Honoraire de résultat : validité même en l`absence d`aléa

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Honoraire de résultat : validité même en l`absence d`aléa
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Lexbase La lettre juridique n˚571 du 22 mai 2014
[Avocats/Honoraires] Jurisprudence
Honoraire de résultat : validité même en l'absence d'aléa
N° Lexbase : N2242BUL
par Philippe Duprat, ancien Bâtonnier du barreau de Bordeaux
Réf. : Cass. civ. 2, 27 mars 2014, n˚ 13-11.682, FS-P+B (N° Lexbase : A2469MIB)
La détermination de l'honoraire du à l'avocat en rémunération du travail accompli est au centre de préoccupations, souvent contradictoires, qui imposent alors au juge de trancher, après que le Bâtonnier aura
arbitré.
De tout temps, l'honoraire de l'avocat a généré un double contentieux : celui de sa fixation et celui de son
recouvrement ; le premier préexistant au second. En 1772, le juriste-consulte Armand Camus professait,
dans ses lettres sur la profession d'avocat, que l'honoraire doit être conçu comme "un don spontanée de
la reconnaissance du client". Cependant L'Ancien Régime pratiquait la tarification des honoraires des avocats (Des établissements de Saint Louis, chapitre IV). Ils pouvaient néanmoins obtenir en justice que leurs
honoraires soient arbitrés à des sommes plus importantes en considération des mérites de leur travail.
Lorsqu'on imposa aux avocats qu'ils fournissent aux juridictions le détail de leurs honoraires, ils se mirent
en grève... en 1602, durant quatorze jours, en réaction d'un arrêt du Parlement qui les obligeait à signer leurs
écritures et à mentionner leurs honoraires : les avocats seront entendus et n'hésiteront pas à renouveler
leur mouvement, notamment contre les décisions de Mazarin. Plus tard, au XIXème siècle, pour protéger
leur indépendance vis-à-vis des juridictions, les avocats décidèrent de s'abstenir de réclamer en justice le
recouvrement de leurs honoraires. Le faisait-il, qu'ils étaient alors exclus de l'Ordre.
Pour autant, la nécessité de préserver l'avocat contre l'ingratitude du client devait conduire le législateur
par la loi n˚ 57-1420 du 31 décembre 1957 à autoriser les avocats à réclamer en justice leurs honoraires.
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Confronté à la double nécessité d'assurer la protection de l'avocat créancier de son client qui pourrait sous de vains
prétextes refuser de payer ce qu'il doit, et du client qui pourrait avoir de justes motifs de ne pas payer ce qui lui serait
injustement réclamé, le législateur moderne a énoncé les principes de la détermination du montant des honoraires
(loi n˚ 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 10 N° Lexbase : L6343AGZ) et réglementé la procédure de contestation
des honoraires (décret n˚ 91-1197 du 27 novembre 1991, art. 174 et s. N° Lexbase : L8168AID).
Dans les relations avec son client, l'avocat peut vouloir rechercher une amélioration du montant de l'honoraire
initialement convenu en considération du résultat obtenu (loi n˚ 71-1130, art. 10 , al. 3).
Le régime juridique de l'honoraire dit "de résultat" est précis. Il s'est peu à peu construit. L'arrêt rendu le 27 mars
2014 participe de cette construction qui vient décider que "l'existence d'un aléa ne constitue pas une condition de
validité de la convention prévoyant un honoraire de résultat".
Les conditions de validité de la convention dite "d'honoraire de résultat" se trouvent ainsi précisées (I) Pour autant
la régularité formelle d'une convention d'honoraire n'exclut pas tout contrôle du montant de l'honoraire de résultat
(II).
I — Les conditions de validité de la convention d'honoraire de résultat
Selon l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, "est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations
effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu".
Par deux arrêts remarqués en date du 3 mars 1998, la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass.
civ. 1, 3 mars 1998, deux arrêts, n˚ 95-21.387 N° Lexbase : A2039ACI et n˚ 95-21.053 N° Lexbase : A2035ACD)
avait énoncé qu'"est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un
honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ; [...] il en résulte qu'aucun honoraire
de résultat n'est dû s'il n'a pas été expressément stipulé dans une convention préalablement conclue entre l'avocat
et son client".
L'exigence d'une convention préalable n'a d'autre fondement que la protection du client. Rien ne justifie qu'il soit
mis devant le fait accompli une fois la prestation réalisée. La prévisibilité de l'honoraire et des conditions de son acquisition à l'avocat participent efficacement de l'engagement du client de recourir au service d'un avocat. Il est donc
légitime d'assurer la protection du client qui s'engagera en connaissance de cause. C'est d'ailleurs ce qui justifie a
contrario que la cour de cassation a toujours admis (Cass. civ. 2, 7 mai 2003, n˚ 01-17.495, FS-P+B N° Lexbase :
A8266BSX) que l'exigence de la convention préalable s'effaçait devant le choix du client de régler spontanément,
après service rendu, un honoraire complémentaire. Selon la Cour, "le client qui, après service rendu, offre de payer
librement à l'avocat un honoraire complémentaire ne peut se prévaloir, pour contester cet engagement, de l'absence
de convention préalable à la prestation ainsi rémunérée".
De la même manière le droit pour l'avocat de percevoir effectivement l'honoraire de résultat est subordonné à la
nécessité d'obtenir une décision définitive. A défaut la perception de l'honoraire de résultat serait sans cause et
devrait être restitué. La Cour de cassation a, plusieurs fois, rappelé cette réalité. Ainsi, par exemple, dans un arrêt
du 10 mars 2004, la Cour énonce, au visa de l'article 10 de la loi modifiée du 31 décembre 1971, que "l'honoraire de
résultat prévu par convention préalable n'est dû par le client à son avocat que lorsqu'il a été mis fin à l'instance par un
acte ou une décision juridictionnelle irrévocable" (Cass. civ. 2, 10 mars 2004, n˚ 01-16.910, FS-P+B+R N° Lexbase :
A4829DBH). Cette règle est, d'ailleurs, bien connue des clients indélicats qui révoquent, en cause d'appel, l'avocat
avec lequel ils ont conclu une convention d'honoraire de résultat, et choisissent un nouveau conseil. Ce dernier
ne pourra pas prétendre au bénéfice de la convention conclue avec le confrère précédent lequel ne pourra obtenir
aucun honoraire de résultat en l'absence de décision irrévocable. Le client devient vite le premier ennemi de son
avocat...
Mais, au-delà de la seule existence de la convention de résultat, les textes n'imposent aucune autre condition. La
question s'est, cependant, posée de savoir s'il n'était pas de l'essence même de l'honoraire de résultat que de
rémunérer un travail dont le résultat était par nature aléatoire. Dit autrement, c'est parce que le résultat obtenu
pour le client était sinon imprévisible, du moins inattendu, que l'honoraire complémentaire se justifie. Proposer
un honoraire rémunérant un travail dont on connaîtrait par avance le résultat favorable qu'il va automatiquement
générer pour le client serait une forme de tromperie. L'aléa deviendrait ainsi une condition de validité de l'honoraire
de résultat. Il pourrait aussi servir de justification au montant de l'honoraire.
Dans un précédant arrêt (Cass. civ. 2, 23 mai 2013, n˚ 12-10.240, F-D N° Lexbase : A9179KDC), la Cour de cassation avait eu l'occasion de se prononcer sur l'aléa comme condition de validité des conventions d'honoraires
complémentaires. Elle n'avait, cependant, pas saisi l'opportunité qui lui était offerte de le faire. La cour avait sim-
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plement jugé, au visa cumulé de l'article 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1127H4I) et 1134 du Code
civil (N° Lexbase : L1234ABC) : "que pour dire sans effet les dispositions de la convention [complémentaire d'honoraire de résultat], l'ordonnance énonce, d'une part, que la validité de la convention doit être examinée au regard
du droit commun et des vices du consentement, d'autre part, que, si cette convention a été conclue antérieurement
au résultat obtenu, elle l'a été après que la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Bretagne eut
émis l'avis que Mme X pouvait prétendre à la réparation intégrale de ses préjudices, ce dont il résultait qu'il n'y avait
aucun risque d'échec pour l'avocat quant à l'issue de l'affaire à la date à laquelle il faisait signer à sa cliente cette
convention d'honoraires ; [...] Qu'en statuant ainsi, sans préciser le fondement juridique de sa décision d'écarter
l'application de la convention d'honoraires, le premier président n'a pas satisfait aux exigences du premier de ces
textes et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du second". Il apparaissait, pourtant, que le premier
président avait pris en considération l'absence manifeste "de risque d'échec pour l'avocat", c'est-à-dire d'aléa, pour
dénier tout effet à la convention de résultat.
Selon l'arrêt commenté les choses sont désormais claires : l'aléa n'est pas une condition de validité de l'existence
de la convention d'honoraire de résultat. Au cas d'espèce, un légataire universel avait chargé un avocat de diligenter toute procédure pour faire reconnaître ses droits. Une première convention avait été conclue, portant sur un
honoraire complémentaire de 10 %. Ultérieurement une seconde convention s'était substituée portant l'honoraire à
30 %. Le premier président, pour annuler la convention, avait retenu qu'au moment de sa signature il n'existait plus
d'aléa sur l'existence ou le montant de la créance du client. La cassation intervient car l'aléa n'est une condition de
validité de convention de résultat.
Si la validité de la convention n'est pas en cause, cela n'implique pas pour autant que la discussion ne puisse pas
s'instaurer sur le montant de l'honoraire lui-même.
II — Le contrôle du montant de l'honoraire de résultat
Le caractère très alléchant de certaines conventions d'honoraires de résultat est une évidence dont les Bâtonniers
investis en première instance du contentieux de l'honoraire peuvent témoigner.
Mais précisément, ils sont excellemment bien placés pour rappeler que la validité de la convention ne préjuge pas
d'un certain contrôle sur le montant de l'honoraire.
Il est, d'abord, une hypothèse ou l'intervention du Bâtonnier sera déterminante. C'est toutes les fois que n'auront
pas été fixées les modalités d'évaluation de la rémunération. La Cour de cassation a, notamment, précisé par un
arrêt (Cass. civ. 1, 18 mars 2003, n˚ 00-11.863, FS-P N° Lexbase : A5483A79) que "l'article 10, dernier alinéa, de la
loi n˚ 71-1130 du 31 décembre 1971 qui admet la licéité de la convention qui, outre la rémunération des prestations
effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu,
n'exige pas que cette convention fixe les modalités d'évaluation de la rémunération des prestations effectuées".
Déjà, par un précédant arrêt de la même chambre (Cass. civ. 1, 6 juin 2000, n˚ 97-18.188 N° Lexbase : A3472AU7),
la Haute juridiction avait admis que "l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 n'exige pas que les modalités de la
fixation du complément d'honoraire soient déterminées dans la convention des parties et qu'il appartenait dès lors
au premier président d'apprécier le montant de ce complément d'honoraire".
En l'absence de tout critère de détermination il reviendra au Bâtonnier, sous contrôle du premier président, de fixer le
montant de l'honoraire, sans qu'il puisse leur être imposé de respecter une quelconque proportion entre l'honoraire
de base et l'honoraire complémentaire. La Cour de cassation (Cass. civ. 1, 10 juillet 1995, n˚ 93-20.290 N° Lexbase :
A6140ABZ) a censuré un premier président pour avoir annulé une convention d'honoraire de résultat au motif que
le montant de ce dernier était sans rapport avec l'honoraire principal et que l'essentiel de la rémunération d'avocat
ne devait pas dépendre du résultat obtenu. Une telle condition n'étant pas prévue par l'article 10, alinéa 3, de la loi
n˚ 71-1130 du 31 décembre 1971.
Demeure l'hypothèse de l'honoraire de résultat déterminé dans la convention, mais dont le client conteste, par la
suite, non le principe, mais le montant. La Cour de cassation nous a rassuré, par un arrêt du 18 septembre 2003
(Cass. civ. 2, 18 septembre 2003, n˚ 01-16.013, F-P+B N° Lexbase : A5352C94) : l'acceptation de l'honoraire de
résultat dans une convention interdit au visa de l'article 1134 du Code civil d'en redéfinir le montant dès lors qu'il a
été accepté par le client.
Néanmoins, il est admis que les abus qui pourraient être constatés en matière d'honoraire de résultat relèvent
de l'instance disciplinaire seule habilité à juger conformément aux dispositions de l'article 183 du décret du 27
novembre 1991, les infractions déontologiques et, notamment, la violation les principes essentiels de modération
et de délicatesse, désormais visés à l'article 3 du décret n˚ 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA).
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Dès lors, par un curieux retour des choses, si l'aléa n'est pas une condition de validité de la convention d'honoraire
de résultat, l'absence de tout aléa ne pourrait-il pas, en présence d'un honoraire important -30 % comme dans les
faits qui sous-tendent l'arrêt commenté— établir ce manque de modération susceptible de fonder des poursuites
disciplinaires ? Tout dépendra du point de savoir si la délicatesse et la modération peuvent se laisser enfermer dans
une convention...
Décision
Cass. civ. 2, 27 mars 2014, n˚ 13-11.682, FS-P+B (N° Lexbase : A2469MIB)
Cassation, CA Paris, 6 décembre 2012
Lien base : (N° Lexbase : E0079EUH)
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