declin de la qualite du sperme : analyse des causes et des

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declin de la qualite du sperme : analyse des causes et des
DECLIN DE LA QUALITE DU SPERME : ANALYSE DES CAUSES ET DES CONSEQUENCES
La qualité du sperme est probablement un marqueur assez sensible de notre environnement.
Or le tableau dans ce domaine est loin d’être idyllique. En l’espace de 17 ans, entre 1989 et
2005, la concentration en spermatozoïdes du sperme en France a diminué de près d’un tiers
(32,2%), indiquait une étude de l’Institut de veille sanitaire (InVS) publiée en 2013 dans Human
Reproduction. Un homme de 35 ans avait en moyenne 73,6 millions de spermatozoïdes par
millilitre en 1989, mais seulement 49,9 millions/ml en 2005. Une nouvelle analyse menée sur le
même échantillon de population révèle aujourd’hui que cette baisse de la qualité du sperme, qui
concerne aussi bien la concentration que la morphologie des spermatozoïdes, est quasiment
générale sur le territoire (Le Moal J et coll. Reproduction 2014). Cependant Aquitaine et
Midi-Pyrénées, deux régions vinicoles et agricoles, se distinguent par un déclin particulièrement
marqué de la richesse et de la qualité morphologique du sperme, ce qui conduit les auteurs à
évoquer l’hypothèse d’un rôle délétère des pesticides.
Ces études très poussées ont été possibles grâce à la base Fivnat, qui recueillait les données
des centres d’assistance médicale à la procréation (AMP) avant que cette mission ne soit
reprise par l’Agence de la Biomédecine en 2006. La population étudiée est composée de 26
609 hommes, partenaires de femmes totalement stériles (avec les deux trompes obturées), afin
d’éliminer les biais de recrutement liés à la fertilité des hommes. "C’est, jusqu’à maintenant
l’échantillon d’hommes proches de la population générale le plus important étudié au
monde
, remarque le Dr Joelle
Le Moal, qui a dirigé l’étude.
Nous disposions de deux spermogrammes par homme, l’un fait dans un laboratoire de
ville, et celui réalisé le jour de la tentative dans le centre d’AMP, ce qui nous a permis de
faire une étude de sensibilité très approfondie, pour vérifier qu’il n’y avait pas d’effet
centre ou d’autres biais. Avec la date, nous avons pu ajuster en fonction de la saison,
facteur rarement pris en compte dans les études. ".
L’évolution de la mobilité des spermatozoïdes est variable selon les régions, résultant en une
tendance proche de zéro au niveau national. En revanche le déclin de la concentration du
sperme se retrouve dans pratiquement toutes les régions françaises, ce qui conforte la
conclusion de la première étude et amène les auteurs à évoquer une augmentation des
facteurs de risque sur tout le territoire. Seules trois régions échappent à cette baisse : Pays de
Loire, où la concentration du sperme est restée stable, et Auvergne et Languedoc-Roussillon,
où elle très faiblement augmenté, et de manière non significative. La décroissance est la plus
forte en Aquitaine, tandis que Midi-Pyrénées a la valeur moyenne la plus basse, en 2005
comme en 1989. En ce qui concerne la morphologie, seules la Franche-Comté et la Bretagne
ont eu une évolution faiblement positive. Par ailleurs l’évaluation de la morphologie est
extrêmement subjective et on a eu tendance, au cours des dernières décennies, à être plus
sévère dans l’appréciation du pourcentage de spermatozoïdes morphologiquement typiques.
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La cause de ce déclin quasi général se trouve-t-elle dans l’environnement ou dans des
modifications de comportement de la population ? Les multiples causes connues d’altération du
sperme rendent l’analyse délicate. Parmi les facteurs comportementaux, seule l’obésité est
devenue plus fréquente pendant cette période en France. Cependant l’augmentation de l’indice
de masse corporelle est inférieure à la moyenne nationale en Midi-Pyrénées, tandis qu’en
Aquitaine elle est identique au reste de la France.
Quant à l’alcoolisme et au tabagisme, ils ont diminué en France pendant cette période chez les
hommes et la consommation d’alcool et de tabac est plus basse en Aquitaine et en
Midi-Pyrénées que dans le reste de la France. On peut donc penser que ce ne sont pas ces
deux régions qui ressortiraient si la baisse de la qualité du sperme était principalement
liée à une évolution des comportements.
En revanche les auteurs penchent clairement pour l’hypothèse d’une implication des
perturbateurs endocriniens et plus particulièrement des pesticides. Argument très fort en faveur
de cette thèse : Aquitaine et Midi-Pyrénées sont les deux premières régions agricoles de
France, respectivement en termes d’emploi et de surface, et les agricultures fruitières et
vinicole y sont particulièrement développées. Or les vignes sont la culture la plus gourmande de
pesticides. Elles représentent 20 % de la consommation de ces produits en France, alors
qu’elles n’occupent que 3 % des surfaces cultivées, selon l’expertise collective de l’Inserm
"Pesticides et santé" publiée en 2013. De nombreux pesticides sont des perturbateurs
endocriniens et ont un effet sur le sperme et la fertilité chez l’animal. Depuis les années 1950
leur utilisation a augmenté de manière impressionnante et les fongicides sont de loin les plus
souvent employés.
L’expertise collective de l’Inserm recense un millier de substances actives utilisées dans
l’agriculture. On peut imaginer aussi tous les mélanges qui ont pu être utilisés avant que
les plans de réduction de l’utilisation des pesticides, comme Ecophyto, aient été mis en
place
. Plus de 800 substances sont suspectées d’être des perturbateurs
endocriniens
et certains pesticides et PCB sont retrouvés à des
concentrations sériques ou urinaires plus importantes dans la population française que dans
celles d’autres pays.
La problématique de la baisse de qualité du sperme n’est pas nouvelle. En 1995, le Dr Jacques
Auger (Cecos Cochin) avait publié une étude montrant déjà un déclin de la concentration du
sperme de 2,1 % par an, entre 1973 et 1992, chez les candidats au don de sperme parisiens
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(Auger J. et coll. N.Engl.J.Med.1995). Pour lui, l’étude de l’InVS est d’une bonne qualité
méthodologique. Le nombre impressionnant d’hommes inclus gomme les causes de
biais possibles, comme les variations de méthodologie entre laboratoires ou la non prise
en compte de certains paramètres qui influencent la composition du sperme, tels que le
délai d’abstinence avant l’examen. La réserve que qu’il émet est qu’il s’agit d’une étude
rétrospective et que les valeurs moyennes par région ne sont pas présentées. Cela ne
permet pas de répondre à l’hypothèse des pesticides, d’autant qu’en Languedoc
Roussillon, région où, selon des données récentes, il existe le plus de résidus de
pesticides dans l’environnement, on n’observe pas un phénomène très marqué de
baisse de la qualité du sperme.
La région Paca, autre région très viticole, parait contredire également la thèse des pesticides,
car la décroissance du sperme n’y est pas très importante. Il est possible que dans des
régions plus sèches, comme Paca et Languedoc-Roussillon, on utilise moins de
fongicides, que dans des régions humides comme Aquitaine ou Midi-Pyrénées.
Malheureusement, nous ne pouvons pas le vérifier car nous n’avons pas de registre de
l’usage des pesticides, comme il en existe en Californie, par exemple.
Rechercher les agents en cause est extrêmement complexe car la population est exposée à de
multiples substances, qui agissent à faibles doses et de manière chronique, en conjuguant leurs effets de manière assez imprévisible. La problématique de cet "effet cocktail" n’est
abordée que depuis quelques années.
"On peut être exposé à la fois à la fumée de cigarettes, au bisphénol et à des résidus de
pesticides dans l’eau de boisson
.
Cette étude constitue un signal d’alarme, mais il est indispensable maintenant de croiser
des données prospectives chez l’homme et des données expérimentales. Depuis une
vingtaine d’années nous réalisons des études prospectives qui constituent des cohortes
pour observer le lien entre des biomarqueurs de santé et l’exposition à des polluants, en
réalisant des dosages dans le sang ou les urines. Parallèlement, depuis le début des
années 2000 nous développons des modèles animaux pour reproduire les conditions d’exposition environnementale humaine. Nos résultats montrent bien que des
expositions chroniques à des mélanges de polluants à faible dose altèrent la fonction
testiculaire et la production de spermatozoïdes chez l’animal de laboratoire. Des
molécules peuvent très bien ne pas avoir d’effets isolément, mais en avoir en
combinaison. Cela rend très difficile la mise en œuvre de tests prédictifs
.
L’analyse est rendue encore plus complexe par l’absence de courbe dose réponse telle qu’on
l’observe classiquement en toxicologie. Dans certaines situations les effets des molécules
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pourront être plus élevés à doses faibles qu’à doses élevées. "Nous n’avons rien démontré,
confirme le Dr Le Moal.
Nous n’avons fait que de l’épidémiologie descriptive et proposer des hypothèses. Mais
les signaux sont préoccupants. Le rapport Etat de la science sur les perturbateurs
endocriniens publiés par l’OMS et le programmes des Nations Unies pour
l’environnement, il y a quelques mois, montre, en s’appuyant sur des données
épidémiologiques et expérimentales, une augmentation de la plausibilité d’une relation
causale entre les perturbateurs endocriniens et les effets sur la santé reproductive. Mais nous manquons de données humaines. Il faut mettre en place un système global
de surveillance avec des indicateurs bien choisis et les suivre sur le long terme, pour les
générations futures. C’est grâce aux données de Fivnat, recueillies par des scientifiques
très avisés, qui avaient une vision à long terme, que nous avons pu mener à bien notre
travail. C’est comme ça que nous devons travailler aujourd’hui, en pensant à ceux qui
vont devoir réfléchir à ces questions dans 10, 20 ou 30 ans
."
Les perturbateurs endocriniens sont suspectés d’avoir d’autres effets sur l’appareil de
reproduction. En 2001, le Danois Niels Skakkebaek a défini un syndrome de dysgénésie
testiculaire associant malformations urogénitales (cryptorchidie, hypospadias), baisse de la
qualité du sperme et augmentation du risque de cancer du testicule, et émis l’hypothèse que ce
syndrome serait lié à une exposition aux perturbateurs endocriniens in utero, au moment où se
forment les testicules (Hum.Reprod. 2001). En réalité il s’agit plus d’un concept que d’un
syndrome à proprement parler, car ces anomalies semblent associées sur le plan
épidémiologique, mais il est exceptionnel qu’elles soient rassemblées chez une personne. L’InVS a étudié au niveau national l’évolution de ces quatre types de troubles. Le taux de
patients opérés pour un cancer du testicule a augmenté de 2,5 % par an, en France, entre 1998
et 2008. L’augmentation était d’1,8 % par an, entre 2000 et 2008, pour la cryptorchidie et d’1,2
% par an pour l’hypospadias. Cependant, autant les tendances temporelles concordent avec
celles constatées pour le sperme, autant les tendances spatiales sont différentes, ce qui
complique encore un peu plus l’analyse. Ces troubles n’ont pas la même chronologie. Les
malformations urogénitales sont diagnostiquées généralement à la naissance, tandis
que pour le sperme et le cancer du testicule les effets se manifestent plus tardivement.
De plus le sperme continue à être exposé aux effets des perturbateurs endocriniens tout au
long de la vie
Depuis plusieurs années, la France est en pointe pour prendre des mesures réglementaires
fortes sur les perturbateurs endocriniens et soutenir la recherche. D’ailleurs l’utilisation des
pesticides a diminué de manière assez marquée depuis le début des années 2000 et il est
probable que si l’étude de l’InVS était répétée aujourd’hui, les résultats seraient assez
différents, estime le Dr Le Moal. Son équipe espère pouvoir poursuivre la surveillance avec les
données du registre de l’AMP piloté par l’Agence de biomédecine. Mais ses ambitions vont bien
au-delà puisque les auteurs concluent l’article en recommandant la mise en place d’un dispositif
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de surveillance internationale de la santé reproductive. Une telle coopération parait
indispensable pour mieux comprendre l’impact de l’environnement sur la reproduction et
pouvoir réagir à l’apparition de nouveaux risques. Cette proposition a rencontré un bon écho
parmi les pays européens. En témoigne la création du réseau européen Hurgent (HUman,
Reproductive health and General Environment NeTwork), à l’issue d’un atelier de travail qui
s’est tenu les 5 et 6 décembre 2013 à l’InVS, pour définir des indicateurs communs de la santé
reproductive masculine et féminine. Ce réseau a pour vocation de mettre en place un dispositif
de surveillance d’abord européen et peut-être ensuite plus vaste
Reproduction. 24 février 2014
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