« la chanson populaire alsacienne est

Transcription

« la chanson populaire alsacienne est
« la chanson populaire alsacienne est-elle devenue une
« chanson d‘automne » ?
EXPOSE donné par Marcel FENNINGER, Vice-président ASCA Alsace-nord
lors du congrès 2011 de l’Association des sociétés chorales à Saverne
Après « e Friejohr fer unseri Sproch » (un printemps pour notre langue) suivi
du « Sommerlied » (chanson d’été) à Ohlungen, le moment est venu de
lancer le « Herbschtlied » (chanson d’automne) de notre langue régionale.
Dans cette ronde des saisons, il est bon pour nous d’observer comment
évolue notre bonne chanson populaire traditionnelle, alsacienne. Tout le
monde le sait : en automne, on récolte ce qu’on a semé !
Robert Werner, cet Alsacien résident à Paris, bien connu des téléspectateurs
de FR 3, très amateur de dialecte, nous met en garde et lance un appel à la
mobilisation. Il est obligé de constater « à chaque fois que je reviens en
Alsace, je ne peux m’empêcher de parler en alsacien aux Alsaciens qui me
répondent hélas en français ! Et cela me fend le cœur, comme dirait
Fernandel. L’Alsace sans son dialecte n’est pas concevable. A Hunspach
comme à Seebach, Werner a rencontré des enfants qui parlaient un alsacien
MELANGE, moitié alsacien, moitié français. (cf. le n° 133 dans la revue des
saisons d’Alsace automne 1996). Il nous avertit : « nous avons vingt ans
devant nous pour que notre mode d’expression ne disparaisse jamais. C’est
maintenant ou jamais qu’il faut sauver notre dialecte.
Et que dirait notre ami de la chanson populaire, traditionnelle, alsacienne
que fredonnaient nos ancêtres ? A-t-elle encore un sens ? N’est-elle qu’une
page de notre histoire régionale ? Où sont-ils passés, ceux qui nous
obligeaient à chanter : c’est chic de chanter en français, comme au mois de
mai 1945 : « c’est le mois de Marie, c’est le mois le plus beau »…
Avant de réfléchir sur le bien-fondé de notre chanson traditionnelle, il est
indispensable de jeter un coup d’œil sur l’histoire même de notre province.
Durant tout le moyen-âge, l’Alsace fait partie du Saint-Empire romain
germanique. Le professeur Bernard Vogler, dans son histoire culturelle de
l’Alsace décrit en détails les très riches heures de cette région frontière.
En 1648, le traité de Westphalie met fin à la longue et cruelle guerre de
trente ans. L’Alsace a perdu cinquante pour cent de sa population. Le
landgraviat de Haut-Alsace et le baillage d’Haguenau, ancienne possession
des Habsbourg, sont annexé par Louis XIV. L’alsace devient une véritable
province française avec la reddition de la vile de Strasbourg en 1681.
Les textes administratifs rédigés d’abord en latin, avant d’être traduits en
français, seront tous écrits en allemand. Quel rôle joue la chanson populaire,
à ce moment-là ? Lors de précédents congrès, nous avons découverts des
chansons transmises par des clercs qui, de couvents en monastères, ont
véhiculé des textes et des mélodies qu’ils avaient mémorisés, avec les
limites que nous connaissons. Le Canon Ego Sum Pauper Nihil Habeo et Nihil
Dabo (moi je suis pauvre, je n’ai rien et je ne donnerai rien) est un bel
exemple du genre.
Le XVIIe siècle nous laisse peu des vestiges de chansons et nous pouvons le
regretter. Du XVIIIe siècle nous avons relevé qu’un certain poète nommé F.
Goethe, qui étudiait à Strasbourg, a recueilli en 1771 à Sessenheim et dans
les environs une douzaine de ravissantes chansons d’amour.
En 1952, un décret impérial recommande de collecter les vieilles chansons,
les contes, les légendes encore vivantes dans nos campagnes. Le pasteur
Jaeger de Hohwiller avait recueilli pas mal de chansons mais le fruit de ses
recherches certainement intéressantes, fut perdu à jamais.
En 1861, Jean-Baptiste Weckerling de Guebwiller nota soigneusement des
chansons auprès de certaines grand’mères, certains artisans, des vieux
paysans, des viticulteurs. Il immortalisa ainsi un précieux patrimoine oral.
Les deux volumes de « Chansons populaires pour l’Alsace » furent imprimés
en 1883 à Rouen et connurent un succès sans précédent.
Ce succès est dû, en partie, à l’exode que subirent bon nombre d’Alsaciens
au XIXe siècle. Il n’est pas inutile peut-être d’évoquer l’exode qui en 1872
jeta sur les routes de France des dizaines de milliers d’Alsaciens et de
Lorrains. Claude Muller de Haguenau, professeur à l’Université de
Strasbourg et directeur de l’Institut d’histoire d’Alsace, a réalisé une
enquête fort intéressante sur ce sujet dans le n° 47 des « Saisons d’Alsace »
paru en février 2011.
Le traité de Francfort laissait aux habitants des départements annexés qui
voulaient garder la nationalité française « la faculté de transporter leur
domicile en France ! ». Mais l’autorisation n’est valable que si elle est
effectivement suivie de départ avant le 30 septembre 1982. Ainsi 50 000
Alsaciens et Lorrains s’en étaient allés à pied, en voiture tirée par un cheval
ou par le train de la dernière invention. L’on a vu des jeunes gens fuir le
service militaire. Des fonctionnaires dédaignant des grasses augmentations
de salaires partaient pour ne pas servir l’Allemagne, sans même savoir si la
France pouvait les embaucher. C’est ainsi qu’on a vu un instituteur, se
trouvant sans poste, pousser à travers les rues de Paris, une voiture des
« quatre saison ».
Des chefs d’entreprises partaient, entraînant avec eux tout le personnel. Des
paysans, malgré leur attachement au sol natal, quittaient fermes et champs,
pour refaire leur vie ailleurs. Un journal de Dublin rendait aux exilés cet
hommage : « ils viennent de donner au monde un exemple de fidélité et un
noble enseignement à l’humanité tout entière ».
Ainsi se créa une Alsace du dehors dont les énergies et la foi patriotique
contribuèrent au redressement de la France. Les Alsaciens sont présents
dans toutes les branches de l’activité nationale : ils sont dans la
magistrature, dans l’administration, dans l’enseignement. En 1892, l’armée
compte 171 officiers supérieurs qui sont Alsaciens ou Mosellans. Une foule
de jeunes gens se sont engagés. Ceux qui, partis après 1872, n’ont pu
acquérir la nationalité française, servent dans la légion étrangère.
On en a recensé 25 000 qui y sont passés entre 1870 et 1918. A Bischwiller
qui compte 12 000 habitants en 1869, on sait que 3 000 ouvriers du textile
se sont installés à Sedan, à Reims, à Tourcoing, à Elbeuf surtout qui devient
un des foyers de l’Alsace dispersée.
Une loi de 1871 met à la disposition des personnes de la campagne
intéressées, à titre gratuit, une concession de cent milles hectares de
meilleures terres algériennes.
Dans les quatre années qui suivirent, plus de mille familles d’Alsace et de
Lorraine, soit un total de cinq mille personnes, arrivèrent dans la colonie
française. Répartie dans une centaine de villages, surtout dans la région de
Constantine, la communauté y implanta les procédés de culture de chez
nous. Des noms de localité alsacienne doublèrent les noms indigènes :
Altkirch (=Sidi-Kahlifa), Belfort (Aïn-Tinn) Colmar (= Oued-Amizour), Obernai
(=Aïn-Melouk), Ribeauvillé (=Bled Youssef) à, Strasbourg (= Emir
Abdelkader). Colmar (=Oued-Amizour) était longtemps le village alsacien
typique. Nos braves Alsaciens ont longtemps gardé leur accent mélodieux,
ils s’entendaient bien avec les musulmans. Ils chantaient à Noël « mon beau
sapin » sous un majestueux palmier. Avec un peu de Heimweh (mal du
pays,) ils entonnaient leur hymne national « des Elsass unser Ländel ». Et
nous autres, savons-nous encore le chanter ? Premier essai.
Les colons préparaient tous leur choucroute et la conservaient dans des
barils. Les femmes faisaient des beignets de pommes de terre et, en douce,
on pouvait manger un peu de charcuterie, dans un pays musulman ! Il y
avait bien plus de cigognes en Algérie qu’en Alsace, à en croire un habitant
de Tizi-Ouzou, dont les ancêtres, originaires de Saverne, s’étaient installés
vers 1880. Vers 1923, deux Kabyles ont épousé des alsaciennes, Odette
Nicolas et Julie Léonce. Les invités ont pu chanter en chœur « Mueder, ich
well a Deng » « Allons-y avec eux. Deuxième essai. Il faut sauvegarder la
mémoire.
Mais le chant populaire traditionnel, alsacien a-t-il encore un rôle à jouer
aujourd’hui ? Une raison d’être ? Ce n’est pas évident, quand on réalise que
les droits d’auteurs, la Sacem encourage surtout la création de chansons
actuelles, avec des thèmes chers à nos Alsaciens : du danger dans l’assiette,
à la centrale nucléaire, des radars de l’autoroute au tracé du TGV, du
chômage des jeunes à l’Alzheimer des personnes âgées, des ménages à trois
à la solitude des souffrants, des immigrés parmi nous à la pratique
religieuse, sans oublier la politique locale, régionale voir nationale. En
chansons, le message passe mieux. Ce fut déjà le cas du célèbre « Hans em
Schnokeloch » dont l’histoire mérite d’être connue. Avec les étudiants du
XIXe siècle, nous pouvons chanter et faire notre troisième essai.
Notre devoir est de respecter nos anciens dans leurs croyances leurs us et
coutumes. Avant le repas, on chantait tous le Benedicité
Pour terminer en beauté une belle fête de famille, on dansait la polka. Et
pour se moquer de l’école trop savante, il n’y a rien de mieux que le
« Vehrele » avec soliste et assemblée, comme à l’église SVP ! Ce sera notre
quatrième essai. Allons-y.
« Schlof, Kendele, Schlof » a un charme et une poésie uniques qui nous
amènent droit au rêve éveillé. Pour nous, la chanson conserve bien notre
mémoire. Elle sert de lien entre deux générations : les enfants de l’école
maternelle rencontrent les papies et les mamies des maisons de retraite. La
chanson est devenue un signe d’amour, de fidélité, et donc de bonheur.
Chantons tous la Berceuse de l’automne. C’est notre cinquième et dernier
essai.
Marcel FENNINGER