2000-38 Le syndrome du Turner (Turner`s syndrome)

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2000-38 Le syndrome du Turner (Turner`s syndrome)
Schweiz Med Wochenschr 2000;130:1339–43
Peer reviewed article
Perfectionnement
C. Monney, G. Pescia, M.-C. Addor
Le syndrome de Turner
Division autonome de génétique médicale,
CHUV,
Lausanne
52 observations du Registre Vaudois des Anomalies Congénitales
Summary
Turner’s syndrome
This article is based on the study of 52 cases of
Turner’s syndrome, born between 1980 and
1996 and recorded in the Registry of Congenital Anomalies in the Canton of Vaud.
In most cases the cytogenetic analysis was
based on maternal multiple-marker screening,
sonography findings or maternal age.
The most common chromosome abnormality
is complete monosomy X. The rare cases of
mosaic and the one case of isochromosome
mainly involve livebirths.
Morphological analysis of foetuses revealed
hygroma colli (84%) and hydrops (63%), frequently associated with major cardiac malformations. The livebirths present growth
retardation, pterygium colli and facial dysmorphic features, but rarely complex malformations.
In the light of our data, the probability of survival to birth is 0.8% and the prevalence in all
clinical pregnancies is 1.1%.
Keywords: Turner’s syndrome; epidemiology;
registry
Résumé
Cet article présente 52 cas de syndrome de Turner nés dans le canton de Vaud entre 1980 et
1996, identifiés à partir du Registre vaudois
des anomalies congénitales.
La plupart des analyses cytogénétiques ont été
effectuées durant la grossesse, à la suite du triple test maternel et de l’échographie ou en
raison de l’âge maternel.
L’examen cytogénétique a montré une majorité
de monosomie complète du chromosome X.
Les rares cas de mosaïque et d’isochromosome
concernent principalement les enfants vivants.
Lors de l’examen anatomo-pathologique des
foetus, les anomalies les plus courantes sont
l’hygroma colli (84%) et l’hydrops (63%); des
malformations cardiaques majeures sont souvent associées. A la naissance ou plus tard, les
fillettes présentent fréquemment une petite
taille, un pterygium colli et une dysmorphie faciale, mais en revanche peu, de malformations
importantes.
Les données recueillies permettent d’estimer
une probabilité de survie de 0.8% et une prévalence de 1.1% des grossesses cliniques.
Keywords: syndrome de Turner; epidémiologie; registre
Le syndrome de Turner a été décrit pour la première fois en 1938 par Turner [1] sur la base
d’un collectif de 7 jeunes filles âgées de 15 à 23
ans qui présentaient toutes une petite taille, un
infantilisme génital, un cou trapu et un cubitus
valgus.
Ce n’est qu’en 1959 que Ford [2] établit le
caryotype turnérien classique qui consiste en
Introduction
Correspondance:
Dr Marie-Claude Addor, médecin associé
Division autonome de génétique médicale
CHUV
CH-1011 Lausanne
e-mail: [email protected]
1339
Perfectionnement
Schweiz Med Wochenschr 2000;130: Nr 38
une perte d’un chromosome X ou monosomie
X (caryotype actuellement noté 45,X). Par la
suite, d’autres anomalies cytogénétiques associées au syndrome de Turner ont été décrites:
délétions, isochromosomes, chromosomes en
anneau et mosaïques [3].
La détection prénatale d’un syndrome de
Turner découle de l’analyse cytogénétique de
prélèvements des villosités choriales, du liquide
amniotique ou du sang foetal pratiqués suite à
un status échographique pathologique [4], un
dépistage biochimique (triple test) ou plus rarement à cause de l’âge maternel.
L’histoire naturelle du syndrome est bien
connue, en particulier la forte pression sélective
prénatale avec environ 95% de pertes foetales.
L’évolution du syndrome de Turner est très variable et dépend des malformations associées.
Les anomalies cardiaques et rénales sont les
plus fréquentes.
Dans cet article, nous rapportons les résultats
de 52 observations de caryotypes turnériens.
Matériel et méthode
Toutes les données proviennent du Registre Vaudois des Anomalies
Congénitales (RVAC) et concernent exclusivement des cas de syndrome de Turner issus de grossesses de mères domiciliées dans le
canton de Vaud, identifiés entre 1980 et 1996, tous confirmés par
l’analyse chromosomique.
L’examen cytogénétique a été pratiqué selon les techniques standards, à partir de cellules trophoblastiques (produit d’avortement
spontané, choriocentèse ou PVC), d’amniocytes ou de lymphocytes
de l’enfant.
Résultats
Le tableau 1 montre la répartition de notre
collectif en fonction de l’état vital et de l’anomalie cytogénétique.
La monosomie complète et homogène du
chromosome X constitue la forme cytogénétique prédominante (44/52 cas; 84,5%); les
mosaïques (45,X/46,XX, 45,X/46,XY et 45,X/
46,iXq) concernent avant tout les enfants
vivants et représentent 13,5% des cas. Nous
n’observons qu’un seul cas d’anomalie structurale homogène (46,X,iXq), soit un isochromosome des bras longs du chromosome X.
Tableau 1
état vital
45,X
Répartition de notre
collectif en fonction de
l’état vital et de l’anomalie
cytogénétique (n = 52).
mort fœtale précoce
13
1
14
27%
interruption médicale de grossesse
22
2
24
46%
2
4%
mort fœtale tardive
Quelques caractéristiques
de note collectif selon l’état
vital.
état vital
46,X,i(Xq)
7
4
1
12
23%
7
1
52
100%
%
84,5%
13,5%
2%
100%
motif de l’examen cytogénétique
mère
père
avortement
spontané
mort fœtale précoce
14
29
32
4
interruption médicale
de grossesse
24
31
2
12
âge maternel/paternel moyen
total
%
44
âge moyen (ans)
enfant vivant
total
total
nombre
de cas
mort fœtale tardive
1340
mosaïque
2
enfant vivant
Tableau 2
Le tableau 2 illustre le motif de l’examen cytogénétique et quelques caractéristiques de notre
collectif selon l’état vital.
L’âge des parents ne semble pas jouer un rôle
déterminant; les différences observées sont
probablement dues au nombre restreint de
l’échantillon.
Dans 37 cas (71%), le diagnostic de syndrome
de Turner a été posé par examen cytogénétique
prénatal, soit à la suite du dépistage biochimique et/ou échographique (30 cas; 58%), soit en
raison de l’âge maternel (7 cas; 13%).
52
dépistage
âge maternel
9
1
33
19
5
30
35
2
26
32
29
32
4
30 (58%)
clinique
1
11
7 (13%)
11
Perfectionnement
Schweiz Med Wochenschr 2000;130: Nr 38
Figure 1
Répartition des marqueurs sériques
exprimés en MdM (multiples de la
médiane).
Tableau 3
cas no
âge maternel
AFP (MdM)
E3 (MdM)
βhCG (MdM)
Résultats de 9 triples tests.
1
33 ans
0,55
0,44
3,6
+
2
34 ans
0,7
1,2
2,82
+
3
23 ans
1,23
0,92
0,53
–
4
33 ans
0,74
0,52
1,14
+
5
28 ans
0,7
0,38
2,71
+
6
32 ans
0,81
0,34
3,15
+
7
36 ans
0,6
0,1
2,2
+
8
30 ans
1,39
0,79
9,38
+
9
34 ans
1,82
0,97
3,91
+
risque de T21
MdM = multiples de la médiane; AFP = concentration sérique maternelle d’alpha-fœtoprotéine;
E3 = concentration sérique maternelle d’œstriol libre; βhCG = concentration sérique maternelle
de gonadotrophine chorionique humaine; risque de trisomie 21 ≥1/380
Tableau 4
signes
âge gestationnel
nombre
%
Fréquence des signes
échographiques (n = 40).
hygroma colli
16
19
48%
mort fœtale
11
12
30%
hydrops fœtal
16
11
28%
oligohydramnios
17
2
5%
malformation cardiaque
18
2
5%
agénésie des membres
10
1
3%
hydrocéphalie
14
1
3%
10
25%
aucun signe
portés dans le tableau 3, est semblable à celui
observé dans la trisomie 21; il comprend une
nette augmentation de la βhCG (3,27 MdM) et
une diminution de l’oestriol (0,63 MdM);
l’AFP (0,95 MdM) est en revanche moins déviante. Si l’on applique la règle du dépistage de
la trisomie 21, au seuil de 1/380, 8 parmi les 9
cas (89%) seraient positifs.
Echographie
Tableau 5
signes cliniques
nombre
%
référence [6]
Fréquence des anomalies
cliniques (n = 12).
petite taille
9
75%
–
pterygium colli/cou trapu
9
75%
74%
dysmorphie facial
6
50%
36%
mamelons écartés
5
42%
53%
lymphœdème périphérique
4
33%
38%
hypoplasie unguéale
4
33%
66%
palais ogival
4
33%
36%
coarctation de l’aorte
1
8%
10–16%
cubitus valgus
1
8%
54%
Le tableau 4 énumère les signes échographiques de 40 cas pour lesquels les informations
sont disponibles. Trente examens (75%) sont
anormaux. Les signes les plus fréquents sont
l’hygroma colli (48%), la mort fœtale (30%) et
l’hydrops fœtal (28%).Ces signes ont été découverts entre la 8e et la 21e semaine. La mort
foetale est découverte précocement (11e semaine en moyenne); en revanche, l’hygroma
colli et l’hydrops sont des signes plus tardifs
(16e semaine). Dans 25% des cas, l’examen
échographique s’est révélé normal.
Triple test
La figure 1 montre la répartition des marqueurs sériques maternels des 9 cas de notre
collectif qui ont fait l’objet du dépistage [5]. Il
faut noter que le profil de ces marqueurs, re-
Enfants vivants (n = 12)
Le diagnostic de syndrome de Turner a été établi chez 11 fillettes en raison de diverses mani1341
Perfectionnement
Tableau 6
Mesures anthropométriques des enfants
nés vivants.
cas no
Schweiz Med Wochenschr 2000;130: Nr 38
durée de la
grossesse
poids à la
naissance (g)
percentile
taille à la
naissance (cm)
percentile
1
36 semaines
2940
50–90
46
10–50
2
38 semaines
2660
10–50
45
<10
3
40 semaines
3100
10–50
49
10–50
4
40 semaines
2740
<10
47
<10
5
40 semaines
2520
<3
45
<3
6
39 semaines
3340
10–50
47
10–50
7
40 semaines
3020
10–50
47
<10
8
40 semaines
3200
10–50
47
<10
9
38 semaines
2420
<10
46
10
10
38 semaines
2710
10–50
48
10–50
moyenne
39 semaines
2865
10–50
47
10–50
Tableau 7
anomalies
nombre %
Fréquence des malformations lors de l’examen
anatomo-pathologique
(n = 18).
hygroma colli
16
84%
hydrops
12
63%
12
63%
9
47%
7
37%
luette bifide
2
11%
hypoplasie pulmonaire
6
32%
dysgénésie gonadique
5
26%
anomalies de OGI
3
16%
malformation cérébrale
2
11%
malformation cardiovasculaire
hypoplasie de l’arc aortique
8
arteria lusoria
2
coarctation de l’aorte
1
hyperplasie des vaisseaux lymphatiques 1
malformation digestive
malrotation intestinale
4
intestins en chou-fleur, non fixés
2
hypoplasie intestinale
2
anus antéposé
1
malformation rénale
rein en fer à cheval
5
rein kystique
1
hypoplasie
1
festations cliniques qui sont rapportées dans
le tableau 5. Dans la plupart des cas, le diagnostic a été posé dans la première année de vie.
Un des nouveau-nés, pour lequel le diagnostic
prénatal avait conclu à un caryotype 45,X, ne
présentait aucun signe clinique significatif à la
naissance.
Les anomalies cliniques les plus fréquentes sont
la petite taille et le pterygium colli (75%) (tab.
5). Les malformations plus invalidantes sont
rares (un cas de coarctation de l’aorte).
Le profil clinique des enfants de notre collectif
est conforme au phénotype classique du syndrome de Turner, hormis le cubitus valgus qui
n’est rapporté que chez un seul enfant sur 12.
Le poids et la taille à la naissance de 10 des enfants (tab. 6) correspondent aux percentiles 10
à 50 en moyenne.
Fœtopathologie
Le tableau 7 résume la fréquence des différentes anomalies constatées lors de l’examen anatomo-pathologique.
Parmi les 40 fœtus, 34 ont bénéficié d’un examen anatomo-pathologique. Nous avons retenus uniquement les 18 cas dont l’examen
était complet. Les 16 cas restants concernent
des débris d’œuf sans embryon reconnaissable.
Discussion
Il ressort de notre étude portant sur 52 observations, que le syndrome de Turner constitue
une aneuploïdie fréquente, particulièrement
lors de mort fœtale précoce ou tardive.
La forme cytogénétique prédominante dans
notre casuistique est la monosomie X (84,5%).
Dans son étude multicentrique portant sur plus
de mille sujets vivants, Hook [3] n’observe ce
caryotype que dans 60% des cas. Dans une publication récente, similaire à la nôtre, Gravholt
1342
[7] rapporte une monosomie homogène dans
62% des foetus syndrome de Turner diagnostiqués en prénatal et dans 53% des enfants
syndrome de Turner vivants. Sachant que la
monosomie 45,X homogène est moins viable,
la discordance observée entre l’étude de Hook
[3] et la nôtre s’explique par le grand nombre
de morts foetales inclues dans notre collectif.
Nos données permettent d’estimer la probabilité de survie à terme des zygotes turnériens
Schweiz Med Wochenschr 2000;130: Nr 38
Perfectionnement
Tableau 8
circonstances
nombre
nombre de caryotypes
turnériens
%
Comparaison de notre
casuistique/littérature.
% selon
Jacobs [8]
mort fœtale précoce
200*
14
7%
8,6%
diagnostic prénatal
11 876
24
0,2%
–
mort fœtale tardive
150*
2
1,3%
0,25%
né vivant
113 391
12
0,01%
<0,01%
* avec examen cytogénétique
quemment rapportés dans la littérature [4].
L’hygroma colli est considéré comme un signe
d’appel relativement spécifique pour le diagnostic prénatal des aneuploïdies en général et
du syndrome de Turner en particulier. Dans la
revue de la littérature faite par Monteagudo
[4], 50% des cas d’hygroma colli se sont révélés
être des syndromes de Turner.
La littérature concernant l’examen anatomopathologique des foetus avec caryotype
turnérien est très sommaire. Dans une série de
8 cas rapportés [10], tous présentent un hygroma colli et un hydrops. L’étude rapporte 7
observations de malformation cardio-vasculaire, une malformation rénale et une dysgénésie gonadique. Ces données sont comparables
à nos résultats.
(tab. 8). Notre calcul repose sur un taux présumé de fausse couche de 15% et de mort
fœtale tardive de 1%. Il se réfère à un total de
113 391 naissances enregistrées durant la période étudiée. Le nombre de fœtus syndrome de
Turner pour l’ensemble des grossesses est
estimé à 1 470, alors que le nombre de nouveaux–nés atteints n’est que de 12. Cela correspond à une probabilité de survie de 0,8%.
Ce pourcentage est proche de celui de Hook
(0,3%) et de Gravholt (1%).
Le triple test biochimique s’avère positif, au
seuil de 1/380, dans 89% des cas (8/9). Cette
observation confirme les constatations de Saller [9] et Wenstrom [5] qui ont démontré la
validité du test biochimique maternel pour la
détection prénatale du syndrome de Turner.
Une proportion importante de cas (30/40;
75%) se manifeste au cours de la grossesse par
des signes échographiques: 48% présentent un
hygroma colli et 28% un hydrops fœtal. Ce
sont les deux signes échographiques le plus fré-
Nous remercions vivement le Professeur R. N. Laurini de l’Institut universitaire de pathologie de Lausanne pour sa précieuse collaboration.
1 Turner H. A syndrome of infantilism, congenital webbed
neck and cubital valgus. Endocrinology 1938;23:566–74.
2 Ford CE, Jones KW, Polani PE, De Almeida JC, Briggs JH.
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Références
1343

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