Au secours du “ROI DE CAILLE” - Parc Naturel Régional du Vercors

Transcription

Au secours du “ROI DE CAILLE” - Parc Naturel Régional du Vercors
Au secours du “ROI DE CAILLE”
Photos Râles des genêts
© E. Barbelette-LPO
Une action collective
bien cadrée
En 2007, la commission biodiversité
du Parc naturel régional du
Vercors missionne la ligue pour la
protection des oiseaux (LPO 38) et
le CORA Drôme pour inventorier
les oiseaux qui habitent les prairies
de fauche du Vercors. À leur très
grande surprise, plusieurs râles des
genêts, espèce classée “en danger
critique d’extinction” en Isère, sont
repérés dans la plaine de Grisail en
Trièves. Un travail commun va alors
s’engager avec l’APAP et le Syndicat
d¹aménagement du Trièves (SAT)
pour faire participer les agriculteurs à
l’observation collective des prairies et
tenter de préserver au mieux l’espèce.
Benoît Betton,
© M. Rougy (m)
animateur biodiversité du Parc
« Au printemps 2008, nous avons
demandé à la LPO 38 un suivi spécifique
du râle des genêts à Saint-Guillaume.
Plusieurs rencontres ont eu lieu avec
cinq agriculteurs pour échanger des
informations, repérer les parcelles les
plus intéressantes et y mettre en place des pratiques
de fauche plus favorables. »
[email protected], 04 76 94 38 29
Jean-Luc Langlois,
© M. Rougy (m)
animateur agriculture du Parc
« Une aide du Conseil général a permis
d’apporter un soutien financier pour
compenser les changements de pratique
agricole : retards de fauche au 15 juillet
avec fauche centrifuge, de l’intérieur de
la parcelle vers l’extérieur (16 ha) ; maintien de zones refuges (4 ha non fauchés jusqu’en septembre). Mais sur le terrain, ce sont les échanges,
l’écoute et l’intérêt qui ont été le plus important »,
conclut-il.
[email protected], 04 76 94 38 05
Râle des genêts
Nom scientifique : Crex Crex
Ordre : Gruiformes - Famille : Rallidés
BIOMÉTRIE
Taille : 27 à 30 cm
Envergure : 46 à 53 cm
Poids : 135 à 200 g
6
Le râle des genêts, espèce mondialement menacée et intégralement
protégée, a été “contacté” depuis 2 ans dans le Trièves,
à Saint-Guillaume… Est-ce un retour, ou bien n’avait-il jamais
vraiment disparu, les agriculteurs le connaissant sous les autres
noms de “râle des terres” ou encore de “Roi de caille” ?
Comment restaurer cet étonnant migrateur qui niche dans
les prairies de fauche d’altitude ?
Une opération exemplaire, de partage des connaissances et
de protection de l’oiseau, s’est engagée depuis 2008 avec des
agriculteurs et des naturalistes, à l’initiative du Parc du Vercors
et avec l'appui du SAT. Une belle histoire humaine qui ouvre
le dossier de la prise en compte de la biodiversité par le monde
en agricole, avec Catherine Brette et Jean-Claude Potié,
vice-présidents du Parc, chargés respectivement de la biodiversité
et de l’agriculture.
O
n peut l’entendre au printemps quand vient la nuit et que le mâle parade, que retentit alors son raclement guttural, bisyllabique… krex, krex… répété sans cesse : il râle.
L’oiseau porte bien ses noms ! Il ressemble à une perdrix élancée, mais de coloration plus
uniforme, avec des pattes plus longues et un bec plus épais.
Grand migrateur, il arrive d’Afrique vers la mi-avril, pour établir son nid
En France,
vers la mi-mai dans les prairies de fauche d’Europe, directement sur le sol.
le râle
Sa nidification dure deux mois. Solitaire et farouche, le râle demeure dans
les hautes herbes de ces prairies, où il se tapit en tenant la tête plus bas que
est classé
le reste du corps. Dérangé, plutôt que de s’envoler, il préférera se faufiler
en liste rouge :
dans la végétation à la manière d’un petit mammifère.
e
Au XX siècle, les évolutions de l’agriculture (mécanisation ; prés de fauon est passé
ches abandonnés, ou mis en culture et fauchés plus tôt, avec méthodes
d’enrubannage) menacent mondialement son habitat de disparition. En
de quelques
France, le râle est classé en liste rouge : on est passé de quelques 2 000 mâles
2 000 mâles
chanteurs “contactés” (entendus) en 1984 à seulement 500 en 2006 !
Selon Buffon (Histoire naturelle, 1818), cette appellation paysanne du râle des
genêts serait fort ancienne : « On commence à l’entendre vers le 10 ou le 12 de mai,
dans le même temps que les cailles, qu’il semble accompagner en tout temps, car
il arrive et repart avec elles. Celte circonstance, jointe à ce que le râle et les cailles
habitent également les prairies, qu’il y vit seul, et qu’il est beaucoup moins commun
et un peu plus gros que la caille, a fait imaginer qu’il se mettoit à la tète de leurs
bandes, comme chef ou conducteur de leur voyage ; et c’est ce qui lui a fait donner le
nom de roi de cailles : mais il diffère de ces oiseaux par les caractères de conformation, qui tous lui sont commun avec les autres râles, et en général avec les oiseaux
de marais, comme Aristote l’a fort bien remarqué. »
chanteurs
“contactés”
(entendus)
en 1984 à
seulement 500
en 2006 !
Une expérience
exemplaire
Interviews croisées
Catherine Brette,
© M. Rougy (m)
vice-présidente de la commission
biodiversité du Parc
Jean-Claude Potié,
vice-président du Parc,
chargé de l’agriculture durable
Que pensez-vous de cette action de protection menée en faveur
du râle des genêts ?
CB : C’est une espèce rare, c’est un peu extraordinaire. Mais dans le tout
le Vercors il y a une “biodiversité ordinaire”, mais qui en fait est extraordinaire pour la France, parce que nous sommes à un carrefour de climats
(sud et montagne).
La biodiversité est-elle prise en compte aujourd’hui par le monde
agricole ?
JCP : Ça commence. Avec des mots moins savants. Par exemple on s’aperçoit que des prairies se sont appauvries, qu’elles s’assèchent, des plantes
prennent le dessus, il y a une baisse de rendement. On fait alors des “diagnostics prairies”, on regarde les pratiques, on cherche comment les adapter, jouer sur les dates de fauche…
Pensez-vous qu’il faille mener avec les agriculteurs une réflexion
sur les pratiques qui pourraient mieux préserver la “biodiversité
ordinaire” du Vercors ?
CB : Oui, on souhaite travailler plus souvent avec les agriculteurs, pour
maintenir les espèces végétales dans les pâturages, prendre conscience que
des orchidées ou du sainfoin dans une prairie c’est aussi une richesse du
foin, du lait : il y a un lien entre la biodiversité et la rentabilité.
JCP : Les agriculteurs ont d’abord une approche économique, et si la biodiversité est rentable… Souvent il y a des habitudes, des pratiques dont
l’impact n’était pas connu au départ, et qu’on peut modifier si ça ne compromet pas l’outil de travail. Nous lançons actuellement, avec le SUACI*,
une étude pour mieux appréhender les différentes perceptions de la biodiversité chez les agriculteurs.
* Le SUACI est le service Montagne des Chambres d’Agriculture de la Savoie, Haute-Savoie
et de l’Isère. La vocation du SUACI Montagne Alpes du Nord est de :
s D£lNIR LE PROJET DE LAGRICULTURE ALPINE CESTÍDIRE SA PLACE ET SON R¯LE DANS LA PERSPECTIVE
d’un développement durable des Alpes,
s ET DACCOMPAGNER SA MISE EN “UVRE DE FA½ON OP£RATIONNELLE DANS LES TERRITOIRES ALPINS
Lié à la profession agricole et associé à des partenaires scientifiques et politiques, sa vocation
est de faire travailler ces acteurs ensemble pour concrétiser et donner un sens à la notion
“d’agriculture partenaire du développement durable des Alpes”.
« Il y a eu plusieurs rencontres avec le Parc, la LPO, et cinq agriculteurs ont
tenté l’expérience », explique Nathalie Terrier, membre de l’APAP et de la
commission biodiversité du Parc.
Tout se passe sur un plateau d’une centaine d’hectares, à plus de 800 m
d’altitude, que décrit un des agriculteurs : « Il est pas marécageux non, mais
il fait une cuvette, l’hiver la neige reste, il garde l’eau, alors il est pas bien
labourable. On le garde en prairies naturelles, et ces prairies-là on les fauche après les autres. Il y a aussi beaucoup de grosses haies, avec des chênes
et des hêtres. C’est un bel endroit, sauvage. » La plaine de Grisail est un site
très favorable pour le râle des genêts… qu’en effet, les paysans connaissaient
déjà. Mais pour favoriser sa restauration, il acceptent de transformer un peu
leurs pratiques de fauche. « Les râles nichent au sol, et jusque vers mi-juillet,
explique Benoît Betton, il y a des jeunes qui ne volent pas encore ; les adultes
eux, sont inaptes à l’envol au moment de la mue, car ils perdent toutes leurs
rémiges en même temps. » La fauche est donc retardée au 15 juillet. Et on
va en inverser le sens : la fauche mécanique moderne se fait en partant du
bord extérieur du champ, et en tournant, ce qui chasse les oiseaux (ou les
chevreuils) vers le centre du pré, où ils sont pris au piège (et tués). « La fauche centrifuge, c’est un petit peu plus délicat, surtout pour les champs avec
des coins ou en triangle, précise l’agriculteur, parce qu’on a les faucheuses
sur le côté du tracteur, pas devant : il y a toujours un côté qui se finit avant
l’autre, et il faut revenir à vide… mais bon, c’est quand même bien, pour
tous les animaux. »
Les repérages et le suivi de la fauche sont l’occasion de nombreux échanges
sur la richesse de la plaine de Grisail (voir encadré ci-dessous). Et si au final,
en 2008, un seul râle a été entendu – « 2008 a été une année de pluie, alors
on peut pas bien dire, y’a pas eu beaucoup de nichées de cailles non plus » –
la première question lors du bilan, festif, a été : « Comment on continue ? » Le
Parc va en effet reconduire l’étude en 2009 pour mieux connaître l’oiseau et
comprendre quel rôle joue la plaine de Grisail dans son écologie. Des compensations financières sont recherchées avec la LPO, chargée nationalement
du plan de restauration des râles des genêts, pour poursuivre la collaboration
avec les agriculteurs. Mais, quoi qu’il en soit, « l’espèce est en train d’être
“adoptée” par les agriculteurs de Saint-Guillaume : ce sont “leurs” râles »,
conclut Benoît Betton. Sans doute sauront-ils continuer à les protéger ?
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Témoign
De la richesse de la plaine de Grisail
Christophe Villiot,
© C. Villiot
en Vercors
Récits
chargé de suivi à Saint-Guillaume par la LPO en 2008.
« La plaine de Grisail est remarquable avec ses bocages, des haies, des
arbres isolés, et de grands espaces ouverts, naturels et humides. De
nombreuses espèces d’oiseaux se reproduisent ou chassent sur place :
en juillet dernier, 15 milans noirs suivaient la fauche, un grand nombre
de Tariers des prés ont mené à bien leur reproduction, tout comme le
faucon crécerelle, la pie-grièche-écorcheur ou les alouettes.
Comme le sol n’y a jamais été retourné, c’est un patrimoine naturel
avec tout l’héritage des temps anciens. Les fauches ont souvent lieu
assez tard, ce qui permet aux fleurs de grainer. Le stock des graines
accumulées, leur diversité font que les successions végétales de mai à
juillet sont impressionnantes.
De ce fait, joint à leur humidité, ce sont des prairies très productives
avec peu d’amendement : elles contiennent beaucoup de légumineuses
riches en azote, capables de compenser les fauches annuelles ; elles ont
conservé d’anciennes plantes fourragères et elles comportent des plantes médicinales (la bétoine, la reine des prés) qui enrichissent le foin,
et la qualité du lait.
Ainsi, outre qu’elles sont la “Rolls Royce” de la prairie de fauche, ces
prairies naturelles constituent un enjeu fort pour le maintien de la biodiversité ; typiques de la moyenne montagne, elles sont un patrimoine
du Vercors avec une valeur culturelle et paysagère, qui mérite d’être
préservé aujourd’hui. »
Illustration
© P. Prou
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