Le Louvre Abu Dhabi
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Le Louvre Abu Dhabi
Julia Mazza – « La place de la culture au Louvre Abu Dhabi. » – Séminaire Echanges artistiques internationaux. LA PLACE DE LA CULTURE AU LOUVRE ABU DHABI. Commercialisation, universalisme et identité. Depuis son ouverture en 1793, le Musée du Louvre est devenu le musée parisien le plus prestigieux et a acquis une renommée internationale indéniable grâce à sa diversité. Abritant des œuvres de nature variée – peintures, céramiques, statues et objets divers – l’établissement possède des pièces remarquables qui ont très certainement contribué à la réputation du musée. Parmi les sites culturels parisiens les plus visités en 2011, le Musée du Louvre arrive en 3ème position devant la Tour Eiffel1 pourtant symbole de la capitale française. L’année suivante, le Louvre a connu une fréquentation exceptionnelle avec près de dix millions de visiteurs s’expliquant par l’ouverture du département des Arts de l’Islam2. Tourné vers l’Orient, le Musée renforce sa dimension universaliste et revendique une volonté de dialogue des cultures. Un an après l’ouverture d’un « Louvre autrement » à Lens en décembre 2012, le musée national français dépasse aujourd’hui les frontières pour s’installer à Abu Dhabi, capitale des Emirats Arabes Unis. « Le Louvre Abu Dhabi sera [alors] un musée singulier et original, liant le dynamisme d’Abu Dhabi et les valeurs d’excellence incarnées par le nom du Louvre3. » Né d’un accord intergouvernemental entre la République française et les Emirats Arabes Unis, ce « Louvre des Sables » est un projet ambitieux et complexe ayant pour but la création d’un musée universel liant l’Orient à l’Occident. Complexe, la réalisation d’un établissement culturel en plein désert l’est certainement dans la mesure où du vide naitra un district culturel prêt à accueillir le « musée médina » dessiné par l’architecte Jean Nouvel et organisé par les meilleurs muséographes et conservateurs français. A l’instar du Musée français, la collection de ce nouvel établissement se voudra universelle sans pour autant résulter du même procédé de constitution. Alors que la collection du Louvre s’est constituée selon un processus historique long de plus de deux siècles reflétant une partie de l’histoire et du patrimoine français, celle du Louvre Abu Dhabi sera entièrement composée de prêts des grands musées français et des acquisitions des Emirats Arabes auprès de ces établissements. D’une part, s’opère alors une circulation des œuvres entre un Louvre émetteur et un nouveau Louvre récepteur et, d’autre part, se jouent des intérêts financiers traduisant la valeur marchande de ces mêmes œuvres devenues des biens culturels. Afin de garantir la sécurité de ces biens et l’entente entre la République Française et les Emirats Arabes Unis, l’accord intergouvernemental signé en 2007 indique un programme transparent et un calendrier budgétaire précis. Pendant trente ans, Abu Dhabi jouira d’un droit d’utilisation du nom « Louvre » en respectant l’image du musée français et, au terme du contrat, seuls les Emirats auront la charge de faire vivre leur établissement culturel. 1 En 2011, le nombre de visiteurs pour le Musée du Louvre est estimé à 8 887 653 contre 7 086 273 pour la Tour Eiffel. D’après la Fréquentation des sites culturels parisiens en 2011, Paris, Office du Tourisme et des Congrès, juin 2012. 2 Voir à ce sujet l’étude sur le nombre de visiteurs en 2012 dans le communiqué de presse d’A-L. BEATRIX, 10 millions de visiteurs au Louvre en 2012, le 20 décembre 2012. 3 « Louvre Abou Dhabi », Musée du Louvre, [En ligne] www.louvre.fr/louvre-abou-dabi (Consulté le 4 mai 2013) 1 Julia Mazza – « La place de la culture au Louvre Abu Dhabi. » – Séminaire Echanges artistiques internationaux. Suscitant la polémique et les réactions les plus vives, qu’elles soient enthousiastes ou indignées, il s’agira ici d’étudier les processus de circulation des biens culturels entre la France et les Emirats Arabes dans le projet du Louvre Abu Dhabi et, en creux, de réfléchir à une éventuelle marchandisation de la culture. Ce musée des sables par sa position, par son processus de création et par ses ambitions, est-il le témoin d’un musée marquant l’entrée dans une nouvelle ère, celle de l’universalisme et des échanges interculturels, ou est-il celui d’une culture globalisée, vendue et monnayée ? Le Musée résulte d’une création bien organisée et négociée qu’il nous faudra étudier dans un premier temps afin de saisir et son fonctionnement, et les acteurs investis dans ce projet novateur. Il paraîtrait ensuite opportun d’analyser les motivations avancées par les créateurs de ce Louvre des sables né d’une volonté de rayonnement culturel, de dialogue entre Orient et Occident et de consolidation des relations entre la France et les Emirats Arabes. Enfin, une réflexion sera proposée autour de l’identité du Louvre Abu Dhabi tiraillée entre une identité à dimension universelle et une identité patrimoniale émirienne en construction. Une coupole dans le désert. Acteurs et fonctionnement du Louvre des sables. Après sa venue au Louvre en juin 2005, Cheikh Sultan bin Tahnoon, Président de l’Autorité du Tourisme d’Abu Dhabi, exprime son désir de création similaire dans les Emirats Arabes. L’année suivante, le Ministre de la Culture et de la Communication, Renaud Donnedieu de Vabres, se rend à Abu Dhabi accompagné de la Directrice des musées de France, du Président du Louvre et du Président du musée du Quai Branly afin d’envisager la proposition du Cheikh. Le 6 mars 2007, un accord intergouvernemental, piloté par le ministère de la culture français est signé et approuvé par la loi n°2007-1478 du 17 octobre 2007 sous le gouvernement du nouveau président de la République, Nicolas Sarkozy. L’objectif principal de cette alliance est « d’œuvrer au dialogue entre l’Orient et l’Occident4 » et la France semble s’imposer comme une évidence pour représenter l’ouest du monde. Exemplarité en matière culturelle, l’aide française est sollicitée par le monde arabe afin d’accompagner le projet du Louvre des Sables dans sa conception et sa gestion muséales. « L’expertise française » aidera ainsi Abu Dhabi à réaliser un bâtiment révélant la culture du monde arabe et reflétant le prestige du Louvre. Parmi ses experts, la France choisit l’architecte Jean Nouvel – notamment concepteur du Musée du Quai Branly et de l’institut du Monde Arabe à Paris, de la Tour Agbar de Barcelone et du Dentsu Building à Tokyo – qui imagine le Louvre des sables avec une immense coupole blanche s’inspirant directement des médinas du monde arabe. Se joint ensuite l’Agence France-Muséum créée spécialement le 11 juillet 2007 et qui a pour mission le pilotage de la création du musée universel dans le monde arabe pour le compte des autorités des Emirats Arabes Unis en faisant valoir l’expertise française. Concernant la conception architecturale, France-Muséum a notamment dû veiller à ce que – comme le souligne Jean Nouvel – le projet s’adapte à « tous les desiderata du Louvre5. » Société par actions simplifiées, le capital de l’Agence 4 « Accord entre le gouvernement de la République française et de le Gouvernement des Emirats Arabes Unis relatif au Musée Universel d’Abou Dabi » in Décret n°2008-879 du 1er septembre 2008 portant publication de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Emirats Arabes Unis relatif au Musée Universel d’Abou Dabi, signé à Abou Dabi le 6 mars 2007, Annexe I, Article 1. 5 J. NOUVEL, « Un musée universel sous une pluie de lumière », Dossier Louvre Abou Dabi, p. 9 sur Musée du Louvre, [En ligne], http://www.louvre.fr/sites/default/files/medias/medias_fichiers/fichiers/pdf/louvre-dossier-louvre-abou-dabi.pdf (Consulté le 4 mai 2013) 2 Julia Mazza – « La place de la culture au Louvre Abu Dhabi. » – Séminaire Echanges artistiques internationaux. associe douze établissements publics culturels français à savoir le musée du Louvre, le Centre Pompidou, le musée d’Orsay et de l’Orangerie, la Bibliothèque nationale de France, le musée du Quai Branly, la Réunion des musées nationaux, le musée et domaine national de Versailles, le musée Guimet, l’Ecole du Louvre, le musée Rodin, le domaine national de Chambord et l’Etablissement public de maitrise d’ouvrage des travaux culturels. Ces établissements se doivent d’assurer la définition du projet scientifique et culturel, l’assistance à la maitrise d’ouvrage y compris pour la muséographie, la signalétique et les projets multimédia, l’organisation des prêts des collections françaises et d’expositions temporaires, le conseil à la constitution d’une collection permanente et la définition de la politique des publics. Par ailleurs, l’Agence, en collaboration avec les Emirats, participe à la formation de l’équipe de direction du musée et du personnel à qualification spécifiques. Le directeur du musée et les conservateurs sont choisis sur proposition de France-Muséum et nommés ensuite par la partie émirienne ; Quant aux personnels qualifiés, les Emirats s’engagent à recruter des professionnels dont les qualifications sont internationalement reconnues et en adéquation avec les fonctions primordiales recensées par l’Agence française. La société émirienne TDIC, Tourism Development & Investment Company est désignée afin de procéder aux travaux d’aménagement et de construction. Promoteur immobilier et maitre d’ouvrage, cette société est en charge de tous les travaux opérés sur l’île de Saadiyat6. Le projet muséal est donc conçu d’un commun accord entre plusieurs acteurs français et émiriens et est basé sur l’entente respectueuse de ces deux pays. Alors que les Emirats Arabes Unis auront la charge d’assurer les travaux et de recruter le personnel, la France mettra à leur disposition les conseils scientifiques nécessaires pour parvenir à la création d’un musée respectant l’image du Louvre français dans le monde arabe. L’Agence France-Muséum met à disposition du Louvre Abu Dhabi des œuvres qui constitueront en partie la collection du musée. Pour une durée de 10 ans, trois cents œuvres d’art sont prêtées par rotation à Abu Dhabi et, se réduisant au fil des ans, elles disparaitront finalement lorsque le Louvre des sables se sera constitué sa propre collection permanente. Chaque prêt fera l’objet d’une convention particulière de prêt et sera consenti pour une durée comprise entre 6 mois et deux ans et, afin d’assurer la sécurité des œuvres prêtées, ces dernières seront insaisissables sur le territoire des Emirats Arabes Unis et seront rapatriées sans délai si un risque est entrevu. En contrepartie, la partie émirienne s’engage, pour la mobilisation des œuvres prêtées, à reverser au gouvernement français 190 millions d’euros selon un échéancier de versements prévus sur dix ans dont près de 60 millions avant l’ouverture du musée. En outre, afin de constituer sa propre collection, la Partie émirienne s’engage à réserver, dès la signature de l’accord, un budget annuel moyen de 40 millions d’euros pour l’aide accordée à France-Muséum dans l’élaboration de cette collection. Des expositions temporaires sont prévues chaque année pour une durée de 15 ans et lors desquelles chaque prêt fait l’objet d’une convention particulière et est consenti pour une durée comprise entre deux et quatre mois. La Partie émirienne s’engage à consacrer un budget annuel moyen de 13 millions d’euros, dont 8 millions versés à l’Agence France-Muséums pour les frais de prêts, de conception et de commissariat de l’exposition, de déplacements des commissaires, des transports sécurisés, de scénographie, de sécurité et de gardiennage. Les 5 millions d’euros restants seront versés au titre de la contribution de soutien aux musées français. 6 Pour plus de renseignements sur Saadiyat, voir le site internet de l’île et les projets concernant le Louvre Abu Dhabi sur Saadiyat, [En ligne], http://www.saadiyat.ae/en/cultural/louvre-abu-dhabi1.html (Consulté le 4 mai 2013) 3 Julia Mazza – « La place de la culture au Louvre Abu Dhabi. » – Séminaire Echanges artistiques internationaux. Il paraît ici évident que les œuvres d’art se dotent d’une valeur financière indéniable et que chaque prestation encadrant ces biens culturels nécessite un dédommagement financier. Mais les services et les pièces artistiques ne sont pas les seuls à se gratifier d’une valeur monétaire puisque le nom de « Louvre » est déposé comme une marque et que la Partie émirienne se doit de reconnaitre « formellement que le Musée détient à titre exclusif les marques verbales '' Louvre'' et ''Musée du Louvre'' ; que le nom du Musée du Louvre bénéficie d’une renommée internationale et fait immédiatement et exclusivement référence, dans l’esprit du public et dans le monde entier, au Musée du Louvre à Paris ; que le nom du Musée du Louvre est étroitement associé, dans l’esprit du public, au patrimoine muséal et culturel français dont le Musée du Louvre est l’un des représentants et des garants. » En stipulant dans l’accord l’importance liée au nom de « Louvre », la France se prémunit contre d’éventuels abus qui saliraient l’image du « Louvre » et, comme une marque déposée, les droits d’usage du nom sont soumis à négociations financières. La Partie émirienne s’engage de ce fait à verser la somme de 400 millions d’euros pour pouvoir utiliser le nom de « Musée du Louvre » pendant trente ans. De ces négociations juridiques et financières découlent alors plusieurs constats ; La France, par son expertise muséale, met ses compétences au service d’un état qui n’a visiblement pas l’expérience nécessaire dans le domaine culturel afin de réaliser un projet à la hauteur de ses ambitions. Souhaitant se prémunir contre d’éventuels dangers, le gouvernement légifère précisément les conditions de prêt, d’achat et de vente des œuvres. La contractualisation juridique va au delà des pièces puisqu’elle protège aussi le nom de « Louvre » préservant, en creux, l’image même du musée français. Laurence des Cars, Directrice de France-Muséum, affirmait déjà l’intérêt financier que représentait le projet du Louvre des sables7 car, tout en permettant de faire valoir l’expertise française dans le monde arabe, le Louvre Abu Dhabi représente un soutien économique indéniable et primordial pour la France. Ces intérêts financiers suscitent une vive polémique au sein des milieu culturels français comme en témoigne l’article de François Cachin – Directeur honoraire des Musée de France – Jean Clair – Conservateur général honoraire et écrivain – et Roland Recht – professeur au collège de France. Les auteurs déclarent que « ce sont nos responsables politiques qui sont allés offrir ce cadeau royal et diplomatique. Contre près de 1 milliard d’euros… » avant d’ajouter « N’est-ce pas cela « vendre son âme ?8 » Plus qu’une vente anodine d’œuvres d’art, les promoteurs du Louvre Abu Dhabi vendent une histoire et un passé ; ils font de la culture un bien négociable et exportable à condition que le bénéficiaire puisse dédommager la sphère émettrice. Ainsi, seuls ceux qui auraient les moyens d’acheter la culture pourraient en bénéficier. Enfin, alors qu’en France le patrimoine, dans sa définition nationale, est celui de tout le monde en général et de personne en particulier – car appartenant à l’Etat et mis à la portée de ses citoyens – dans les Emirats Arabes Unis, il est détenu par l’Emir. Des biens culturels français sont alors vendus et prêtés non pas aux Emirats Arabes Unis mais à l’Emir. Ce dernier est d’ailleurs Mécène du Louvre puisqu’il verse 25 millions 7 Dans le dossier de presse du Louvre Abou Dhabi, à la question « Tout cela est parfait pour Abou Dhabi, mais en quoi les musée français, et le Louvre, peuvent-ils y trouver avantage ? », Laurence des Cars répond « D’abord, de projet va apporter des financements aux musées français, qui serviront à la mise en valeur des collections, leur accroissement et leur restauration. C’est évidemment très important. » in « Un laboratoire pour les musées de demain. Entretien avec Laurence des Cars », Dossier Louvre Abu Dhabi, p.5 sur Musée du Louvre, [En ligne], http://www.louvre.fr/sites/default/files/medias/medias_fichiers/fichiers/pdf/louvre-dossier-louvre-abou-dabi.pdf (Consulté le 4 mai 2013) 8 F. CACHIN, J. CLAIR, R. RECHT, « Les musées ne sont pas à vendre », 12 juin 2006, sur Le Monde, [En ligne], http://www.lemonde.fr/idees/article/2006/12/12/les-musees-ne-sont-pas-a-vendre-par-francoise-cachin-jean-clair-et-rolandrecht_844742_3232.html (Consulté le 4 mai 2013) 4 Julia Mazza – « La place de la culture au Louvre Abu Dhabi. » – Séminaire Echanges artistiques internationaux. d’euros pour soutenir le musée dans son développement et, en contrepartie, les salles d’un étage du pavillon de Flore devraient porter son nom9. Un Louvre à Abu Dhabi. Centre du rayonnement culturel ? Dans l’accord intergouvernemental, le musée Universel du monde arabe est né d’une volonté de coopération et de consolidation des relations entre la France et les Emirats Arabes Unis afin de promouvoir la culture dans le monde en faisant d’Abu Dhabi le centre du rayonnement culturel. Dans ses descriptions le Louvre désigne le musée d’Abu Dhabi comme un projet novateur et ambitieux car il sera le premier musée universel du monde arabe et le Louvre devra exprimé l’universalisme de son temps, « celui d’un monde globalisé et interdépendant. » Alors que le terme « globalisé » pourrait être connoté négativement, il s’agit au contraire de montrer en quoi les pays sont en connexion les uns avec les autres et peuvent ainsi partager une culture privilégiant le dialogue et le partage. L’Arabie est un espace d’échanges entre l’Orient et l’Occident et jouit d’un passé prestigieux puisqu’elle a été pendant des siècles la route de l’encens et un point de passage stratégique entre l’Europe et l’Océan Indien. Au carrefour des civilisations, elle est à deux pas de l’Inde en pleine explosion culturelle et de l’Europe déjà engagée dans la promotion de la diversité culturelle. Ainsi le Louvre Abu Dhabi a un double intérêt culturel. Tout d’abord, les Emirats Arabes unis deviendraient un nouvel espace de dialogue et d’échanges puisque, fondé en 1971, ce jeune pays n’a pas encore pu faire valoir ses richesses patrimoniales. Puis, par ce Musée, la France promeut son expertise et sa richesse patrimoniale dans l’espace arabe et dans le monde en général par la mise en place d’un projet novateur et unique. Ces deux intérêts sont rassemblés par une volonté de paix puisque, comme le souligne Renaud Donnedieu de Vabres, une chance est offerte à la France de consolider des relations dans un espace fragile et emprunt de violence. « Ce pays – dit-il – nous demande de concéder pendant 20 ans l’usage du nom de notre musée le plus prestigieux, le Louvre, dont nous savons qu’il est le plus grand musée du monde, et reconnaît ainsi l’excellence et le talent des musées français devant le monde entier. Et nous refuserions ? Nous refuserions la chance qui nous est offerte, à travers l’Emirat d’Abu Dabi, à travers un pays modéré qui s’oppose à l’intégrisme, de rendre hommage à l’ensemble du monde arabe et de témoigner dans les faits de notre attachement sincère au dialogue des cultures et au rapprochement de civilisations que les tensions du monde poussent aujourd’hui à s’opposer10. » Ainsi, par le biais de Louvre Abu Dhabi, les relations entre la France et les Emirats Arabes Unis seront renforcées sur le plan économique. « Les Emirats arabes sont pour les entreprises françaises un marché important et dynamique et constituent une plate-forme de réexportation à l’échelle régionale. (…) Ils représentent notre sixième excédent commercial bilatéral avec un excédent de près de deux milliards d’euros en 2005 », précise le Ministre de la culture avant d’ajouter plus loin que « Les Emirats arabes sont désireux de renforcer leur coopération culturelle, universitaire, scientifique et technique avec la 9 « Accord entre le gouvernement de la République française et de le Gouvernement des Emirats Arabes Unis relatif au Musée Universel d’Abou Dabi » in Décret n°2008-879 du 1er septembre 2008 portant publication de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Emirats Arabes Unis relatif au Musée Universel d’Abou Dabi, signé à Abou Dabi le 6 mars 2007 10 Allocution de Renaud Donnedieu de Vabres, Ministre de la Culture et de la communication, Réunion avec les directeurs et conservateurs des musées de France in Création du musée universel Louvre Abou Dhabi, Accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Emirats Arabes Unis, Annexe, 6 mars 2007, p. 31. 5 Julia Mazza – « La place de la culture au Louvre Abu Dhabi. » – Séminaire Echanges artistiques internationaux. France.11 » Alors qu’Abu Dhabi bénéficie du rayonnement culturel français pour faire valoir sa propre culture, la France bénéficie de relations diplomatiques et économiques privilégiées avec un pays indispensable dans l’avenir des relations entre Orient et Occident. Christine Peltre, professeur d’histoire de l’art à l’université Marc-Bloch, dit d’Abu Dhabi qu’elle est une ville sans orientaliste, qu’il n’y a « pas de Théophile Gautier pour vous dessiner les choses, vous arrondir les coupoles, vous helléniser les silhouettes, vous apprivoiser l’ailleurs. » Au contraire, dans cette partie du monde arabe « tout n’est qu’ouverture, entreprise, circulation : tout est en devenir, tout est futur12. » Abu Dhabi aspire à devenir « la nouvelle Alexandrie », un nouveau carrefour des cultures, un nouveau pont entre les civilisations. Sur l’île de Saadiyat, entre le désert et la mer, les Emirats souhaitent voir naître un véritable quartier culturel équipé d’universités et de musées. En effet, le Louvre n’est pas le seul établissement culturel qui verra le jour dans la capitale émirienne puisque Saadiyat a pour projet la construction d’un Zayed National Museum – musée d’histoire des Emirats Arabes Unis – d’un Guggenheim Abu Dhabi – musée d’art contemporain – et d’un musée de la Marine. Mais malgré un musée national, les autres projets sont des emprunts d’établissements culturels déjà existants – le Louvre existe à Paris et Guggenheim à New York. Peut-on alors parler de rayonnement culturel dans un espace qui concentrerait des musées déjà existants ? Le dialogue culturel n’est-il pas justement la capacité de promouvoir la diversité culturelle par l’expression d’identités culturelles singulières, diverses et multiples ? Par ailleurs, Saadiyat prévoit la construction d’hôtels et de luxe, de clubs de golf, de stations balnéaires et de skis et fait la promotion d’investissements immobiliers. La culture se trouve alors partagée entre le luxe et le tourisme. D’un côté, les projets prévus par Saadiyat permettraient d’attirer des touristes et des curieux afin de promouvoir la culture et, de l’autre, l’île resterait l’apanage des touristes aisés ayant la possibilité de se déplacer et de séjourner dans des hôtels luxueux. Abu Dhabi est-elle la ville du futur ? Est-elle cette nouvelle Alexandrie ou bien une ville artificielle multipliant les établissements culturels en les mélangeant à des propriétés fastueuses ? Alors que le patrimoine se doit être accessible au plus grand nombre, quel sera la portée du Louvre Abu Dhabi dans un espace tiraillé entre le tourisme de masse, le luxe et la culture ? Le Louvre Abu Dhabi. Identité émirienne ? La Louvre des sables est décrit dans l’accord intergouvernemental comme un musée universel abritant des œuvres de natures diverses et d’époques variées. La question des tabous au sein d’un musée dans un pays musulman a vite été résolue car au Louvre Abu Dhabi, déclare Laurence des Cars, « aucun interdit n’a été fixé par l’Emirat. Il n’a jamais été question d’œuvres non montrables13. » Le mystère règne cependant sur la muséographie qui devrait être retenue. Alors que La Tribune de l’art, affirme que les œuvres acquises et prêtées seront reparties selon huit thèmes – « peintures européennes du XVIIème siècle », « Peinture et photographie de 11 12 Op. Cit., p.29. C. PELTRE, « Mémoires d’Arabie », Dossier Louvre Abou Dhabi, pp. 2 et suiv. sur Musée du Louvre, [En ligne], http://www.louvre.fr/sites/default/files/medias/medias_fichiers/fichiers/pdf/louvre-dossier-louvre-abou-dabi.pdf (Consulté le 4 mai 2013) 13 L. DES CARS, Op. Cit. 6 Julia Mazza – « La place de la culture au Louvre Abu Dhabi. » – Séminaire Echanges artistiques internationaux. paysage », « peintures vénitiennes de Bellini à Bassano » ou encore « l’exotisme européen au XVIIIème siècle » – Culturebox déclare sur son site internet qu’il n’y a pas de fil rouge au sein du musée et que « de fait, des enluminures du Coran côtoient une statue du « Christ montrant ses blessures » datant du XVIème siècle et une Torah14. » Le Louvre Abu Dhabi aurait acquis plus de cent trentes œuvres constitutives de sa collection permanente parmi lesquelles la Vierge à l’Enfant de Bellini, Le Songe de Jacob de Murillo et le Bohémien de Manet. Le journaliste Didier Rykner se fait très critique à l’égard de la collection du Louvre des Sables en déclarant qu’il « faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître qu’on trouve dans ces achats quelques pépites. (…) Mais n’importe lequel des grands musées de province en France restera toujours plus riche et plus intéressant que ce rassemblement d’objets constitué un peu au hasard et sans ligne directrice15. » La question n’est pas tant de savoir si les tableaux sont des chefs d’œuvres artistiques mais plutôt de se demander si certains tableaux – ou une œuvre en particulier – est symbolique de ce nouveau musée. Au LouvreLens, La liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix s’est imposé comme l’œuvre caractéristique du musée et, exposée auparavant au Louvre Paris, cette huile sur toile inspirée de la révolution des Trois Glorieuses de 1830 est une œuvre fondamentale du patrimoine artistique et historique français. Son transfert au Louvre-Lens marque ainsi la volonté de faire de ce « deuxième Louvre » une extension du musée parisien désormais accessible dans un autre espace géographique français. Lié par une convention scientifique et culturelle au Musée du Louvre, le Louvre-Lens se veut universel comme son mentor et, à la différence du Louvre Abu Dhabi, il a su se doter dès son ouverture d’œuvres notables. Le célèbre tableau de Delacroix accompagne les habitants du Nord-Pas-de-Calais dans leur appropriation de ce nouvel espace culturel. Le Louvre des Sables ne s’est pas encore pourvu d’une pièce caractéristique et le journaliste Vincent Noce parle des acquisitions comme d’un « assemblage hétéroclite16 », finalement sans réelle cohérence. Mais, répondant à ces critiques, Laurence Des Cars souligne que le musée d’Abu Dhabi a surtout pour but de « mettre en regard les différentes civilisations » et de « permettre au visiteur de saisir la diversité artistique du monde à un certain moment de son histoire et de se dire qu’il se passait sans doute telle chose en Europe au XVIème siècle mais qu’il se passait telle autre chose à la cour de l’empereur de Chine artistiquement parlant à la même période17. » En avril 2013, le Louvre Abu Dhabi dévoile plus de 130 œuvres d’art faisant partie de la collection permanente du musée qui devra être inauguré en 2015. Comme nous l’avons déjà expliqué, ce nouveau musée à vocation d’universalisme et la collection en construction est assez critiquable par son manque de sens et d’homogénéité. Les premières œuvres regroupées afin de constituer la collection permanente du musée ne contiennent pas de pièces représentatives de l’histoire des Emirats, ni même du monde arabe en général. Pays jeune et en construction, « les Emirats Arabes Unis ont – pourtant – franchi un pas capital qui fera du Louvre Abu Dhabi le premier musée universel dans le monde arabe sans favoriser un projet de musée national aussi ambitieux que le présent projet, ni même en prévoyant une place importante du leur patrimoine national au sein 14 « Le Louvre Abou Dhabi dévoile une partie de sa collection permanente », Culturebox, France TV, [En ligne], http://culturebox.francetvinfo.fr/le-louvre-abou-dhabi-devoile-une-partie-de-sa-collection-permanente-134963 (Consulté le 4 mai 2013) 15 D. RYKNER, « Les acquisitions du Louvre Abou Dhabi », 22 avril 2013 sur La tribune de l’art, [En ligne], http://www.latribunedelart.com/dossier-louvre-abu-dhabi (Consulté le 4 mai 2013) 16 V. NOCE, « Louvre Abou Dhabi : les mille et un ennuis », 12 avril 2013 sur Libération, [En ligne], http://next.liberation.fr/arts/2013/04/12/louvre-abou-dhabi-les-mille-et-un-ennuis_895810 (Consulté le 4 mai 2013) 17 Interview de Laurence Des Cars à propos de la collection du Louvre Abu Dhabi, Youtube, [En ligne], http://www.youtube.com/watch?v=dW5AeFLTMj8 (Consulté le 4 mai 2013) 7 Julia Mazza – « La place de la culture au Louvre Abu Dhabi. » – Séminaire Echanges artistiques internationaux. de ce musée des sables. Et il paraît réducteur de la part du Louvre de citer Boissy d’Anglas pour décrire le musée français comme étant selon lui, le reflet du monde où « la terre entière s’empresse de venir déposer ses trésors, ses singularités, ses productions et tous les titres de son histoire18. » Avant d’être un musée universel, le Louvre a été le lieu d’apprentissage du patrimoine national français mettant à disposition de tous les citoyens en 1793, après la révolution française, des biens culturels symboles de l’histoire et de l’identité françaises n’appartenant plus uniquement au roi mais à tous les français. Le Louvre Abu-Dhabi a cependant fait appel à la France afin de constituer un musée universel sans prendre en compte l’identité émirienne alors que les premiers musées constitués, notamment par la construction des Etats-Nations, ont d’abord été des musées dévoilant l’histoire d’une nation et son identité. Le Louvre Abu Dhabi, projet novateur et ambitieux, a pour but de promouvoir la diversité culturelle ; Lieu stratégique pour le dialogue entre l’Orient et l’Occident, le Louvre des ables est l’occasion d’expérimenter de nouvelles approches muséologiques en élaborant une collection représentative de ce musée à l’aide de l’expertise française et au profit des Emirats Arabes Unis. Cette étude nous a permis de comprendre les procédés de circulation des œuvres, devenant des biens culturels à partir du moment où une négociation financière venait s’ajouter à leur déplacement. L’accord intergouvernemental insiste particulièrement sur les enjeux financiers dont la France tirent profit puisqu’en mettant ses compétences au service d’un pays novice en matière de gestion culturelle, la France bénéficie d’un soutien financier indispensable au bon fonctionnement des institutions culturelles partenaires du Louvre Abu Dhabi. Mais, si à première vue le projet semble séduisant, le Louvre Abu Dhabi paraît souffrir d’une non-identité dissimulée sous la notion, maintes fois revendiquée, d’universalisme. Se pose ici toute la question du patrimoine et de ce que l’on veut transmettre aux générations futures car, dans trente ans, lorsque le musée ne portera plus le nom de Louvre, quelle sera alors l’identité de ce musée des sables au cœur de l’Arabie ? 18 Allocution de Renaud Donnedieu de Vabres, Ministre de la Culture et de la communication, Réunion avec les directeurs et conservateurs des musées de France in Création du musée universel Louvre Abou Dhabi, Accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Emirats Arabes Unis, Annexe, 6 mars 2007. 8 Julia Mazza – « La place de la culture au Louvre Abu Dhabi. » – Séminaire Echanges artistiques internationaux. SITOGRAPHIE Ministère de la Culture et de la Communication (Consulté en 2013) http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/dossiers-presse/abu-dhabi/dossier-presse.pdf Musée du Louvre (Consulté en 2013) http://www.louvre.fr/louvre-abou-dabi http://www.louvre.fr/sites/default/files/medias/medias_fichiers/fichiers/pdf/louvre-dossier-louvre-abou-dabi.pdf Saadiyat et ses projets (Consulté en 2013) http://www.saadiyat.ae/en/cultural/louvre-abu-dhabi1.html http://www.saadiyatculturaldistrict.ae/en/saadiyat-cultural-district/louvre-abu-dhabi/content-louvre-abu-dhabi/ Varia (Consulté en 2013) • La tribune de l’art http://www.latribunedelart.com/dossier-louvre-abu-dhabi • Le Monde http://www.lemonde.fr/idees/article/2006/12/12/les-musees-ne-sont-pas-a-vendre-par-francoise-cachin-jeanclair-et-roland-recht_844742_3232.html • Libération http://next.liberation.fr/arts/2013/04/12/louvre-abou-dhabi-les-mille-et-un-ennuis_895810 • Youtube http://www.youtube.com/watch?v=dW5AeFLTMj8 9