La photo Nos paysages
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La photo Nos paysages
Rencontre avec Philippe Martin Vendredi 18 juillet 2014 - Mèze - 24e édition du Festival de Thau Une rencontre animée par Thierry Salomon. Propos retranscrits par Raquel Hadida Philippe Martin zoome sur la garrigue | Placarder les plus ordinaires des animaux et des plantes de la garrigue en grand format, sur d’extraordinaires photos « en relief » : c’est la nouvelle arme pédagogique du naturaliste héraultais Philippe Martin. Au sein de son exposition « Hyper-nature » au chai de Girard à Mèze, il confie les coulisses de sa technique et nous fait redécouvrir fleurs et bestioles qui nous entourent. Un hommage coloré à nos fabuleux paysages languedociens. La photo Pourquoi utiliser la macrophotographie pour parler d’écologie scientifique ? Tous les scientifiques ont du mal à valoriser leurs informations auprès du grand public. En tant qu’enseignant, pour transmettre des notions abstraites, donner une perception de l’environnement, rien de tel que l’image et le dessin. Enfin, à 60 ans, j’ai trouvé un système qui me fait gagner du temps et de la salive ! Ces photos permettent de voir des plantes et des insectes qu’on a peu l’habitude d’observer, d’expliquer la botanique… Je peux recréer des posters pédagogiques avec fleurs et animaux détourés devant le Salagou, par exemple. Les petits enfants se montrent immédiatement attirés par ces images hyper-réalistes, « en relief » — ils s’intéressent aux mouches quand elles sont aussi grosses qu’eux. Mais c’est de la démagogie, de la fausse 3D : il s’agit plus de peinture numérique que de photographie. © Raquel Hadida Ensuite, comment traitez-vous ces photos sur ordinateur ? J’utilise Helicon Focus, un des logiciels de « focus-stacking », normalement destiné aux laboratoires. Il colle entre eux les pixels nets de chacune des photos. En cinq minutes, j’obtiens une image recomposée. Mais cela crée des halos, des boursouflures, des pattes dédoublées… Au stylet numérique et tablette graphique, je retravaille alors les poils, la brillance des carapaces, les ombres, les matières, les lissages, pixel par pixel… Tout, sauf la couleur. J’utilise l’art de la perspective et du trompel’œil, ainsi que ma connaissance des espèces. Vingt-cinq heures de travail, certes, mais pour une photo qui sera vraiment publiée. Nos paysages Sur le port, 2014 - Mèze 34140 Alors comment réalisez-vous ces macro-photographies ? Quand on photographie une fleur ou un animal qui mesure cinq millimètres ou deux centimètres, seule une toute petite partie peut être nette, comme les yeux d’une libellule, et le reste apparaît flou. Alors je choisi mon cadrage, en milieu naturel, puis je prends 50 à 150 photographies pour chacun, en déplaçant progressivement ma mise au point, donc ma « tranche de netteté » (moins d’un millimètre de large, soit quelques pixels). Pour cela, j’utilise un pied et, sans flash, sans changer de focale, je prends cinq photos par seconde en rafale… En espérant que l’animal ne bouge pas pendant une dizaine de secondes, sinon, il faut tout recommencer ! Pourquoi une telle passion pour la nature méditerranéenne de l’Hérault ? Nous méconnaissons la richesse de notre territoire ! Nous avons trois Grands Sites de France sur 37, dont un site classé Patrimoine mondial de l’Unesco. Et encore, c’est une Suédoise qui a décidé d’inscrire le Larzac et les Causses au titre du pastoralisme, alors qu’on cache ce joyau par des plantations de pins ! L’Hérault est un spot international de géologie, avec une des biodiversité les plus riches de France, encore relativement indemne de pollution. D’où vient ce paysage ? Paradoxalement, c’est la main de l’homme qui l’a créé, construit, sculpté. Pendant des millénaires, des générations d’agriculteurs et d’éleveurs ont défriché la forêt de chênes verts européens d’origine. En apportant la lumière sur le sol, ils ont favorisé l’implantation des espèces venues d’Algérie, du Maroc, d’Espagne et d’Italie, caractéristiques de la Méditerranée du Sud, comme les petits escargots « mango-merdo » ou le scorpion « du Languedoc » ! Des dizaines d’espèces n’existent nulle part ailleurs (ils sont « endémiques »), comme le chabot du Lez et de l’Hérault, de petits poissons… Comment préserver ce territoire ? Il ne faut pas abandonner la garrigue ! Sinon, le territoire redeviendra européen tempéré — beaucoup plus classique — et l’ombre des grandes plantes fera disparaître les espèces méditerranéennes actuelles. Via le tourisme, ce paysage riche et « pittoresque » porte un potentiel économique et social énorme — des centaines de milliers d’emploi en Languedoc-Roussillon. Si tant est qu’on mette assez de budget pour l’entretenir et le valoriser. Par exemple en dégageant la garrigue par un feu d’hiver au lieu de se ruiner en Canadairs, l’été, pour éteindre les feux de pins d’Alep, cette calamité qu’on a laissé s’étendre. Mais les élus de tous bord n’en ont cure… Outre l’abandon, qu’est-ce qui menace la biodiversité de notre garrigue ? Elle subit plusieurs types d’agression. Côté chimique : les pesticides, notamment dans les vignes — même si la viticulture raisonnée ou biologique progresse dans la région (9% des surfaces en bio ou conversion bio, NDLR). Pour se séparer d’un insecte ou d’un champignon, on tue 800 espèces dans le sol, dont les vers de terre. Et sans insectes, pas d’oiseaux. Les pesticides stérilisent aussi les nappes phréatiques et l’eau. Mais heureusement, dans les réserves marines comme à Banyuls, les espèces se régénèrent… En revanche, le réchauffement climatique a peu d’impact : en Afrique du Nord, les mêmes espèces savent déjà vivre avec des températures bien supérieures ! Côté agression mécanique : le bétonnage fait rage. Tous les sept ans, l’équivalent d’un département français se fait urbaniser. Il ne restera bientôt plus rien. Côté agression biologique, les scientifiques perçoivent la baisse du nombre d’oiseaux. On accuse les chasseurs, mais les chats domestiques tuent deux milliards d’oiseaux par an en France. Faites-les castrer ! Qu’en est-il des espèces invasives ? À l’inverse des USA ou de l’Australie, la France laisse entrer, et se développer les espèces invasives. Par exemple, depuis 2009, les élus ont laissé le Lagarosiphon major (l’Élodée crêpue, d’Afrique du Sud, NDLR) envahir le lac du Salagou alors qu’ailleurs, cette plante aquatique faisait des ravages et coûtait des milliers d’euros. Résultat : aujourd’hui, elle empêche la baignade, le nautisme, la pêche… SITES UTILES festivaldethau.com raquelhadida.fr leclub-biotope.com association Matorral Philippe Martin, 2014 - Mèze 34140 Mini bio Qui est Philippe Martin ? Ce naturaliste-photographe est l’auteur de livres Hyper-Nature, Hyper-Nature tropical, et bientôt Hyper-nature sous-marin (2015). Il y explore la petite nature « ordinaire », grâce à des images « extraordinaires » de réalisme, avec les éditions Biotope, basées à Mèze. Depuis son « petit paradis » de Saint-Privat, au pied du Larzac, l’écologue réalise expertises, animations, conférences, sorties naturalistes en indépendant, après avoir travaillé 14 ans pour les Écologistes de l’Euzière à Montpellier. Philippe Martin avait débuté comme peintre animalier dans le Languedoc, avoir avoir quitté famille et armée en Picardie. Au temps où l’écologie se résumait à la gestion des bandes fleuries et des cimetières… Avec Hyper-nature tropical, (éd. Biotope) Philippe Martin a reçu le Prix du livre français 2014. Du 20 septembre 2014 au 18 janvier 2015, 80 de ses photos « hyper-nature » seront exposées à Paris sur les grilles du jardin du Luxembourg.