PNR et No-flight-list des Etats-Unis: au nom de

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PNR et No-flight-list des Etats-Unis: au nom de
PNR et No-flight-list des
Etats-Unis: au nom de la
lutte
anti-terroriste,
l’arbitraire s’étend à tout
l’Atlantique Nord
Par Paul-Emile Dupret *
Le samedi 19 mars dernier, comme conseiller politique du
groupe GUE/NGL, j’aurais dû accompagner Lola Sanchez, députée
européenne pour PODEMOS, au sein la délégation officielle du
Parlement européen (Commission INTA) au Canada pour y traiter
des négociations de l’accord commercial CETA, cet accord
dévastateur, le grand frère du TTIP.
Le début du voyage, en TGV de Bruxelles à Paris, s’est déroulé
normalement, mais à l’aéroport Charles de Gaulle, après avoir
imprimé le bordereau de mon bagage à la borne d’Air France, je
ne suis pas parvenu à imprimer ma carte d’embarquement pour le
vol AF 344 Paris-Montréal. Les préposés d’Air France m’ont
alors demandé de me soumettre à un interrogatoire d’un agent
de sécurité américain qui rôde dans l’aéroport. Je m’y suis
opposé, puisque j’allais au Canada, sans survoler les EtatsUnis, comme me l’avait assuré par écrit l’agence de voyage du
Parlement européen. Une employée d’Air France a alors affirmé
que l’avion allait survoler les Etats-Unis, ce qui s’est avéré
faux comme le prouve le parcours de l’avion:
d
d
Finalement après une heure d’attente, puisque le policier
n’apparaissait pas, ils l’ont contacté par téléphone, et m’ont
signifié qu’ils ne pouvaient pas émettre ma carte
d’embarquement, en application de l’accord PNR (Passenger Name
Record) parce que j’apparaissais sur la No-Fly-List des EtatsUnis.
Mes ennuis avec les autorités américaines ont commencés en
Juillet 2004, cinq mois après avoir coordonné à Bruxelles et
en séance plénière du Parlement européen à Strasbourg, des
actions d’opposition à la présence d’Alvaro Uribe, alors
président de Colombie. Aujourd’hui, il est plus que démontré
que nous avions raison, puisque plus personne ne conteste que
le président Uribe, -alors grand allié des Etats-Unis mais en
disgrâce aujourd’hui-, s’est largement appuyé sur les
escadrons de la mort pour être élu, puis pour chasser de leurs
terres les paysans et indiens colombiens au profit de grands
propriétaires et de multinationales.
Selon les chiffres officiels, il y a en Colombie, grand allié
de l’Union européenne dans la région, plus de 6 millions de
personnes chassées de leurs terres, 69.000 personnes victimes
de disparitions forcées et plus de 200.000 assassinats. Même
si l’impunité est la règle, nombre des ministres et des
députés du parti de l’ancien président Uribe ont été
poursuivis et emprisonnés pour avoir utilisé les services de
ces groupes assassins. Son frère, Santiago Uribe, a finalement
été capturé et emprisonné fin février 2016 parce qu’il faisait
partie d’un groupe de propriétaires terriens appelé « Les
douze apôtres » qui commanditaient les assassinats et les
massacres de syndicalistes ou de paysans qui tentaient de
défendre leurs droits. Sept personnes qui ont témoigné contre
lui ont été assassinées.
A son retour de sa tournée politique ratée en Europe, le
président Uribe a ordonné à la police politique DAS, -dont on
sait aujourd’hui qu’elle hébergeait des policiers américains,
de lancer l’opération Europa- qui selon les documents saisis
depuis lors, visait (ou vise encore…) à discréditer les
défenseurs et les organisations de défense des Droits Humains,
y compris la sous-commission des Droits de l’Homme du
Parlement européen et le Conseil des Droits de l’Homme des
Nations-Unies. Cette opération a reçu un commencement
d’exécution dans diverses capitales européennes, et notamment
à Bruxelles, contre des organisations et des défenseurs des
Droits Humains. La presse a révélé il y a quelques mois que le
juge d’instruction belge Olivier Leroux, saisi à ce sujet en
Octobre 2010 par les victimes et la Ligue Belge des Droits de
l’Homme, a établi que deux personnes, Madame Lucia Patricia
Betancourt, compagne d’un fonctionnaire espagnol de la
Commission européenne, et Monsieur Victor Hugo Torres,
fonctionnaire belge, étaient payées par le DAS pour exécuter
ces basses besognes à Bruxelles.
En juillet 2004 donc, accompagnant une délégation du groupe
GUE/NGL à Caracas et à Managua, j’étais arrêté lors d’un
transit à Miami, interrogé et placé dans un avion pour
l’Europe, menottes aux poings, 24 heures plus tard. Au cours
de l’interrogatoire auquel j’ai été soumis, les questions ont
porté le nombre de mes déplacements en Amérique latine, en
Afrique, en Asie, dont les traces apparaissaient sur mon
passeport (la plupart des délégations officielles), les
contacts personnels que j’aurais eu ou non avec Hugo Chavez ou
Fidel Castro et sur des articles que j’avais écrit, sur
l’alignement des politiques européennes sur celles des EtatsUnis. Pas un mot sur d’éventuelles relations avec des groupes
armés ou terroristes. En 2007, le consulat américain à
Bruxelles a refusé de me donner un visa 2007 malgré une
demande verbale (illustration 2) du Parlement européen pour
motif d’ « activités terroristes » (illustration ). Répondant
à mes questions, la consul m’a précisé que l’administration
américaine ne dit pas pourquoi un nom est inclu sur la No-FlyList, qu’aucun recours judiciaire n’est ouvert aux nonaméricains, et qu’il n’y a aucune limite de temps. Peu importe
si, comme c’est mon cas, on ne fait l’objet d’aucune
condamnation, de poursuite, ou même d’accusation dans quelque
pays que ce soit.
En 2009, l’Union européenne a approuvé l’accord PNR (Passenger
Name Record) proposé par les Etats-Unis. Celui-ci a été violé
quelques mois plus tard par ce pays qui a adopté un programme
extraterritorial appelé « Secure Flight Programme » qui impose
aux compagnies aériennes de signaler le nom des passagers même
pour les vols qui n’ont pas pour destination les Etats-Unis,
mais ne font que survoler ce pays ou son espace maritime.
C’est ainsi que le 19 Août 2009 l’avion dans lequel je m’étais
embarqué de Paris à Mexico était dévié durant 3 heures, suite
à ma présence à bord, parce qu’il n’était pas autorisé à
survoler l’espace maritime américain au large de la Floride.
Les Etats-Unis savent parfaitement que je n’ai en rien un
profil terroriste. J’ai assisté à des débats en huis-clos à 7
ou 8 personnes avec l’ambassadeur des Etats-Unis auprès de
l’Union européenne. En 2013, j’ai été invité par deux fois à
déjeuner à l’Ambassade des Etats-Unis avec mes collègues
conseillers politique d’autres tendances politiques , -sans
obligation de passer le portail de sécurité-, pour un déjeuner
cordial pour discuter du lancement du TTIP, et alors même que
j’avais informé que j’étais sur leur No-Fly-List. En même
temps ils n’ont pas donné suite à ma demande de visa pour
accompagner la délégation du Parlement européen à Washington
sur le même thème.
Face au silence européen, les Etats-Unis ont franchi une
nouvelle étape. Ils imposent maintenant aux compagnies
aériennes d’envoyer les noms des passagers de vols qui vont au
Mexique, au Canada, ou à Cuba, sans même survoler les eaux
territoriales des Etats-Unis. Il semble que seule Cubana de
Aviación résiste à cette imposition.
Face à cela, la Commission européenne, -et son tsar
antiterroriste, le belge Gilles de Kerchove-, pourtant
interpellés de façon répétée par les parlementaires européens,
n’ont même pas exigé dans les négociations continues qu’ils
mènent avec l’administration américaine, qu’au moins un
recours judiciaire soit ouvert aux victimes de ces inclusions
arbitraires sur la No-Fly-List, comme pour les citoyens
américains, ou que le programme PNR (Passenger Name Record) ne
soit pas violé par l’adoption de programmes unilatéraux et
extraterritoriaux.
Voici donc le bel espace de libre-échange, d’arbitraire et de
soumission, que l’on nous prépare avec les accords de libreéchange TTIP et CETA, sous prétexte que l’Union européenne,
les États-Unis et le Canada « partagent les même valeurs ».
Le Forum Social Mondial va se tenir du 9 au 14 Août 2016 à
Montréal. Si je ne pourrai m’y rendre, qu’en sera-t-il du
militant indien qui s’oppose aux cultures transgéniques de la
Monsanto en Inde, ou du syndicaliste colombien qui s’oppose
aux abus de l’entreprise Coca-Cola en Colombie…
Suite à ce laisser-faire, quelle est la prochaine étape ?
Après le Canada, les meilleurs alliés des Etats-Unis (Turquie,
Israël, l’Arabie Saoudite, l’Ukraine, la Colombie, l’Union
européenne, ) vont-ils endosser les uns après les autres, à
l’aveugle, la No-Fly-List des Etats-Unis sans savoir pourquoi
ces 50.000 noms y figurent, et malgré l’absence de recours ?
Ce jeudi 14 Avril le Parlement européen a adopté le PNR
européen, la réplique du programme américain. Le groupe
GUE/NGL s’y est opposé, parce qu’il s’agit d’une mesure
disproportionnée et inefficace pour lutter contre le
terrorisme. Sous la houlette des Etats-Unis, -pays érigé de
manière absurde en leader de la lutte antiterroriste par nos
dirigeants politiques alors que ce pays a appuyé des groupes
comme Al Quaeda et l’Etat Islamique, et qu’il continue
d’appuyer l’Arabie saoudite et la Turquie, Israël, le
gouvernement ukrainien-, on nous enfonce dans une forêt de
mesures sécuritaires et liberticides adoptées sous prétexte de
lutter contre le terrorisme. Ces mesures servent avant tout à
tenter de paralyser et de museler les personnes et les
organisations qui défendent les libertés, les droits sociaux,
l’environnement, et à éviter l’adoption de décisions
politiques internes et internationales qui pourraient vraiment
nous éloigner du danger terroriste de façon durable.
* Juriste, conseiller politique du groupe parlementaire
GUE/NGL (Gauche Unie Européenne/Nordic Green Left) pour les
questions de commerce international. Militant des droits de
l’Homme et altermondialiste engagé.