Introduction Evaluer les établissements et les services
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Introduction Evaluer les établissements et les services
Supplément de la Gazette n°91 – mars 2010 Evaluer les établissements et les services sociaux et médico‐sociaux, pour redonner du sens à l’action sociale Introduction _________________ La question de l’évaluation apparaît dans un contexte structurel de transformation du cadre général de l’action sociale. Les années 80 ont été le théâtre d’une remise en cause profonde de l’action publique au sens large, remise en cause qui s’est traduite par une triple crise : de financement, d’efficacité et de légitimité. Pour palier à ces crises, les pouvoirs publics manifestent une volonté plus accrue de régulation et de rationalisation. Cette exigence intervient alors que l’action sociale se complexifie : - de nouvelles questions surgissent (exclusion, dépendance …) ; - la question de la centralité de l’usager, l’exigence de « qualité » contribuent à modifier la commande publique et les modes opératoires ; - les notions de partenariat, de travail en réseau, d’approche territoriale s’imposent ; - enfin les réformes de décentralisation bouleversent les modes de management des politiques sociales. Evaluer l’action sociale et évaluer les établissements va conduire aux mêmes finalités : celles de connaître, celles de comprendre, celles de juger de leur valeur au regard de critères définis. Ainsi l’évaluation des établissements s’inspire des problématiques et méthodologies issues de l’évaluation des politiques publiques. L’évaluation est une démarche qui se veut qualitative et participative. Elle vise à qualifier et à apprécier la qualité de ce que réalise un établissement mais ne fait sens qu’à travers une forte implication de toutes les parties prenantes (intervenants sociaux, responsables, usagers, bénévoles, partenaires, …). Ce Supplément de la Gazette rédigé à partir de l’ouvrage « Evaluer les établissements et les services sociaux et médico-sociaux : des savoir-faire à reconnaître » de Pierre Savignat publiée chez Dunod en 2009, présente de manière synthétique et complète les questions posées par l’obligation faite aux établissements et services sociaux ou médicosociaux de procéder, à intervalle régulier, à des évaluations internes et externes, dans le cadre de la loi du 2 janvier 2002. Un processus en construction (1980‐2002) ____ Ainsi les démarches qualité se sont plus développées que les évaluations qui restent encore marquées par le « soupçon du contrôle ». C’est dans ce cadre que la loi du 2 janvier 2002, dont l’objectif est de rénover les modes de régulation de l’action sociale (éléments constitutifs des « règles du jeu »), opère une jonction entre l’évaluation et les questions liées à la qualité. Elle renforce la nécessité de rendre effectif la prise en compte de critères relatifs à la qualité de l’accompagnement. Elle rend obligatoire l’évaluation des activités et de la qualité des prestations. Cette loi vise à une optimisation et à une maîtrise de l’offre dans une perspective de réponses adaptées aux besoins et attentes des usagers. Elle donne aux pouvoirs publics des outils pour peser sur la structuration du secteur social et médico-social. La loi prévoit quatre niveaux d’évaluation : apprécier les besoins sociaux de la population, répondre aux besoins des usagers, évaluer les politiques publiques, et évaluer les établissements et services. Ainsi l’évaluation devient un élément constitutif de la construction de l’action sociale. Il y a deux types d’évaluation pour les établissements : l’une interne dont les résultats doivent être transmis au moins tous les cinq ans à l’autorité ayant délivré l’autorisation et l’autre externe qui doit avoir lieu dans les sept ans suivant l’autorisation par un organisme habilité par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM). Cette période voit apparaître dans les débats, les controverses qui ont conduit à la loi du 2 janvier 2002 la notion d’évaluation, mais aussi celle de la qualité. Dès la fin des années 70 et le début des années 80, puisant ses racines dans les débats relatifs aux études de rationalisation des choix budgétaires (RCB), la question de l’évaluation s’inscrit sur l’agenda des pouvoirs publics comme des acteurs. Les expérimentations et diverses méthodes d’évaluation se développent avec leur angle particulier et leurs limites (méthode PASS, démarches expérimentales, méthode comparative, évaluation par la « compétence sociale », méthodes à caractère « scientifique », méthodologie clinique, méthodes centrées sur les dynamiques, ...). Guy Cauquil1 estime que dans cette période, les controverses s’organisent autour de deux conceptions : l’une tournée vers la production de connaissance et l’autre vers l’action. Malheureusement l’ensemble de ces expérimentations ne sera pas capitaliser et ce mouvement protéiforme sera suppléé dans l’espace public du champ social et médico-social par les questions liées aux démarches qualité. Les années 90 vont voir émerger de nouvelles préoccupations des pouvoirs publics à travers la mobilisation de la notion de « qualité ». Ce changement va apparaître avec le mouvement de reconnaissance de l’usager nécessitant un accueil et un accompagnement individualisé. La qualité apparaît à la fois comme un instrument interne, de mise à jour des pratiques, de diagnostic partagé et de mobilisation des professionnels, et comme un mode de relation renouvelé entre établissements et pouvoirs publics. 1 « Evaluation en travail social », Les Cahiers de l’Actif, n°288291, mai-août 2000. Le dispositif institutionnel d’évaluation ______ Elle va opérer un état des lieux et dégager des repères à travers un « guide méthodologique »3. Elle met ainsi en lumière différentes sources qui concourent à la production de bonnes pratiques professionnelles. 2 - Le CNESMS va jouer un rôle important dans la mise en place du dispositif institutionnel et ses travaux restent d’actualité malgré ses vingt mois d’existence. La construction d’un cadre institutionnel est la condition indispensable du développement de processus évaluatif sur le terrain. La loi 2002-2 fixe trois éléments au plan institutionnel : La création du Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale (CNESMS)2 Une procédure d’habilitation d’organismes en vue de l’évaluation externe. Un décret portant cahier des charges relatif aux évaluations externes. Il produit des documents qui n’ont pas propension à avoir une portée réglementaire. Il valide des recommandations pour chacune des grandes catégories : personnes âgées, personnes handicapées, enfance-famille, inclusion sociale. En 2006 il élabore un guide de l’évaluation interne4 qui fait référence. Une première phase, qui dure de la loi 2002-2 à la création de l’ANESM, se déroule en trois étapes bien distinctes qui contribuent à la formation d’une doctrine et à la consolidation du dispositif organisationnel : 1 - La Direction générale de l'action sociale (DGAS), aujourd’hui Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), souhaite que se développent des démarches qualité. Supplément de la Gazette - mars 2010 3 - Du CNESMS à l’ANESM : une mission de préfiguration a réfléchi à l’élaboration de cette nouvelle agence, à ses missions et son organisation. L’Agence n’est pas l’équivalent du Conseil à qui l’on aurait donné des moyens supplémentaires. 2 Agence d’Etat, son directeur est nommé par décret. Outre les missions fixées par la convention constitutive, elle inscrit son action dans le cadre d’un contrat d’objectif et de moyen conclu avec l’Etat. Les acteurs sociaux n’ont plus qu’un rôle consultatif. L’Etat souhaite ainsi conserver le contrôle sur les dispositifs et ne pas être tributaire des acteurs sociaux. Le fait que l’Associations des départements de France (ADF) ne soit pas membre de l’Agence est également un souci surtout que l’on constate la nécessité d’un réel travail d’acculturation des collectivités publiques. Le risque, si l’évaluation reste aux portes des pouvoirs publics, est de voir ce traitement n’être qu’une procédure de contrôle. Un autre souci est que l’on ne sait plus ce qui se passe sur le terrain puisque que l’Agence n’a pas de service d’observation et de capitalisation des différentes pratiques. Enfin l’année 2007 reste une année charnière dans la consolidation qualitative du dispositif puisqu’elle voit la mise en place de l’ANESM et la publication du décret relatif aux évaluations externes le 15 mai 20075. 2 3 Remplacé par la loi du 23 décembre 2006 par l'ANESM. DGAS, Démarche qualité - évaluation interne dans les Etablissements et service social ou médico-social (ESSMS), guide méthodologique, 2004. L’Agence va réaliser un certain nombre de recommandations qui ne sont pas des documents normatifs et n’ont pas l’ambition de former des standards6. 4 CNESMS, L’évaluation interne, guide pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux, septembre 2006. 5 Décret n° 2207-975 du 15 mai 2007 fixant le contenu du cahier des charges pour l’évaluation des activités et de la qualité des prestations des établissements et des services sociaux et médicosociaux. L’ANESM a publié, en 2009, une recommandation sur l’évaluation interne dans les établissements sociaux et médico-sociaux7. Cette recommandation fait référence aujourd’hui pour le secteur de l’exclusion. 6 A ce jour l’ANESM a publié 14 recommandations (voir sur le site de l’Agence www.anesm-sante.gouv.fr). Néanmoins des problèmes se posent actuellement tels que le traitement des rapports relatifs aux évaluations dans les services déconcentrés de l’Etat ou les collectivités locales8. 7 ANESM, La conduite de l’évaluation interne dans les établissements et services visés à l’article L312-1 du code de l’Action sociale et des familles, avril 2009. 8 ANESM, Enquête nationale relative à la mise en œuvre de l’évaluation interne, Enquête réalisée auprès des ESSMS et des autorités administratives, 2008. Les limites de la démarche qualité __________ Les démarches qualité ne sont pas des outils totalement désincarnés. Leurs logiques sous-jacentes proviennent du champ industriel ou commercial. La démarche qualité est une technique managériale qui vise à l’efficience organisationnelle. Les objectifs se posent en termes d’optimisation, de maîtrise des processus et des coûts. Ces remarques montrent que les démarches qualité ne peuvent en aucun cas être appréciées uniquement pour elles-mêmes. Il convient de se livrer à une relecture critique de l’outil. Même si elles sont utiles et qu’elles ont contribué à transformer la qualité dans les réalités et les pratiques, les démarches qualité restent lacunaires à rendre compte de façon globale de la qualité des activités et des prestations d’un établissement. On constate un développement des démarches qualité à travers un foisonnement d’initiatives. Par exemple en 2005, la DGAS a fait paraître le référentiel national « Accueil, hébergement, insertion » (AHI) destiné aux CHRS. Un référentiel Prestations/coûts est à ce titre en cours de construction (Chantier Refondation). La loi 2002-2 n’aborde pas la question des démarches qualité mais créée une obligation en matière d’évaluation. Des réflexions renouvelées sur l’évaluation, non corsetées par les logiques et les méthodes de démarches qualité, ont commencé à se développer progressivement (en 2004 un séminaire interne de l’UNIOPSS suivi en 2006 d’un texte de positionnement politique relatif à l’évaluation ; en 2006 une charte de l’évaluation interne des acteurs de l’exclusion en région PACA9, etc.). Des réseaux comme la FNARS10 l’association PROMOQUALTS11, le RéseauEval12, … ont su développer des démarches d’évaluation intéressantes. De nombreuses expériences utilisent des « référentiels qualité » sans pouvoir les discuter, comme des normes, des formes d’injonctions auxquelles la structure doit se conformer. A travers un système de cotation, cette méthode ne s’interroge pas sur ses éventuelles limites au regard des objectifs affichés et ne permet pas une réflexion en amont sur les questions de sens, de stratégie, de vision des finalités. Mais la conformité ne nous dit rien sur la qualité du service rendu aux usagers. 9 La FNARS, la DRASS PACA et l’IRTS ont signé cette charte le er 1 décembre 2006. L’objectif est de créer une culture partagée pour réussir l’évaluation des activités et de la qualité des prestations. La particularité de la relation en travail social est celle de la subjectivité à travers laquelle se joue et se rejoue la qualité du service. Par ailleurs l’idée de labelliser cette relation ne peut-être retenue comme pertinente pour Pierre Savignat. En effet l’action sociale n’est pas totalement rationalisable. 10 FNARS, L’Evaluation, des repères pour agir, Recueils et documents n°34, août 2005. 11 PROMOQUALTS, promotion de la qualité en travail social, Méthodologie pour l’évaluation interne des établissements sociaux et médico-sociaux. 12 www.reseaueval.org. 3 Supplément de la Gazette - mars 2010 L’évaluation en actes _____________________ Ainsi l’évaluation a pour finalités de produire de la connaissance, de former un jugement, d'aider à la décision. Les principes d’un questionnement évaluatif font référence à des thématiques mobilisées dans le champ des politiques publiques : pertinence, cohérence, efficacité, efficience, impact mais aussi utilité sociale. Le questionnement évaluatif va conduire à produire de la connaissance partagée à travers la dimension participative du processus. Cette connaissance va être confrontée à des critères, des références qui permettront ensuite le travail d’analyse et de synthèse : c’est la création de référentiels. Ils résultent de choix, de critères qui doivent être discutés en amont du processus évaluatif ; ils sont problématisés et propres à chaque structure ; ils peuvent être revisités en permanence et sont donc évolutifs ; l’amélioration en continue des pratiques. c’est Partir avec un référentiel extérieur même adapté conduit à des pratiques plus proches de l’audit, voire du contrôle que de l’évaluation. De plus, le danger avec les référentiels préconstruits c’est qu’ils opèrent une réduction du réel et sont donc très lacunaires pour rendre compte de réalités complexes. Il est important de faire se compléter les données quantitatives et qualitatives. Pour cela le processus évaluatif nécessite une procédure et un dispositif formalisés et adaptés, qui vont se décliner en un certain nombre d’étapes : l’engagement, le projet d’évaluation, le dispositif opérationnel, la collecte d’information, l’analyse et la finalisation. Conclusion ________________________ Les démarches qualité, qui regardent la conformité des procédures et des pratiques, ne disent rien sur la qualité de ces pratiques et sur leur adaptation aux besoins des personnes accueillies. confiance. Il passe essentiellement par des relations humaines dans un cadre de liberté et de fraternité citoyenne d’essence associative, et non par une prestation marchande. Le processus évaluatif est non seulement utile pour redonner du sens aux actions en direction des publics mais indispensable dans un contexte de mise en question du travail d’action sociale. A un moment où les politiques de l’Etat dans le cadre de l’action sociale (voir les arbitrages budgétaires) s’annoncent défavorables aux dispositifs de solidarité, les démarches d’évaluation doivent nous permettre, au niveau de tous les territoires, établissement par établissement et collectivement, de garantir la qualité du travail social et d’objectiver le rôle essentiel de cet accompagnement auprès des personnes vulnérables pour sauvegarder une cohésion sociale. Centrée sur les besoins des usagers, l’évaluation est un levier pour mettre en œuvre un management par la qualité. Le travail d’accompagnement auprès de chaque personne en situation d’exclusion, suivant ses propres nécessités du moment, est fait dans la durée, de dialogue, d’échange, de présence et de Nathalie Nebout [email protected] A savoir… Actuellement vous pouvez aller sur le site intranet de la FNARS (rubrique Evaluation) pour télécharger l’ensemble des référentiels réalisés par les adhérents du réseau : CHRS+, 115+, CADA+…… Vous pouvez télécharger le « Guide d’analyse des pratiques en vue des évaluations internes et externes » sur le site internet FNARS En avril 2010, la FNARS publiera un ouvrage « Fiches pratiques : Evaluation interne et externe » qui sera envoyé à chaque établissement adhérent. Cet ouvrage synthétique et pratique a pour objectif d’apporter des éléments méthodologiques pour accompagner les établissements dans la mise en œuvre des démarches d’évaluations, internes et externes. FNARS – Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale 76 rue du Faubourg Saint-Denis 75010 Paris - Tél. 01 48 01 82 00 – Fax 01 47 70 27 02 www.fnars.org - [email protected]