Emetteur : Dr Jean-Michel KORACH Date : Mission 27 au 30 juin
Transcription
Emetteur : Dr Jean-Michel KORACH Date : Mission 27 au 30 juin
Compte-rendu de mission au Lycée Français International de Pékin du 27 au 30 juin 2016 Emetteur : Dr Jean-Michel KORACH Date : Mission 27 au 30 juin 2016 Version du document : V.2 Destinataire : AEFE Ouverture le 10 mai du nouveau Lycée Charles de Gaulle de Pékin, situé en périphérie de la ville (30 km du centre-ville), en remplacement de l'ancien lycée réparti sur 3 sites. Cette structure comprend 950 élèves de la maternelle aux classes terminales. 1. Anamnèse Dans le cadre d'un scandale touchant des entreprises chinoises ayant construit des stades avec des matériaux contenant des débris de déchets industriels toxiques, avec apparition de signes cliniques d'allergies cutanées, épistaxis, un réseau social WeChat s'est brutalement développé sur ce thème dans les familles franco-chinoises, avec un doute sur la qualité de la construction du lycée français. Cette alerte a été rapportée dans la presse y compris en France (1) . Les familles ont commencé à relever, à postériori, tous les événements qu'elles considéraient comme pathologiques et potentiellement dus aux matériaux utilisés. Cette situation, se répandant comme une trainée de poudre, a obligé le lycée à faire des prélèvements de toxiques composés organiques volatiles totaux (COVT) benzène, toluène, xylène, qui ont montrés des valeurs un peu élevées au contact des placards de classes, du gymnase, de l'auditorium avec en conséquence le démontage du mobilier et la fermeture du gymnase et de l'auditorium. Devant cette crise où les parents commençaient à retirer leurs enfants du lycée, l'AEFE a décidé de réaliser une expertise comprenant un médecin Inter Mutuelles Assistance et un ingénieur qualité de l'air afin d'évaluer la réelle toxicité potentielle de COVT. 2. Méthode de Travail Arrivé sur le site le lundi 27 juin, la première approche a été la visite complète des bâtiments y compris les zones techniques de ventilation et climatisation et d'évaluer l'environnement hors les murs. La seconde étape sera d'analyser les événements pathologiques survenus au lycée depuis l'ouverture. Il faut savoir que les éléments de comparaison, avec les données de la même période en 2015, sont totalement incomplètes car le lycée était alors réparti sur trois sites différents, le personnel infirmier n'étant qu'à temps partiel sur certains sites (Site 1 du Cours Préparatoire à la 3ème = Elémentaire + Collège, 621 élèves, du lundi au vendredi de 8h30 à 17h30), Site 2 Petite Section, Moyenne Section, Grande Section = Maternelle, 169 élèves, lundi et jeudi de 8h30 à 12h15, Site 3 2nde, 1ère, Terminale = Lycée, 160 élèves, mardi et vendredi de 8h à 16h). Seront recueillis : 1) Le nombre d’événements pathologiques, par jour, pouvant être en rapport avec des phénomènes allergiques (rhinite, érythème, prurit) et les épistaxis, ressentis par les familles comme une conséquence potentielle de toxiques. 2) Les antécédents familiaux si disponibles. 3) Le délai entre le début des signes cliniques et l’entrée au LFIP. 4) A postériori, les données météorologiques de température (Accuweather) de Pékin du 1er mai au 30 juin 2016. Seront analysés : 1) Les sous-groupes des pathologies enregistrées avant et après les mesures de fermeture de locaux et de démontage du mobilier, 2) Les résultats de compte-rendu de consultation médicale, 3) A terme, les résultats des prélèvements effectués par l’ingénieur qualité d’air qui seront éventuellement croisés avec les paramètres médicaux. Comment évaluer une éventuelle responsabilité structurelle de l'établissement sans série comparative ? Quel comparateur utiliser ? Le seul comparateur identifiable est le lycée français de Shanghai afin d'obtenir les éléments identiques relevés dans cette structure sur la même durée. Le lycée comprend le même échantillon de population, avec des enfants de la maternelle à la terminale pour un total de 1 565 élèves dont 786 en maternelle plus primaire, le lycée de Pékin comprenant 950 élèves dont 559 en maternelle plus primaire. Les études statistiques seront effectuées par un test du Chi2 pour la comparaison des valeurs qualitatives et par un test t de Student pour les valeurs quantitatives avec un seuil de significativité à 5 % : p ≤ 0,05 (logiciel StatView). 3. Résultats 3.1) Résultats Médicaux Les données de 2015 récupérées faisaient état de 14 épistaxis réactions cutanées prurit sur les trois sites, sans pouvoir déterminer les groupes d’âge. Depuis le 10 mai 2016, date d’ouverture du lycée, pour 950 élèves dont 559 en maternelle + primaire, l’infirmerie du lycée a enregistré 1 061 passages, pour 480 enfants, 13 pour épistaxis et 4 pour érythème. A la suite de l’alerte sur de potentielles toxiques, à la demande de la direction du LIFP auprès des parents, 59 enfants ont fait l’objet d’une déclaration d’événements pathologiques de façon rétrospective, remontant jusqu’à trois semaines avant l’ouverture du lycée, avec des descriptions séméiologiques incertaines, rapportées par les parents sans consultation médicale pour 47 d’entre eux, l’âge moyen des enfants inclus dans la base de données est de 6,86 ± 2,66 ans (extrêmes 3/15 ans). Le délai entre le début des signes cliniques et l’entrée au lycée est de 23,42 ± 14,23 jours (extrêmes -21/45 jours). Un seul élément est clairement identifié dans les deux structures scolaires (Pékin Shanghai) : l’épistaxis (un événement rapporté à postériori par la famille est douteux à Pékin). Les événements relevés sont strictement comparables en nombre touchant à 95 % maternelle primaire avec, pour le mois de juin, 1,78 % des enfants présentant des signes à Shanghai (sans pouvoir obtenir la distribution des âges) pour 1,96 % à Pékin d’âge moyen 7,10 ± 2,9 ans (extrêmes 3/15 ans). Différence non significative (p=0,44), à Pékin, l’épistaxis est survenue en moyenne 27,00 ± 5,24 jours après l’entrée au lycée (extrêmes 2/45 jours) par une température moyenne 30,9° ± 3,7° (extrêmes 22°/34°). Treize enfants, dont 12 déclarés en rétrospectif, ont eu une consultation médicale dont une « téléphonique » le lendemain de l’entrée au lycée (enfant tousse depuis un mois), dans 50 % des cas pour épistaxis, 30 % des cas pour tableau de rhinopharyngite et 20 % des cas érythème localisée. Une hospitalisation brève pour œdème, traité par antihistaminiques et corticoïdes est signalée (pas d’autre résultat). Sept enfants vus en consultation ont eu des examens biologiques dont quatre résultats en notre possession, avec pour l’un une hyperleucocytose à 11 000 GB et CRP normale, un présentait un TP à 79 %, et un TCA à 35 secondes pour des normes de laboratoire local entre 21 et 34 secondes avec épistaxis, sans suite médicale en dehors d’une recommandation d’une consultation hématologique. Pour deux enfants, le médecin de SOS a constaté une hyper-éosinophilie avec prescription d’antihistaminiques. Les examens des trois autres enfants sont sans anomalie. La majorité n'a eu aucun traitement. Pour deux enfants, la demande parentale de recherche de toxique était forte avec dans un cas dosage du plomb et de l’arsenic (résultats négatifs). Pour 4 des 13 consultations des antécédents familiaux d’allergie sont spécifiés, un enfant présente une allergie au poil de chien (connue) avec une notion de contact la veille, et une consultation attribue la réaction érythémateuse à une allergie de contact des zones de peau découvertes après une promenade « campagnarde ». Une consultation adulte (enseignante) pour « malaise » plus important lors de sa présence au lycée, écoulement nasal, expectoration jaunâtre (mais biologie normale) avec autothérapeutique antihistaminique. Comme dans un autre compte-rendu « médical », l’explication de sensation de malaise est attribuée à un « déficit en oxygène » dû aux émanations de toxiques par les peintures et les nouvelles fournitures rendant la composition de l’air en dessous du seuil de sécurité… 3.2) Résultats facteurs environnementaux naturels 3.2.1. On est frappé d’emblée par l’odeur de bois à l’extérieur des bâtiments, les façades étant recouvertes de briques de cèdre. 3.2.2. Le lycée est bordé par une grande étendue en friche de plusieurs hectares (propriété d’un investisseur privé), ensemencés en graminées sauvages, avec en limite des plantations d’arbres notamment de bouleaux, sources de pollens allergisants surtout à cette époque mai-juin. 3.2.3 La zone de friche et la bande de terrain entourant le stade de football sont des zones humides non ou mal drainées, pouvant être un réservoir de larves d’insectes surtout de moustiques dont on note la forte « activité ». 3.3) Résultats facteurs environnementaux structure interne Cette analyse est de la compétence de l’ingénieur d’analyse environnement, mais on remarque la piètre qualité de l’installation ventilation climatisation, avec les locaux poussiéreux, des connexions conduits à l’étanchéité douteuse, colmatés irrégulièrement par du joint silicone. Les filtres électrostatiques et les filtres amovibles en fibres artificielles sont couverts de moustiques, ce qui confirme le potentiel réservoir zone humide du paragraphe précédent. 4. La Position de la Direction Devant la pression médiatique et celle des réseaux sociaux, la Direction du lycée prend la décision de pratiquer des analyses de COVT dans l’air ambiant et au contact des éléments de mobilier (cf. résultats mis à disposition). Ces résultats aboutissent, le 8 Juin, à la fermeture du gymnase, de l’auditorium, et au démontage des placards. Un contrôle le 12 juin a été effectué. 5. Discussion L’analyse de l’ensemble des événements potentiellement rattachés à une cause toxique par jour, en relevant le nombre quotidien enregistré à l’infirmerie, plus ceux signalés en rétrospectif (les dates pouvant être imprécises), montre 1,41 ± 1,6 événement structures ouvertes et 1,13 ± 1,3 après fermeture (p = 0,5 ns) (Tableau 1). Tableau 1 L’analyse comparative températures ambiantes versus nombre d’éléments pathologiques monte une augmentation significative du nombre d’événements lors des températures supérieures ou égales à la moyenne de 30° (p = 0,014) (tableau 2 courbes 1). Tableau 2 Groupes températures Nombre de jours Nombre d’événements moyen Inférieur 30° 20 0,65 ± 0,8 Supérieur ou égal 30° 32 1,68 ± 1,7 Courbes 1 - Courbes températures quotidiennes et nombre d’événements L’épistaxis bénigne essentielle est pathologie fréquente chez l’enfant, rare avant l’âge de deux ans, présente chez 30 % des sujets de 2 à 5 ans, et chez 56 % des enfants de 6 à 10 ans. Les épistaxis cessent en général spontanément au décours de la puberté. Le saignement antérieur, est unilatéral dans 90 % des cas (lésion du Plexus de Kiesselbach). Le plus souvent on retrouve des facteurs de risque traumatiques simples (doigt dans le nez, éternuements, mouchage fréquent, traumatisme direct) (2) . Un facteur infectieux, la colonisation nasale par Staphylocoque Auréus (3) est présente chez 57 % enfants avec épistaxis, mais aucun écouvillonnage nasal n’a été réalisé. Des facteurs météorologiques favorisants sont clairement identifiés dans la littérature, température élevée (4) , avec une prévalence de mars à août, une faible humidité ambiante générant une sécheresse de la muqueuse nasale, pollution atmosphérique (5) ; ces trois derniers paramètres s’appliquant fortement à la région de Pékin (température moyenne de 30,4° ± 3,7°, extrêmes 16°/36°). Dans les données mai-juin 2016 du LFIP, le ratio nombre d’enfants nombre d’épistaxis est même en dessous des chiffres des données de la littérature. L’analyse des sous-groupes, constitués par les épistaxis apparues avant et après fermeture des zones supposées toxiques et démontage du mobilier scolaire, montre une différence significative en terme de fréquence observée (tableau 3) après la suppression du contact aux zones, 52,1 % survenant après fermeture et 47,8 % avant fermeture (p = 0,045). Tableau 3 En dehors des taux bas de COVT qui expliquent difficilement les signes cliniques relevés, les manifestations allergiques peuvent clairement être imputées au facteur environnemental, l'installation dans les locaux ayant eu lieu en pleine période de pollinisation. L’analyse des données montre depuis 15 jours (fin habituelle de libération des pollens) un arrêt des cas déclarés. Par ailleurs, il est probable que les plaques érythémateuses soient, au moins pour une partie, une conséquence de piqures d’insectes. Deux enfants se sont rendus à l’infirmerie avec ce type de « lésion cutanée », en ma présence, comprenant une papule, centrée par un point de piqure, entourée d’une réaction érythémateuse. Les réactions d'allergie immédiate sont le plus souvent de type « réaction locale étendue » avec une papule qui peut atteindre 3 à 12 cm, pouvant persister plus de 24 heures (photos 1 et 2). Photo 1 : piqûre de moustique aspect immédiat Photo 2 : piqûre de moustique aspect à 20 minutes Aucune consultation médicale ne décrit le type de lésion cutanée. Le dernier jour a été consacré à analyser la situation avec Mme D., ingénieure qualité air et construction arrivée mardi soir en effectuant des prélèvements d'air dans l'ensemble des bâtiments, sur les terrains de sport, dans les climatiseurs. A priori, en attendant ses conclusions définitives, nous n'avons pas trouvé de taux de COVT qui puissent expliquer un phénomène toxique. Par contre, l'analyse des bidons de 5 litres du savon désinfectant liquide mis à disposition dans les toilettes des élèves de la marque 3M (composition écrite en chinois) émettait 30 ppm de COVT, soit 30 fois la dose de tolérance. Conclusion Provisoire De première intention les données cliniques à notre disposition, très inhomogènes, peuvent laisser à penser que les éléments pathologiques relevés, réels ou ressentis, sont tout à fait superposables à une population non concernée par un contact toxique. La présence de COVT dans les locaux, est la conséquence de l’installation d’éléments neufs. L’étude Atmo Champagne-Ardenne de 2012 rapportait la même conclusion pour les locaux scolaires inaugurés en 2011 (6) avec des taux de formaldéhyde à 30 µg/m3, soit trois fois le taux à er respecter au 1 Janvier 2023 (10 µg/m3), sans pour autant fermer les classes. Le résultat plus affiné de cette mission sera disponible dans une quinzaine de jours lorsque nous aurons fait un rapport commun avec Mme D. croisant les données médicales et les données industrielles. Bibliographie (1) Le Lycée français de Pékin contaminé par des substances chimiques Brice Pedroletti (Pékin correspondant) : Le Monde, 15 juin 2016 (2) Epistaxis: some aspects of laterality in 326 patients. Reiss M, Reiss G. Eur Arch Otorhinolaryngol. 2012 Mar;269(3):905-9 (3) Nasal bacterial colonization in cases of idiopathic epistaxis in children. Kamble P, Saxena S, Kumar S. Int J Pediatr Otorhinolaryngol. 2015 Nov;79(11):1901-4 (4) Idiopathic epistaxis and meteorological factors: case-control study. Jelavic B, Majstorovic Z, Kordić M, Leventić M, Grgić MV, Baudoin T. B-ENT. 2015;11(4):267-73 (5) Air pollution and emergency department visits for epistaxis. Szyszkowicz M, Shutt R, Kousha T, Rowe BH. Clin Otolaryngol. 2014 Dec;39(6):345-51 (6) Etude de la qualité de l’air intérieur en milieu scolaire dans l’agglomération troyenne : Campagne 2012, Etude Atmo France/Champagne-Ardenne. ____________________________