cannibales - Le Trident - Scène nationale de Cherbourg

Transcription

cannibales - Le Trident - Scène nationale de Cherbourg
© Sophie Colleu
CANNIBALES
Théâtre de la Butte
les 22 et 23 avril I Théâtre Danse Cirque
Mer 22 avril I 19h45 . Jeu 23 avril I 20h45
Ouverture de billetterie 28 février
Tarifs plein 20 €
. réduit 11 €
Une sélection d’ouvrages de la librairie Ryst sera en vente sur place, lors des représentations.
Saison 2008.2009
Autour de Cannibales
Riches heures
[Rencontre]
L’œuvre collective
Le mercredi 22 avril à l’issue de la représentation.
A la douce lumière d’une lampe sur pied, un verre ou une tasse à la main, vous êtes conviés à
prolonger le spectacle par une rencontre avec les artistes, un échange autour d’un thème défini et
ouvert à tous les questionnements.
Saison 2008.2009
CANNIBALES
Compagnie Rictus. Mise en scène et scénographie David Bobee. Texte Ronan Chéneau. Création
lumière Stéphane Babi Aubert. Création son Jean-Noël Françoise et Frédéric Deslias. Création vidéo
José Gherrak. Régie générale Thomas Turpin. Construction décors Trambert Regard/Ateliers
Akelnom avec l’aide du CDN de Normandie. Avec Yohann Allex, Claire Cordelette-Lourdelle, Eric
Fouchet, Alexandre Leclerc, Nicolas Lourdelle, Séverine Ragaigne, Clarisse Texier.
Production Rictus. Coproduction Scène nationale de Petit Quevilly - Mont Saint Aignan,
L’Hippodrome - Scène nationale de Douai, Centre Régional des Arts du Cirque de Normandie - La
Brèche. La compagnie est conventionnée par le Ministère de la Culture - Drac de Basse-Normandie.
Avec le soutien du Conseil Régional de Basse-Normandie, du Conseil Général du Calvados (Odacc),
de la ville de Caen et l’Office de Diffusion et d’Information Artistique de Normandie (Odia). Avec
l’Aide nationale à la création du Centre national du Théâtre. David Bobee et Rictus sont artistes
associés à l’Hippodrome - Scène nationale de Douai.
Durée 1h40
1 Trident
Le propos
Tout se construit à partir d’une scène initiale, celle d’un couple qui rentre chez lui, s’embrasse, se
déshabille, s’enlace, s’arrose d’essence, se fout le feu.
Un spectacle comme l’enquête de ce qui a pu les pousser là. La nécrologie d’un couple prétexte à
un bilan subjectif politique et intime des trente dernières années.
Après Fées et sa salle de bains verte, Res/Persona et son salon bleu, Cannibales plonge le
spectateur dans la chambre de ce couple, intérieur d’un appartement design et impersonnel,
encadré de murs vidéo et de lumières. Froid, blanc, transparent. Appartement témoin type Ikéa ou
Habitat.
Cette création associe acrobates et comédiens (sept personnes au total) autour d’un texte de
Ronan Chéneau. Il s’agit de provoquer la rencontre de différentes disciplines : théâtre, vidéo, cirque,
danse... Là encore le travail d’écriture s’est fait sur le plateau en lien direct avec la mise en scène
et les comédiens, et a approfondi des thématiques chères à l’équipe de création : la place de
l’individu au monde, la quête de son identité sociale et intime, le portrait d’une génération, d’une
époque.
Ces thématiques sont abordées en parallèle d’une histoire d’amour évoquée selon le principe de
fragmentation du texte, des scènes, des performances : un montage aux ruptures de rythmes et
de situations afin de créer, par accumulation, une histoire sans narration.
Les résidences de recherches nécessaires à la création se sont déroulées au Centre Régional des
Arts du cirque de Cherbourg, La Brèche, à la Scène Nationale de Petit Quevilly/Mont Saint Aignan,
au Centre Dramatique National de Normandie, puis à l’Hippodrome, Scène Nationale de Douai où
Cannibales a été créé en janvier 2007.
2 Trident
Les notes d’intention
« J’aime au sein de Rictus bousculer la notion de genre, croiser, mélanger les disciplines
artistiques, allier les pratiques, créer des hybrides, fragmenter, rassembler, confronter, ainsi
produire du sens, de l’émotion, du rythme, de la violence, de la sensualité.
Mon théâtre est un théâtre d’engagement physique et politique. Fond et forme ont ici même
valeur, naissent d’un même mouvement : je veux questionner tout ce qui participe à la
construction de soi, à l’identité de l’individu contemporain, son intimité, son être social. Ce qui
m’intéresse, c’est désunir, briser l’unitaire, montrer la pluralité, la richesse des personnes, de la
pensée, des événements. Chercher une nouvelle lecture du monde. Un regard transversal. Mon
théâtre est très visuel et se nourrit des arts plastiques. Depuis plusieurs années, avec les
personnes qui m’entourent, nous cherchons chacun dans notre discipline à offrir un univers visuel
aussi exigeant qu’accessible. Chaque fois, nous inventons une nouvelle façon de travailler
ensemble. Loin du despotisme de la mise en scène et du collectivisme absurde, nous affirmons un
théâtre pluridisciplinaire où la lumière devient dramaturgique, où le texte est au cœur du plateau
sans en être le centre, où la mise en scène participe au spectacle sans l’accaparer.
Nous refusons la narration, l’illusion, le mensonge du théâtre et de ses personnages en y opposant
la fragmentation des textes, la poésie des images, la prise de parole et la sincérité des
personnes.»
David Bobee
« Cannibales pour moi est le troisième volet d’une aventure d’écriture, elle a commencé il y a cinq
ans avec David Bobee et le Groupe Rictus. Nous disons souvent que notre théâtre est « politique »,
cela vient certes du contenu de nos spectacles et de la parole qu’ils portent, mais aussi je pense,
de notre manière particulière de faire. Je n’écris jamais loin du plateau. Avant même que je
commence à écrire, souvent il y a l’idée d’un dispositif, une scénographie, les thèmes que nous
voulons aborder... Notre volonté avec David est que l’écriture ne soit pas forcément en amont,
qu’elle ne soit pas « au-dessus » des autres disciplines du théâtre, mais qu’au contraire, elle
s’enrichisse à leur contact. Mon travail d’écriture se fait donc au coeur même de la machine
théâtrale, avec le travail de la lumière et du son, le jeu, la mise en scène, pour être contaminé par
eux, toujours proche du vivant, du présent. En période de création, j’écris et réécris sans cesse,
j’ajuste, j’adapte, j’enlève ou je remets en fonction de ce que me disent les uns et les autres. Cette
pratique s’inscrit parfaitement dans mon projet : quitte à devenir contingente, ou « périssable », je
veux que mon écriture soit absolument d’ici et maintenant. Il me semble que c’est aussi par cette
manière de faire, collective, que notre théâtre peut se dire « politique ». J’ai dit une fois que David,
et sans doute les comédiens eux-mêmes, « écrivaient » à travers moi, de même que, peut-être,
j’écris à travers eux... A l’encontre d’une vision égotiste du « créateur », d’une hiérarchie entre les
pratiques, notre groupe fonctionne donc comme un véritable « tout », un organisme, comme une
sorte de créateur multiple, ramifié, organisé... ».
Ronan Chéneau
3 Trident
Les extraits
I- Il y a encore cinq ans, j’étais prête à me sacrifier...
Faire le sacrifice de ma vie
Vivre au RMI
Dans une chambre de bonne sans chiottes...
Entrer en résistance
...
Avant, on faisait du romantisme avec ça
Pendant très longtemps on a appelé ça : La bohème
Maintenant, on appelle ça :
La précarité
C’est beaucoup moins drôle...
On ne trouve plus du tout ça intéressant de vivre pauvre avec de grandes idées...
Aujourd’hui, tout le monde veut bosser...
Mais, bon, ça va, on devrait s’en sortir
On a tous fait des études supérieures...
(Silence)
Est-ce que vous allez me virer ou me garder ? Oui, parce que l’autre jour, vous aviez promis de me
garder...
II Clarisse. – Alors… Tout le monde va se bouffer, au final, ça sera très bien, ça sera mieux…
Je te boufferais, je te boufferais parce que je te veux, on se bouffera au final, ce sera très bien,
on fera comme on veut, alors je te boufferai. Je te boufferai tout ira mieux…
Je voudrais qu’il se passe quelque chose, qu’il se passe enfin quelque chose, n’importe quoi mais
que ça cesse... Que le monde aille à sa perte alors, qu’il aille à sa perte, et basta. Mais tout plutôt
que ça, qu’il se passe enfin quelque chose, quelque chose… d’inquiétant, de magistral. Horrible. Et
que je sois ailleurs, moi, surtout ailleurs, n’importe où. Mais pas ici.
Pas dans ce monde-ci, pas dans ce cadre-ci. Ici, maintenant, enserrée là, dans ce cadre, cette
culture-là, blanche, putréfiée, bourgeoise. C’est insupportable. ça donne envie de hurler. C’est
insupportable cette façon de vivre d’accumuler se protéger de se donner de l’importance en
possédant, accumulant, et ménageant bien tout. Toute cette hypocrisie, tout, assumée, ces
compromissions, et cette façon de considérer que c’est là parfaitement normal, que l’on a pas le
choix que c’est normal et que c’est là DANS LA LOGIQUE DES CHOSES. C’est à pleurer.
Toute cette merde au jour le jour, cette nécessité, qui me fait acheter, acquérir, habiter meubler,
embellir. Ce naturel. Me dire qu’on y vient tous, que c’est un cap, qu’il fait bon vivre des fois, ça
fait du bien des fois, rentrer chez soi quand tout est propre pratique et rangé, et esthétique de
surcroît. L’idéal perdu, l’humanité perdue. Bradée pour cette connerie, pour tout ce toc, ces fauxsemblants, ce faut luxe. Mais j’y suis, là, je suis parmi eux, dans ce salon néo-bourgeois, dans ce
loft bien rangé hyper design, équipé je suis discipliné, dans le combi-cuisine-séjourbureau, le 80
mètres carré rénové, bonne prestation, bon standing, mégaphone et vidéo, parking, et plein centre
avec vue. Disciplinée, moi aussi. Qu’est-ce que je fais là. Qu’est-ce que je fais là dans ce monde là.
Ces faux-semblants. On n’en parle pas. On est naturel. On veut garder le sourire. Penser à autre
chose. On veut être propre. Rester simple. Convivial. Festif. Penser aux autres. Je suis dans la
société où les gens savent se tenir. Ils se tiennent. Je suis patiente et résignée. Je suis Gentille. Je
tiens mon rôle. Je suis tranquille et patiente. J’aurais pu être autrement. ça aurait pu être
autrement mais Trop tard. Mais il faut que ça cesse. Que ça cesse, que je rentre enfin, me coucher,
et dormir. Mais que ça cesse, enfin que je rentre me coucher et dormir. ça ira mieux. Je ne te
supporte plus, car tu m’échappes. Tout m’échappe.
Alors ça ira mieux, tout le monde se boufferai, au final, je te boufferai. ça ira mieux au final je te
boufferai. ça ira mieux. Alors on se bouffera au final, je te boufferai tout ira mieux.
4 Trident
III Lui. – Oui, mon amour…
Non, mon amour…
Nous ne changerons pas le monde ensemble mon amour
Sur le canapé deux places de chez Habitat
Dans la douceur humide d’un dimanche soir-télé
Nous ne viendrons pas à bout du capitalisme intègré, chérie…
…
Je prépare une kiche aux poireaux mon amour
Sur la table de chez Habitat avec laitue décorative
Je coupe des oignons et je pleure
L’Afrique crève du sida chérie
Et j’en passe et des meilleurs…
Y a pas un documentaire ce soir
Qu’est-ce qu’ils disent dans Télérama ?
Et les otages
Ils les ont libérés putain ou quoi ?
…
Et pourquoi pas, mon amour…
Faisons un geste, un geste fort
Un geste fun et sexy, comme la poésie…
Au moins une fois dans nos vies
Un geste fort, un geste fou…
…
Je ne me suiciderais, que le jour où je saurais que j’ai définitivement réussi ma vie…
5 Trident
La trilogie (Res/Persona – Fées – Cannibales)
Au commencement : Res / Persona.
Un solo écrit et mis en scène pour la comédienne Clarisse Texier. Le portrait d’une jeune femme
des années 2000 au moment de son passage à l’âge adulte et à son entrée dans le troisième
millénaire. La scénographie intègre les spectateurs à l’intérieur du salon bleu de la jeune femme.
Une prise de parole politique et intime sur des sujets très contemporains. La difficulté existentielle
d’une jeune femme reflet du mal-être d’une société toute entière. Res / Persona marque le début
de la collaboration originale entre l’auteur et le metteur en scène. Depuis, une méthode
dramaturgique « en temps réel » s’est affirmée. Le texte qui s’écrit en même temps que la mise
en scène est au cœur du travail de plateau mais n’en est pas le fondement. Il participe comme le
jeu, la lumière, la scénographie à l’élaboration des créations.
Res / Persona a été créé en janvier 2003 au CDN de Normandie / Comédie de Caen.
Ensuite : Fées.
Le portrait d’un jeune homme, pensé et élaboré au lendemain du 21 avril 2002.
C’est le spectacle le plus dur de la trilogie. Le public, placé en bi-frontal, est plongé au cœur
d’une salle de bains éclairée en vert. Le jeune homme (James Joint) est entouré de caméras de
vidéo surveillance et des actrices Fanny Catel-Chanet et Abigaïl Green qui interprètent des petites
« fées » monstrueuses. Fées marque l’entrée de la vidéo, des nouvelles technologies et des arts
plastiques dans le processus de création de la Compagnie.
Fées a été créé en février 2004 au CDN de Normandie / Comédie de Caen et présenté en mars
2007 au Théâtre de la Cité Internationale.
Enfin, avec Cannibales s’achève la trilogie.
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Les biographies
David Bobee, metteur en scène et scénographe
Né en 1978, il étudie le cinéma puis les arts du spectacle à l’université de Caen. Il y crée en 1999
sa première mise en scène, Je t’a(b)îme. Il composera par la suite diverses performances et
installations plastiques, notamment dans le cadre de festivals techno et électro, avant de créer en
2001 Stabat mater et l’installation En tête.
Il intègre par la suite le Théâtre-école du CDN de Normandie et travaille auprès d’Eric Lacascade
comme assistant metteur en scène puis collaborateur artistique sur sa trilogie Tchekhov (La
mouette, Les trois sœurs et Ivanov), sur Les sonnets, Platonov, Hedda Gabler présenté en 2005 à
l’Odéon, Les Barbares, crée dans la cour d’honneur du Palais des Papes au Festival d’Avignon.
En 2003 et 2004, il co-dirige les sessions du Laboratoire d’imaginaire social au CDN de Normandie
pour lesquels il met en place spectacles, installations et concerts.
Il crée en 2003 Res/Persona, texte de Ronan Chéneau, et en 2004 le spectacle Fées (présenté en
mars 2007 au Théâtre de la Cité Internationale).
Il partage en 2005 la mise en scène du projet collectif Pour Penthésilée avec Arnaud Churin, Héla
Fattoumi, Eric Lacascade, Loïc Touzé.
Il met en scène en 2007 un spectacle de cirque-théâtre contemporain, Cannibales, texte de Ronan
Chéneau, troisième volet d’une trilogie créée à l’Hippodrome, scène nationale de Douai (passage
au Théâtre de la Cité Internationale en mars 2008).
Des spectacles performances Dedans Dehors David et Petit Frère sont créés la même année. Une
pièce de cirque contemporain Warm est en cours de préparation.
Il prépare son prochain spectacle pluridisciplinaire : Nos enfants nous font peur quand on les croise
dans la rue de Ronan Chéneau. Création prévue en février 2009 au CDN de Gennevilliers.
Parallèlement à ses projets personnels, David Bobee travaille en tant que comédien danseur
performeur avec Pascal Rambert. Il participe aux Formes Sans Ornements, au spectacle Paradis
créé au théâtre de la Colline, à After Before créé au festival d’Avignon en 2005, participe à l’Opéra
Pan créé à l’Opéra National de Strasbourg en octobre 2005.
Il joue dans Toute la vie créé au CDN de Gennevilliers et depuis en tournée.
David Bobee est désormais artiste associé à l’Hippodrome, Scène Nationale de Douai, sa
compagnie «Rictus» est aujourd’hui conventionnée par le Ministère de la Culture, DRAC de BasseNormandie.
Ronan Chéneau, auteur
Je suis né sous la pluie, à Brest, en 1974, et puis j’ai obtenu un DEA de philosophie et après
quelques boulots pas toujours reluisants j’ai choisi le théâtre, non comme on choisit un genre
parmi d’autres, mais parce que je pense (comme Handke avant moi) qu’il s’y joue le destin même
de la littérature : par sa liberté aujourd’hui revendiquée au-delà de tous les autres genres, par son
indépendance vis-à-vis des formes, de l’écrit et du livre, par sa proximité toujours avec la parole, le
présent, le virtuel et le vivant. J’écris le plus souvent sur commande et notamment depuis cinq ans
pour le metteur en scène David Bobee et le groupe Rictus.
Cette collaboration me tient à l’écoute des exigences du plateau, loin de toute vision centrale et
sacralisante du texte (Textes Jetés). J’aime habiter mon époque pour peu qu’elle m’autorise à dire
et faire n’importe quoi. Je revendique plutôt une démarche « plasticienne », par le relevé,
l’inventaire de choses et d’idées, de lieux communs parfois (souvent même), grâce aussi au
prélèvement (sampling) des réflexions, gestes, tics, idées reçues, pensée en cours etc. Loin de
vouloir servir telles ou telles thèses politiques ou esthétiques, j’entends montrer par quels
mécanismes elles s’énoncent, si possible sans honte et sans peur des contradictions. Je mets un
point d’honneur à traiter des problèmes contemporains pourvu qu’ils brûlent. Je ne pense ni pour ni
contre les formes d’écriture habituelles au théâtre, je pense sans. J’utilise un matériau langagier
brut, divers, voire trivial, puisé aussi bien dans la publicité, le journalisme grand public, la vulgate
politico-économique… et avec ça toujours proche de l’acteur, jamais a priori, mais toujours pour du
vivant, du présent.
Et puis aussi… phénomène tout récent, je fais aussi moi-même la lecture de mes textes… coaché
par David Bobee et accompagné de Yohann Allex (présence-et-musique), J’ai lu tout dernièrement
pour le festival Actoral (n°6), à l’invitation d’Hubert Colas, un de mes tous derniers textes :
Nos Enfants nous font peur quand on les croise dans la rue, une commande du Centre
Chorégraphique National de Caen/Basse Normandie (Héla Fattoumi et Eric Lamoureux)…
Texte qui sera la base de la nouvelle création de David Bobee et Rictus au CDN de Gennevilliers à
l’invitation de Pascal Rambert…
7 Trident
…J’ai aussi écrit tout dernièrement pour Petit Frère, une création de David Bobee aux Subsistances à
Lyon…
…et j’achève enfin, tout juste maintenant, un solo pour le chorégraphe Xavier Lot (cie Ulal Dto),
intitulé Aïe… Pépito, création Théâtre des trois vallées à Palaiseau et pour le festival
«Concordance» à l’Echangeur de Bagnolet.
Travail en cours :
Un spectacle avec le danseur Bruno Dizien (ex Rock in Lichen), plus un cheval, création prévue en
2009.
Une commande du Théâtre des Bernardines, pour la metteur en scène Nicole Yanni, à Marseille…
La compagnie Rictus créée en 1999 par David Bobee, trouve ses racines dans le théâtre
universitaire, théâtre de recherche et d’expérimentation. Durant cette période sont créés les
spectacles Je t’abîme et Stabat Mater.
En 2000, les membres du groupe intègrent l’école du Centre Dramatique National de Normandie ;
ils se forment, et depuis travaillent aux côtés de metteurs en scène comme Eric Lacascade ou
Pascal Rambert, tout en affirmant une esthétique propre.
De 2002 à 2004, David Bobee co-dirige le Laboratoire d’imaginaire social au CDN de Normandie,
proposant une forme politique et artistique au travers de différentes manifestations (spectacles,
performances, soirées, concerts, installations, interventions...).
L’univers proposé par David Bobee, se nourrit des différentes disciplines de la création
contemporaine, le théâtre, les arts plastiques, la danse, les nouvelles technologies, le cirque...
Dans une collaboration étroite avec le créateur lumières Stéphane Babi Aubert, une recherche est
engagée autour de l’image, la couleur et l’espace.
David Bobee travaille depuis plusieurs années maintenant avec l’auteur Ronan Chéneau avec
lequel il affirme une méthode dramaturgique originale : le texte et la mise en scène s’écrivent
ensemble sur le plateau avec le souci et l’exigence d’un engagement politique et sociétal fort.
De ces collaborations sont nés en 2004 les spectacles Res/Persona et Fées, deux premiers volets
d’une série racontant l’individu contemporain et sa difficulté d’être au monde. Cannibales achève
en 2007 la trilogie consacrée à la génération actuelle des 25/30 ans.
Rictus continue sa recherche esthétique, politique, contemporaine et populaire au travers de
spectacles et de performances : Dedans Dehors David, Petit Frère et Warm.
Le prochain spectacle de Rictus : Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue se
créera en janvier 2009 au CDN de Gennevilliers.
Depuis 2006, David Bobee et la Compagnie Rictus sont artistes associés à l’Hippodrome, Scène
Nationale de Douai.
8 Trident
Les extraits de presse
L’Humanité, le 17 mars 2008, Aude Brédy
Nés dans les années 1970, ils veulent du feu
Avec Cannibales, fort d’un théâtre pluridisciplinaire exigeant, le groupe Rictus ne se résigne pas à
l’apathie, via le fric, des trentenaires. Ni à l’air du temps.
Entre un couple dans un vaste salon qu’embrasse l’obscurité. Corps qui se déshabillent et
s’enlacent… Prélude à l’érotisme ? Soumise à pression, brutalisée, l’atmosphère. Sans se désunir,
l’homme et la femme s’inondent d’essence. Passe un individu, sa danse est nerveuse, commandée
par son Ipod. À l’avant-scène, la comédienne et musicienne Clarisse Texier parle au micro du geste
fou, fort de ce couple, du choix ultime du feu par ces deux-là plutôt soignés par la vie : un travail
- lui dans l’informatique, elle dans l’enseignement -, un loft loué pas cher, une relation,
amoureuse, dont l’un et l’autre n’attendaient rien… Alors quoi ? « Un constat d’impuissance face à
la société marchande. » C’est dit. Clarisse Texier invite à remonter le temps de ce couple. Ce sera
par à-coups.
Sous la loupe d’une caméra, son visage à elle, scruté à vue, dévore le mur. Elle dit leur querelle
d’hier, et qu’elle tient à lui. Peu à peu des corps, l’un torsadé à une corde au-dessus du lit, un
autre funambule, silhouetteront, en surimpression des mots, un indicible prégnant, imbibé du
malaise d’une génération née dans les années soixante-dix éprouvant jusqu’au ressassement ce
vertige d’être vide d’idéal. Et piétinant à cerner son identité, au temps du fric qui dicte sa loi au
plaisir sur un ton décomplexé qu’on n’aurait pas imaginé il y a juste quinze ans… « Qu’est-ce qui
peut bien manquer au bonheur quand on a constaté la fuite de tout ? » interroge le jeune homme.
Ricanante, malsaine, sa copine formule en saccades des choses et des choses encore… Et : « J’dis
n’importe quoi. »
Cannibales, du groupe Rictus, né en Normandie, ne dit pas n’importe quoi. En 2002 et en 2007,
Res persona et Fées avaient marqué, qui sonnaient déjà l’amère alarme. Leur théâtre ne réveillera
pas que les trentenaires. Sa forme est tonique, sulfureuse, fragmentée, physique enfin : à rebours
de cette photographie - juste - d’une génération blasée, hagarde devant mille luttes à mener à
une époque où même le langage déchante ; hier on disait bohème, aujourd’hui précarité.
Cannibales - entendez, on se fait bouffer, on se bouffera - est de Ronan Chéneau, un texte écrit au
plus bouillonnant du plateau. David Bobée signe la mise en scène et le décor. Cannibales se fait
pluridisciplinaire. Jeu, danse, cirque, arts visuels, musique et chant se choquent tout en révélant
une organisation que l’on dirait chimique, tant ces disciplines (malgré de rares séquences s’étirant
un peu) s’enchevêtrent dans une exigeante tension.
Il y a le couple, de plus en plus replié sur lui-même, qui se souvient des cracottes et de Dorothée
quittant Antenne 2 pour TF1, qui a porté le ruban rouge du sida et vu, sidéré, Le Pen au second
tour. Il y a les autres, amis, ramifications, doubles. Ils forment un groupe fredonnant au bord de la
scène sombre, et c’est la nostalgie du collectif qui s’incarne. Qu’ils sautent sur un lit en chantant à
tue-tête, et revient l’excitation aveugle de l’adolescence. Mais aussi, l’autre et le dehors agressent,
glacent : « Ramasse tes miettes », suffoque, excédé, un garçon. Un autre slamera les fêtes
toxiques de Cannes. Sur son canapé, une fille voudrait qu’il se passe quelque chose ; elle a dans
la peau ce gars qui ne lui répond pas, occupé à accomplir des prouesses le long d’un poteau.
Dans Cannibales, tout est dit, nous parle, se ressent et nous malmène. Les corps acrobates
écrivent une complexité et une fermeté qui a fui les actes et les mots à l’heure du «tout se vaut».
D’onirisme non plus, sorte de second souffle pour ses protagonistes, Cannibales n’est pas avare. Il
en faut pour bâtir ce théâtre-là, politique.
Libération, mardi 18 mars 2008, Maïa Bouteillet
«Cannibales», à l’âge consumé
Avec Cannibales s’achève la trilogie entreprise il y a un peu plus de cinq ans par l’auteur Ronan
Chéneau et son comparse, le metteur en scène David Bobée, pour dire le malaise d’une génération,
celle des gens nés comme eux à la fin des années 70. Leur sentiment d’impuissance, leur
incapacité à exister face au chaos du monde laissé par les «pères» dans la foulée de 68.
En cinq ans, le geste artistique s’est affirmé. Le regard de ces artistes longtemps couvés par Eric
Lacascade au sein du CDN de Caen - où Bobée et Chéneau initièrent le Laboratoire d’imaginaire
social - a mûri. Après la jeune femme de Res/Persona et son alter ego masculin dans Fées,
Cannibales s’ouvre sur les retrouvailles d’un couple dans un salon au design un peu toc, tel qu’on
en trouve sur catalogue. Des personnages moins adolescents que leurs prédécesseurs - la figure
de Res/Persona (Clarisse Texier, très bien) réapparaît ici pour une déclaration d’amour à Spiderman
- mais rétifs encore à cet âge adulte qui ne leur réserve pas d’autre avenir que celui, vain et
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anesthésiant, de consommer. D’être des prédateurs - bouffer ou être bouffé -, des cannibales. Tant
et si bien qu’un soir, enlacés, ils s’immolent.
Le spectacle s’ouvre sur cette révolte muette ; la suite déroule la somme des désillusions qui les
ont conduits au geste fatal. Ici, les interprètes s’apparentent moins à des personnages qu’à des
sortes de porteparole, des témoins dont les visages captés par des caméras vidéo envahissent
l’espace froid et impersonnel d’une intimité volée. On retrouve l’écriture à fragmentation de Ronan
Chéneau qui combine le trivial et le poétique, se jouant des clichés du langage pour mieux dire la
déroute d’une vie sans idéaux.
Mais cette fois, les corps prennent le pas sur les mots pour dessiner avec force une dramaturgie
du plateau, lente et silencieuse, qui passe par la présence fascinante d’acrobates de cirque :
doubles, ombres, ou anges gardiens des deux protagonistes. C’est le plus réussi, dans un
spectacle qui abuse par moments de musique et d’effets vidéo.
Leur vigueur juvénile, la douceur aérienne des gestes et l’énergie si parfaitement synchrone, tout
cela procure une grande douceur en contrepoint du texte et du jeu des acteurs, et traduit d’autant
mieux la violence du propos.
Le Figaro, le jeudi 13 mars 2008, Armelle Héliot
Nouvelles manières
Cannibales de Ronan Chéneau
De plus en plus de jeunes artistes attirés par la scène mélangent franchement les genres.
L’irruption, sur les plateaux des théâtres, de nouvelles techniques (vidéo) et d’arts voisins (danse,
musique, chanson) ne sont pas nouveaux. Ce qui tranche, ici, avec la compagnie réunie autour de
David Bobée, qui signe scénographie et mise en scène, c’est la présence d’acrobates qui, au mât
chinois notamment, sont intégrés à l’action elle-même. Ici, les prouesses athlétiques sont du jeu
de comédie et les dialogues sont tenus dans les positions les plus extravagantes –et belles
d’ailleurs ! Pour ces jeunes gens, c’est une façon d’intégrer autrement le corps de l’acteur. On peut
regretter que le texte de Ronan Chéneau demeure assez « lâche » comme on le dit d’un tissu. Il y
a trop de redites, trop de coquetteries dans les postures, les déplacements. Il y a quelque chose
d’atone, un abandon qui ne traduit pas le malaise dont il est question sous ces jeux de l’amour et
du hasard des rencontres. La première scène, épouvantable tentation du feu, reprise en conclusion,
n’a aucune assise. Il y a quelque chose de trop gratuit dans les faits, les gestes, les paroles.
Demeure, et c’est ce qui compte, une jeune équipe riche de fortes personnalités, et un homme de
théâtre qui a une vision très personnelle du plateau, David Bobée. A suivre ! Et, précisons-le, les
jeunes aiment sans réserve !
Télérama, mars-avril 2008
Cannibales
D’abord, il y a le suicide d’un jeune couple. Une immolation par le feu, violente et sobre à la sois,
dans le cadre presque clinique d’un loft design prêt-à-poser. Puis le flash-back, sur « l’avant » du
couple (et quelques autres), trentenaires pas si mal lotis, qui s’interrogent : « qu’est-ce qui peut
bien manquer au bonheur ? » Ils cherchent et cherchent encore, mi-rigolards, mi-désorientés.
Chorégraphies de la révolte intérieure et lentes acrobaties du déséquilibre, jeux de web-cams,
clairs-obscurs et voix qui scandent les quêtes de sens qu’on ne sait plus par où saisir…
Aux personnages imaginés par Ronand Chéneau et mis en scène par David Bobée (compagnie
Rictus), les uns s’identifient, d’autres pas. Peut-être parce qu’à travers eux résonne le trouble d’une
génération confrontée à toutes les schizophrénies contemporaines.
Observateur du Douaisis, Stéphanie Rifflart
Un loft design et impersonnel aux allures d’appartement témoin, type Ikéa ou Habitat. Des murs
blancs, des lumières froides. Et deux silhouettes qui s’approchent. Rentre un couple. Il s’embrasse,
s’enlace, se déshabille, s’enlace, s’arrose d’essence et s’immole. Une entrée en matière qui fait
froid dans le dos comme le nom de l’œuvre théâtrale « Cannibales ».
En effet, l’idée qu’un homme puisse manger d’autres hommes a toujours effrayé. Et pourtant le
cannibalisme est pratiqué depuis les origines de l’humanité. Tout au long des siècles, on a vu se
profiler un cannibalisme de survie lié à une pénurie de nourriture, un cannibalisme guerrier pour
s’attribuer les vertus de l’adversaire, un cannibalisme sacré pour invoquer les dieux ou évoquer les
ancêtres, un cannibalisme de vengeance pour humilier son ennemi en le réduisant à l’état de
viande de boucherie, un cannibalisme érotique ou encore pathologique… A l’heure du capitalisme
galopant et de la mondialisation effrénée, le cannibalisme constitue pour Ronan Chéneau, l’auteur
et David Bobée, le metteur en scène la plus pertinente des métaphores pour dire la violence d’une
société vorace. Une société qui dévore l’individu.
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Leur spectacle revient sur les raisons qui ont poussé ces deux jeunes gens à s’immoler, racontant
l’histoire d’un « amour-manque » où chacun essaie de se remplir de l’autre.
Une génération auscultée
C’est l’individu dans son rapport au monde qui est passé au crible. Il est question d’ennui, de
difficulté à trouver sa place, d’impuissance face au monde, de compromission inévitable dans la
société de consommation. Des thèmes abordés avec dureté mais aussi avec humour. Les postures
physiques du quotidien, les actions qui pourraient paraître insignifiantes, loin d’être anodines,
traduisent une réalité sociale. C’est la faim d’une génération qui est dépeinte et analysée, celle
des trentenaires, plus dans une recherche de l’avoir que dans une quête de soi.
Une belle création qui associe acrobates et comédiens. Une pièce de théâtre contemporaine qui
croise les différentes disciplines artistiques. Se mêlent au texte de la vidéo, du cirque, des arts
visuels et de nouvelles technologies donnant à l’œuvre toute sa force et son originalité. Le
troisième volet d’une trilogie imaginée par de jeunes créateurs défendant un théâtre engagé […]
Un époustouflant triptyque pour donner la parole à une génération en construction : celle des 2530 ans.
Le Nouvel Observateur, du 20 au 26 mars 2008, O. Qt
Le talent de Bobée
Du côté d’un certain jeune théâtre formellement métis, « Cannibales » de David Bobée (né en
1978) est exemplaire. Comment, en haut d’une perche de cirque, composer un doux duo d’amour
désespéré, au milieu de danseurs, acrobates, musiciens et vidéos, d’une beauté quasi
wilsonienne ? Chaque pas, chaque saut est parfaitement intégré au propos, qui n’est pas vraiment
nouveau, mais qu’importe. En dépit d’un texte faible (Ronan Chéneau), il faudra garder l’œil sur
Bobée et ses sept jeunes interprètes, même on a déjà croisé ailleurs – Chez Noren, Mayenburg ou
Ostermeier notamment – ce jeune couple moderne, perdu dans son loft chic, désemparé par le
vide d’une société sans âme…
Mouvement, avril-juin 2008, Mari-Mai Corbel
David Bobée, Au pays du ciel vide…
Derrière son titre plein de barbarie, aucun réalisme gore : Cannibales, la création de David Bobée
sur un texte de Ronan Chéneau, n’est pas une pièce sur un fantasme d’anthropophagie. Elle campe
même un monde agréable et sensuel, sans histoires. Celui d’un jeune couple qui s’aime et qui
progressivement s’intègre, se loge, trouve du travail… mais qui est comme aspiré par une spirale de
normalité. Pour les deux protagonistes, l’amour est devenu comme un œil cyclonique ou une
substance léthargique ingérée pour oublier un capitalisme rivé au quotidien. Ils voudraient retrouver
l’énergie cosmique qui le traverse. « Lui – Et pourquoi pas mon amour… / Faisons un geste, un
geste fort / Un geste fun et sexy, comme la poésie… » Un geste sans retour, gratuit comme la
mort. Un acte de flambe, hautement dandy, une immolation en chambre. Car leur cadre de vie
est aussi leur cible. Ce cadre trop privatif, en l’espèce un loft meublé comme un boudoir amoureux,
cette seconde peau à l’image d’un décor de pub, est à lui tout seul une politique d’enfermement.
L’immolation évoque un sacrifice purificateur. Celles qui ont eu lieu en Europe et aux Etats-Unis
dans les années 1970, en public, avaient un sens politique : objecter une intégrité spirituelle aux
matérialismes communistes ou capitalistes ; le « bien-être pour tous » était un slogan racoleur,
une carotte après laquelle viendraient les coups de bâton. L’immolation protestait et, en même
temps, administrait la preuve de l’incorruptibilité au nom de laquelle elle se manifestait. Si cette
folie, cette rage des purs ont été associées par le sens commun à des troubles psychiatriques, son
ombre subsiste dans cette idée courante que vivre, c’est aussi faire sa place à un excès, à une
dépense sans compter... Soyons fous : c’est ce que dit à sa manière la figure de jeune femme
dans Res/Persona, premier opus de la trilogie générationnelle dont Cannibales est la conclusion :
« Faire dépendre la vie des fluctuations du marché est une bonne façon de la réduire. » Mais
l’immolation, dans Cannibales, ne proteste pas contre une désacralisation, tout vaudrait du pareil
au même, mais contre une invasion du sacré qui dérobe le sens profond du sacré. Le sacré serait
géré par la société en direct, concentré en une valeur unique, la Vie. Or cet amour du vivant s’avère
désastreux. L’espèce prolifère de façon gloutonne aux mépris des équilibres planétaires. La Vie
ronge les vies et dépossède chacun de lui-même, de sa culture et de sa sensibilité, pour l’enrôler
au service de cette idéologie qui lui prescrit l’image de la Vie qu’il doit honorer, à travers les cultes
du Travail, de la Santé, de la Famille et de l’Economie. C’est ce que dit Dedans Dehors David, la
création de David Bobée à partir d’un texte de Dennis Cooper – un jeune fan est vampé par l’image
idéale dans laquelle il veut se fondre. Dans les pièces de la trilogie, l’exposition des produits de
beauté ou d’entretien illustre les mille canaux par où ce sacré néologisé innerve le corps social.
Vampirisés, les individus souffrent d’une hémorragie des couleurs de la vie. « Lui – l’autre jour dans
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le bus, je l’ai vu, c’est horrible / C’est effrayant, tout le monde était gris. » Dans Cannibales, ça
brûle, mais il y n’y a pas de rougeoiement ; l’incendie n’atteint pas plus le décor qu’une flamme
un fantôme. « Lui – Qu’est-ce qui peut manquer au bonheur, une fois qu’on a constaté la fuite de
tout ? » L’évidement de la vie par la Vie crée un monde virtuel, fantasmatique. Gazeux. Dans
Cannibales, les acrobates, Claire Cordelette-Lourdelle et Nicolas Lourdelle, représentent un
vacillement des lois de la pesanteur. Le temps ne marque plus, il coule comme l’essence sur les
corps de manière superficielle, il ne lègue plus de madeleine de Proust. « Elle – Petite, je me
voyais exactement comme je suis / J’étais Exactement la Même / Ce que j’ai fait tout ce temps
putain… » Le loft est dans les tons blancs, pour une vie à blanc. Les seules couleurs sont pour
l’apparition de Spiderman, le héros vénéré de l’enfance, comme si la seule vie possible ne pouvait
qu’avoir lieu dans les royaumes de l’imaginaire, et encore est-elle bien peu personnelle !...
Cannibales est un drame de la décoloration.
Pourquoi Cannibales ? Le titre ouvre au-dessus de la pièce un horizon à gueule de grand méchant
loup. C’est le nôtre, plein des catastrophes que les experts ès prévisions du monde entier nous
prédisent. Autant céder au découragement et s’en remettre aux pouvoirs ?... Clarisse – […] Mais
qu’ils s’en aillent maintenant, hop, allez / qu’ils cèdent la place Tous Ces pessimistes Gerbants
ces Maîtres Apocalyptiques, qu’ils nous laissent tranquille, nous laissent faire. » Tout l’engagement
théâtral de David Bobée part du 21 avril 2002, d’une désespérance politique. Il analyse comment
les pouvoirs cherchent à culpabiliser les individus, à nous faire douter de nos compétences à
prendre la parole et à participer au monde. Lorsqu’il conçoit Res/Persona, David Bobée demande à
Ronan Cheneau de lui écrire des textes pour les interprètes caennais de sa compagnie Rictus.
Ronan Chéneau se fait le traducteur des pensées invisibles, trop petites ou impersonnelles, entre
l’opinion vague et le mouvement d’humeur, qui bruissent de cette Vie dévoreuse de vies. Il
assemble ces mots banals qui font mouche, ces réflexions justes mais qui paraissent minuscules
devant les mutations du monde, qui trahissent le ras-le-bol, le désarroi, mais qui parlent aussi
d’une existence envahie par le monde et ses « actualités ». Il travaille sur l’insignifiance et le
singulier, dans des textes qu’il dit « jetables » parce que jetés sur le plateau dans les répétitions –
libres aux interprètes de les dire s’ils s’y reconnaissent. Après Res/Persona, Fées, en 2004, naît de
la même énergie, de la même pensée globale de la scène. La compagnie Rictus, ce sont d’abord
des personnes qui refusent de se laisser écraser tout en tenant à une délicatesse. Dans Cannibales
Séverine Ragaigne vient de la danse, Alexandre Leclerc du cirque, Yohan Allex, du slam et du rock,
mais tous se font acteurs aux côtés d’Eric Fouchet. L’immolation n’est qu’un mouvement
d’ouverture à l’événement d’une parole, qui est aussi un peu la leur. C’est pourquoi les identités
réelles des interprètes s’hybrident à celles de leurs figures, dans leurs prénoms gardés en scène.
La musicalité que créent Frédéric Deslias et Jean-Noël Françoise, à partir de morceaux de rock
rebelle et de folk, accompagne ce théâtre qui n’est ni du langage, ni du verbe, mais de la parole
même, qui naît avec ce qui se dit contre la sacralité sociale.
Cannibales. Une vidéo projette la fuite de la nuit filmée de l’avant d’une voiture, elle montre le ciel
tel qu’il est, vide de dieux bien sûr, mais vertigineusement noir comme le temps qui fuit. David
Bobée fait du théâtre un art de l’éclairement du visible contre la peur qui mange tout cru, un
travail de coloration. Les lumières sont centrales dans ses dramaturgies. Res/Persona était bleu ;
Fées, vert. Stéphane Babi-Aubert travaille ses atmosphères comme des bains colorés, harmoniques
et surréels. La théâtralité y reste une fiction, une création d’images, et le signe d’un courage
d’artistes contre l’obscurcissement et la pétrification. Regarder leurs scènes c’est partager ce
courage et entrer dans un mouvement. La dernière scène de Cannibales est celle d’une
réorganisation de l’espace et des objets, une forme de réappropriation du sens des choses, par les
interprètes qui les déplacent et replacent autrement.
Rue 89, le 11 mars 2008, Jean-Pierre Thibaudat
« Cannibales » ou les dernières nouvelles de l’amour fou
Après « Res/persona » et le fulgurant « Fées », Ronan Chéneau (texte), David Bobée (scénographie
et mise en scène) et la compagnie Rictus (jeu) achèvent une passionnante trilogie avec
« Cannibales », un spectacle à dévorer au théâtre de la Cité internationale, à Paris.
Il y a eu le salon où une femme changeait de millénaire en passant de l’adolescence à l’âge
adulte (« Res/persona »), puis la salle de bains aquatique, où un homme seul et nu extirpait les
nœuds de son corps sous le regard de deux étrangers jeunes fées hantant le logis (« Fées »).
Après ces solitudes en perdition, tordues dans leur mal de vivre, voici la chambre à coucher, le loft
où la femme et l’homme, désormais âgés de 30 ans, se lovent l’un à l’autre dans les
circonvolutions d’un lit et du couple qu’ils y forment et, bonus, autour comme en écho, d’autres
corps, d’autres mots ouvrent d’autres possibles.
Des personnages qui manquent de repères, de croyances, d’utopie.
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Un des sept personnages (le chiffre des contes) cite une blague que raconte Jean-Pierre Léaud
dans « La Maman et la putain » de Jean Eustache, et dit être né en 1974, l’année d’après la sortie
du film. Eustache se suicidera en novembre 1981. Avant, en 1979, Georges Lavaudant, au mitan de
ses belles années grenobloises, avait signé un spectacle fait de bribes de textes sous le titre
« Les cannibales ».
On y naviguait entre Berlin et New York, entre Sid Vicious et Cioran, entre un fils et un père.
Aujourd’hui, le titre revient comme un refrain, mais les pères manquent à l’appel. Les personnages
des Cannibales de Chéneau-Bobée sont comme orphelins.
Ils manquent de repères, de croyances, d’idéal, d’utopie, ils se raccrochent à l’amour, à l’autre
comme à une bouée. Ils n’ont plus vingt ans, flirtent avec la trentaine, ils ont déjà passé l’âge des
héros de « la Maman et la putain », ils n’ont pas vu le temps filer, ils se sentent vieux parfois.
« Cannibales » commence par une fin : celle d’un couple. Un homme et une femme, qui dans le
confortable loft qu’ils louent à un prix d’ami, meublé Ikéa par leurs soins, s’aspergent d’essence et
enlacés, allument un briquet. Le spectacle revient sur leur vie et celles de leurs amis (ou doubles)
à la façon d’un miroir brisé dont on interroge les éclats.
Ils font l’inventaire fragmentaire de leurs mémoires à coups de Post-it. Ils vivent dans un monde
en miettes, (« ramasse tes miettes », hurle un personnage. Ils ont été romantiques, ils ne le sont
plus, la « bohème » porte maintenant le nom plus ingrat de « précarité ». Ils ont « un peu » aidé
des sans-papiers, des SDF, porté le ruban du sida, ils ont écouté Nirvana, Massive Attack, fait des
études supérieures.
Elle devient professeur, il entre dans une entreprise en informatique, ils se rencontrent dans une
soirée, font l’amour, se revoient, « parce qu’ils n’attendent pas grand-chose au début cela se passe
bien ». Non loin, toute seule sur son canapé, il y a Clarisse qui dit « Je voudrais qu’il se passe enfin
quelque chose, n’importe quoi », elle rêve de guerre, de révolution, de désastre, elle aime « à
fond » un type qui ne la regarde pas.
Une poétique du sensible qui entrelace la danse et l’acrobatie
Ils se disent qu’ils ne changeront pas le monde assis sur un canapé de chez Habitat, « nous ne
viendrons pas à bout du capitalisme intégré, chérie » dit-il. Ils lisent « Télérama » et les
« Inrockuptibles » (par ailleurs, partenaires du spectacle), ils sont désespérants, désespérés
énervés et énervants ils rêvent d’un « geste fort ». Un geste théâtral. Un suicide à deux.
La vraie vie des « Cannibales » est ailleurs. Dans le dispositif que le spectacle met en place et en
branle. Cette façon de mener de front et d’entremêler l’écriture du texte, de l’espace, de la
lumière, du son, du jeu. Une poétique du sensible qui entrelace la danse et l’acrobatie, la vidéo et
l’intimité, le corps des mots et les mots du corps, le théâtre de l’ombre et les lumières de la ville,
la musique des voix et les mélodes « up to date ». Les couples ont du mal à durer, les ressources
du théâtre sont intarissables.
Intense cette danse d’amour entre un type qui marche sur un fil et une fille qui, sous lui, flirte
avec ses pieds. Tout aussi intense cette déclaration d’amour de la fille à l’acrobate qui s’entortille
sur un mat et, lui, parle avec ses muscles, sa prise de risque. Intense toujours, cette caméra sous
la couette. Intense enfin le roulis entraînant de la musique sur ces corps affolés du final. Ce
théâtre des croisements de « Cannibales », dit « à fond » la chronique de ces identités trouées. Un
geste fort. Une geste d’aujourd’hui.
Fluctuat.net, le 7 mars 2008
Cannibales (Ronan Chéneau, David Bobée) : pas Idéal, Ikéal…
Le metteur en scène David Bobée et son acolyte le dramaturge Ronan Chéneau présentent la
dernière partie de leur triptyque Cannibales qui succède à Res/Persona et Fées.
Il y eut un temps où les romantiques soufraient de ne pas comprendre le mouvement du monde. Il
semble que la compagnie Rictus s’attache à montrer un monde que l’on ne comprend que trop
bien. Transparent, lisible, fluide – flexible, banquable, fashionable. Et qui fait d’autant plus mal.
Comme cette chaise translucide au milieu de la scène qui ne bougera pas ; comme ces bouteilles
en plastique vertes ou bleues de shampooings, eau minérale, liquides ménagers névrotiquement
alignées sur des étagères. Il ne dérange pas ce monde, il est discret, mais il angoisse.
Il s’agit alors de partir à la quête d’une émotion. Trouver un interstice dans cet univers aseptisé
pour éprouver quelque chose. Cannibales, c’est l’histoire de deux amoureux qui décident de
s’immoler par le feu afin d’atteindre à une sensation. L’histoire d’un couple qui découvre que leur
appart est plus ikéal qu’idéal… :
« Non mon amour,
Non nous ne changerons pas le monde,
Ensemble,
Mon amour,
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Sur le canapé deux places de chez Habitat ».
Ironie douce amère, cynisme pas totalement désespéré, auto-dérision, confidences rigolottes,
vraies colères contenues et beaucoup de paroles d’amour s’expriment sur la scène et créent un
tout fragmenté, rythmé et cohérent. Bobée explore des formes hybrides, à la lisière de la
performance. Il entrechoque des esthétiques : des écrans et des sons, des voix et des caméras, de
la danse et des lumières, du cirque et des mots. Parfois la friction fait événement et s’ouvre sur un
chemin de significations sensibles, parfois moins – on regrette les instants où le discours, sur le
ton de l’auto-fiction se perd dans des lieux communs politiques, il rejoint alors cette culture de la
transparence et de la simplification.
On apprécie à l’inverse les moments (nombreux) où la poésie s’extrait de ces assemblages.
Lorsqu’on voit sur l’écran les rues d’une mégalopole américaine qui défilent à toute allure, et qu’on
entend un texte (proche de la poésie sonore) sur les soirées glamour de Cannes qui dérivent sur
les backrooms obscènes de Cannes.
L’investissement physique du comédien rivalise avec la dose d’énervement que contient le discours
et la furie de la vidéo et crée un cocktail détonnant.
Même émotion lorsqu’on voit partir du corps d’un comédien une obsession pour la propreté
« ramasse ces miettes » qui devient une danse violentée et des mouvements abruptes.
Ou ce personnage de Spiderman, remarquable incarnation des fantasmes d’un des personnages
(qui nous renvoient au nôtre) : beauté, dextérité, infaillibilité de l’être aimé et figures clichées (rire
dans la salle) comprises.
La compagnie offre un regard réflexif fait d’autodérision et de pathétisme sur les fantasmes, les
craintes et les espoirs d’une génération. Elle ne fait qu’effleurer le tragique si elle prétendait le
saisir. Le metteur en scène aborde dan sa note d’intention le thème de la névrose, de la phobie et
autres maladies narcissiques, mais il ne semble pas que le spectacle y réponde.
Cela dit la tonalité légère et douce de Cannibales fait du bien au moral et à nos ikdéaux.
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Le Trident, Scène nationale de Cherbourg-Octeville
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50108 Cherbourg-Octeville cedex
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