Saint-Gobain en Chine SaintGobain

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Saint-Gobain en Chine SaintGobain
actu étranger
La longue marche
© Wong
Saint-Gobain
vers la sécurité
En Chine, à l’autre bout du monde, les usines de Saint-Gobain n’échappent pas à la vigilance du dispositif
sécurité mis en place par le groupe industriel.
L
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Travail & Sécurité 04 - 08
neuf produit des plastiques
techniques dédiés notamment
aux secteurs des semi-conducteurs et de l’automobile.
Avant de pénétrer dans les
locaux, notre guide nous
recommande de rester dans
les couloirs de sécurité délimités par un balisage au sol. Et
ce en raison de la dangerosité
de certaines machines, entre
autres des presses géantes
© Wong
a sécurité de nos employés
et de nos visiteurs est une
priorité absolue », s’exclame Loïc Mahé, un des viceprésidents de Saint-Gobain
Performance Plastics, en nous
accueillant dans l’une des quatre usines chinoises du groupe
implantées à Shanghai, dans la
zone industrielle de Minhang.
Joignant le geste à la parole,
notre interlocuteur nous prie
d’enfiler chaussures et lunettes de sécurité afin de visiter
les lieux. Ouvert en 2005, ce
bâtiment encore flambant
Le coin « pause-thé », dans l’usine
d’abrasifs de Saint-Gobain.
destinées à former les pièces
et des appareils à découper
des films plastiques. Au mur,
des affiches rappellent qu’il est
interdit de fumer ou de courir
dans les escaliers et recommandent de respecter les
consignes de sécurité. À l’intérieur de chacun des ateliers
que nous traversons, hommes
et femmes habillés d’un uniforme (polo et pantalon bleus)
vaquent silencieusement à
leur tâche, chaussés de lunettes, gants, et chaussures de
travail. Face à ce déploiement
de sécurité, nous avons peine à
croire que nous nous trouvons
bien en Chine où chaque jour
les accidents du travail tuent
entre 300 et 320 salariés, selon
l’administration d’État pour
la sécurité au travail. Dans ce
contexte, les employés chinois
de Saint-Gobain font figure de
privilégiés. Ici, les 280 salariés
travaillent huit heures par jour
sur une semaine de cinq jours.
Côté salaire, nous n’en saurons pas davantage, sachant
que entre industriels, la chasse
aux employés compétents est
ouverte.
Saint-Gobain
en Chine
Référentiel
maison
En revanche, Loïc Mahé se
montre plus disert sur les procédures mises en œuvre pour
limiter les risques au travail.
En Chine, comme dans le reste
de la planète, chaque patron
de Saint-Gobain doit veiller à
E
n octobre 2006, 53 000 acci­
dents du travail ont été
officiellement recensés en
Chine, dont 9 000 mortels.
Un fléau qui touche
majoritairement le secteur
minier et le bâtiment.
Pour protéger mieux ses
760 millions de travailleurs,
le gouvernement renforce
son arsenal législatif. Premier
concerné, le Code pénal punit
déjà de sept ans d’emprison­
nement maximum les
employeurs qui négligent
la sécurité de leurs employés
sur le lieu de travail. Demain,
les inspecteurs du travail
soupçonnés de négligence
ou de complaisance devront
rendre des comptes. Par ailleurs,
depuis le 1er janvier 2008, un
nouveau Code du travail rend
obligatoire le contrat de travail.
De quoi intéresser 95 % des
salariés chinois qui travaillent
dans les mines, la construction
ou la restauration.
la conformité de son site au
référentiel EHS (environnement, hygiène et sécurité).
Consultable sur l’intranet du
groupe, ce référentiel maison est en cohérence avec
d’autres normes, comme ISO
14001 et OSHAS 18001. « Nous
misons sur des actions correctives et préventives », poursuit
notre guide. D’abord, au plan
préventif, des actions de for­
mation et d’information sont
menées auprès du personnel.
© Wong
S
aint-Gobain (41 milliards
d’euros de chiffre
d’affaires en 2006) a investi
en Chine 700 millions
d’euros. L’investissement
se répartit dans plus de
40 entreprises qui comptent
12 400 salariés. La plupart
sont basés à Shanghai
où le groupe a ouvert l’an
dernier son premier
centre de recherche et de
développement. Comme
tous les établissements du
groupe, ses 180 chercheurs
devront se conformer
au standard EHS
(environnement, hygiène,
sécurité). Dans cinq ans, ils
pourront briguer leur entrée
au Club des Millionnaires,
lequel rassemble au niveau
mondial les établissements
les plus performants en
termes de sécurité. En 2006,
99 y étaient recensés,
soit 44 sites comptabilisant
plus d’un million d’heures
travaillées sans accident
avec arrêt. Et 49 sites de
taille plus réduite cumulant
plus de cinq ans de travail
sans accident avec arrêt.
La Chine s’attaque
aux accidents du travail
Équipés de lunettes, masque et gants de protection, les ouvriers de l’usine d’abrasifs font figure de privilégiés :
ils travaillent huit heures par jour, sur une semaine de cinq jours.
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actu étranger
Des audits dans
le monde entier
Des audits de sécurité, internes et externes, sont régulièrement menés, puis croisés
avec les différents sites du
groupe. « La comparaison n’est
pas toujours facile, reconnaît
notre hôte. Surtout quand les
« 5 S » pour
limiter
les risques
I
nspirée du Système
de Production Toyota
(TPS), la méthode de
management des « 5 S »
concilie sécurité, qualité
et productivité.
Elle s’articule autour
de cinq types d’actions :
• seïri : débarrasser ; `
• seïton : mettre en ordre ;
• seiso : nettoyer ;
• seïketsu : maintenir
la propreté ;
• shitsuke : mettre de la
rigueur.
Depuis 2004, le groupe
Saint-Gobain déploie
progressivement sur
l’ensemble des sites cette
méthode qui fait l’objet
d’un programme
d’e-learning disponible
en libre accès sur le portail
Intranet du groupe.
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sites n’utilisent pas
les mêmes procédés de fabrication.
Mais nos efforts
sont reconnus
et appréciés par
nos employés. »
Certes, ces pratiques ne sont pas
nouvelles.
En témoigne, à
quelques mètres
de là, l’usine SaintGobain Abrasifs
qui se montre tout
aussi sourcilleuse
sur la protection
individuelle des
salariés et des
visiteurs. Les plus
exposés aux émanations chimiques
dégagées par la
production ou le
traitement des
abrasifs portent
d’ailleurs des semimasques de protection en silicone
de dernière génération. Adepte de
la méthode des
5 S (cf. encadré cicontre) qui vise à
concilier qualité,
productivité et
sécurité, l’usine
peut se targuer
d’avoir drastiquement réduit ses Avec ce tableau consultable par les visiteurs et les salariés à l’entrée
de son usine d’abrasifs, Saint-Gobain fait montre de transparence
risques.
C’est du moins sur le suivi des accidents du travail.
ce que le visiteur
peut déduire de la
lecture du panneau d’afficha- management et partagés viennent 23 accidents mortels,
ge consacré aux accidents du entre les différents sites de pour un effectif mondial de
travail. Les résultats montrent production. En outre, chaque 207 000 salariés. Des événedépartement par département, mois, l’ensemble des usines ali- ments qui amènent l’industriel
les progrès enregistrés. Soit mente un tableau de bord qui à muscler encore son dispositif,
un ratio de 0,7 jour d’accident permet au comité directeur de pour atteindre son objectif de
pour 1 000 heures travaillées suivre la performance du grou- zéro accident mortel.
en 2007 contre 1,5 en 2004 et pe en termes d’accidents du
travail. Même s’ils se produi3 en 2001.
Il faut savoir que chaque acci- sent à l’autre bout du monde.
Eliane Kan
dent fait l’objet de rapports Néanmoins, ces mesures n’ont
détaillés qui sont diffusés au pas empêché en 2006 que sur© DR
Parallèlement, les sites disposent d’un outil d’auto­­­dia­gnostic
avec lequel ils mènent une
analyse des risques pour tous
les équipements de production. Ce qui peut les ­conduire,
comme dans cette usine, à
s’équiper d’écrans de détection
infrarouge de façon à éviter les
accidents et de cabines d’iso­
lation acoustique pour limiter
le bruit dans les ateliers.
Aiqing Zheng, professeur en droit du travail
« La législation du travail a fait
un bond en avant. »
Travail et Sécurité : Les deux
usines de Saint-Gobain décrites dans le reportage d’Eliane
Kan montrent des conditions
de travail proches notamment
de celles que l’on peut trouver
en Europe. Qu’en est-il, en
général, des conditions de travail dans les usines en Chine ?
Aiqing Zheng (1), professeur
en droit du travail à l’université de Pékin et docteur en
droit de l’Université Paris I :
En Chine, on observe des
situations très variées, différentes d’une entreprise à
l’autre. Dans les entreprises
publiques, la sécurité est nettement meilleure que dans les
entreprises privées et on peut
dire que les pires situations se
trouvent dans les entreprises
appartenant à ce que nous
appelons « les Chinois d’outremer », à savoir ceux qui viennent de Taïwan et de Hong
Kong. Les entreprises à capitaux étrangers – européens
ou américains – proposent de
bonnes conditions de travail.
■ En 2007, 101 480 Chinois
sont morts pendant l’exercice
de leur profession (2). Peut-on
expliquer l’importance de ce
chiffre et y a-t-il des secteurs
plus dangereux que d’autres ?
A. Z. : Ce chiffre est certes
important, surtout si on le
compare à l’Europe, mais on
observe qu’il diminue d’année en année (127 089 en
2005 ; 112 822 en 2006).
Le secteur des mines est par-
ticulièrement accidentogène,
suivi de celui du bâtiment et
des transports. Le gouvernement chinois fait des efforts
pour réduire le nombre d’accidents, mais les effets sont
peu visibles, notamment dans
les mines, en raison de l’augmentation des besoins, d’une
recherche permanente de
gains de productivité et des
contrôles qui s’avèrent peu
efficaces.
L’employeur n’a pas d’obligation de résultat en matière
de sécurité. Les syndicats
peuvent certes opérer des
­contrôles, mais bien souvent, dans les entreprises
privées, ils ne sont pas présents. Au niveau de l’État, il
existe bien une administration de contrôle, mais celle-ci
est inefficace, car corrompue.
Enfin, pour ce qui est des
sanctions, elles sont pénales
en cas d’accident, mais beaucoup moins sévères que dans
le droit français.
■ Le 1er janvier 2008, la nouvelle loi sur le contrat de travail est entrée en vigueur en
Chine. Quels changements en
attendez-vous ?
A. Z. : La législation du travail en
Chine a fait un bond en avant le
1er janvier 2008. Il faut dire que
cette nouvelle réglementation
contraste avec la timidité de la
précédente loi sur le travail qui
datait de 1994. Cette législation avait instauré des règles
générales en matière de droit
du travail, ce qui avait amené
certains observateurs à parler
d’un Code du travail. Cette nouvelle loi se substitue à la partie
sur le contrat de travail, en
apportant une plus grande protection des intérêts des salariés
et en imposant d’importantes
obligations aux employeurs.
Certes la loi de 1994 prévoyait
déjà que le contrat de travail
devait être établi par écrit.
Mais cette exigence n’était pas
assortie de sanctions. Il en est
résulté qu’en pratique la règle
n’était pas respectée, au détriment du salarié.
En cas de litige sur l’existence
même de la relation de travail,
ou sur le montant de la rémunération, ou encore sur les
conditions de travail, le salarié
était défavorisé dans l’administration de la preuve et exposé
au risque d’un licenciement
discrétionnaire. Or, la protection d’une convention collective ne couvre en Chine que
8 % des salariés, lesquels de
surcroît appartiennent majoritairement au secteur public. Le
contrat individuel est donc la
seule loi des parties.
Désormais, non seulement
la conclusion d’un contrat de
travail par écrit est obligatoire dans le premier mois de
l’embauche, mais encore son
défaut est doublement sanctionné : l’absence de contrat
écrit pendant un an après l’embauche oblige l’employeur à
doubler le sa­laire ; l’absence de
contrat écrit au-delà d’un an
d’embauche entraîne une présomption de contrat à durée
indéterminée.
■ Peut-on parler d’amélioration du droit du travail en
Chine ?
A. Z. : Force est de ­constater
que le contrat de travail
chinois commence à ressembler, au moins sur le papier,
au contrat de travail de nombre de pays occidentaux. La
relation individuelle de travail
s’en trouve profondément
modifiée dans ses principales
composantes, même s’il est
difficile de dire si le rôle du
syndicat sera renforcé par l’intermédiaire de la convention
collective, sur laquelle la nouvelle loi édicte des nouvelles
règles. L’évolution favorable
aux salariés reste cependant
considérable. Elle s’inscrit
dans un contexte volontaire,
celui de vouloir « construire
une société harmonieuse »,
objectif affiché depuis 2005
par les autorités chinoises.
D’un certain point de vue,
« l’atelier du monde » sera sans
doute moins attractif pour les
investisseurs étrangers. En
contrepartie, les travailleurs
chinois verront leurs droits et
leur dignité reconnus. À condition que les entreprises soient
prêtes à jouer le jeu.
1. Auteur de Libertés et droits fondamentaux
des travailleurs en Chine, éditions de
l’Harmattan
2. Source : Bureau national de sécurité au
travail. www.chinasafety.com
Propos recueillis par
Delphine Vaudoux
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