Monsieur pêche de vigne

Transcription

Monsieur pêche de vigne
Monsieur
pêche de vigne
Dans son petit village
perdu de l’Hérault,
Pierre Martin,
arboriculteur à la
retraite, a voué sa vie
à la réhabilitation des
pêches de vigne.
À
Saint-Etienne-d’Estrechoux, au début du printemps,
on est accueilli par le rose tendre des pêchers en fleur
du verger de Pierre Martin. Plus de 120 variétés de
pêches de vigne, collectées et sélectionnées par le maître des
lieux depuis près de cinquante ans, et avec lesquelles il passe le
plus clair de son temps.
De la noix aux pêches
Monsieur Martin père, pépiniériste de son état, était spécialisé dans la production de noyers. « On expédiait deux camions
de plants par semaine pendant la saison » se rappelle Monsieur
Martin fils. Pourtant, l’activité devenant moins rentable, ce
dernier se tourne vers l’arboriculture. Pommes, poires, cerises,
noix, abricots, châtaignes…, sa production est d’emblée très
variée, avec toutefois une tendresse particulière pour les pêches.
Selon lui, le meilleur de tous les fruits. Quand il en parle, ses
verger
première pêche de vigne, je l’ai rapportée du
pays de Loire. Elle m’a été donnée à Saumur, par
une dame qui s’appelait Marie-Louise. »
Un verger unique en son genre
yeux se mettent à briller. Au début, il plante des
variétés classiques. Mais très vite, Pierre Martin
se met en tête d’aller voir du côté des délaissés,
ces pêchers de vigne qu’on dit médiocres et dont
personne ne fait cas. Les machines à vendanger
arrivant dans les vignobles, ces fruitiers sont massivement arrachés pour les besoins de la mécanisation. Par bonheur, bon nombre d’entre eux
sont encore indemnes, dans des coins non mécanisés. D’autres sont préservés par les viticulteurs
eux-mêmes, qui les greffent pour eux, près de la
maison. Alors Pierre Martin prélève des greffons
et les introduit dans sa pépinière. Il visite toutes
les régions viticoles, du Sud-Est à la Vendée en
passant par le Bordelais, et possède aujourd’hui
des pêchers venant de la France entière : « Ma
Une fois greffés et prêts à être transplantés,
les pêchers rescapés doivent montrer ce qu’ils
ont dans le ventre. Il sont donc installés pour
quelques années dans un verger de comportement, où leurs caractéristiques sont observées.
Il ne s’agit pas d’une collecte aveugle de tout
ce qui poussait dans les vignes d’autrefois,
mais d’une recherche de pêches traditionnelles
capables de prendre le relais des modernes.
Selon notre “arboriculteur-sélectionneur”, un
fruit doit non seulement être bon, mais également beau, coloré et appétissant. Avec le recul
de sa vaste expérience, il peut affirmer, preuves
à l’appui, que la population des pêches de vigne
compte quantité de fruits capables de rivaliser
avec les pêches actuelles. Au fil des années, pas
moins de 120 pêchers de vigne ont réussi les tests
de viabilité.
Les arbres méritants sont ensuite mis en situation réelle. Le verger se peuple progressivement
de pêchers de vigne des quatre coins de la France,
avec une diversité jamais vue en arboriculture
conventionnelle. « Quelquefois, regrette Pierre
Martin, je suis allé un peu trop vite et des défauts
cachés se sont révélés à la production. Alors j’ai
surgreffé (regreffer un arbre déjà greffé pour en
changer la variété, NDLR) les arbres. » Toujours
ce souci de la qualité. Le verger est organisé en
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Définition : pêche de vigne ?
blocs de maturité groupée, chaque rangée comportant deux variétés, qui mûrissent en même
temps. Dans le bloc suivant, les fruits mûrissent
dix jours plus tard. On a ainsi des pêches de la
mi-juin à la fin septembre. « Certaines années
exceptionnelles, j’ai même pu récolter des fruits
jusqu’au mois de novembre. »
« On en laisse toujours trop »
Planté en sol frais et riche en humus, le verger
ne reçoit aucune fertilisation. Un choix validé par
la vigueur des arbres. En revanche, Pierre Martin
attache une grande importance à l’éclaircie. « On
en laisse toujours trop », affirme-t-il. Pour que les
pêches soient belles, sucrées et colorées, il faut
beaucoup éclaircir, quand les fruits ont la taille
d’une noix. On ne garde pas plus de 300 fruits sur
un gros arbre. Essayez, vous verrez que cela signifie pas mal de sacrifices ! Mais c’est le meilleur
moyen de récolter de splendides pêches. Celles
de Pierre Martin sont exclusivement commercialisées en vente directe, cueillies bien mûres
– ce qui n’est quasiment jamais le cas de fruits
de la grande distribution, ramassés deux à trois
semaines avant maturité –, et les clients en redemandent !
Depuis qu’il a pris sa retraite, Pierre Martin a
dû abandonner une bonne partie de ses vergers.
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les 4 saisons n° 195 | juillet - août 2012
Le terme pêcher de vigne a une acception assez floue.
Il désigne un ensemble disparate de pêchers autrefois
plantés au milieu des rangs de vigne, le plus souvent
multipliés par semis, et dont les fruits arrivaient à
maturité au moment des vendanges. On en connaît
de nombreuses variantes, à chair jaune, à chair
blanche, voire vineuse, à chair ferme, ou fondante,
précoces, tardives etc. Il existe aussi des brugnons de
vigne, des nectarines (pêches à peau lisse).
Le travail de collecte effectué par Pierre Martin a
notablement enrichi ce que l’on croyait savoir de cette
population. Il y a là-dedans des trésors de singularité
qui auraient sûrement disparu sans lui..
Il lui reste deux hectares de pêchers, où est rassemblé l’essentiel de ses créations. Il se consacre
aujourd’hui à la pépinière, pour diffuser toutes
ses trouvailles. Les arbres n’ont en général pas
de nom de variété, ce sont juste des ‘pêchers de
vigne’. Pour commander quelques-unes de ces
“VIPêches”, pas de catalogue. Faites confiance
à M. Martin pour choisir l’arbre qu’il vous faut.
Dites-lui juste ce que vous recherchez : une pêche
blanche, mûre avant le 15 juillet, un brugnon
tardif, un assortiment à maturité échelonnée de
juin à septembre, ou un brugnon jaune… Si vous
venez les chercher sur place, vous aurez en prime
des conseils de plantation et quelques mots sur
la petite histoire de l’arbre. Et vous participerez
F. LAMONTAGNE
verger
verger
La taille Martin
FRÉDÉRIC CLAVEAU
Pierre Martin possède une technique de conduite de
verger totalement originale, voire iconoclaste. Les
arbres sont plantés à 5 mètres d’écartement en tous
sens, ce qui permet un très bon éclairement.
Le fait de tailler à la floraison permet de bien voir ce
que l’on fait. Selon Pierre Martin, cette technique
– loin de la taille douce ! – n’a que des avantages.
Elle est simple, rapide, les fruits sont bien éclairés
et alimentés, et les arbres durent deux fois plus
longtemps. A essayer à condition de bien maîtriser la
taille d’éclaircie de la face conservée.
F. LAMONTAGNE
Les arbres sont formés en palmette trois
branches. Cette structure provoque l’apparition de nombreuses pousses le long des
charpentières.
L’année suivante, les arbres sont taillés en pleine
floraison : toutes les pousses inclinées d’un des côtés,
sur l’une des faces de la palmette, sont supprimées
sur leur empâtement (base du rameau, qui est un
peu évasé au niveau de son insertion). Les autres, sur
l’autre face, sont conservées et éclaircies. D’où l’allure
étrange des rangées, où les arbres n’ont de branches
que sur un côté ! Cette face produira les fruits.
à la longue chaîne des amateurs et des professionnels qui les conservent un peu partout anonymement, maintenant cet héritage de transmission paysanne en vie. Car aujourd’hui, il n’existe
aucun verger conservatoire pour accueillir cette
collection unique en France.
Alain Pontoppidan, animateur de l’Agence des arbres
Photos : Alain Grosclaude
Au printemps suivant, on inverse. Les rameaux ayant
produit sont supprimés, et ceux qui ont poussé sur
l’autre face sont conservés. Les gourmands, assez
nombreux sur les arbres vigoureux, sont conservés
entiers. En revanche, les petites brindilles latérales
qu'ils portent sont éclaircies : on n'en garde que la
moitié tandis que les autres sont raccourcies pour ne
leur laisser que deux à trois fruits.
POUR EN SAVOIR PLUS
◗ M. Martin, 2 route de Saint-Gervais, 34260 SaintEtienne-d’Estrechoux, tél. 04 67 23 96 46
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