zola vu par maupassant - Faculdade de Letras
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ZOLA VU PAR MAUPASSANT Brigitte Hervot Universidade Estadual Paulista/UNESP Brasil Cet article a pour objectif d’étudier la vision que Maupassant avait de l’art d’écrire chez Émile Zola. Afin de retrouver une image complète de cette critique, j’ai choisi d’une part d’analyser les lettres que Maupassant a écrites à Zola, entre avril 1875 et novembre 1890, et celles envoyées à d’autres correspondants où Maupassant se réfère à son confrère, ainsi qu’un article intitulé “Émile Zola”, constituant la préface du livre Émile Zola, édité par Albert Quantin en 1883 dans la collection « Célébrités contemporaines », et publié à la même époque dans la Revue politique et littéraire du 10 mars 1883. Les informations recueillies dans tous ces documents permettent d’établir en quoi Maupassant considérait Zola un révolutionnaire et en quoi il contestait ses idéaux, dévoilant de cette façon sa pensée critique et dynamique de la littérature, en particulier de la pratique littéraire de Zola. Il est important de souligner, en ce qui concerne la nature exacte de cette étude, que je me propose d’aborder les lettres de Maupassant comme s’il s’agissait d’écrits monologiques, ayant opté de ne pas mettre en contribution celles de son destinataire dans cet article. Au lieu de cela, j’ai préféré avoir recours à deux textes de Zola sur Maupassant pour conclure cet article: son discours aux obsèques de Maupassant, le 7 juillet 1893, et celui à l’inauguration du monument de Guy de Maupassant au Parc Monceau, le 24 octobre 1897. Guy de Maupassant, mieux connu pour ses contes et ses romans, a aussi écrit plus de huit cent vingt lettres 1 , entre 1862 et 1891. Parmi ses correspondants favoris, figure en première place son éditeur Victor Harvard, avec lequel Maupassant entretient une correspondance de nature commerciale. Les membres de sa famille – en particulier sa mère Laure de Poitevin et son cousin et ami d’enfance Louis Le Poitevin –, ainsi que trois femmes – Gisèle d’Estoc, Hermine Lecomte du Noüy et Mme Émile Straus –, reçoivent aussi de nombreuses lettres, dans lesquelles l’homme parle d’amour, de sentiments, de faits quotidiens, de problèmes de santé, de voyages, d’art et bien d’autres choses. Mais les correspondants à qui il ne se lasse d’écrire sont ses amis, écrivains et critiques, tels que Gustave Flaubert, Ferdinand Brunetière, Henry Cazalis et Edmond de Goncourt. Zola fait bien sûr partie de ceux à qui il a le plus écrit: il a reçu quarante-cinq lettres, tout au moins celles qui ont été conservées. Avant d’entrer dans l’analyse plus détaillée de ces lettres, j’aimerais tisser quelques commentaires généraux sur leur nature. Il est intéressant de noter, selon une classification du point de vue de la longueur, deux types de correspondance: la lettre et le billet, beaucoup plus court. Des quarante-cinq missives écrites à Zola, le billet prédomine. Maupassant a très rarement envoyé de longues lettres à Zola. Défini comme l’écriture du quotidien, le billet, dont la pratique entre les écrivains est d’un usage commun à l’époque, ponctue et organise leur vie sociale et intime, et la brièveté semble avoir présidé à la rédaction de bien des correspondances du XIXe siècle 2 . Maupassant, comme bon nombre de ses confrères, s’en sert fréquemment et dans diverses situations: pour exprimer des regrets et des excuses de ne pas avoir écrit avant ou de ne pas être allé chez Zola, pour fixer ou annuler des rencontres, pour faire ou accepter une invitation, pour rendre et demander des services, pour obtenir des places de théâtre pour la représentation d’une pièce, pour fournir et demander des informations de tout genre, pour révéler son opinion sur un roman, une pièce de théâtre, une question d’actualité, le rôle des critiques, etc. Ce moyen accéléré de communication utilisé par Maupassant peut, me semble-t-il, être interprété aussi bien comme une marque d’amitié que comme un signal de reconnaissance entre des écrivains qui se jugeaient de même valeur, ou qui, tout au moins, appartenaient au même monde artistique. Parallèlement, il est intéressant d’observer que Maupassant n’entre jamais profondément dans des discussions théoriques avec Zola, sûrement en grande partie à cause de la brièveté des billets, mais aussi parce qu’il prétendait ne jamais vouloir discuter littérature; Zola le dit luimême dans son discours aux obsèques de Maupassant, le 7 juillet 1893: « il arrivait même à l’affectation de ne jamais parler littérature », ce qu’il a tout de même fait pendant toute sa carrière, en particulier, sa carrière de chroniqueur3 . Et, on le sait, il a beaucoup lu Zola, il l’a aussi souvent « vu », lors de représentations théâtrales, et lui envoie à plusieurs reprises son opinion personnelle sur ces oeuvres. En 1875, plus exactement « Ce mercredi d’avril 1875 », date de la première lettre à Zola, Maupassant analyse rapidement le roman La Faute de l’Abbé Mouret (1875) qui vient de sortir. Sa critique paraît à première vue un peu trop succinte, vague, impressioniste, presque même élogieuse à l’excès : Je viens de terminer la lecture de ce livre, et, si mon opinion peut avoir quelque prix pour vous, je vous dirai que je l’ai trouvé fort beau et d’une puissance extraordinaire, je suis absolument enthousiasmé, peu de lectures m’ont causé une aussi forte impression.4 Ce ton n’est pas exceptionnel dans les lettres et les billets où il s’agit de donner son opinion sur une oeuvre en particulier, les superlatifs et les termes hyperboliques sont d’usage courant et les éloges sont nombreux. Une Page d’Amour (1878) suscite à Maupassant la réflexion suivante: « si ce n'est le plus coloré de vos romans, c'est le plus parfait de style, à mon avis, et un des plus humains, des plus vrais »5. A propos de La Joie de vivre (1884), oeuvre qu’il déclare « si puissante et si exacte », il avoue à Zola: « j’ai trouvé superbe ce roman. Je n'ose pas dire que ce soit le plus remarquable que vous avez fait, mais c'est celui qui me plaît le plus, qui m’a le plus empoigné »6. Après la lecture de Germinal (1885), Maupassant écrit immédiatement à Zola: Je veux vous dire tout de suite que je trouve cette œuvre la plus puissante et la plus surprenante de toutes vos œuvres [...] jamais l’effet que vous avez obtenu est aussi étonnant que superbe, et la mise en scène de votre roman reste devant les yeux et devant la pensée, comme si on avait vu ces choses.7 Enfin, dans une lettre qui concerne La Terre (1887), Maupassant supplie Zola de ne pas la publier dans la presse sous forme de feuilletons, ni cette œuvre, ni « ces œuvres si grandes, si larges, dont l'admirable composition et le puissant effet disparaissent presque entièrement avec le morcellement du journal »8. A ce propos, il est intéressant de remarquer que dans bien des correspondances de cette époque, les auteurs profitaient du caractère privé de leurs écrits pour juger ces agents du monde littéraire et artistique que représentaient les journalistes et les critiques. Ainsi, on sait que Flaubert et George Sand dans les lettres qu’ils échangèrent entre 1866 et 1876, support privilégié de leur réflexion sur la littérature, expriment chacun à sa façon leur opposition à la soi-disant légitimité des jugements esthétiques des critiques qui prétendaient régenter la littérature 9 . D’une façon générale, la critique de Maupassant passe essentiellement par l’émotion du lecteur Maupassant. « Impression », « sensation », « empoignante » sont des mots qui reviennent souvent et Zola lui plaît lorsqu’il parvient, à travers ses oeuvres, à « l’impressionner », c’est-à-dire à susciter en lui une impression, ou mieux, aviver une sensation. Avec La Faute de l’Abbé Mouret (1875), il voit et surtout respire ce que décrit Zola: « l’odeur », « les arômes », « les senteurs » l’excitent, lui qui sent, qui aspire les mots, qui s’ouvre à l’impression. L’art de Zola pour Maupassant consiste justement à faire « sentir », Une dizaine à « griser », à « frapper », à « exciter »10. d’années plus tard, en 1884, un autre roman, La Joie de vivre, inspire de nouveau ces sensations: les personnages frappent Maupassant par leur humanité. Comme il l’écrit : « J’ai eu d’ailleurs dans ce livre la sensation d’un bain d’humanité. [...] C’est vrai à crier, tout cela, et empoignant à faire pleurer »11. Un an après, le roman Germinal (1885) est jugé, à son tour, pour son pouvoir d’évocation: « jamais livre assurément n’a contenu tant de vie et de mouvement, une pareille somme de peuple. On sent en vous lisant, l’âme, l’haleine et toute l’animalité tumultueuse de ces gens »12. Ainsi, si l’on s’en tient à peine aux critiques de Maupassant dans ses lettres à Zola, on peut penser que l’admiration est inconditionnelle, bien que la brieveté et la formalité des propos puissent d’ores et déjà laisser entrevoir certaines restrictions. Il est fort possible que la question de la brieveté se doive tout d’abord au fait que Maupassant était débordé de travail et puis aussi au fait qu’il rencontrait souvent Zola et ses autres amis écrivains, ce qui lui permettait de mieux développer ses idées en personne. D’ailleurs, plus d’une fois, il termine ses lettres sur des souhaits et des promesses: J’espère, cher Monsieur, que j’aurai le plaisir de vous voir dimanche chez Gustave Flaubert et que je pourrai vous dire tout le plaisir que vous m’avez fait.13 Je compte vous dire plus longuement lorsque je vous verrai, cher Maître, tout ce que je pense de votre livre.14 Si je puis disposer d’une minute et si vous êtes à Paris, je vais essayer de vous trouver, pour vous dire tout le plaisir personnel que m’a fait votre roman.15 Mais certains critiques attribuent aussi le côté non seulement bref, mais surtout extrêmement élogieux, à l’affection et au respect qui nouaient Maupassant à Zola et qui l’empêchaient de le blesser par une critique plus complète. Maupassant confirme lui-même cette théorie dans une lettre qu’il écrit à Paul Alexis le 17 janvier 1877. Après avoir nié aux oeuvres de Zola le pouvoir d’ouvrir une voie définitive à la littérature, il dit: « Cette lettre ne doit point sortir de notre cercle, bien entendu, et je serais désolé que vous la montrassiez à Zola, que j’aime de tout mon cœur et que j’admire profondément, car il pourrait peut-être s’en froisser»16. On peut supposer que Zola, en lisant les lettres de Maupassant, se soit senti choyé, admiré, presque adulé par son jeune confrère, celui qui au début de leur correspondance s’adressait à lui avec la formule « Cher Monsieur », puis passa à l’appeler « Cher Maître » et enfin « Mon cher Maître et ami ». L’amitié, de fait, était réelle, mais les désaccords sur le plan des conceptions esthétiques en étaient de même. On le sait, leurs idéaux artistiques sont différents. C’est ce que Maupassant tait dans ses lettres à Zola, mais laisse échapper dans des lettres à d’autres destinataires, en particulier à Gustave Flaubert, avec lequel il semble ne pas avoir peur d’approfondir sa réflexion critique. Le 2 décembre 1878, Maupassant écrit à son véritable Maître: Zola nous a lu deux chapitres de Nana; j'aime peu le second, le troisième me paraît mieux. La division du livre ne me plaît pas. Au lieu de conduire son action directement du commencement à la fin, il la divise, comme le Nabab, en chapitres qui forment de véritables actes se passant au même lieu, ne renfermant qu'un fait; et, par conséquent, il évite ainsi toute espèce de transition, ce qui est plus facile.17 On n’est plus en présence des compliments et on voit que la structure même du roman de Zola est remise en question. Pour Maupassant, le chef du Naturalisme n’a pas encore rencontré la forme que lui-même imprime à ses oeuvres et qui repose essentiellement sur la conception de transition entre les différentes parties, transitions qui représentent la vraie valeur et la vraie difficulté de la composition. En janvier 1879, on trouve de nouveau une critique pas très flatteuse sur la représentation théâtrale de L’Assommoir: L’Assommoir est un succès. Par exemple, c’est interminable et pas très mordant. Mais les décors sont superbes et il y a des scènes bien venues. Le delirium tremens fait évanouir les femmes. On ira voir. La première a été fort bonne. Quelques murmures ébauchés ont été arrêtés par trois salves d’applaudissements. Je crois que la pièce tiendra longtemps.18 Sous l’ironie des propos et les sous-entendus, on surprend une critique sévère, non seulement à l’oeuvre mais aussi à son succès. Ce commentaire, une fois de plus, ne correspond pas à une autre réflexion présente dans une lettre de Maupassant dirigée à Robert Pinchon en février 187719. On sent bien que Maupassant s’est déjà éloigné du groupe de Médan. D’ailleurs, un mois après, en février 1879, l’auteur confesse à Flaubert que la « bande » à Zola ne le trouvant pas assez naturaliste, ne lui a pas serré la main après le succès de sa pièce, Histoire du Vieux Temps, même si Zola et sa femme l’« ont applaudi beaucoup » et l’ont vivement félicité plus tard20. En avril de la même année, Maupassant se déclare encore plus ouvertement contre les théories de Zola, contre sa prétension déclarée et contre son acceptation par la critique et par le public: Que dites-vous de Zola? Moi, je le trouve absolument fou. Avez-vous lu son article sur Hugo? Son article sur les poètes contemporains et sa brochure La République et la Littérature. « La République sera naturaliste ou elle ne sera pas. » – « Je ne suis qu’un savant. »!!! (Rien que cela! Quelle modestie.) – « L’enquête sociale. » – Le document humain. La série des formules. On verra maintenant sur le dos des livres: « Grand roman selon la formule naturaliste. » Je ne suis qu'un savant !!!! Cela est pyramidal!!! Et on ne rit pas...21 Maupassant ne fait que renforcer une opinion qu’il avait déjà émise en janvier 1877 dans une lettre à Flaubert: « Je vous adresse, en même temps, un article de Zola qui trouve que le Drame scientifique est une heureuse innovation qui mène au drame naturaliste. Cette fois, c'est trop fort !!! »22. Maupassant s’est bel et bien détaché du groupe de Zola, mais aussi de Zola, de ses grands mots et même des procédés auxquels il a recours pour vendre ses livres. A la sortie de Nana, en 1879, Maupassant envoie ce commentaire ironique et tranchant à Flaubert: On voit sur les boulevards et dans les rues des files d’hommes en blouse portant des bannières sur lesquelles on lit « NANA par Émile Zola, dans le Voltaire » ! Quelqu’un me demanderait si je suis homme de lettres, je répondrais « Non Monsieur, je vends des cannes à pêche », tant je trouve cette folle réclame humiliante pour tous.23 Cette boutade sur la publicité entre un peu en contradiction avec la pratique de Maupassant qui n’hésite pas à faire appel à l’expérience et à l’influence de son aîné. En mai 1880, Maupassant écrit à Zola pour lui « demander un service »24, ou mieux, pour lui rappeler sa promesse d’écrire un article sur son volume de vers, Des vers. La promesse est accomplie quelques jours après. Comme Maupassant l’avoue, il a « besoin d’un bon coup d’épaule » pour assurer la vente complète de l’oeuvre, et il a aussi besoin des conseils pratiques de Zola en ce qui concerne le prix de ses livres. Zola, qui connaît la valeur marchande de son travail, est consulté à plusieurs reprises par Maupassant avant de négocier ses nouvelles et autres oeuvres avec les propriétaires des journaux et les éditeurs. En fait, on sait que Maupassant s’est servi de Zola et du Naturalisme pour se lancer dans la vie littéraire, ce qui ne signifie pas qu’il adhérait totalement aux principes de l’école. Dans la lettre à Paul Alexis, Maupassant déclare : « Je ne crois pas plus au naturalisme et au réalisme qu’au romantisme. Ces mots à mon sens ne signifient absolument rien et ne servent qu’à des querelles de tempéraments Enfin, opposés »25. en 1880, lorsque viennent de paraître Les Soirées de Médan, Maupassant écrit à Flaubert et lui révèle son opinion sur les nouvelles qui composent ce recueil qui l’a véritablement lancé dans sa trajectoire de grand écrivain. Il commence par le titre que Zola a lui-même proposé et l’accuse d’être « mauvais et dangereux », et juge la nouvelle de Zola en ces termes: « c’est bien, mais ce sujet aurait pu être traité de la même façon et aussi bien par Mme Sand ou Daudet”26. Il continue donc, pour lui, de manquer cette vision personnelle qui transforme la réalité en art. Comme il le disait déjà à Paul Alexis en 1877, « aujourd’hui Zola est une magnifique, éclatante et nécessaire personnalité. Mais sa manière est une des manifestations de l’art et non une somme, comme la manière de Hugo était une autre manifestation du même art »27. Ces quelques observations permettent de constater une certaine disparité dans les propos de Maupassant. Mais ce contraste n’arrive pas à choquer. Car Maupassant est avant tout l’ami et le cadet de Zola. Ses éloges sont sincères et surtout le respect qui le lie à Zola lui permet d’entrevoir certaines qualités littéraires. En 1883, l’éditeur Albert Quantin, par l’intermédiaire de Paul Bourget, demande à Maupassant de faire une étude sur Zola et une sur Goncourt pour une collection de portraits contemporains, « Célébrités contemporaines ». L’écrivain accepte promptement et écrit à Quantin: « Je me chargerai très volontiers de ce travail et je serai heureux d'analyser ces deux talents si divers et raconter sur ces deux maîtres, qui sont mes amis, ce que je sais et ce que je pense »28. Pour lui, « ce remarquable écrivain est doué pour le roman et cette forme seule se prête en tout au développement complet de son vigoureux talent »29 ; c’est aussi un « révolutionnaire » dans son style hardi, large, imagé, parfois même brutal, grossier, qui le relie « aux traditions de la vigoureuse littérature du XVI e siècle ». Mais en même temps que Maupassant reconnaît ces valeurs chez Zola, il ne s’abstient pourtant pas d’une critique sincère et directe face au style et à l’oeuvre de son aîné. Pour lui, d’une part, la poésie des débuts littéraires de Zola est réduite à une production « abondante, facile, trop facile » qui « visait plus la science que l’art », « sans caractère déterminé ». Ses vers sont « des vers incolores, d’ailleurs, sans curiosité de forme ou d’inspiration ». Les essais dramatiques, plus tardifs, contemporains de ses romans, n’ont pas plus de succès auprès de Maupassant, car selon lui, l’auteur « ne semble pas avoir encore dégagé la formule nouvelle, pour employer son expression favorite ». D’autre part, si « Zola est, en littérature, un révolutionnaire, c’est-àdire un ennemi féroce de ce qui vient d’exister », c’est tout de même un révolutionnaire « élevé dans l’admiration de ce qu’il veut démolir », le Romantisme. Ainsi, même si le romancier cherche à renier les romantiques et la part de l’imagination dans la création artistique, il utilise les mêmes procédés littéraires, en particulier celui du grossissement, au nom de la vérité observée, de la « nature vu à travers un tempérament », comme Zola a lui-même défini son Naturalisme, fait qui permet à Maupassant de conclure que « ses enseignements et ses oeuvres sont éternellement en désaccord ». Quant à son style, loin du raffinement, de la sobriété et de la précision de ceux de Flaubert et de Théophile Gautier, si Maupassant y voit certaines qualités, il affirme pourtant que Zola n’a jamais cherché à perfectionner son don d’écrire et qu’ « il n’est point un virtuose de la langue »; d’ailleurs, selon son opinion, il n’en a jamais eu besoin, car si l’on considère le grand public à qui il s’adressait et l’objectif qu’il s’était fixé – tout raconter, dénoncer l’hypocrisie de la société et ne pas être dupe da la comédie universelle – « il écrit clairement, d’un beau style sonore. Cela suffit ». Mais c’est tout de même grâce à ce style, grâce aussi à une « conscience intime d’un robuste talent » et à une force de travail extraordinaire, qu’il va connaître la richesse et la célébrité de son vivant. La critique ouverte de cette étude – Maupassant savait très bien que Zola la lirait – était sans doute permise par la relation personnelle qui unissait ces deux écrivains, les plus populaires et les plus lus de la génération de la fin du XIXe siècle. En tous cas, Émile Zola ne montrera aucune rancune vis-à-vis de lui après sa disparition. Pour conclure mon article et ainsi réaffirmer leur relation d’amis et de confrères, je m’en remets aux propos de Zola quand, aux obsèques de Maupassant, le 7 juillet 1893, il est choisi par la Société des Gens de Lettres et de la Société des Auteurs dramatiques pour lui rendre hommage : « J’ai connu Maupassant, il y a dix-huit à vingt ans, chez Gustave Flaubert ». On remonte donc à une relation qui date de loin, de 1874, une relation marquée certainement par des sentiments amicaux – car « Maupassant resta toujours un ami fidèle, eut toujours pour ses anciens frères d’armes la main tendue et le coeur chaud » –, des sentiments presque familiaux envers « Maupassant, mon cadet que j’ai aimé, que j’ai vu grandir avec une joie de frère ». Les tristes circonstances de ces déclarations ont sûrement un effet sur leur ton et Zola, « le frère d’armes, l’aîné, l’ami »30 , comme il se désigne lui-même au début de son discours, ne limite pas ses éloges au plan émotionnel et humain. Il conserve le même ton admiratif face à l’œuvre, au style, au talent de Maupassant, et l’insère entre les maîtres de la littérature contemporaine et entre contemporaine et entre les classiques. Des expressions comme « le naturel parfait », « la tranquille vigueur », « une vision intense », « le goût de la clarté et de la simplicité », « le sens le plus aiguisé de la vérité humaine », révèlent sa pensée sur l’art de son cadet. Pour lui, le roman Pierre et Jean est « la merveille, le joyau rare, l’oeuvre de vérité et de grandeur qui ne peut pas être dépassée » et son auteur est « l’exemple inattaquable de la perfection classique ». 1 Lettres disponibles sur le site dédié à Guy de Maupassant http://ma upa ssant.free.fr/ . Toutes les citations extraites d’une lettre faisant partie de ce site sont suivies du numéro de la lettre indiqué dans le site et qui apparaît entre parenthèses après la citation. 2 Voir l’article de Martine Fisher : De la pratique du billet: Baudelaire et ses correspondants. In: Penser par lettre. Actes du colloque d’Azay-le-Ferron, mai 1997. Éditions Fides, 1998. p. 75. 3 Maupassant, chroniqueur au quotidien Le Gaulois, de 1880 à 1888, au quotidien Gil Blas, à partir de 1881, et au Figaro, plus épisodiquement, a écrit plus de 250 chroniques pendant sa carrière, chroniques dont la plupart constitue une réflexion sur l’art, non seulement l’art littéraire, mais aussi sur la peinture, l’architecture, la sculpture, la musique, etc. Les titres sont révélateurs : « Les soirées de Médan », « Question littéraire », « Romans », « Le fantastique », « Messieurs de la chronique », « Le style épistolaire », « L’évolution du roman au XIXe siècle », « La vie d’un paysagiste », etc. La liste est longue et ne cache pas les discussions de fond théorique que Maupassant disait ne pas vouloir aborder. 4 Lettre 41. 4 Lettre 41. 5 Lettre 94. 6 Lettre 323. 7 Lettre 385. 8 Lettre 478. 9 Voir l’article de Brigitte Dias : Penser la littérature. Le dialogue épistolaire SandFlaubert. 1866-1876. In: Penser par lettre, 1998, p. 359-376. 10 Lettre 41. 11 Lettre 323. 12 Lettre 385. 13 Lettre 41. 14 Lettre 84. 15 Lettre 84. 16 Lettre 60. M. G.-E. Lang, qui a publié cette lettre dans le Figaro du 18 février 1923, pense qu’elle fut adressée à Paul Alexis. Selon René Dumesnil, l’attribution est douteuse. 17 Lettre 107. 18 Lettre 118. 19 Lettre 61. 20 Lettre 126. 21 Lettre 133. 22 Lettre 59. 23 Lettre 150. 24 A maintes reprises, on constate dans des lettres adressées à d’autres destinataires que Maupassant s’est servi de l’influence de Zola pour lancer ou promouvoir ses oeuvres. Ainsi, le 21 janvier 1878, à propos de son drame La Comtesse de Rhétune, composé en 1876, refait en 1878 sous le titre de La Trahison de la Comtesse de Rhune, il écrit à sa mère: « Zola qui dîne demain avec Sarah Bernhardt veut bien se charger de porter lui-même une copie à cette actrice. Si le rôle lui plaisait, elle pourrait de son côté en parler à Perrin, mais Sarah Bernhardt n’a pas voix délibérative et son avis n’a aucune influence sur les décisions du Comitê » (Lettre 83). Mais il est vrai aussi que Maupassant rétribue, à diverses occasions, ce genre de services. Sa position et ses relations dans plusieurs occasions, ce genre de services. Sa position et ses relations dans plusieurs Ministères lui permettent d’intervenir en faveur de Zola pour obtenir la Légion d’Honneur en juillet 1888 (Lettres 521 et 523) ; de même, son influence auprès de personnes telles que le Préfet de Paris et de M. Lalanne, membre de l’Institut, Inspecteur Général et Directeur de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, permettent à Zola d’effectuer, au printemps de 1889, un voyage de Paris à Mantes en locomotive, malgré l’interdiction des règlements, pour préparer « scientifiquement » la rédaction de son roman La Bête humaine. (Lettres 543 et 544). 25 Lettre 60. 26 Lettre 175. 27 Lettre 60. 28 Lettre 259. 29 Voir le texte dans le site http://maupassant.free.fr/cadre.php?page=oeuvre à la section III: Chroniques. Les citations qui suivent sont toutes extraites de ce texte. 30 Discours disponible sur la page http://www.bmlisieux.com/curiosa/zola06.htm . Texte établi sur un exemplaire (coll. part.) des Mélanges, préfaces et discours, avec notes et commentaires de Maurice Le Blond, volume 50 des OEuvres complètes d’Émile Zola publiées par la Typographie François Bernouard, à Paris, en 1929 .