet 2000). Comme il s’agit d’une stratégie indirecte,
une grande part du travail se fait par téléphone, avec une ligne téléphonique privilégiée ouverte 24 h/24
et à laquelle des cliniciens expérimentés répondent pendant les heures de la journée pour essayer de
construire ces stratégies indirectes avec ceux qui nous appellent.
Un millier de situations ont fait l’objet d’appels téléphoniques, appels qui débouchent parfois sur des
consultations avec la famille du jeune à risque ou bien avec des confrères généralistes, pédiatres,
psychothérapeutes, etc…
Dans 80 % des cas, les appels concernaient directement des jeunes à risque de suicide. Ce résultat est
extrêmement encourageant, si l’on se souvient que nous avons procédé de manière empirique à partir
de notre expérience antérieure. De plus, les jeunes gens à risque de suicide pour lesquels nous sommes
sollicités sont pratiquement à part égale des garçons et des filles. Cela montre qu’il n’y a pas lieu de
baisser les bras et qu’en se montrant un peu inventif, il est possible de trouver des moyens indirects, de
constituer la base d’un réseau autour des garçons. Il est donc possible d’éviter que les hôpitaux
soignent de mieux en mieux ceux qui veulent être soignés, tout en laissant à l’abandon, en déserrance,
ceux – et c’est la majorité – qui ne veulent pas être soignés.
Ce dispositif n’a d’autre ambition que de trouver une parade au piège qui guette le système hospitalier
dans le domaine du suicide.
J’aimerais aborder maintenant une question plus générale : « La prévention du suicide, qu’est-ce que
c’est ? » et « Comment faut-il la penser, comment faut-il la conceptualiser ? ».
Je ne me sens pas le droit d’éluder une question qui déchaîne les passions : faut-il faire de la prévention
du suicide ou de la promotion de la santé ? Les partisans de la première formule sont à peu près à
égalité avec les partisans de la seconde. Ils perdent malheureusement beaucoup de temps à
s’entredéchirer, sans réaliser qu’il s’agit de deux approches différentes qui peuvent se compléter,
autrement dit que l’on peut faire, et l’une et l’autre.
Faire de la prévention du suicide, c’est appeler un chat, un chat, c’est-à-dire nommer le suicide comme
tel et trouver des stratégies qui agiront sur les facteurs connus pour être associés à un risque de
suicide. Pour pouvoir faire de la prévention du suicide, il faut avoir une connaissance des facteurs qui
sont corrélés à un risque de suicide, et il faut que le programme influence un ou plusieurs des facteurs
en question.
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« La Prévention du risque suicidaire chez les adolescents et jeunes adultes »
Faire de la promotion de la santé mentale ou de la promotion de la santé tout court, c’est viser à ce
qu’un individu donné soit à même de gérer au mieux son capital santé (physique et psychique) et
dispose des outils qui lui permettent, lorsqu’il repère que ce capital est en danger, d’aller demander de
l’aide à l’endroit approprié.
Il s’agit de deux choses différentes qui, de mon point de vue, sont aussi indispensables l’une que
l’autre. Il ne faut pas mettre l’une à la place de l’autre, ou croire qu’on fait l’une quand on fait l’autre.
J’espère que ce tableau vous sera utile pour bien saisir en quoi la promotion de la santé et la prévention
du suicide sont différentes. Il existe toute une série de facteurs ou d’événements fâcheux, qui peuvent
avoir une influence négative sur notre état de bien-être, sur notre santé physique et psychique. Et puis il
y a d’autres facteurs qui, eux, sont directement corrélés au risque de suicide.
Pour mieux s’orienter, un certain nombre d’auteurs ont proposé, depuis 1995, de parler en terme de
facteurs de risque proximaux et de facteurs de risque distaux (à gauche sur le schéma). Les facteurs
sont réputés distaux, dans la mesure où ils peuvent être à l’origine de toute une série de désagréments
pour la santé, mais sans que personne n’ait jamais pu prouver clairement leur lien direct avec le
comportement suicidaire. C’est le cas par contre des facteurs dits proximaux (à droite) qui sont : la
morbidité psychiatrique, c’est-à-dire la présence de troubles psychiatriques ou mentaux (ce sont les
seuls facteurs dont on ait démontré d’une manière convaincante leur lien avec le suicide et les
tentatives de suicide) ; les facteurs environnementaux ; l’accès aux moyens de suicide ; l’influence des
médias.
Si l’on veut faire de la prévention du suicide au sens strict du terme, il faut pouvoir agir en priorité sur
les facteurs environnementaux ou sur les facteurs psychiatriques, dont il a été démontré qu’ils avaient
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« La Prévention du risque suicidaire chez les adolescents et jeunes adultes »
un lien direct avec le suicide. Autrement dit, si l’on arrive à modifier ces derniers, on modifie par
là même le taux de suicide.
Je crois que la promotion de la santé doit commencer très tôt avec les précepts éducatifs donnés par
les parents puis repris par le corps social. Il est bon de faire de la promotion de la santé dès le début de
la scolarisation. Mais, à un moment donné, au moment où l’épidémiologie montre que le suicide devient
un problème bien réel, c’est-à-dire vers 15 ans, on doit passer à une autre vitesse. Dès lors, il faut que
la promotion de la santé soit couplée à des programmes beaucoup plus ciblés, concernant directement
la prévention du suicide. Le suicide doit pouvoir être nommé comme tel. On ne doit pas se contenter de
jeter un voile pudique en disant : oui, parmi tous les désagréments éventuels, il y a peut-être quelque
chose qui s’appelle le suicide. Non, il faut pouvoir construire un programme ciblé, ce qui veut dire que
l’on va achopper à la question de l’intrusion dans la sphère privée, qui est un problème éthique
incontournable et qu’il faut pouvoir aborder.
La prévention du suicide pose un problème éthique parce que, si l’on veut faire une vraie prévention du
suicide, il faut pouvoir identifier des personnes à risque, ce qui veut dire les différencier du grand Tout.
Nombreux sont ceux qui pensent que cela ne va pas de soi, alors que d’autres pensent que c’est
légitime car utile et que cela peut aider à infléchir une évolution péjorative.
L’accent mis sur la morbidité psychiatrique peut surprendre, voire choquer, mais c’est une réalité
confirmée par toutes les études un peu sérieuses réalisées dans le monde entier.
Ce tableau aborde les corrélations entre la présence de troubles psychiques et le suicide tenté ou fatal.
OR signifie « odds ratio » : c’est un calcul mathématique qui vise à apprécier combien de fois une
personne qui présente un trouble x (par exemple un trouble de l’humeur) est davantage exposée au
risque de suicide qu’une personne qui n’a pas ce même trouble. Si l’OR = 1, par exemple, cela signifie
que quelqu’un qui présente le facteur de risque et quelqu’un qui ne le présente pas sont égaux devant le
risque de suicide.
Pour le trouble de l’humeur (il s’agit ici de dépression cliniquement avérée et non d’un simple « cafard »
si fréquent à l’adolescence), quelqu’un qui a une dépression est exposé à un risque de suicide fatal 11,2
à 27 fois plus élevé, selon les études, que quelqu’un qui n’a pas de dépression, et exposé à un risque
de tentative de suicide entre 4,6 et 28 fois plus élevé. Dans les cas d’abus/dépendance de substances
(telles que drogues licites et illicites + alcool), on observe également des corrélations très fortes avec le
risque de suicide et de tentative de suicide.
Par rapport aux facteurs environnementaux, l’existence d’un suicide dans la famille, par exemple,
augmente de 4 fois le risque de suicide dans le groupe familial en question.
Si l’on est en situation de rupture scolaire, l’OR est de 5,1, c’est-à-dire qu’un jeune déscolarisé, en
rupture de lien social sur le plan scolaire, est 5 fois plus exposé à un risque de suicide qu’un jeune qui
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se trouve encore à l’école. Cela doit nous faire réfléchir : l’école est peut être un facteur protecteur
contre le suicide car elle est un lieu de socialisation. Les établissements scolaires doivent être très
attentifs à prévenir les situations de « lâchage » scolaire, à mettre en place des dispositifs de sécurité
pour les jeunes qui ne sont plus en âge de scolarité obligatoire et qui partent dans une sorte de vide, de
néant... Il est nécessaire d’avoir des garde-fous plus efficaces qu’aujourd’hui pour ces jeunes qui
rompent avec le système scolaire.
Je terminerai sur ce problème de l’école et de la prévention à l’école. Ce sujet est très débattu et
controversé : est-ce que l’école doit se contenter de faire de la promotion de la santé ou peut-elle aller
plus loin et faire aussi de la prévention du suicide, en appelant les choses par leur nom ? Je pense que
oui.
Je ne parle pas uniquement de mon intime conviction, mais à partir d’une recherche menée depuis
bientôt une année dans l’Unité de Prévention du Suicide, sur mandat d’une agence gouvernementale. Ce
travail consiste à faire l’analyse critique de tous les programmes de prévention du suicide chez les
jeunes, publiés en langue anglaise et en langue française entre 1990 et 1999 et, si possible, évalués. Il
sera terminé en Janvier 2001.
Malheureusement, dans la communauté européenne, beaucoup de programmes de prévention du suicide
n’ont pas fait l’objet d’une évaluation. Celle-ci est pourtant indispensable, de même que le calcul du
rapport coût/efficacité. Qu’est-ce qui se dégage dans la littérature de ces dix dernières années, qu’estce qui est le plus recommandable et le plus efficace du point de vue de la prévention du suicide à
l’école ?
On ne peut rien implanter si l’on ne fait pas un travail de fourmis pour que tout le monde soit preneur,
c’est-à-dire non seulement les autorités politiques mais aussi tout le monde scolaire, du chef
d’établissement à l’enseignant dans sa classe. Nombre de programmes très bien ficelés ont
complètement échoué, car on a cherché à les implanter en force sans prendre le temps de faire ce
travail de préparation, de sensibilisation. Il faut que tous soient convaincus du rôle que l’école peut
jouer, au-delà de la dimension pédagogique.
Dans l’idéal, le programme de prévention du suicide devrait avoir été précédé de programmes de
promotion de la santé, et venir à la fois dans une continuité et un recentrage. Les programmes de
prévention du suicide en milieu scolaire doivent permettre aux enseignants eux-mêmes d’acquérir une
formation sur ce qu’est le suicide des jeunes, tout en mettant l’accent sur les possibilités et sur les
limites de l’action de l’enseignant. Une collaboration étroite avec les parents d’élèves est indispensable.
Enfin, pour la prévention du suicide à proprement parler, il faut pouvoir aussi informer les élèves sur ce
qu’est le suicide, qui n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu, et obtenir une meilleure
collaboration avec eux, notamment par rapport aux recherches d’aide.
Il faut qu’existent à l’intérieur de l’établissement scolaire des possibilités d’intervention, impliquant des
professionnels des soins, de la santé mentale, susceptibles d’intervenir le plus tôt possible par rapport à
ceux qui sont à risque de suicide.
Il faut également que l’établissement scolaire dispose de moyens de postvention, c’est-à-dire
d’interventions après un suicide ou une tentative de suicide d’un élève ou d’un maître, susceptibles de
retentir de manière traumatique sur l’ensemble de l’établissement scolaire.
La mise en place
d’interventions appropriées (groupales dans un premier temps) permet de limiter l’impact traumatique de
tels événements.
Un programme de prévention du suicide en milieu scolaire nécessite donc l’implication de
tous, consensuelle, mais les interventions elles-mêmes doivent rester entre les mains de
professionnels expérimentés.
3ème Colloque sur « La Prévention du Suicide »
2ème Colloque du 20/10/2000 – Dijon (21)
« La Prévention du risque suicidaire chez les adolescents et jeunes adultes »
MERCREDI 14 NOVEMBRE 2001
(Date confirmée et pré-programme seront diffusés
dans le bulletin d’informations de Juin 2001)