LA MONDIALISATION, un monde nouveau, une chance pour l`avenir
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LA MONDIALISATION, un monde nouveau, une chance pour l`avenir
La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir LA MONDIALISATION, un monde nouveau, une chance pour l’avenir Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET Emmanuel MILGUET (*) Philippe TRAINAR janvier 2001 (*) Pour des raisons liées à l’obligation de réserve, Emmanuel MILGUET est un pseudonyme. 1 Fondation Concorde janvier 2001 2 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir Comprenez donc que la civilisation des machines est elle-même une machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus parfaitement synchronisés ! Une récolte exceptionnelle de café au Brésil influe aussitôt sur le cours d'une autre marchandise en Chine ou en Australie ; le temps n'est certainement pas loin où la plus légère augmentation des salaires au Japon déchaînera des grèves à Detroit ou à Chicago, et finalement mettra une fois encore le feu au monde. Imbéciles ! Avez vous jamais imaginé que dans une société où les dépendances naturelles ont pris le caractère rigoureux, implacable, des rapports mathématiques, vous pourrez aller et venir, acheter ou vendre, travailler ou ne pas travailler, avec la même tranquille bonhomie que vos ancêtres ? Politique d'abord ! disait Maurras. La Civilisation des Machines a aussi sa devise : " Technique d'abord ! technique partout ! ". Imbéciles ! Vous vous dites que la technique ne contrôlera, au pis aller, que votre activité matérielle, et comme vous attendez pour demain la "semaine de cinq heures" et la foire aux attractions ouverte jour et nuit, cette hypothèse n'a pas de quoi troubler beaucoup votre quiétude. Prenez garde, imbéciles ! Georges Bernanos, La France contre les robots (1948) 3 Fondation Concorde janvier 2001 4 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir SOMMAIRE Introduction I – La mondialisation est le résultat des bouleversements considérables qui ont eu lieu dans les trente dernières années 1. La mondialisation des échanges 2. Le développement des réseaux d’information 3. La mondialisation des normes II - La mondialisation ouvre des champs nouveaux, à la fois incertains et prometteurs 1. Les promesses de la mondialisation 2. Les risques de déstabilisation internationale 3. L’émergence de nouveaux acteurs et la remise en cause du rôle de l’Etat III – Il faut transformer les risques que l’on imagine en chances que l’on construit 1. Quelle politique ? 2. Quels principes ? 3. Quelle régulation internationale ? 4. Quelle “ vision du monde ” pour la France ? Conclusion 5 Fondation Concorde janvier 2001 6 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir LA MONDIALISATION, un monde nouveau, une chance pour l’avenir Nous n’avons pas seulement à affronter la mondialisation, nous entrons dans un monde nouveau. Ce millénaire ouvre aux hommes désormais des portes inconnues, des risques que même leur imagination n’osait représenter, des choses qu’ils ne pouvaient espérer. Nous traversons un passage incertain qu’il est difficile de qualifier. Nous sommes en quête de référence et nous faisons à l’économie et au droit la plus belle part. Or, c’est le sens de la vie qui est en question. D’un bout à l’autre de la planète, des hommes cherchent leur identité et pour la première fois, ils peuvent la penser commune. Partout, ils connaissent les mêmes dangers et savent, même intuitivement, que chacun de leurs actes est déjà un souci pour un autre, si loin et pourtant bien connu. C’est cette fusion dont nous devons être conscients, qui guide désormais nos choix et nos actes. Elle est le paysage de l’homme moderne. Au quotidien, nous sommes assaillis par des milliers d’interrogations. C’est ce lot d’incertitudes que nous appelons communément mondialisation ou globalisation. Le phénomène s’ouvre sur deux champs auxquels nous allons volontairement nous limiter : un constat économique, une réponse politique. La mondialisation est le résultat des bouleversements économiques depuis vingt-cinq ans. D’abord, le développement des échanges commerciaux internationaux : jamais l’économie française n’a été aussi ouverte sur l’extérieur. Les marchés financiers et les flux de capitaux se sont aussi considérablement développés. La deuxième révolution est le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Internet a créé une fluidité très forte de l’information, de l’intelligence. Le 7 Fondation Concorde choix du consommateur se trouve élargi. Le rôle de l’Etat – juge, douanier, percepteur – est remis en cause. Des forces politiques nouvelles – les organisations non-gouvernementales – communiquent rapidement à l’échelle mondiale. Mais la mondialisation de l’économie ne s’est pas accompagnée d’une émergence de normes mondiales. La mondialisation, en mettant plus fréquemment en contact des mondes différents, a en fait multiplié les conflits entre modèles. La mondialisation ouvre des champs nouveaux, mais aussi des menaces. Les retombées positives d’une économie plus compétitive, d’un plus grand choix pour le consommateur, d’investissements source de transferts de technologie. Mais aussi des risques de déstabilisation macro-économique, comme le montrent les crises financières des pays émergents, et de nouvelles inégalités sociales dans les pays développés : il y a des perdants à l’ouverture. Enfin, la mondialisation a fait apparaître de nouvelles formes de représentation politique, à coté des Etats : les organisations non-gouvernementales se veulent l’expression d’une opinion mondiale en cours de cristallisation. En France, ce sont probablement les forces anti-mondialisation qui ont le plus structuré leur discours politique sur la mondialisation. Il y a grand besoin de ne pas laisser un monopole à ces mouvements, dont les attitudes traduisent aussi une crainte du progrès, déjà rencontrée au XIXème siècle face à la révolution industrielle. De plus, les institutions en charge de la mondialisation – FMI, Banque mondiale, OMC – sont contestées. Le FMI est apparu incapable de résoudre la crise asiatique. L’OMC a été paralysée par les divergences Nord/Sud, les demandes des sociétés civiles et le conflit Europe/Etats-Unis. Se pose la question de savoir si ces institutions sont le niveau pertinent où nous souhaitons établir ces “ règles de la mondialisation ”. Si le choix de l’ouverture est fait, l’Etat doit être à même de rendre possible des mutations rapides. Quel rôle souhaite-t-on alors janvier 2001 8 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir donner au système de protection sociale ? La notion de “ modèle social européen ” est-elle encore pertinente ? Doit-on privilégier la réduction des inégalités ou la lutte contre l’exclusion ? I – La mondialisation est le résultat des bouleversements considérables qui ont eu lieu dans les trente dernières années I – 1. La mondialisation des échanges La mondialisation n’est pas un phénomène nouveau : à la fin du XIXème siècle, l’ouverture des économies des pays industrialisés en terme de mouvements de capitaux et d’échanges commerciaux était comparable à celle d’aujourd’hui. Les deux conflits mondiaux et le protectionnisme des années trente ont interrompu ce mouvement, qui n'a repris qu’en 1950. Depuis, le processus d’ouverture s’est poursuivi sans rupture. La mondialisation des échanges est à la fois cause et effet du vaste mouvement de mondialisation. De ce mouvement de convergence technique, scientifique, médiatique, économique, la mondialisation des échanges est aux origines et aux conséquences. Les exportations mondiales représentent aujourd’hui 17 % du PIB mondial contre 7 % en 1950. Ce ratio se situe aux alentours de 10 % pour les Etats-Unis et l’Union européenne. Il dépasse 25 % en France. L’intensité des échanges commerciaux reflète pour partie la complémentarité naturelle entre les nations. Elle résulte aussi de la mondialisation des processus de production imputable à la division internationale du travail et à l’intégration verticale dans le cadre des firmes multinationales, lesquelles réalisent 50 % des exportations des principaux pays industrialisés, dont la moitié sous forme d’échanges intra-firme. Les mouvements de capitaux internationaux ont, quant à eux, connu une véritable explosion grâce à la libéralisation quasi totale des mouvements de capitaux. Au cours des vingt dernières années, 9 Fondation Concorde les transactions sur actions et obligations des Etats-Unis avec le reste du monde ont ainsi été multipliées par 25. Pour une part, ces chiffres surestiment toutefois le montant du stock de créances transfrontières dans la mesure où certains titres sont négociés plusieurs fois par an sur les marchés internationaux des capitaux. Malheureusement, nous ne possédons pas de statistiques fiables sur ce stock, hormis pour les investissements directs. L’argent s’échange, il est d’une extrême volatilité : tous les jours, environ 1 300 milliards d’euros transitent par le marché. Cette valse tourbillonnante suscite des interrogations et de la méfiance chez le citoyen. Quel en est le sens ? Le terme de mondialisation est plus approprié que celui d’internationalisation, dans la mesure où l’essentiel de la population mondiale, de fait 85 % si on inclut la Russie et la Chine, vit aujourd’hui dans un pays dont les échanges commerciaux sont ouverts sur l’extérieur. Avec l’intégration probable de l’Inde, ce ratio devrait atteindre 90 %. En 1960, il ne dépassait pas 20 %. Cette ouverture d’un nombre croissant de pays a induit une baisse mécanique de la part des grands pays industrialisés dans le commerce international – la part de la France est ainsi passée de 6,9 % au lendemain du premier choc pétrolier à 5,8 % aujourd’hui –. Parallèlement, les mouvements de population se sont accélérés : aujourd’hui, 105 millions de personnes sont nées à l’étranger, soit une hausse de 33 % sur vingt ans. 23 % de ces personnes résident en Europe. Les développements technologiques ont joué un rôle essentiel dans le processus de mondialisation. Les progrès techniques dans les transports et le développement de la containérisation ainsi que du transport modal ont permis de réduire les coûts des trafics internationaux, rendant les marchés plus accessibles. Les coûts du transport maritime ont ainsi diminué de 70 % entre 1920 et 1960, mais se sont stabilisés depuis lors. Les coûts du transport aérien ont été réduits de près de 80 % depuis 1955. Les progrès dans la janvier 2001 10 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir communication, le développement des technologies de l’information et les systèmes de navigation embarqués ont aussi facilité les échanges internationaux (cf. I – 2). La financiarisation extrême de l’économie et l’homogénéisation du gouvernement d’entreprise sont un phénomène plus récent que la mondialisation des échanges à proprement parler. Elle illustre un phénomène plus général, que l'on retrouve avec le développement des échanges de services ou d'internet, c'està-dire la dématérialisation croissante de nombreux biens, ainsi que de larges pans de la production. Le mouvement est général et s’observe même dans la production de biens industriels, où la part du “ sous-jacent ” matériel de l’activité se réduit jusqu’à paraître, dans les secteurs de pointe, contingente. De ce mouvement de mondialisation, le gouvernement d’entreprise n’est pas en reste. Corollaire de la mondialisation des échanges de biens et de capitaux, à la tête des entreprises, on raisonne de plus en plus à l’échelle mondiale. Mais surtout les modes de raisonnement, de gestion, d’évaluation, s’uniformisent comme l'illustre la diffusion universelle de la culture de la shareholder value et des techniques de management anglo-saxon. Sa recherche façonne tout le monde du gouvernement d’entreprise. Extrêmement mobiles, tendus vers les mêmes objectifs, souvent confrontés à des environnements similaires, partageant de plus en plus les mêmes valeurs professionnelles, la même éthique professionnelle, la même langue de travail, les cadres de l’entreprise mondialisée forment une nouvelle population dont l'origine nationale ne compte plus guère. Dernier corollaire de la mondialisation des échanges, la mondialisation des nuisances environnementales est désormais perceptible. Déplétion de la couche d’ozone, changement climatique, pollution des océans, perte de biodiversité, les pollutions et leurs conséquences sont globales. Elles pèsent d’une même menace sur la planète, même si leurs effets se déclinent 11 Fondation Concorde différemment et plus ou moins gravement suivant les régions. Les pays en développement, souvent situés dans des zones plus fragiles, démunis pour lutter contre les effets de ces pollutions globales, sont les premiers frappés. I-2. Le développement des réseaux d’information La mondialisation de nos sociétés s'est récemment accélérée avec la révolution qu'ont connu les réseaux de l’information. L’évolution technologique modifie la nature de l’échange international. Les réseaux permettent de suppléer à la mobilité des facteurs de production. Certaines prestations de main d’œuvre pourront s’effectuer à distance, sans mouvements de personnes, comme le montre le développement de l’industrie du logiciel en Inde. Les modes de consommation se trouvent bouleversés : c’est ainsi le cas des échanges de biens culturels (livres, films), qui pourront circuler sous forme dématérialisée. De manière générale, l’ensemble des canaux de distribution peut se trouver affecté, y compris dans des secteurs traditionnels comme l’automobile. Au total, le développement des réseaux introduit une fluidité inconnue jusque là dans l’économie : de nombreuses barrières au jeu de la libre concurrence et aux échanges internationaux s’évanouissent, au profit d’un choix du consommateur accru. Les distances économiques se réduisent et la localisation des activités ne dépendra plus de la proximité des facteurs de production et des consommateurs. De même, les réseaux posent un défi à l’autorité des Etats. La notion de “ frontière douanière ” se trouve frappée d’obsolescence. La perception de l’impôt se trouve compliquée. Les politiques traditionnelles en matière culturelle (prix unique du livre, quotas audiovisuels) se trouvent remises en cause. Le respect de la loi peut être contourné, comme le montrent les difficultés de la lutte sur Internet contre la pédophilie ou les sites révisionnistes. L’impression d’impuissance des Etats peut être forte. janvier 2001 12 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir Parallèlement, Internet crée une plus grande fluidité des idées. Dans les pays non démocratiques, la censure est plus facilement déjouée. Des mouvements d’opinion au niveau mondial deviennent possibles, avec des moyens limités et une organisation en réseau. Des mouvements d’idées, par ailleurs faibles au niveau mondial, peuvent ainsi se développer avec vigueur. Partisans et adversaires de la mondialisation se constituent en réseaux mondiaux. Le contact entre les ONG françaises et les mouvements nord-américains aurait probablement été moins spectaculaire sans Internet. Comme dans la sphère économique, la “ compétition des idées ” devient plus aisée ; les relais d’opinion classiques – la presse, les partis politiques – se trouvent court-circuités. I-3. La mondialisation des normes L’affaiblissement de la notion de frontière et du pouvoir des Etats aboutit à mettre en contact des mondes jusque là largement étanches. Des systèmes juridiques différents se trouvent brutalement confrontés. Les conceptions de protection du consommateur, assurée aux Etats-Unis par le juge et par la réglementation en Europe, s’affrontent. La protection des données personnelles a donné lieu à un contentieux transatlantique, alors même que des systèmes différents avaient coexisté, chacun de leur côté, depuis vingt-cinq ans. La mondialisation met brutalement en évidence l’absence de règles mondiales dans de nombreux domaines. Dès lors que chaque Etat ne peut plus légiférer seul, la nécessité de la coopération internationale devient évidente, mais les différences d’approche aussi. La sécurité alimentaire le montre. Sauf à instaurer des cordons sanitaires, qui sont toujours imparfaits, seule une approche convergente des autorités de santé publique permet de faire face aux problèmes posés. Dans le dossier des OGM, autant que l’action de grands groupes internationaux, fondamentalement, c’est aussi une réaction différente des opinions publiques aux Etats-Unis et en Europe qui est à l’origine du contentieux actuel. 13 Fondation Concorde La mondialisation met aussi en évidence de profondes divergences Nord/Sud : la “ dimension éthique ” du commerce international des pays développés est interprétée par les pays en développement comme une nouvelle forme de protectionnisme. L’idée de “ normes sociales de base ” – et son corollaire, la menace d’interdire l’importation des produits fabriqués par des enfants – est devenue un abcès de fixation à l’OMC. De la même façon, les normes environnementales, mondiales ou nationales, lorsqu’elles s’imposent aux importations, sont ressenties par eux comme un frein à un développement légitime. Pour l’instant, la mondialisation a surtout déstabilisé le système international : les institutions traditionnelles de régulation de l’économie mondiale ont du subir une vague de protestations multiformes – opinions publiques du Nord, pays pauvres – qui a mis en évidence l’incapacité actuelle de la société internationale de mettre en place un “ cadre de règles mondiales ”. La mondialisation, pour beaucoup, c’est aussi le risque de retour à l’“ état de nature ” et l’affaiblissement du règne du droit péniblement édifié à l’intérieur de frontières protectrices. II - La mondialisation ouvre des champs nouveaux, à la fois incertains et prometteurs II – 1. Les promesses de la mondialisation On parle beaucoup des craintes soulevées par la mondialisation. Les fantasmes négatifs qu’elle alimente se mesurent à l’aune de l’ampleur et de la nouveauté du phénomène. Ses promesses aussi. La mondialisation est une promesse d’ouverture. Des ponts sont jetés entre les pays, entre les régions. Pour qui a la possibilité de regarder aussi loin, l’horizon est ouvert. La curiosité trouve mille nouveaux objets. Il n’est pas assez d’heures en un jour pour surfer janvier 2001 14 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir sur Internet et explorer les nouveaux mondes de l’espace virtuel. Pour le consommateur, la mondialisation est aussi associée à l’offre d’une plus grande variété de produits. La mondialisation est une promesse de croissance. La libéralisation des échanges commerciaux permet à chaque pays de se spécialiser dans les activités pour lesquelles il dispose d’un avantage comparatif et d’importer les biens et services qu’il ne pourrait produire localement qu’à un coût plus élevé. Cette spécialisation autorise en outre à bénéficier d’éventuelles économies d’échelle. Parallèlement la concurrence des producteurs étrangers ne peut qu’inciter les producteurs nationaux à innover et à se moderniser pour accroître leur productivité. La mondialisation est une promesse d'accès à des financements plus importants. La libéralisation des mouvements de capitaux permet de diversifier les portefeuilles. Ce faisant, elle offre la possibilité aux épargnants de réduire les risques financiers auxquels ils sont exposés et aux économies en phase d’investissement rapide de bénéficier de moyens de financement supérieurs à ceux qu’ils pourraient mobiliser par eux-mêmes. A travers les flux d’investissement direct, elle encourage en même temps les transferts de technologie et de management. Les bénéfices de l’ouverture à la concurrence extérieure trouvent une traduction à un double niveau. D’une part, les économies ouvertes croissent sensiblement plus vite que les économies fermées : sur la période 1970-1995, l’écart peut être estimé à 1,5 point de taux de croissance par an pour les économies développées et 3,8 points pour les économies en développement. D’autre part, les secteurs exportateurs ou bénéficiaires d’investissements directs offrent des rémunérations significativement plus élevées que le reste de l’économie. Comme ils ont par ailleurs aussi tendance à croître plus vite, ils constituent une source d’enrichissement durable pour l’ensemble de l’économie. 15 Fondation Concorde La promesse s’adresse-t-elle à tous ? Le partage des bénéfices de la mondialisation à l'intérieur de chaque pays dépend d'abord des institutions politiques et sociales de ce pays, notamment de leur degré d'ouverture et des rentes de situation qu'elles préservent. Rendre ces bénéfices accessibles et sensibles à tous est l’un des défis politiques majeurs que la mondialisation lance à nos sociétés et, plus largement, à la société des nations. II – 2. Les risques de déstabilisation internationale Ils sont nombreux. La mondialisation est facteur d’incertitude ; pour chacun, plongé dans un environnement en mouvement rapide, un mouvement pas toujours compris, pas toujours maîtrisé ; pour nos modèles de société, notre modèle social, en particulier, notre système d’éducation, aussi, confrontés aux défis de la compétitivité et de l’adaptation ; pour la stabilité du système international, qui doit faire face à des risques macro-économiques nouveaux et à des inégalités inter et intra régionales croissantes ; pour la planète enfin, menacée par les pollutions globales. L’ouverture à la concurrence extérieure accroît la “ contestabilité ” des positions acquises et constitue, de ce fait, un facteur important d’insécurité économique. D’une part, elle accroît le nombre des concurrents potentiels et, donc, la probabilité qu’à tout instant un concurrent insoupçonné perturbe l’équilibre du marché ; d’autre part, et surtout, elle augmente l’élasticité de la demande et de l’offre aux prix : si un producteur national augmente ses prix par rapport aux producteurs étrangers, le demandeur cherchera à lui substituer un concurrent : il le fera d’autant plus aisément et rapidement que le marché concerné sera ouvert à la concurrence extérieure. Les producteurs domestiques, salariés comme entrepreneurs, doivent à tout instant défendre leur compétitivité contre la concurrence des producteurs étrangers. En même janvier 2001 temps qu'elle 16 constitue un facteur La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir d'homogénéisation économique et sociale, la mondialisation introduit de nouvelles sources de différenciation et d'inégalités. A l’intérieur des pays industrialisés, l’inégalité de rémunération entre travail qualifié et travail peu qualifié se creuse. Le jeu des avantages comparatifs pousse en effet à l’égalisation internationale de la rémunération des facteurs de production : avec l’ouverture à la concurrence extérieure, la rémunération du facteur relativement abondant (le travail qualifié dans les pays industrialisés et le travail peu qualifié dans les pays en développement) augmente la rémunération du facteur relativement rare (le travail peu qualifié dans les pays industrialisés et le travail qualifié dans les pays en développement) diminue. Il en résulte une augmentation des inégalités dans les pays développés, ce que l’on observe effectivement (hormis en France), et une réduction des inégalités dans les pays en développement, ce que l’on n’observe pas toujours, notamment lorsque les investissements en matière d’éducation prennent du retard par rapport à la croissance de la population, pour des raisons le plus souvent institutionnelles (socialisme, guerre civile, corruption). En outre, l’écart entre les pays qui n’ont pas réussi à décoller, pour des raisons en général institutionnelles, et les autres pays, tend à s’aggraver avec le temps, ce qui peut se traduire par une augmentation des inégalités internationales en dépit du rattrapage à l’œuvre dans les nombreux pays qui ont réussi à décoller. La mondialisation est source d’instabilité économique. L’échange international impose une division du travail à l’échelle mondiale qui conduit parfois à des spécialisations difficilement réversibles sans coûts économiques et sociaux importants. Ces situations de dépendance économique introduisent des rigidités qui peuvent être particulièrement dommageables dans le cas des pays émergents où les marges de manœuvre financières sont, par définition, limitées. Quant à l’équilibre des marchés internationaux de capitaux, il repose sur les anticipations changeantes des investisseurs, qui constituent, lorsque les mouvements de capitaux sont libres, une source d’instabilité financière récurrente, notamment pour les pays émergents. A un même instant, plusieurs équilibres, 17 Fondation Concorde dont les conséquences peuvent être très différentes pour un même pays, sont en effet également possibles, en fonction de l’ambiance qui règne parmi les investisseurs. Enfin, bien que cette hypothèse ne se soit pas concrétisée jusqu’à présent, on ne peut exclure un cas de figure où l’ensemble des conjonctures serait synchronisé dans le monde, avec le risque d’un boom et d’une récession mondiale d’une ampleur inconnue à ce jour. Les menaces écologiques, enfin, peuvent figurer parmi ces “ nouveaux risques ”. On l’écrivait, la mondialisation des échanges a été accompagnée d’une mondialisation des nuisances. Une géopolitique nouvelle se dessine. Les risques sont mondiaux, les crises annoncées seront probablement régionales. Déjà, la pénurie d’eau, dans certaines régions, est le sous-jacent plus ou moins explicite d’un conflit. Il est à craindre que ceci se développe au XXIème siècle. Désertification, effet de serre et son corollaire d’événements climatiques extrêmes, montée du niveau des océans : les pays en développement, plus fragiles pour des raisons qui tiennent autant à leurs conditions naturelles qu’à leur situation économique, seront les premiers touchés. Des mouvements migratoires de grande ampleur déclenchés par des crises écologiques sont à prévoir. II-3. L’émergence de nouveaux acteurs et la remise en cause du rôle de l’Etat La vision régalienne de l'Etat, qui s'était trouvée confortée après la guerre par les conceptions socialistes, a été fortement remise en cause dans le mouvement de contestations et de remise en cause de l'autorité qui a marqué la fin des années soixante. Ebranlé, l'Etat a retrouvé une nouvelle légitimité dans le développement de sa fonction redistributive à partir des années soixante-dix. Or, la mondialisation remet en cause ce nouveau fondement, dans la mesure où elle déstabilise le modèle social européen. Elle fait notamment apparaître un dilemme croissant entre la réduction des inégalités et l'emploi. Il est, de ce fait, de plus en plus difficile de cibler janvier 2001 18 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir correctement et durablement les politiques sociales. Les moyens sont limités : qui choisir ? Certes, nos économies s’adaptent à la mondialisation et trouvent parfois le chemin d’une croissance inconnue depuis le choc pétrolier. Mais le système économique est devenu beaucoup plus fluide : autant qu’il crée de la richesse, il sécrète plus facilement inégalités et exclusions, source d’inquiétudes. Le modèle social européen se trouve confronté à une crise d’adaptation, d’autant plus fortement qu’il n’a pas été conçu pour gérer des mutations mais pour redistribuer la richesse et préserver les situations acquises. Le droit du travail, mais aussi les modes d’organisation des entreprises, n’assure pas la flexibilité nécessaire. La mutation de l’économie justifie probablement aussi une mutation du dialogue social, moins largement soumis à un contrôle étroit de l’Etat. Les acteurs traditionnels du dialogue social, entreprises et syndicats, doivent retrouver une créativité, à laquelle ils ont souvent volontairement renoncé au profit de l’Etat. La mondialisation a aussi des répercussions profondes dans le champ du politique. De même, les formes de représentation politique traditionnelles – les partis politiques, la représentation nationale – font face avec difficulté à cette nouvelle donne. Face à la fermentation intellectuelle des mouvements anti-mondialisation, les partis politiques ont réagi avec lenteur et conformisme. A l’exception des Verts, eux-mêmes proches des organisations nongouvernementales, le discours des partis politiques sur la mondialisation est peu structuré et d’ailleurs, les divergences sont peu perceptibles, dès lors que les questions délicates – le rôle du système de protection sociale, par exemple – sont occultées. Un espace libre est apparu, qu’ont pu occuper des mouvements à l’origine proches de l’extrême gauche mais qui abordent des sujets qui intéressent une large partie de l’électorat. Les forces antimondialisation, qui se sont d’abord développées aux Etats-Unis, se sont bien acclimatées en France : la “ mal bouffe ”, sur fond de défense du terroir et de l’identité nationale, a connu un écho large 19 Fondation Concorde dans la population. L’hostilité à la mondialisation a remplacé utilement la tendance au protectionnisme traditionnel, dont la population ressent probablement le caractère dépassé. Cette bataille des idées est aussi patente sur des sujets apparemment plus technocratiques et montre le caractère purement réactif des forces politiques traditionnelles : la taxe Tobin en est un bon exemple. Parti de l’initiative d’une organisation nongouvernementale, Attac, le mouvement a contraint tous les partis politiques à réfléchir, et à se bâtir dans la précipitation des argumentaires sur un sujet, dont rien ne pouvait laisser prévoir qu’il sortirait du cénacle des économistes. En fait, la taxe Tobin, outre qu'elle n'aurait de sens que dans le cadre d'un accord international souscrit par l'ensemble des pays, hypothèse hautement improbable, serait tout à la fois totalement inefficace face à une vague de spéculation importante et inutilement pénalisante pour des pays comme la France. Précisons par ailleurs que le développement des pays pauvres est plus dépendant de l'application des règles démocratiques et de leur capacité de mobilisation et d'organisation que de financements massifs, qui, au contraire, peuvent être des occasions de déstabilisation. La mondialisation amène à repenser l’exercice de la souveraineté. D’abord, le système de représentation : les ONG se considèrent dépositaires d’une forme de conscience mondiale. Leurs adhérents sont – en France, du moins – peu nombreux. La question éternelle de leur “ représentativité ” est en fait peu pertinente, puisqu’elles n’aspirent pas à participer au jeu politique traditionnel et ont acquis un accès auprès des médias. Il faut cependant reconnaître que les ONG ont construit un discours de dénonciation et d’opposition et ne sont parvenues dans aucun pays développé à construire un programme cohérent. Tout au plus, les Verts, seules formations politiques qui se réclament de leurs idées, se sont vus confier au sein de coalitions un rôle d’appoint qui confine parfois au rôle du “ fou du roi ”. La gestion de la mondialisation par le politique reste janvier 2001 20 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir aujourd’hui une question ouverte. Par gestion, il ne faut pas uniquement entendre un discours “ politiquement correct ”, où sont répétées à l’envi les références à la “ clause sociale ”, à la transparence nécessaire des négociations internationales et à la prise en compte du développement durable. La gestion de la mondialisation, c’est avant tout la capacité pour le politique d’effectuer des arbitrages, entre l’ouverture économique, l’affirmation du rôle d’un Etat régulateur et les demandes de l’opinion, que celles-ci s’expriment par le suffrage, la négociation ou les demandes de groupes de pression. C’est aussi la nécessité d’expliquer inlassablement les processus en cours pour en faire des choix et non des contraintes, et ne pas laisser le champ libre aux peurs de tous bords qui s’expriment dans de telles périodes. III – Il faut transformer les risques que l’on imagine en chances que l’on construit III – 1. Quelle politique ? Chaque jour se pose au citoyen la question du champ réel de la politique, parfois de la démocratie. Contre le sentiment d’impuissance que nous développons tous devant un monde qui nous échappe, il nous faut expliquer les processus en cours, les moyens d’actions et les politiques possibles. Les négociations internationales, celles dans lesquelles nous devons tenter d’imposer notre vision de la régulation, sont par nature loin des gens. Ceux-ci ressentent les effets de la mondialisation, mais les vivent souvent comme une fatalité. Seule leur adhésion aux changements et à notre démarche de régulation permettra d’échapper à ce sentiment. Prenons l’exemple de la politique macro-économique. Elle doit procéder de multiples équilibres. Mais surtout il lui faut bénéficier de l’adhésion de la population et au travers elle des acteurs économiques. C’est cela qui constitue l’ingrédient essentiel d’une insertion réussie dans l’économie mondiale. Des phénomènes 21 Fondation Concorde complexes sont à l’œuvre, qui doivent être expliqués. En France, la priorité doit être à la baisse des prélèvements sur les facteurs de production afin de les rapprocher de la norme internationale dans les grands pays industrialisés. En revanche, la constitution d’un fonds de réserve pour les retraites est pour le moins problématique : le meilleur placement public pour l’avenir, celui qui comporte le moins de risques de distorsion économique et de “ spoliation ” des générations actuelles d’actifs est sans conteste la réduction du déficit et de la dette publics. Dans une perspective de compétition internationale et de vieillissement de la population, il faudrait aussi, de toute urgence, s’attacher à résorber progressivement les dépenses publiques qui incitent à réduire son activité (préretraites, incitations à la réduction de la durée du travail…) au profit des dépenses qui incitent à reprendre ou développer son activité (innovation, sortie des mécanismes de solidarité …). Ces dépenses devraient elles-mêmes être aussi largement décentralisées que possible, afin de “ coller ” autant que possible aux comportements concrets des agents. Le politique doit être conscient du fait que la mondialisation lui ouvre des horizons nouveaux, notamment la possibilité de contraindre, dans certaines conditions, les autres Etats à respecter certaines règles. Elle lui offre surtout la possibilité de faire bénéficier ses concitoyens de richesse sociale dont ceux-ci seraient sinon privés (il ne faut pas oublier que la chute du communisme est vraisem-blablement imputable à l’incapacité des régimes communistes à fournir, par eux-mêmes, ces richesses). En contrepartie, elle lui impose certaines contraintes : tout d’abord, celles qui ne sont que la contrepartie des contraintes qu’il impose lui-même aux autres Etats ; ensuite, celles qui sont la condition même de son succès, c’est à dire la reconnaissance de la contribution croissante de la société civile et du marché à l’enrichissement social de la nation. Le dialogue entre les nations passe par l'harmonisation de leurs cadres juridique et économique. Tout cela doit être expliqué. La mondialisation ne sonne pas la mort de l’Etat. Au contraire, de nombreuses études ont montré que les économies les plus ouvertes sont souvent celles où l’Etat est janvier 2001 22 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir relativement fort. La mondialisation s’accompagne de risques de déstabilisation. Pour les conjurer, pour maintenir la cohésion, redistribution et régulation sont nécessaires. Ce sont là de grandes missions. Elles nécessitent une redéfinition de l’espace de référence de l’Etat et sa réorganisation. La mondialisation ne condamne pas l’Etat au déclin. Elle invite à la réforme. Cela aussi, il faut le dire, pour rendre les changements possibles. III – 2. Quels principes ? S’il est vrai qu’il faut communiquer même sur la politique macro-économique, sujet complexe s’il en est pour le néophyte, il le faut infiniment plus du modèle social et des évolutions nécessaires. Ses évolutions touchent la population de très près. Il est devenu peu à peu, qu’on le veuille ou non, emblématique de l’Europe, en ce qu’elle diffère des Etats-Unis. Une redéfinition est nécessaire, qui doit être expliquée. Des analyses précédentes, on peut, dans une première approche, isoler quatre composantes nécessaires au succès du modèle social européen : . Il faudrait tout d’abord affirmer le principe selon lequel chaque Français a droit à une protection contre toute remise en cause brutale de ses compétences par le marché, mais que l’ampleur et la durée de cette protection doivent être strictement proportionnées à ses capacités et à son effort d’adaptation. . Un deuxième principe mérite une réflexion approfondie : il s’agit de la permanence de la solidarité, qui suppose aussi la recherche de son cadre d’expression optimal. L’entreprise disparaît progressivement comme premier cercle de solidarité sociale à coté de la famille. Dans l’entreprise comme “ portefeuille ” de projets, la fonction de solidarité ne peut être que mal assurée, en outre aux dépens de l’emploi. Ce qui veut dire que la charge de la solidarité, aujourd’hui supportée par les entreprises, doit être en partie transférée à la collectivité (la baisse des cotisations employeurs sur les bas salaires va dans ce sens). 23 Fondation Concorde . Un troisième principe paraît s’imposer, c’est le “ ciblage ” des prestations sur les besoins les plus urgents aux dépens de la redistribution horizontale. C’est la condition du maintien d’une solidarité généreuse dans un contexte de réduction des prélèvements obligatoires. A défaut, il faudrait se résoudre à réduire l’ampleur de la redistribution verticale ou à accepter un niveau de chômage structurel durablement supérieur par rapport à ce qu’il est dans d’autres parties du monde. . Un quatrième principe paraît important : il s’agit de la décentralisation des politiques sociales afin de les rapprocher des besoins. Il constitue le pendant spatial du principe précédent. Il suppose vraisemblablement, à terme tout au moins, une réforme de la fiscalité locale. Bien sûr, l’ampleur de la redistribution qui est réalisable sans coûts économiques excessifs ne dépend pas seulement des contraintes imposées par la concurrence fiscale et sociale, elle dépend aussi de la qualité des dépenses publiques ainsi que de l’ampleur des bénéfices que la majeure partie de la population est susceptible de tirer de la mondialisation. III – 3. Quelle régulation internationale ? Depuis 1945, la régulation internationale s’est organisée suivant un principe de spécialité : chaque organisation a fait appel à des expertises spécialisées, avec son propre champ de compétences, son propre système de gouvernement, qui correspondaient à des nécessités opérationnelles variées. Ce système a bien fonctionné : on peut constater les progrès réalisés en matière de coopération économique internationale. Cette spécialisation a permis de dépassionner, au moins en partie, les débats et de favoriser la recherche d’intérêts communs. Mais cette organisation semble aujourd’hui en crise. En quelques années, chacune des grandes organisations – FMI, Banque mondiale, OMC – a vu son rôle violemment critiqué. Le FMI a été janvier 2001 24 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir accusé d’appliquer des recettes inadaptées à la crise asiatique. La Banque mondiale se trouve en prise permanente avec la société civile, qui dénonce son incapacité à financer des projets aux retombées utiles au développement et respectueux de l’environnement. Quant à l’OMC, elle a fait face à une contestation de grande ampleur, largement – mais pas uniquement – à l’origine de l’échec du lancement d’un nouveau cycle de négociations commerciales. Cette situation est assez largement imputable à la paralysie du G7 et à l'incapacité des grands pays industriels et de leur banque centrale à s'entendre pour assumer leurs responsabilités mondiales et jouer le rôle moteur qu'ils sont seuls à pouvoir tenir à cet égard. Dans ces circonstances, aucune organisation internationale ne semble en charge de la mondialisation. Le FMI qui a la charge d'assurer la liquidité de l'économie mondiale, ne peut, laissé à luimême, assumer cette fonction correctement, comme l'a suffisamment démontré son intervention lors de la crise récente des économies d'Asie. De même, l'OMC ne peut, sans l'impulsion des grandes puissances, réguler convenablement les échanges internationaux même si son champ de compétences s’est agrandi, avec l’incorporation de sujets financiers, comme l’investissement, ou d’environnement. Il est probablement illusoire de croire qu’une organisation à vocation globale, mais sectorielle, pourrait résoudre les problèmes actuels. La réorganisation passe d’abord par une meilleure articulation de ces différentes organisations : cette “ cohérence ” repose sur l’action des Etats eux-mêmes, et en particulier des grandes puissances dans le cadre du G7, pour ne pas mener des actions contradictoires entre les différentes enceintes où elles siègent. Une hiérarchie des normes internationales est aussi à inventer : alors que des conventions internationales en matière d’environnement, ou de droit du travail, ont été élaborées, comment admettre que les arbitres de l’OMC ne reconnaissent comme droit applicable que les principes des accords commerciaux. Il ne faut pas sous-estimer les réticences des pays en développement face à une telle approche, et leur crainte de se trouver soumis à la volonté des pays développés. 25 Fondation Concorde Il est clair que l’échelon mondial n’est pas toujours optimal : en matière de normes sociales, le dénominateur commun avec les pays du Sud est limité au respect des normes sociales de base (interdiction du travail forcé, du travail des enfants,...) ; il est plus large au sein des pays de l’OCDE mais des divergences existent aussi entre les pays européens et les Etats-Unis. La réponse ne peut pas être uniquement mondiale : elle passe aussi par l’échelon régional et, pour nous, par la construction européenne au sein d’une Europe élargie. Il est probable que, sur ces sujets de société qui suscitent de vastes mouvements d’opinion, une solution peut être plus facilement dégagée au niveau européen qu’au niveau mondial, de la même façon que la libéralisation au sein du Marché Unique a pu aller plus vite qu’au niveau mondial. L’Europe est utile et même nécessaire pour faire entendre notre voix dans le concert de la mondialisation, pour nous permettre de participer et d’influer sur les processus en cours. Mais elle n’est pas seulement un gain d’échelle. Elle est aussi un formidable laboratoire, dans lequel les nations européennes font l’épreuve de la construction d’un espace commun d’échange, doté d’une régulation sophistiquée. Cet apprentissage est un atout. Comme européens, nous avons une expérience à faire valoir. La tentation du régionalisme n’est par ailleurs pas dénuée de risques. D’une part, elle risque de favoriser l’émergence de grands ensembles régionaux dont la tendance sera de se replier sur euxmêmes et de se livrer à des guerres économiques, qui seront la traduction d’une guerre de modèles. En outre, elle ne répond pas à la nécessité de gérer des biens communs de l’humanité, comme l’environnement. janvier 2001 26 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir L’en vir onnement est un c hamp privilégié ’envir vironnement champ her che d’une régulation mondiale recher herc pour la rec La gestion de l’écosystème global est un cas extrêmement illustratif de la grande difficulté – et la grande nécessité – de concevoir une régulation internationale efficace. Les tentatives de régulation environnementale sont caractérisées par l’éclatement des espaces et des moyens. Les négociations sont très segmentées, elles se déroulent dans des cadres différents, pas toujours onusien. Même le cadre onusien n’est pas unifié, pour l’environnement. Chaque convention a son secrétariat – à Bonn pour le Climat, à Montréal pour la Biodiversité –, ses méthodes de négociation, ses principes propres pour le règlement d’éventuels différends, ses moyens d’action et de mise en œuvre. Il n’est pas interdit de voir dans cet éclatement une richesse. De fait, les négociations environnementales ont une dynamique propre, souvent fondée, depuis le Sommet de la Terre de Rio, sur un échange “ environnement – développement ”. La multiplicité des enceintes, l’intervention croisée de deux programmes des Nations Unies, le PNUE et le PNUD, de plusieurs institutions financières à vocations multiples, participent de cette dynamique. L’adhésion des pays en développement au processus de négociation serait probablement plus problématique si une organisation unique à vocation exclusivement environnementale était en charge des discussions. Pour autant, la situation actuelle est loin d’être optimale. La régulation internationale de l’environnement souffre d’un manque de lisibilité et d’une faiblesse de moyens, dans un système international composé d’organisations structurées. La création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement (OME), qui rassemblerait tous les secrétariats des accords multilatéraux sur l’environnement et serait dotée d’une structure financière unique, constitue un bon projet de long terme. Cependant, à l’envers des socialistes et des Verts, nous pensons qu’il est utopique et inefficace de rêver d’une organisation à vocation exclusivement environnementale, une internationale verte qui serait de toutes façons rejetée d’emblée par les pays en développement. Au contraire, c’est l’adhésion de ces derniers qu’il convient de rechercher en premier : leur participation est la clef d’une régulation environnementale efficace, comme on le voit dans nombre de négociations environnementales. L’OME ne sera pas, si elle n’est pas celle du développement durable, c’est à dire aussi du développement. 27 Fondation Concorde III – 4. Quelle “ vision du monde ” pour la France ? Les règles de ce nouveau monde sont à inventer et la France aura son mot à dire, grâce à la légitimité que lui confère sa place de grande puissance économique et commerciale. Dans cette tâche, la France devra aussi savoir faire entendre un discours particulier. Un tel discours pourrait se fonder sur trois axes : . dans ces nouvelles règles de la mondialisation, une attention particulière devrait être donnée à la personne : le droit du travail, la sécurité alimentaire, la protection de l’environnement ne doivent pas être des “ sujets interdits ” de la négociation commerciale internationale, au prétexte qu’ils pourraient conduire à des obstacles aux échanges ; . la diversité culturelle doit demeurer une préoccupation française : au-delà de l’ “ exception culturelle ” qui peut effrayer nos partenaires étrangers dans ce qu'elle a d'étroitement cocardier ; . enfin, le refus d’une “ pensée unique du développement ”, au profit d'une politique qui allie avec pragmatisme réformes structurelles internes, ouverture extérieure et aide internationale, quand cela est nécessaire et efficace ; l’expérience récente (la crise asiatique, notamment) doit apprendre aux pays développés à être plus nuancés sur ces sujets. Quant aux esprits chagrins qui considéreraient que ces préoccupations nous éloignent des préoccupations quotidiennes des Français, il faut rappeler que, dans cet environnement mouvant, notre nation a aussi besoin d’une “ vision du monde ”. Si besoin était, les Etats-Unis sont là pour nous rappeler que la réussite d’une nation passe aussi par la confiance en elle-même et ses idéaux. * janvier 2001 28 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir Sous l’Ancien Régime, le monde politique était divisé, ainsi que le décrit Tocqueville, en deux provinces, séparées et sans commerce entre elles. Dans la première, on administrait, dans la seconde, on établissait les principes abstraits sur lesquels toute administration eût dû se fonder (…) : aux uns, la conduite des affaires, aux autres, la direction des intelligences. La situation n’a guère changé et les deux provinces n’ont jamais été si éloignées l’une de l’autre. Il n’y a pas d’autre voie aujourd’hui que de bâtir un modèle cohérent, fort, susceptible d’affronter l’autre modèle, celui, de l’autre monde, pour que la mondialisation, justement, ne soit pas l’uniformisation. Le devoir urgent de toute une génération est de refonder ce choix de société, d’équilibre, d’harmonie, où se conjuguent la fraternité, la solidarité et l’efficacité. Cela ne peut s’imposer qu’après l’adhésion du plus grand nombre, et jamais aucune motion politique concoctée dans une arrière-salle de café ou la sophistication d’une bande d’intellectuels ne pourront remplacer le choix collectif. Enfin, c’est le pressentiment qui l’emporte et qui emporte tout sur son passage, rebâtir ce modèle, c’est réformer l’Etat, et au-delà, changer les relations des hommes et des femmes pour que chacun demain trouve la force de défendre ce qui fait son identité. _______ 29 Fondation Concorde Résumé La mondialisation est le résultat des bouleversements économiques depuis vingt-cinq ans. Le développement des échanges commerciaux des marchés financiers et des flux de capitaux modifie profondément l’environnement économique. La formidable explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication constitue une véritable révolution qui crée une fluidité très forte de l’information, de l’intelligence et ouvre de nouveaux espaces de liberté. Le choix du consommateur se trouve élargi. Le rôle de l’Etat – juge, douanier, percepteur, providence – est remis en cause. Des forces politiques nouvelles – les organisations non gouvernementales – sont apparues et communiquent rapidement à l’échelle mondiale. Mais la mondialisation de l’économie ne s’est pas accompagnée d’une émergence de normes mondiales. La mondialisation, en mettant plus fréquemment en contact des mondes différents, a en fait multiplié les conflits entre modèles. La mondialisation ouvre des champs nouveaux, mais aussi des menaces. Promesses d’ouverture, promesse de croissance, la mondialisation apporte avec elle les retombées positives d’une économie plus compétitive, d’un plus grand choix pour le consommateur, d’investissements source de transferts de technologie. Mais aussi des risques de déstabilisation macroéconomique, comme le montrent les crises financières des pays émergents, et de nouvelles sources d’inégalités sociales : il y a des perdants à l’ouverture. Quelle peut être, quelle doit être notre réponse à ces bouleversements ? Où la porter ? Les institutions en charge de la mondialisation – FMI, Banque mondiale, OMC – sont contestées. Comment les réformer ? Se pose la question de savoir si ces institutions sont le niveau janvier 2001 30 La mondialisation, un monde nouveau, une chance à saisir pertinent où nous souhaitons établir ces “ règles de la mondialisation ”. Quelle peut être leur part, quelle est celle du G7, dans un système rénové ? Au cœur des inquiétudes soulevées par la mondialisation, parce qu’ils sont si proches et parce qu’ils s’inscrivent désormais dans une problématique mondiale, parce qu’ils nous touchent tant, deux sujets appellent une attention particulière : le social et l’environnement. Si le choix de l’ouverture est fait, l’Etat doit être à même de rendre possible des mutations rapides. Quel rôle souhaite-t-on alors donner au système de protection sociale ? la notion de “ modèle social européen ” est-elle encore pertinente ? doit-on privilégier la réduction des inégalités ou la lutte contre l’exclusion ? La gestion de l’écosystème global est, quant à elle, un cas extrêmement illustratif de la grande difficulté – de la grande nécessité – de concevoir une régulation internationale efficace. Les menaces écologiques peuvent figurer parmi les “ nouveaux risques ” de la mondialisation. Là où les nuisances sont désormais mondiales, une régulation internationale est indispensable. Les règles de ce nouveau monde sont à inventer et la France aura son mot à dire, grâce à la légitimité que lui confère sa place de grande puissance économique et commerciale. Dans cette tâche, la France devra savoir faire entendre un discours particulier. Des principes, qui sont les nôtres. Une vision, que nous portons. Le pressentiment, enfin, qui l’emporte et qui emporte tout sur son passage, que rebâtir ce modèle, c’est réformer l’Etat, et au-delà, changer les relations des hommes et des femmes pour que chacun demain trouve la force de défendre ce qui fait son identité. __________ 31 Fondation Concorde janvier 2001 32