Le respect des cultures dans les lieux de travail

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Le respect des cultures dans les lieux de travail
LE RESPECT DES CULTURES DANS
LES LIEUX DE TRAVAIL
Synthèse des réunions d’échanges et de réflexion du groupe DRH de
Notre-Dame de Pentecôte.
Philippe Baduel, Goulven de la Bellière, Louis Dugas, Xavier Grenet,
Amaury Houdart, Catherine Jeanteur, Philippe Lemauff, Christian Sauret,
Gérard Taponat.
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Semaines sociales de France – "Le respect des cultures dans les lieux de travail" – Janvier 2013
Introduction
La décision du groupe DRH de Notre-Dame de Pentecôte de consacrer plusieurs réunions à une
réflexion sur le respect des cultures dans les lieux de travail répond à une demande de Jérôme Vignon,
er
Président des Semaines Sociales de France, dans une lettre adressée le 1 mars 2011 à Robert
Leblanc, Président des EDC, Anne et Ludovic Salvo, Responsables nationaux du MCC, et Xavier
Grenet, Membre des Semaines Sociales de France.
Extraits :
« Je me tourne vers vous en tant que responsables ou anciens responsables de mouvements qui, de
longue date, constituent une ressource majeure de la vitalité des Semaines Sociales de France. Peu ou
prou, nos origines sont communes. Elles s’enracinent dans la tradition du message social chrétien. Lors
de la dernière session des Semaines Sociales, tenue au Parc Floral de Paris, les 26 27 et 28 novembre
2010, il est apparu qu’une prise en compte plus consciente et délibérée de la contribution des migrants
à notre évolution, en tant que communauté nationale, était nécessaire. La société civile, et pas
seulement les institutions directement rattachées à l’Etat, est sollicitée de contribuer à la bonne fin du
processus d’intégration, tout au moins dans une perspective chrétienne qui suppose que la recherche
du Bien commun est l’affaire de tous. Ces considérations sont apparues spécialement pertinentes
lorsque l’assemblée des Semaines Sociales s’est trouvée interpellée par Dounia Bouzar, sociologue de
culture musulmane, et consultante auprès d’entreprises françaises. A son écoute, il est apparu qu’une
partie importante du succès de l’intégration des jeunes issus de la tradition culturelle musulmane
dépendait crucialement de leur intégration dans le monde de l’entreprise.
Une des leçons de la session a consisté dans le constat que le monde du travail constituait sans doute
l’une des meilleures chances d’accomplir le lent processus d’intégration. Pour ces raisons, j’ai pris
l’engagement personnel dans les conclusions tirées de cette session, de lancer avec l’aide si possible
du MCC et des EDC une réflexion active sur la manière dont les entreprises aujourd’hui pourraient
mieux prendre en compte la nouvelle diversité culturelle dans notre pays, y compris le fait de la culture
musulmane. Pour reprendre l’expression de Dounia Bouzar, comment mieux placer le curseur, au sein
du cadre de vie commune fixé par l’entreprise, entre ce qui relève d’un abus communautariste tentant
d’accaparer ou de fragmenter l’espace commun pour y créer des sous-groupes ou des clans, et ce qui
relève d’une reconnaissance des légitimes spécificités relevant des choix personnels ? En citant cette
phrase, je ne peux mieux décrire l’enjeu de la recherche que je vous propose de conduire avec les
Semaines Sociales de France, dans la perspective d’un résultat, sous forme de "recommandations" ou
de simples "points de vigilance" : à quoi faut-il être attentif pour assurer un contexte de laïcité
respectueuse de la liberté religieuse dans le monde du travail ? »
Le groupe DRH de Notre-Dame de Pentecôte rassemblant de fait des membres des EDC, du MCC et
des Semaines Sociales, a volontiers accepté de tenter de répondre à l’importante et difficile question
posée par Jérôme Vignon et les Semaines Sociales.
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1. Quelques données et constats
Il nous a semblé important de rappeler, afin de bien situer notre réflexion, que les motivations qui ont
conduit aux flux migratoires en France depuis la fin du vingtième siècle ne sont pas politiques ou
militaires, mais très majoritairement économiques et sociales. Aussi l’entreprise qui fait volontairement
appel à des étrangers pour résoudre ses problèmes d’emplois et de compétences se trouve-t-elle en
tous points concernée : elle est à la source de la question aujourd’hui posée avec acuité et elle détient
également des éléments de réponse, puisque le travail est, à l’évidence, l’un des principaux facteurs
d’intégration, et sans doute même le premier d’entre eux. En ne semblant poser qu’une question de
main d’œuvre, elle renvoie en fait à une question d’intégration dont elle ne mesure pas toujours -ni ne
prend sans doute suffisamment en charge- les conséquences sociales.
Sans prétendre à une analyse exhaustive des situations inévitablement diverses sur le terrain, il nous a
paru utile de prendre quelques exemples particulièrement significatifs, dans trois secteurs parmi
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beaucoup d’autres où se pose la question du respect des cultures -et des religions- dans les lieux de
travail : le BTP, les centres d’appels et les sociétés de conseil et de services informatiques.
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• Dans le BTP, 60 % des membres du personnel sont des compagnons qui travaillent sur des
chantiers, et parmi ceux-ci, 20 à 25 % sont musulmans. Une situation qui, dans le quotidien, se vit sans
trop de soucis : il y a en général un respect assez spontané des différences culturelles et religieuses.
Les difficultés commencent avec les exigences crispées de certains, quand on passe de l’intégration à
l’intégrisme.
Pour le dire autrement, les sociétés du bâtiment ont inventé un modus vivendi, en particulier avec les
musulmans qui représentent une part non négligeable de leurs effectifs. Il existe en ce sens chez elles
une véritable tradition d’intégration, mais qui se trouve confrontée aujourd’hui à la montée des
communautarismes.
L’assimilation des populations musulmanes est en particulier mise à mal :
- par les querelles ou luttes des différents intégrismes entre eux,
- et par les comportements des jeunes managers qui n’ont pas la même préparation à travailler avec
des musulmans ou pas la même maturité que les anciens. Il est essentiel, de ce point de vue, de ne pas
« technocratiser » les relations.
Certaines évolutions actuelles des contraintes sociales et légales poussent parfois à la crispation : on
risque alors sans cesse de passer de l’humain au légal. Par ailleurs, les entreprises sont de plus en plus
interconnectées entre elles : ce qui se passe dans l’une en termes de comportement et de respect des
cultures a d’inévitables impacts sur d’autres.
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• Dans les sociétés de centres d’appels, la diversité est une composante historique pour au moins
deux raisons :
- le contact à distance diminue l’impact de la diversité sur les comportements des clients, ce qui rend
plus facile le recrutement des personnes qui en sont issues ;
- il ne s’agit que très rarement d’un métier que l’on fait par choix, mais le plus souvent d’une solution, au
moins temporaire, pour certains de ceux qui peinent à trouver un emploi : c’est le cas, par exemple, de
personnes d’origine étrangère qui ne peuvent valoriser leur métier initial ou leur formation et qui se
résolvent à accepter ce travail peu technique et peu rémunéré ; le cas également d’une frange de la
population jeune issue des quartiers sensibles et qui a du mal à accéder à un premier poste : les centres
d’appel constituent dès lors un lieu important de professionnalisation et permettent à beaucoup de ces
jeunes de bénéficier de promotions internes et de devenir des managers.
Leur population salariée très diversifiée a conduit ces centres, comme le BTP, à développer une
véritable tradition d’intégration, laquelle a permis de mettre en évidence quelques points auxquels il est
nécessaire d’être attentif :
- au niveau culturel, on note que les salariés issus de l’immigration -et plus spécialement de
l’immigration maghrébine- sont particulièrement sensibles au respect qu’ils ressentent ou non de la part
du management : les revendications à cet égard sont parfois plus présentes que les revendications
concernant les conditions de travail ou la rémunération -et cette sensibilité s’accroît lorsque les
managers sont des femmes ; cette dimension culturelle est encore plus prégnante et peut donner lieu à
des réactions collectives de type communautaire quand ces salariés représentent une part importante
du personnel ;
- les salariés de confession musulmane ont également parfois des revendications plus spécifiquement
liées à leur religion : elles portent notamment sur la possibilité pour les femmes qui le souhaitent de
porter un voile religieux durant le travail et, pour tous, de vivre de manière spécifique la période sacrée
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du Ramadan et de bénéficier à cette fin d’aménagements d’horaires lors de la rupture du jeune ou de la
fête de l’Aïd.
Les entreprises concernées seraient le plus souvent bien en peine de satisfaire ces demandes, à la fois
parce qu’elles n’entendent privilégier aucune conviction philosophique ou religieuse dans le cadre
professionnel et pour des raisons toutes pratiques d’organisation du travail. Aussi leur réaction est-elle
le plus généralement de les refuser.
Une question plus globale demeure cependant, posée par le seul fait d’un grand nombre de salariés
issus de la diversité : elle concerne les règles que l’entreprise doit se donner pour respecter les
convictions de chacun et permettre à tous, quelles que soient les différences entre eux, de travailler
ensemble.
Un exemple de réponse parmi d’autres, ces quelques extraits du règlement intérieur d’une entreprise de
centres d’appels, relatifs à la tenue vestimentaire et au comportement au travail :
« Les locaux de l’Entreprise étant ouverts en permanence aux clients, fournisseurs et autres partenaires
de celle-ci, une tenue vestimentaire "correcte" est exigée de tous les collaborateurs, à savoir non
seulement une tenue propre et soignée, mais aussi non provocante et respectant la bienséance. Sont
ainsi prohibées les tenues inconvenantes ou négligées, ainsi que les couvre-chefs.
………………
Afin de garantir une cohabitation harmonieuse entre les différentes appartenances, croyances et
opinions qui composent le personnel de l’Entreprise, quelles qu’elles soient, les collaborateurs sont
tenus de respecter une obligation de discrétion relative à leurs convictions, sans que ne soient remises
en cause les libertés de conscience, d’opinion et de religion de chacun.
A ce titre, dans le souci de préserver un climat interne serein, les signes et démonstrations
manifestement ostentatoires d’appartenance politique, ethnique, religieuse ou philosophique sont
restreints au sein de l’entreprise (sauf en ce qui concerne les petits objets de type bijoux, tolérés tant
qu’ils ne sont pas ostentatoires).
Les modalités de mise en œuvre de cette restriction seront discutées au cas par cas avec les
intéressés, de manière à concilier au mieux les intérêts de l’entreprise et les convictions de chacun. »
*
• Dans le secteur du conseil et des services informatiques, qui comporte une majorité de cadres,
l’intégration de cultures différentes se passe traditionnellement plutôt bien, en particulier du fait d’un
niveau d’éducation élevé.
Certaines des sociétés opérant dans ce domaine d’activité ont mis en place des accords avec l’APEC
ou des associations spécialisées, pour renforcer l’intégration de salariés venus des « quartiers ». La
question des signes distinctifs, en particulier celle du port du voile, se pose néanmoins et a même
tendance à se renforcer depuis un an -une question d’autant plus délicate que les salariés de ces
entreprises sont en contact quotidien avec la clientèle, que ce soit dans leurs propres bureaux ou, le
plus souvent, chez les clients où ils sont en mission.
Il n’y a pas ici plus qu’ailleurs de recette miracle et beaucoup de sociétés s’efforcent d’adopter une
approche qui concilie la fermeté avec l’écoute et le dialogue, ou, pour le dire autrement, de mettre en
avant leur souhait de développer la diversité, tout en demandant à chacun de ne pas afficher de signes
distinctifs afin de respecter les différences. Par ailleurs -et cela semble un point important à retenir-, des
groupes de travail sont constitués dans bien des cas, en vue de permettre aux directions d’approfondir
le sujet avec les salariés et leurs représentants et d’aboutir à une position commune.
Ainsi, ce qu’écrit dans une note interne la DRH d’une société de ce secteur, soucieuse de concilier la
neutralité et la diversité :
« Au travers du prisme de ces deux enjeux, neutralité et diversité, une réflexion a été menée et un
groupe de travail sur le port des signes distinctifs dans l’entreprise a été constitué.
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Pourquoi ce groupe de travail ?
C’est suite à l’apparition de plus en plus fréquente de collaboratrices portant un voile islamique que ce
groupe a été réuni, afin d’appréhender la problématique plus générale du port de tout signe distinctif,
qu’il soit religieux ou politique, tant par des hommes que par des femmes, ainsi que de toute
revendication particulière d’ordre politique ou religieuse. Notre société affirme sa neutralité et entend
que ses collaborateurs en fassent également preuve afin que les convictions, sensibilités et différences
de chacun soient respectées. Ainsi, il n’est pas souhaité qu’un collaborateur, un stagiaire ou même un
sous-traitant, affiche ostentatoirement sa conviction religieuse ou politique. Dès lors, s’agissant plus
précisément du port du voile islamique, un dialogue sera engagé avec chaque collaboratrice concernée
afin de trouver une solution permettant le respect du fonctionnement de l’entreprise. Tous les dialogues
engagés à ce jour ont abouti à une solution permettant de respecter les attentes de l’entreprise et les
convictions de la personne. Ainsi des collaboratrices ne souhaitant pas se découvrir totalement ont
substitué au foulard islamique traditionnel un élément moins emprunt de connotation religieuse (bonnet,
foulard fantaisie, chapeau…).
Quels moyens d’accompagnement vont être mis en place pour aider les managers à faire appliquer
cette position ?
A court terme tout manager concerné par le port de signes distinctifs par un de ses salariés est amené à
engager le dialogue, après avoir pris contact avec son responsable ressources humaines. Nous
souhaitons également que des "sponsors", de convictions religieuse ou politique diverses, puissent
accompagner les managers dans l’approche des collaborateurs concernés, afin de les aider à trouver
les mots justes et à convaincre de notre volonté, afin que les messages soient portés le plus
sereinement possible. A cet égard, nous faisons appel à vous : si vous connaissez des managers,
politiquement ou religieusement engagés, partageant notre position et pouvant accepter d’être des
"sponsors", merci de les signaler à votre responsable ressources humaines.
Assurer la diversité est un engagement de notre entreprise ; mettre en œuvre les moyens de la
respecter est l’affaire de tous. »
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S’ils ne prétendent pas apporter de solution applicable à toutes les situations, ni moins encore définitive,
les exemples qui précèdent ont du moins l’avantage de nous insérer dans la réalité de ce qui se vit au
jour le jour et de façon très concrète dans nombre d’entreprises. Et plus nous avons tenté de les
approfondir, plus il nous a semblé essentiel de ne pas nous enfermer dans un cadre juridique trop strict,
la prescription de règlements et obligations, mais de leur préférer une attitude ouverte, questionnante, et
par là, plus responsabilisante. De tenter, en d’autres termes, de préciser des critères de discernement,
des éléments d’analyse, pouvant nous guider effectivement dans nos comportements et nos actions -et
contribuer peut-être, dans un deuxième temps, à une parole des Semaines Sociales de France.
*
2. Eléments d’analyse
Même si elle est à bien des égards l’équivalent de celle qui se pose au niveau de l’Etat -comment
concilier l’identité républicaine et l’accueil de la diversité ?- la question du respect des cultures revêt
dans l’entreprise une double importance, puisqu’à sa dimension éthique s’ajoute une raison d’efficacité.
Les Américains l’affirment : l’éthique paye, le respect des personnes est « payant » pour l’entreprise. Et
l’Evangile, sans doute, nous le suggérait déjà, lorsqu’il affirmait, il y a 2000 ans, que « tout royaume
divisé contre lui-même court à sa ruine ». Le même auteur écrirait aujourd’hui qu’il en va de même pour
toute entreprise, des PME aux sociétés du CAC 40.
Le succès des entreprises -et plus largement de toute organisation ou institution- dépend pour une large
part de l’engagement de ceux qui y travaillent (ou qui y militent) -un engagement qui est lui-même très
largement conditionné par la considération, l’écoute accordées aux personnes, aussi bien à titre
individuel que dans le cadre des instances représentatives du personnel, au respect porté à ce qu’elles
sont, à leur culture, à ce qui compte vraiment pour elles. Il ne peut y avoir de performance économique
sur le long terme sans performance sociale.
Nous touchons au cœur du débat. Car si cette reconnaissance est essentielle, elle ne peut cependant
donner lieu à une acceptation de toutes les conduites ni de toutes les formes d’expression publique -pas
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plus que, sur un autre plan, à toutes les revendications salariales. C’est ici que doit s’exercer avec
acuité le discernement : comment concilier, tenir ensemble les exigences du respect des cultures et
celles de la paix civique et sociale ? Comment distinguer entre les signes d’appartenance ostentatoires
et ceux qui ne le sont pas ? Comment développer et vivre une laïcité accueillante, « positive », qui
respecte les différences, ne les gomme pas, ne réduise pas les personnes humaines à leur plus petit
commun dénominateur ? Comment l’espace professionnel qui rassemble des salariés aux origines et
aux cultures différentes, aux convictions religieuses diverses -quand elles ne se veulent pas exclusives
de toute autre- peut-il assumer son obligation de neutralité pour faciliter l’accueil et l’intégration de
tous ?
Quelques principes fondamentaux nous ont semblé devoir être retenus comme critères pour
appréhender ces questions dans les lieux de travail :
- En premier lieu, les règles de sécurité, d’hygiène et de présentation, propres à chaque milieu
professionnel, et qui s’appliquent à tous les salariés, quelles que soient leur origine, leur religion, leur
culture. Ces règles concernent autant la tenue vestimentaire, que l’hygiène personnelle ou les
salutations et règles de politesse.
- L’équité d’attribution et de disposition des droits sociaux (temps de travail ; horaires ; rémunérations ;
formation ; évolution….) et le souci de permettre autant que possible une souplesse d’utilisation des
différents dispositifs pour des raisons personnelles, donc également religieuses.
- Le respect du calendrier culturel du pays d’accueil, avec la possibilité laissée à chaque salarié, dans la
mesure compatible avec la bonne marche de l’entreprise, d’utiliser prioritairement ses jours de congés
ou de récupération pour les jours de fête propres à sa culture ou à sa religion, le plus souvent différents
de ceux du pays d’accueil.
- L’acceptation effective par tous les salariés, des dispositions culturelles du pays d’accueil et de
l’entreprise qui en est partie prenante, en termes législatifs, conventionnels et réglementaires : tenue ;
égalité professionnelle ; autorité ; comportement…
- La reconnaissance de la nécessaire diversité des équipes professionnelles, sur le plan social,
ethnique, technique.
- La prise en compte enfin -comme c’est de plus en plus fréquemment le cas- des questions
interculturelles dans les programmes de formation.
Dans un souci de validation de ces principes, tous profondément reliés à nos expériences pourtant
diverses de l’entreprise, nous les avons rapprochés des critères proposés par la Halde pour encadrer la
liberté religieuse (délibérations n° 2008-32 du 3 mars 2008 et n° 2009-117 du 6 avril 2009) -et nous
avons trouvé dans cet examen une forme de confirmation. Ces critères, au nombre de six, sont en effet
les suivants :
- le respect de la liberté d’autrui et l’interdiction du prosélytisme,
- la sécurité,
- l’hygiène,
- la compatibilité entre la pratique religieuse et les aptitudes du salarié à remplir sa mission,
- la compatibilité entre la pratique religieuse et l’organisation nécessaire à la mission,
- la compatibilité entre la pratique religieuse et les impératifs liés à l’intérêt commercial.
Mais s’il nous a confortés dans notre approche, l’exercice a également contribué à nous mettre en garde
contre toute formulation trop générale ou catégorique, a fortiori si elle se voulait contraignante (du moins
moralement). Elle risquerait inévitablement, en effet, de se révéler inadaptée à la variété des situations
et, par suite, inopérante.
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3. Quelques suggestions et recommandations pour conclure
Nous sommes ou avons tous été des DRH, aux responsabilités et aux expériences variées, toujours
complémentaires. Aussi la question posée par Jérôme Vignon ne pouvait-elle nous laisser indifférents.
Mais si nous avons immédiatement perçu son bien-fondé, sa complexité n’a fait que nous apparaître
davantage, à mesure que nous avons cherché à y répondre, et la tentation nous a parfois frôlés de
céder à la perplexité et de rendre une page blanche.
Si en nous référant à nos expériences, nous ne devions avoir qu’un mot à retenir, ce serait l’écoute,
encore l’écoute. Et un second, le dialogue -le dialogue social, ici tout à fait essentiel, mais également le
dialogue de personne à personne, comme le montraient déjà les exemples que nous avons cités.
L'écoute, l’attention à l’autre, la reconnaissance, c’est-à-dire également, et très concrètement, la prise
en compte des situations personnelles et professionnelles de chacun et le respect de la ou des
différences. Ne devrions-nous pas même considérer, à y bien réfléchir, que le sens des relations
humaines et l’attachement au respect de la personne devraient suffire à nous guider et à nous permettre
d’inventer les solutions qui conviennent dans chaque situation ? Et ne courrions-nous pas le risque, à
vouloir tout réglementer pour assurer un « mieux vivre ensemble », d’accorder plus d’importance aux
écrits et aux paroles qu’au respect effectif de l’autre jusque dans ses différences dans la vie de tous les
jours ? Que de discours, de chartes, possiblement hypocrites, mais plus sûrement et si souvent
rassurants et confortables ! Le respect des cultures dans les lieux de travail est une question de
« relations », avant et plus que de réglementations, d’obligations, de processus.
« Sur un chantier, nous disait un DRH du BTP, on respecte chacun et on se plie à des
règles élémentaires car c'est dangereux de construire un pont ou un immeuble, et la relation entre les
personnes est essentielle pour réussir. Toutes les races et toutes les religions sont représentées, mais
aucune n’a besoin de s’exprimer ou de se manifester pendant le travail, car il n'y a qu'un objectif qui est
commun à tous : terminer le chantier à la date fixée, sur la base du budget défini. Et à la fin on fêtera
cela tous ensemble. Il y a une vraie convivialité des métiers durs. »
Faudrait-il alors ne rien dire ? Nous n’avons aucune raison de l’affirmer -et ce serait une grande naïveté
de vouloir s’en remettre sur une question aussi grave et délicate à la seule bonne volonté de chacun,
sans identification de repères, de recommandations, de garde-fous. A quel niveau cependant cela doit-il
être fait -et par qui, par quelle instance ? Si les Semaines Sociales décident d’avoir une parole publique,
nous suggérons avec force qu’elles aient le souci :
- de ne pas se couper du terrain ni de ceux qui y exercent des responsabilités ;
- de s’en tenir à des énoncés faisant appel à la conscience plus qu’ils ne prétendraient proposer des
solutions ou sembleraient juger de haut des réalités que ses auteurs ne maîtriseraient pas
nécessairement -ou, pour reprendre les mots de la lettre de Jérôme Vignon, de se limiter à de simples
« recommandations » ou « points de vigilance ».
Et parmi ces recommandations, nous insisterions peut-être sur la nécessité pour chacun -et
singulièrement pour tout manager :
- d’acquérir une formation interculturelle exigeante, ainsi que des connaissances de base sur le fait
religieux et sur la pratique des principales religions ;
- de s’interroger plus spécifiquement sur les pratiques de son entreprise, en termes de recrutement et de
développement des carrières ;
- et de vérifier plus que tout la cohérence entre ses paroles et ses actes -nos paroles et nos actes. Et
que nos instruments de mesure sont équitables, que nous ne refusons pas, en d’autres termes, aux
personnes issues de la diversité ce que nous tolérons dans nos propres attitudes et manières de faire.
XG - 24 octobre 2011
Semaines sociales de France – "Le respect des cultures dans les lieux de travail" – Janvier 2013
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