Présentation en Français
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Association internationale des critiques d’art : Section suisse Associazione internazionale dei critici d’arte : Sezione svizzera Internationaler Kunstkritiker-Verband : Sektion Schweiz Associaziun internaziunala dals critichers d’art : Secziun svizra ème 45 Congrès de l’AICA, Zurich, 10 au 12 juillet 2012 «Ecrire avec un accent» Chris Fite-Wassilak Trouver un moyen par lequel les choses pourraient avoir de l’importance : l’écriture de Stuart Morgan Pour commencer il nous sera bénéfique d’observer comment plusieurs autres écrivains ont choisi de commencer à étudier le même artiste : « La relative indifférence dont se lamentait Paul Thek durant les dernières années de sa carrière tristement écourtée fait inévitablement partie de sa légende posthume. Une bonne partie de la preuve que certains projets ne furent pas réalisés, que des installations ont été démontées il y a bien longtemps, et que des œuvres ont été irréparablement endommagées dans le transport ou détruites par des musées qui refusaient de les entreposer, est faible et fugace. » (Caoimhin Mac Giolla Leith, 1999) « Thek a passé la plus grande partie de sa vie créative dans un exil en Europe, exil qu’il avait choisi, et son art cosmopolite a été nourri par la traversée de cette vie de fugitif. Il croyait à ce processus, à la pauvreté volontaire, à la vie et au matériel en changement constant, à l’utilisation de matériaux de tous les jours où les métaphores étaient toujours prêtes à portée de main. Il croyait en la grâce de la fluidité et du passage du temps qui inspire les œuvres créatives, et que les matériaux des œuvres d’art devaient être eux aussi éphémères, un repère, un signe de son propre passage. » (Ann Wilson, “Voices from the Era,” catalogue for The Wonderful World That Almost Was, Witte de With, 1995) Considérons maintenant le premier paragraphe de l’écrit de Morgan « L’Homme qui ne pouvait pas se lever », qui débute ainsi « Nous sommes en 1963 ». La façon que Morgan a d’aborder son sujet aurait pu être de parler lui aussi de l’humeur noire de Thek et de son isolement au cours des dernières années de sa vie. Mais il les évoque par le moyen de l’habitation subjective d’un portrait photographique, allant et venant dans le récit de sa vie. Immédiatement, il s’engage dans une approche de projection spéculative, nous alignant de manière ambivalente avec le processus imaginatif de Thek avec un narrateur conditionnel limité à la troisième personne qui réussit cependant à nous inscrire dans la perspective de Thek. « Au lieu d’être jugé pour leur capacité de déduction », Morgan déclare dans un entretien qu’il donna quatre ans plus tôt dans Eindhoven, « les critiques devraient être respectés pour leur capacité d’intuition, de sympathie et d’imagination. Après tout, afin d’obtenir le maximum d’effet, la critique d’art doit faire montre de pensée créative. Et aucune définition de la critique d’art ne devrait omettre cet élément d’inspiration artistique. » Morgan, qui semble peut-être familier à certains d’entre vous, était un critique d’art britannique qui a écrit des années 70 jusqu’à la fin des années 90 pour un certain nombre de publications : Artforum, Arts Magazine, Art Monthly, Artscribe, Beaux Arts, frieze et Vogue. Dans son introduction au recueil de ses écrits de 1996, Thomas McEvilley l’appelle « le plus éminent des critiques britanniques des 15 dernières années » ; Adrian Searle dans sa nécrologie de 2002 le nomme, « Le critique d’art contemporain le plus important d’Angleterre ». J’ai choisi de me pencher sur lui ici pour un certain nombre de raisons qui dans le contexte d’aujourd’hui sont tout à la fois pressantes et pertinentes. Durant sa vie il a écrit presque exclusivement pour des publications dans le monde de l’art, il était très connu et très lu dans ce milieu ; un feu détruisit la plupart des ses biens et de ses carnets, mais deux recueils, l’un en 1996 et l’autre en 2004, rassemblèrent une sélection de ses essais, critiques et interviews ; sans aucun doute l’hommage le plus permanent qu’un critique puisse espérer de sa profession. Malgré sa carrière (de son vivant), sa renommée, et ces recueils, la présence de Morgan dans les cercles critiques et artistiques semble avoir diminué, au point que certains professionnels adeptes de ces milieux n’ont aucune idée de qui il était. Bien que les contributions au congrès de l’AICA proviennent d’écrivains examinant de près la pratique de l’écriture, j’ai pensé qu’il serait utile d’aller à l’encontre de la mémoire de courte durée des critiques et des artistes et de considérer un écrivain dont la voix et l’approche sont encore une leçon pour l’écriture d’aujourd’hui. Selon Ian Hunt, ami de Morgan et éditeur de ses deux recueils : « Il aimait faire des vagues : ce qu’il voulait réellement était de compliquer certains des termes de jugement ; il s’intéressait à l’importance des choses culturellement, et donc il considérait l’art à tous ses niveaux… il voulait forcer les gens à penser par eux-mêmes, à mettre leur vie en question. Il voyait la critique d’art comme une sorte de structure imaginaire dans laquelle il était possible de le faire. Je crois qu’un aspect de ce qu’il voulait, et de ce qu’il faisait, était de défendre la forme de l’essai comme une forme d’écriture qui implique inévitablement un aspect subjectif. Il avait appris à assumer une subjectivité assurée dans l’écriture d’essais américains, dans le journalisme et dans la littérature, qu’il encadrait rigoureusement d’une analyse empirique des choses, d’un contexte historique – il utilisait la forme de l’essai comme une forme d’interrogation qui implique trouver un moyen par lequel les choses ont de l’importance, une ébauche de possibilité spéculative dont on se sert pour provoquer la pensée. » Dans son essai sur Thek, Morgan termine par une question, transvasant l’instabilité de Thek au lecteur ; mais une partie de pourquoi cet essai pourrait spécialement « représenter » l’écriture de Morgan et comment il reflète aussi sur Morgan lui-même. Quand Thek écrit, « Je veux faire non seulement une œuvre d’art, mais un endroit véritable où se reposer et adorer », ces mots pourraient aussi décrire l’approche de Morgan envers l’écriture ; la question de comment la « procession » incessante de la critique devient alors un héritage vivant reste une question ouverte. 2