zola vu par maupassant - Faculdade de Letras

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zola vu par maupassant - Faculdade de Letras
ZOLA VU PAR MAUPASSANT
Brigitte Hervot
Universidade Estadual Paulista/UNESP
Brasil
Cet article a pour objectif d’étudier la vision que
Maupassant avait de l’art d’écrire chez Émile Zola. Afin de
retrouver une image complète de cette critique, j’ai choisi d’une
part d’analyser les lettres que Maupassant a écrites à Zola,
entre avril 1875 et novembre 1890, et celles envoyées à
d’autres correspondants où Maupassant se réfère à son
confrère, ainsi qu’un article intitulé “Émile Zola”, constituant la
préface du livre Émile Zola, édité par Albert Quantin en 1883
dans la collection « Célébrités contemporaines », et publié à la
même époque dans la Revue politique et littéraire du 10 mars
1883.
Les informations recueillies dans tous ces
documents permettent d’établir en quoi Maupassant
considérait Zola un révolutionnaire et en quoi il contestait ses
idéaux, dévoilant de cette façon sa pensée critique et
dynamique de la littérature, en particulier de la pratique
littéraire de Zola. Il est important de souligner, en ce qui
concerne la nature exacte de cette étude, que je me propose
d’aborder les lettres de Maupassant comme s’il s’agissait
d’écrits monologiques, ayant opté de ne pas mettre en
contribution celles de son destinataire dans cet article. Au lieu
de cela, j’ai préféré avoir recours à deux textes de Zola sur
Maupassant pour conclure cet article: son discours aux
obsèques de Maupassant, le 7 juillet 1893, et celui à
l’inauguration du monument de Guy de Maupassant au Parc
Monceau, le 24 octobre 1897.
Guy de Maupassant, mieux
connu pour ses contes et ses romans, a aussi écrit plus de
huit cent vingt lettres 1 , entre 1862 et 1891. Parmi ses
correspondants favoris, figure en première place son éditeur
Victor Harvard, avec lequel Maupassant entretient une
correspondance de nature commerciale. Les membres de sa
famille – en particulier sa mère Laure de Poitevin et son cousin
et ami d’enfance Louis Le Poitevin –, ainsi que trois femmes –
Gisèle d’Estoc, Hermine Lecomte du Noüy et Mme Émile Straus
–, reçoivent aussi de nombreuses lettres, dans lesquelles
l’homme parle d’amour, de sentiments, de faits quotidiens, de
problèmes de santé, de voyages, d’art et bien d’autres choses.
Mais les correspondants à qui il ne se lasse d’écrire sont ses
amis, écrivains et critiques, tels que Gustave Flaubert,
Ferdinand Brunetière, Henry Cazalis et Edmond de Goncourt.
Zola fait bien sûr partie de ceux à qui il a le plus écrit: il a reçu
quarante-cinq lettres, tout au moins celles qui ont été
conservées.
Avant d’entrer dans l’analyse plus détaillée
de ces lettres, j’aimerais tisser quelques commentaires
généraux sur leur nature. Il est intéressant de noter, selon
une classification du point de vue de la longueur, deux types
de correspondance: la lettre et le billet, beaucoup plus court.
Des quarante-cinq missives écrites à Zola, le billet prédomine.
Maupassant a très rarement envoyé de longues lettres à Zola.
Défini comme l’écriture du quotidien, le billet, dont la pratique
entre les écrivains est d’un usage commun à l’époque, ponctue
et organise leur vie sociale et intime, et la brièveté semble avoir
présidé à la rédaction de bien des correspondances du XIXe
siècle 2 . Maupassant, comme bon nombre de ses confrères,
s’en sert fréquemment et dans diverses situations: pour
exprimer des regrets et des excuses de ne pas avoir écrit avant
ou de ne pas être allé chez Zola, pour fixer ou annuler des
rencontres, pour faire ou accepter une invitation, pour rendre
et demander des services, pour obtenir des places de théâtre
pour la représentation d’une pièce, pour fournir et demander
des informations de tout genre, pour révéler son opinion sur
un roman, une pièce de théâtre, une question d’actualité, le
rôle des critiques, etc. Ce moyen accéléré de communication
utilisé par Maupassant peut, me semble-t-il, être interprété
aussi bien comme une marque d’amitié que comme un signal
de reconnaissance entre des écrivains qui se jugeaient de
même valeur, ou qui, tout au moins, appartenaient au même
monde artistique.
Parallèlement, il est intéressant
d’observer que Maupassant n’entre jamais profondément dans
des discussions théoriques avec Zola, sûrement en grande
partie à cause de la brièveté des billets, mais aussi parce qu’il
prétendait ne jamais vouloir discuter littérature; Zola le dit luimême dans son discours aux obsèques de Maupassant, le 7
juillet 1893: « il arrivait même à l’affectation de ne jamais parler
littérature », ce qu’il a tout de même fait pendant toute sa
carrière, en particulier, sa carrière de chroniqueur3 . Et, on le
sait, il a beaucoup lu Zola, il l’a aussi souvent « vu », lors de
représentations théâtrales, et lui envoie à plusieurs reprises
son opinion personnelle sur ces oeuvres.
En 1875, plus
exactement « Ce mercredi d’avril 1875 », date de la première
lettre à Zola, Maupassant analyse rapidement le roman La
Faute de l’Abbé Mouret (1875) qui vient de sortir. Sa critique
paraît à première vue un peu trop succinte, vague,
impressioniste, presque même élogieuse à l’excès : Je viens de
terminer la lecture de ce livre, et, si mon opinion peut avoir
quelque prix pour vous, je vous dirai que je l’ai trouvé fort beau
et d’une puissance extraordinaire, je suis absolument
enthousiasmé, peu de lectures m’ont causé une aussi forte
impression.4
Ce ton n’est pas exceptionnel dans les lettres et les
billets où il s’agit de donner son opinion sur une oeuvre en
particulier, les superlatifs et les termes hyperboliques sont
d’usage courant et les éloges sont nombreux. Une Page
d’Amour (1878) suscite à Maupassant la réflexion suivante: «
si ce n'est le plus coloré de vos romans, c'est le plus parfait de
style, à mon avis, et un des plus humains, des plus vrais »5. A
propos de La Joie de vivre (1884), oeuvre qu’il déclare « si
puissante et si exacte », il avoue à Zola: « j’ai trouvé superbe ce
roman. Je n'ose pas dire que ce soit le plus remarquable que
vous avez fait, mais c'est celui qui me plaît le plus, qui m’a le
plus empoigné »6. Après la lecture de Germinal (1885),
Maupassant écrit immédiatement à Zola: Je veux vous dire
tout de suite que je trouve cette œuvre la plus puissante et la
plus surprenante de toutes vos œuvres [...] jamais l’effet que
vous avez obtenu est aussi étonnant que superbe, et la mise
en scène de votre roman reste devant les yeux et devant la
pensée, comme si on avait vu ces choses.7
Enfin, dans une lettre qui concerne La Terre (1887),
Maupassant supplie Zola de ne pas la publier dans la presse
sous forme de feuilletons, ni cette œuvre, ni « ces œuvres si
grandes, si larges, dont l'admirable composition et le puissant
effet disparaissent presque entièrement avec le morcellement
du journal »8. A ce propos, il est intéressant de remarquer que
dans bien des correspondances de cette époque, les auteurs
profitaient du caractère privé de leurs écrits pour juger ces
agents du monde littéraire et artistique que représentaient les
journalistes et les critiques. Ainsi, on sait que Flaubert et
George Sand dans les lettres qu’ils échangèrent entre 1866 et
1876, support privilégié de leur réflexion sur la littérature,
expriment chacun à sa façon leur opposition à la soi-disant
légitimité des jugements esthétiques des critiques qui
prétendaient régenter la littérature 9 .
D’une façon
générale, la critique de Maupassant passe essentiellement par
l’émotion du lecteur Maupassant. « Impression », « sensation »,
« empoignante » sont des mots qui reviennent souvent et Zola
lui plaît lorsqu’il parvient, à travers ses oeuvres, à
« l’impressionner », c’est-à-dire à susciter en lui une
impression, ou mieux, aviver une sensation. Avec La Faute de
l’Abbé Mouret (1875), il voit et surtout respire ce que décrit
Zola: « l’odeur », « les arômes », « les senteurs » l’excitent, lui
qui sent, qui aspire les mots, qui s’ouvre à l’impression. L’art
de Zola pour Maupassant consiste justement à faire « sentir »,
Une dizaine
à « griser », à « frapper », à « exciter »10.
d’années plus tard, en 1884, un autre roman, La Joie de vivre,
inspire de nouveau ces sensations: les personnages frappent
Maupassant par leur humanité. Comme il l’écrit : « J’ai eu
d’ailleurs dans ce livre la sensation d’un bain d’humanité. [...]
C’est vrai à crier, tout cela, et empoignant à faire pleurer »11.
Un an après, le roman Germinal (1885) est jugé, à son tour,
pour son pouvoir d’évocation: « jamais livre assurément n’a
contenu tant de vie et de mouvement, une pareille somme de
peuple. On sent en vous lisant, l’âme, l’haleine et toute
l’animalité tumultueuse de ces gens »12.
Ainsi, si l’on s’en
tient à peine aux critiques de Maupassant dans ses lettres à
Zola, on peut penser que l’admiration est inconditionnelle, bien
que la brieveté et la formalité des propos puissent d’ores et
déjà laisser entrevoir certaines restrictions. Il est fort possible
que la question de la brieveté se doive tout d’abord au fait que
Maupassant était débordé de travail et puis aussi au fait qu’il
rencontrait souvent Zola et ses autres amis écrivains, ce qui
lui permettait de mieux développer ses idées en personne.
D’ailleurs, plus d’une fois, il termine ses lettres sur des
souhaits et des promesses: J’espère, cher Monsieur, que
j’aurai le plaisir de vous voir dimanche chez Gustave Flaubert
et que je pourrai vous dire tout le plaisir que vous m’avez fait.13
Je compte vous dire plus longuement lorsque je vous verrai,
cher Maître, tout ce que je pense de votre livre.14
Si je puis disposer d’une minute et si vous êtes à Paris, je vais
essayer de vous trouver, pour vous dire tout le plaisir
personnel que m’a fait votre roman.15
Mais certains critiques attribuent aussi le côté non
seulement bref, mais surtout extrêmement élogieux, à
l’affection et au respect qui nouaient Maupassant à Zola et qui
l’empêchaient de le blesser par une critique plus complète.
Maupassant confirme lui-même cette théorie dans une lettre
qu’il écrit à Paul Alexis le 17 janvier 1877. Après avoir nié aux
oeuvres de Zola le pouvoir d’ouvrir une voie définitive à la
littérature, il dit: « Cette lettre ne doit point sortir de notre
cercle, bien entendu, et je serais désolé que vous la
montrassiez à Zola, que j’aime de tout mon cœur et que
j’admire profondément, car il pourrait peut-être s’en froisser»16.
On peut supposer que Zola, en lisant les lettres de
Maupassant, se soit senti choyé, admiré, presque adulé par
son jeune confrère, celui qui au début de leur correspondance
s’adressait à lui avec la formule « Cher Monsieur », puis passa
à l’appeler « Cher Maître » et enfin « Mon cher Maître et ami ».
L’amitié, de fait, était réelle, mais les désaccords sur le plan
des conceptions esthétiques en étaient de même. On le sait,
leurs idéaux artistiques sont différents. C’est ce que
Maupassant tait dans ses lettres à Zola, mais laisse échapper
dans des lettres à d’autres destinataires, en particulier à
Gustave Flaubert, avec lequel il semble ne pas avoir peur
d’approfondir sa réflexion critique. Le 2 décembre 1878,
Maupassant écrit à son véritable Maître: Zola nous a lu deux
chapitres de Nana; j'aime peu le second, le troisième me paraît
mieux. La division du livre ne me plaît pas. Au lieu de conduire
son action directement du commencement à la fin, il la divise,
comme le Nabab, en chapitres qui forment de véritables actes
se passant au même lieu, ne renfermant qu'un fait; et, par
conséquent, il évite ainsi toute espèce de transition, ce qui est
plus facile.17
On n’est plus en présence des compliments et on voit
que la structure même du roman de Zola est remise en
question. Pour Maupassant, le chef du Naturalisme n’a pas
encore rencontré la forme que lui-même imprime à ses oeuvres
et qui repose essentiellement sur la conception de transition
entre les différentes parties, transitions qui représentent la
vraie valeur et la vraie difficulté de la composition.
En
janvier 1879, on trouve de nouveau une critique pas très
flatteuse sur la représentation théâtrale de L’Assommoir:
L’Assommoir est un succès. Par exemple, c’est interminable et
pas très mordant. Mais les décors sont superbes et il y a des
scènes bien venues. Le delirium tremens fait évanouir les
femmes. On ira voir. La première a été fort bonne. Quelques
murmures
ébauchés
ont
été
arrêtés
par
trois
salves
d’applaudissements. Je crois que la pièce tiendra longtemps.18
Sous l’ironie des propos et les sous-entendus, on
surprend une critique sévère, non seulement à l’oeuvre mais
aussi à son succès. Ce commentaire, une fois de plus, ne
correspond pas à une autre réflexion présente dans une lettre
de Maupassant dirigée à Robert Pinchon en février 187719. On
sent bien que Maupassant s’est déjà éloigné du groupe de
Médan. D’ailleurs, un mois après, en février 1879, l’auteur
confesse à Flaubert que la « bande » à Zola ne le trouvant pas
assez naturaliste, ne lui a pas serré la main après le succès de
sa pièce, Histoire du Vieux Temps, même si Zola et sa femme l’«
ont applaudi beaucoup » et l’ont vivement félicité plus tard20.
En avril de la même année, Maupassant se déclare
encore plus ouvertement contre les théories de Zola, contre sa
prétension déclarée et contre son acceptation par la critique et
par le public: Que dites-vous de Zola? Moi, je le trouve
absolument fou. Avez-vous lu son article sur Hugo? Son article
sur les poètes contemporains et sa brochure La République et
la Littérature. « La République sera naturaliste ou elle ne sera
pas. » – « Je ne suis qu’un savant. »!!! (Rien que cela! Quelle
modestie.) – « L’enquête sociale. » – Le document humain. La
série des formules. On verra maintenant sur le dos des livres:
« Grand roman selon la formule naturaliste. » Je ne suis qu'un
savant !!!! Cela est pyramidal!!! Et on ne rit pas...21
Maupassant ne fait que renforcer une opinion qu’il avait
déjà émise en janvier 1877 dans une lettre à Flaubert: « Je
vous adresse, en même temps, un article de Zola qui trouve
que le Drame scientifique est une heureuse innovation qui
mène au drame naturaliste. Cette fois, c'est trop fort !!! »22.
Maupassant s’est bel et bien détaché du groupe de Zola,
mais aussi de Zola, de ses grands mots et même des procédés
auxquels il a recours pour vendre ses livres. A la sortie de
Nana, en 1879, Maupassant envoie ce commentaire ironique et
tranchant à Flaubert: On voit sur les boulevards et dans les
rues des files d’hommes en blouse portant des bannières sur
lesquelles on lit « NANA par Émile Zola, dans le Voltaire » !
Quelqu’un me demanderait si je suis homme de lettres, je
répondrais « Non Monsieur, je vends des cannes à pêche »,
tant je trouve cette folle réclame humiliante pour tous.23
Cette boutade sur
la publicité entre un
peu en contradiction
avec la pratique de
Maupassant qui
n’hésite pas à faire
appel à l’expérience et à
l’influence de son aîné.
En mai 1880,
Maupassant écrit à Zola
pour lui « demander un
service »24, ou mieux,
pour lui rappeler sa
promesse d’écrire un
article sur son volume
de vers, Des vers. La
promesse est accomplie
quelques jours après.
Comme Maupassant
l’avoue, il a « besoin
d’un bon coup
d’épaule » pour assurer
la vente complète de
l’oeuvre, et il a aussi
besoin des conseils
pratiques de Zola en ce
qui concerne le prix de
ses livres. Zola, qui
connaît la valeur
marchande de son
travail, est consulté à
plusieurs reprises par
Maupassant avant de
négocier ses nouvelles
et autres oeuvres avec
les propriétaires des
journaux et les
éditeurs. En fait, on sait
que Maupassant s’est
servi de Zola et du
Naturalisme pour se
lancer dans la vie
littéraire, ce qui ne
signifie pas qu’il
adhérait totalement aux
principes de l’école.
Dans la lettre à Paul
Alexis, Maupassant
déclare : « Je ne crois
pas plus au naturalisme
et au réalisme qu’au
romantisme. Ces mots à
mon sens ne signifient
absolument rien et ne
servent qu’à des
querelles de
tempéraments
Enfin,
opposés »25.
en 1880, lorsque
viennent de paraître Les
Soirées de Médan,
Maupassant écrit à
Flaubert et lui révèle
son opinion sur les
nouvelles qui
composent ce recueil
qui l’a véritablement
lancé dans sa trajectoire
de grand écrivain. Il
commence par le titre
que Zola a lui-même
proposé et l’accuse
d’être « mauvais et
dangereux », et juge la
nouvelle de Zola en ces
termes: « c’est bien,
mais ce sujet aurait pu
être traité de la même
façon et aussi bien par
Mme Sand ou
Daudet”26. Il continue
donc, pour lui, de
manquer cette vision
personnelle qui
transforme la réalité en
art. Comme il le disait
déjà à Paul Alexis en
1877, « aujourd’hui Zola
est une magnifique,
éclatante et nécessaire
personnalité. Mais sa
manière est une des
manifestations de l’art
et non une somme,
comme la manière de
Hugo était une autre
manifestation du même
art »27.
Ces
quelques observations
permettent de constater
une certaine disparité
dans les propos de
Maupassant. Mais ce
contraste n’arrive pas à
choquer. Car
Maupassant est avant
tout l’ami et le cadet de
Zola. Ses éloges sont
sincères et surtout le
respect qui le lie à Zola
lui permet d’entrevoir
certaines qualités
littéraires. En 1883,
l’éditeur Albert Quantin,
par l’intermédiaire de
Paul Bourget, demande
à Maupassant de faire
une étude sur Zola et
une sur Goncourt pour
une collection de
portraits
contemporains,
« Célébrités
contemporaines ».
L’écrivain accepte
promptement et écrit à
Quantin: « Je me
chargerai très volontiers
de ce travail et je serai
heureux d'analyser ces
deux talents si divers et
raconter sur ces deux
maîtres, qui sont mes
amis, ce que je sais et
ce que je pense »28. Pour
lui, « ce remarquable
écrivain est doué pour
le roman et cette forme
seule se prête en tout
au développement
complet de son
vigoureux talent »29 ;
c’est aussi un
« révolutionnaire » dans
son style hardi, large,
imagé, parfois même
brutal, grossier, qui le
relie « aux traditions de
la vigoureuse littérature
du XVI e siècle ». Mais
en même temps que
Maupassant reconnaît
ces valeurs chez Zola, il
ne s’abstient pourtant
pas d’une critique
sincère et directe face
au style et à l’oeuvre de
son aîné.
Pour lui,
d’une part, la poésie
des débuts littéraires de
Zola est réduite à une
production « abondante,
facile, trop facile » qui
« visait plus la science
que l’art », « sans
caractère déterminé ».
Ses vers sont « des vers
incolores, d’ailleurs,
sans curiosité de forme
ou d’inspiration ». Les
essais dramatiques,
plus tardifs,
contemporains de ses
romans, n’ont pas plus
de succès auprès de
Maupassant, car selon
lui, l’auteur « ne semble
pas avoir encore dégagé
la formule nouvelle,
pour employer son
expression favorite ».
D’autre part, si
« Zola est, en
littérature, un
révolutionnaire, c’est-àdire un ennemi féroce
de ce qui vient
d’exister », c’est tout de
même un
révolutionnaire « élevé
dans l’admiration de ce
qu’il veut démolir », le
Romantisme. Ainsi,
même si le romancier
cherche à renier les
romantiques et la part
de l’imagination dans la
création artistique, il
utilise les mêmes
procédés littéraires, en
particulier celui du
grossissement, au nom
de la vérité observée, de
la « nature vu à travers
un tempérament »,
comme Zola a lui-même
défini son Naturalisme,
fait qui permet à
Maupassant de
conclure que « ses
enseignements et ses
oeuvres sont
éternellement en
désaccord ».
Quant
à son style, loin du
raffinement, de la
sobriété et de la
précision de ceux de
Flaubert et de
Théophile Gautier, si
Maupassant y voit
certaines qualités, il
affirme pourtant que
Zola n’a jamais cherché
à perfectionner son don
d’écrire et qu’ « il n’est
point un virtuose de la
langue »; d’ailleurs,
selon son opinion, il
n’en a jamais eu besoin,
car si l’on considère le
grand public à qui il
s’adressait et l’objectif
qu’il s’était fixé – tout
raconter, dénoncer
l’hypocrisie de la société
et ne pas être dupe da
la comédie universelle –
« il écrit clairement, d’un
beau style sonore. Cela
suffit ». Mais c’est tout
de même grâce à ce
style, grâce aussi à une
« conscience intime d’un
robuste talent » et à une
force de travail
extraordinaire, qu’il va
connaître la richesse et
la célébrité de son
vivant.
La critique
ouverte de cette étude –
Maupassant savait très
bien que Zola la lirait –
était sans doute
permise par la relation
personnelle qui unissait
ces deux écrivains, les
plus populaires et les
plus lus de la
génération de la fin du
XIXe siècle. En tous
cas, Émile Zola ne
montrera aucune
rancune vis-à-vis de lui
après sa disparition.
Pour conclure mon
article et ainsi
réaffirmer leur relation
d’amis et de confrères,
je m’en remets aux
propos de Zola quand,
aux obsèques de
Maupassant, le 7 juillet
1893, il est choisi par la
Société des Gens de
Lettres et de la Société
des Auteurs
dramatiques pour lui
rendre hommage : « J’ai
connu Maupassant, il y
a dix-huit à vingt ans,
chez Gustave
Flaubert ». On remonte
donc à une relation qui
date de loin, de 1874,
une relation marquée
certainement par des
sentiments amicaux –
car « Maupassant resta
toujours un ami fidèle,
eut toujours pour ses
anciens frères d’armes
la main tendue et le
coeur chaud » –, des
sentiments presque
familiaux envers
« Maupassant, mon
cadet que j’ai aimé, que
j’ai vu grandir avec une
joie de frère ».
Les
tristes circonstances de
ces déclarations ont
sûrement un effet sur
leur ton et Zola, « le
frère d’armes, l’aîné,
l’ami »30 , comme il se
désigne lui-même au
début de son discours,
ne limite pas ses éloges
au plan émotionnel et
humain. Il conserve le
même ton admiratif face
à l’œuvre, au style, au
talent de Maupassant,
et l’insère entre les
maîtres de la littérature
contemporaine et entre
contemporaine et entre
les classiques. Des
expressions comme « le
naturel parfait », « la
tranquille vigueur »,
« une vision intense »,
« le goût de la clarté et
de la simplicité », « le
sens le plus aiguisé de
la vérité humaine »,
révèlent sa pensée sur
l’art de son cadet. Pour
lui, le roman Pierre et
Jean est « la merveille,
le joyau rare, l’oeuvre
de vérité et de grandeur
qui ne peut pas être
dépassée » et son
auteur est « l’exemple
inattaquable de la
perfection classique ».
1 Lettres disponibles sur le site dédié à Guy de Maupassant http://ma upa
ssant.free.fr/ . Toutes les citations extraites d’une lettre faisant partie de ce site
sont suivies du numéro de la lettre indiqué dans le site et qui apparaît entre
parenthèses après la citation.
2 Voir l’article de Martine Fisher : De la pratique du billet: Baudelaire et ses
correspondants. In: Penser par lettre. Actes du colloque d’Azay-le-Ferron, mai 1997.
Éditions Fides, 1998. p. 75.
3 Maupassant, chroniqueur au quotidien Le Gaulois, de 1880 à 1888, au quotidien
Gil Blas, à partir de 1881, et au Figaro, plus épisodiquement, a écrit plus de 250
chroniques pendant sa carrière, chroniques dont la plupart constitue une réflexion
sur l’art, non seulement l’art littéraire, mais aussi sur la peinture, l’architecture, la
sculpture, la musique, etc. Les titres sont révélateurs : « Les soirées de Médan »,
« Question littéraire », « Romans », « Le fantastique », « Messieurs de la chronique »,
« Le style épistolaire », « L’évolution du roman au XIXe siècle », « La vie d’un
paysagiste », etc. La liste est longue et ne cache pas les discussions de fond
théorique que Maupassant disait ne pas vouloir aborder.
4 Lettre 41.
4 Lettre 41.
5 Lettre 94.
6 Lettre 323.
7 Lettre 385.
8 Lettre 478.
9 Voir l’article de Brigitte Dias : Penser la littérature. Le dialogue épistolaire SandFlaubert. 1866-1876. In: Penser par lettre, 1998, p. 359-376.
10 Lettre 41.
11 Lettre 323.
12 Lettre 385.
13 Lettre 41.
14 Lettre 84.
15 Lettre 84.
16 Lettre 60. M. G.-E. Lang, qui a publié cette lettre dans le Figaro du 18 février
1923, pense qu’elle fut adressée à Paul Alexis. Selon René Dumesnil, l’attribution
est douteuse.
17 Lettre 107.
18 Lettre 118.
19 Lettre 61.
20 Lettre 126.
21 Lettre 133.
22 Lettre 59.
23 Lettre 150.
24 A maintes reprises, on constate dans des lettres adressées à d’autres
destinataires que Maupassant s’est servi de l’influence de Zola pour lancer ou
promouvoir ses oeuvres. Ainsi, le 21 janvier 1878, à propos de son drame La
Comtesse de Rhétune, composé en 1876, refait en 1878 sous le titre de La Trahison
de la Comtesse de Rhune, il écrit à sa mère: « Zola qui dîne demain avec Sarah
Bernhardt veut bien se charger de porter lui-même une copie à cette actrice. Si le
rôle lui plaisait, elle pourrait de son côté en parler à Perrin, mais Sarah Bernhardt
n’a pas voix délibérative et son avis n’a aucune influence sur les décisions du
Comitê » (Lettre 83). Mais il est vrai aussi que Maupassant rétribue, à diverses
occasions, ce genre de services. Sa position et ses relations dans plusieurs
occasions, ce genre de services. Sa position et ses relations dans plusieurs
Ministères lui permettent d’intervenir en faveur de Zola pour obtenir la Légion
d’Honneur en juillet 1888 (Lettres 521 et 523) ; de même, son influence auprès de
personnes telles que le Préfet de Paris et de M. Lalanne, membre de l’Institut,
Inspecteur Général et Directeur de l’École Nationale des Ponts et Chaussées,
permettent à Zola d’effectuer, au printemps de 1889, un voyage de Paris à Mantes
en
locomotive, malgré
l’interdiction
des règlements, pour préparer
« scientifiquement » la rédaction de son roman La Bête humaine. (Lettres 543 et
544).
25 Lettre 60.
26 Lettre 175.
27 Lettre 60.
28 Lettre 259.
29 Voir le texte dans le site http://maupassant.free.fr/cadre.php?page=oeuvre à la
section III: Chroniques. Les citations qui suivent sont toutes extraites de ce texte.
30 Discours disponible sur la page http://www.bmlisieux.com/curiosa/zola06.htm . Texte
établi sur un exemplaire (coll. part.) des Mélanges, préfaces et discours, avec notes
et commentaires de Maurice Le Blond, volume 50 des OEuvres complètes d’Émile
Zola publiées par la Typographie François Bernouard, à Paris, en 1929 .

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