Bien gérer les projets télécom
Transcription
Bien gérer les projets télécom
dossier :Gouvernance des systèmes d’information Bien gérer les projets télécoms Stéphane Calé, Architecte en systèmes d’information Les projets télécoms sont complexes et présentent des spécificités qu’il convient de bien comprendre, afin d’utiliser une méthode de gestion de projet adaptée et efficace. Avec la mondialisation et le raccourcissement des délais de décision, de production, de mise en service, les réseaux de communication sont devenus un élément clé de la compétitivité des entreprises. Car au-delà des « e-concepts » lancés par certains « cyber-gourous », la plupart des sociétés n’ont eu d’autre choix ces dernières années, sous la pression de la concurrence internationale, que d’avancer à marche forcée sur la voie de la dématérialisation de leur patrimoine informationnel, afin de réduire leurs coûts et de gagner en flexibilité. Ainsi plus personne ne s’étonne de pouvoir recevoir ses messages électroniques du salon VIP de l’aéroport de Hong-Kong, au travers de l’accès Wi-Fi de son ordinateur portable ou de se connecter via un VPN (1) sur Internet au système d’information de son entreprise pour consulter les dernières présentations Powerpoint du service marketing. Pour répondre à ces multiples défis, la gestion des projets télécoms est devenue une tâche très complexe qui dépasse le simple cadre technique, pour intégrer les aspects économiques, organisationnels et stratégiques. • La revue n° 83 - Juin 2006 1. Les particularités des projets télécoms 18 1. Virtual Private Network : Réseau privé virtuel constitué généralement au-dessus d’une infrastructure publique telle qu’Internet, grâce à une solution de cryptage qui permet d’assurer la confidentialité des échanges de données. Même si les étapes du projet sont connues et balisées – recensement des besoins, identification des contraintes de toute nature, rédaction de cahier des charges, appel d’offres, choix de solution, mise en œuvre, déploiement – il importe de conserver en permanence une approche « services » (coût, qualité, évolution des besoins, contraintes externes). Et l’exercice n’est pas simple pour de multiples raisons : • la constante évolution de l’offre, au plan technologique certes, mais aussi commerciale, dans un mar- ché qui est clairement, contrairement au monde des logiciels, tiré par la demande et non pas par l’offre, • la perception du coût du service fourni par le réseau : si le DSI a du mal à expliquer le TCO du PC de l’entreprise par rapport au prix d’achat de ladite machine auprès de la grande surface locale, le gestionnaire du réseau a encore plus de difficultés à justifier le coût de ses infrastructures télécoms par rapport aux offres de n’importe quel fournisseur d’accès internet – qui se sont tous alignés sur des prix très comparables en moins de trois ans, • les fortes contraintes de disponibilité : le moindre dysfonctionnement est insupportable, mais le fonctionnement normal n’engendre aucune félicitation. Ce qui a des aspects humains non négligeables, dont la motivation des spécialistes n’est pas des moindres, • les opportunités technologiques : l’apparition ces dernières années d’offres Ethernet longue distance a complètement bouleversé le paysage Télécom, car il est maintenant possible de disposer d’infrastructures permettant une grande souplesse de mise en œuvre, à haut débit et pour un tarif inégalé. Ce qui a permis ainsi de développer de nouveaux services tels que la réplication de données à distance. C’est pourquoi, un chef de projet télécoms doit d’abord et avant tout, non pas maîtriser les technologies (comment l’information passe par les tuyaux n’est pas essentiel), mais surtout savoir : • en quoi elles sont pertinentes (pour transporter du texte, du son, de la vidéo, etc.) et comment (en temps réel ou différé, interactifs, etc.), Gouvernance des systèmes d’information dossier fiables, • en quoi elles sont économiques, • en quoi elles sont évolutives : vaste sujet. Tout le monde demande des systèmes évolutifs. Mais de quoi sera faite la communication de demain ? Bien malin qui peut le prédire. Trop souvent, cette question a été ramenée à un problème de débit. En réalité, le problème est beaucoup plus complexe et doit intégrer de multiples paramètres tels que le temps de transit et la gestion de la qualité de service. Il doit également comprendre les différents types d’architectures (étoile, boucle, maillé, any to any…) et de sécurisation (boucle locale, équipements actifs,…), en intégrant aussi bien les aspects théoriques (calcul de la disponibilité…) que pratiques (limite de distance, contraintes réglementaires…). Enfin il doit connaître les différents acteurs du marché – opérateurs, intégrateurs, cabinets de conseil… – pouvant apporter leurs concours et comprendre les services proposés (étude d’opportunité d’évolutions, benchmark financier et technique de l’architecture existante, assistance à maîtrise d’ouvrage…) – mais aussi comprendre leurs limites et savoir comment les sélectionner et négocier avec eux. Les étapes clés d’un projet télécoms sont essentiellement : • La rédaction du cahier des charges et surtout sa validation. Il faut y spécifier de façon la plus exhaustive possible et la moins sujette à interprétation l’ensemble des besoins, contraintes et attentes, afin que les fournisseurs puissent y répondre au mieux. • Le processus d’appel d’offres et la sélection du ou des partenaires. Il doit s’appuyer sur une analyse rigoureuse de toutes les facettes des offres (engagements en termes de qualité de service, technique, coûts…), mais également des modalités de collaboration entre les parties. • Le déploiement, puisque c’est cette étape qui est la plus porteuse de risques. Comme les aspects techniques et organisationnels d’un projet télécoms sont intimement liés, l’approche doit en être globale. La tâche est d’envergure et s’appuyer sur une méthodologie éprouvée est évidemment primordial. 2. La méthodologie PMBOK L’une des méthodologies les plus adaptées aux projets télécoms est le standard international de gestion de projets PMBOK (2) du PMI (3), c’est pourquoi il a été retenu par plusieurs opérateurs mondiaux dont AT & T. Au-delà de son ouverture internationale, c’est surtout son universalité, permettant de traiter aussi bien l’édification d’un nouveau complexe urbain que la réalisation d’un prototype de véhicule automobile hybride qui est déterminante. Les projets télécoms étant par nature transverse : bâtiment, informatique, et bien sûr réseaux, ils doivent donc faire appel à des compétences multiples et sont soumis à des contraintes très variées qu’il faut pouvoir intégrer. Cette méthodologie est articulée autour de cinq phases et neuf domaines de compétences. Les cinq phases sont des phases temporelles : l’initialisation, la planification, l’exécution, le contrôle et la clôture du projet. Les neuf domaines de compétences sont : intégration, contenu, délais, coûts, qualité, ressources humaines, communication, risques, approvisionnements, ce dernier étant généralement traité par le « service achat » qui dispose d’outils internes qui ne sont pas spécifiques à un projet donné (voir figure 1). Cette méthodologie détaille notamment l’importance de documents jalons comme : • le Plan Projet, • le Plan de Gestion des Risques, • le Plan de Management de la Qualité, • le Plan de Management des Coûts, • le Plan d’Assurance Qualité. Et le principal de ces documents est sans conteste le Plan Projet qui permettra de guider l’exécution du projet, d’en assurer la maîtrise et d’en suivre l’avancement. Pour mettre en œuvre ce plan projet, on s’appuiera notamment sur la SDP (Structure de Découpage du Projet) et le graphe des tâches qui permettent, grâce à une décomposition fine des processus intervenant dans la réalisation du projet, d’estimer les coûts, délais et ressources nécessaires à leurs exécutions. Classiquement, les principales phases d’un projet télécoms sont la conception détaillée (collecte des informations techniques…), le déploiement (préparation des infrastructures sur sites, acquisition et approvisionnement des équipements actifs, installation des infrastructures de l’opérateur…), la migration et la recette (technique, fonctionnelle) du nouveau service. Les aspects concernant le management des ressources humaines (définition des rôles et responsabilités, développement de l’équipe…) sont aussi traités, ainsi que la communication (planification et mode de diffusion de l’information) car celle-ci, selon certaines études, peut représenter jusqu’à 90 % de l’activité du chef de projet. Afin d’identifier, d’analyser et de traiter les événements pouvant avoir un impact négatif sur les objectifs du projet, il est indispensable de rédiger le Plan de Gestion des Risques. Ainsi que le Plan de Management de la Qualité qui, lui, permettra de s’assurer que les résultats obtenus sont conformes aux différents standards 2. Project Management Body of Knowledge. 3. Project Management Institute : Association créée en 1969 afin de développer les pratiques et les méthodes en matière de gestion de projets. Elle compte plus de 40 000 membres qui sont répartis en 135 chapitres présents dans 42 pays. • La revue n° 83 - Juin 2006 • en quoi elles sont matures et 19 dossier :Gouvernance des systèmes d’information GESTION DE PROJET 4. Gestion de l'intégration du projet 5. Gestion du contenu du projet 4.1 Élaboration du plan de projet 4.2 Mise en œuvre du plan de projet 4.3 Contrôle intégré des changements 5.1 Démarrage 5.2 Planification du contenu 5.3 Définition du contenu 5.4 Vérification du contenu 5.5 Contrôle des changements du contenu 7. Gestion des coûts du projet 7.1 Planification des ressources 7.2 Estimation des coûts 7.3 Budgétisation 7.4 Contrôle des coûts 10. Gestion des communications du projet 10.1 Planification des Communications 10.2 Diffusion de l'information 10.3 Rapports d'avancement 10.4 Clôture administrative 6. Gestion des délais du projet 6.1 Définition des activités 6.2 Jalonnement des activités 6.3 Estimation de la durée des activités 6.4 Élaboration du planning 6.5 Contrôle du planning 9. Gestion des ressources humaines du projet 8. Gestion de la qualité du projet 9.1 Planification de l'organisation 9.2 Obtention des ressources humaines 9.3 Développement de l'équipe 8.1 Planification de la qualité 8.2 Assurance de la qualité 8.3 Contrôle de la qualité 12. Gestion des approvisionnements du projet 11. Gestion des risques du projet 11.1 Planification de la gestion des risques 11.2 Identification des risques 11.3 Analyse qualitative des risques 11.4 Analyse quantitative des risques 11.5 Planification des stratégies de réponse 11.6 Suivi et contrôle des risques 12.1 Planification des approvisionnements 12.2 Planification des appels d'offres 12.3 Appels d'offres 12.4 Choix des fournisseurs 12.5 Administration des contrats 12.6 Clôture du contrat Fig. 1 : Les neuf domaines de compétences du PMBOK (4) • La revue n° 83 - Juin 2006 et normes qui auront été retenus. Et si tel n’est pas le cas, de déterminer quelles sont les solutions permettant d’éliminer les causes de ces problèmes (amélioration des processus…) ou comment assumer leurs effets (provision financière…). 20 Et les risques de dérives dans le cadre d’un projet télécoms peuvent être de toutes natures comme l’arrivée inopinée de l’hiver en Russie qui empêchera la réalisation des tranchées indispensables à l’acheminement des fibres optiques, ou le vol de câbles en cuivre dans certains pays de l’est afin de pouvoir être revendus chez le ferrailleur ou encore l’embargo des Etats-Unis sur l’Iran qui empêche l’utilisation de technologies américaines dans ce pays alors que la quasi-totalité des équipements réseaux sont nord américains. Enfin, puisque l’achèvement d’un projet n’est que le début de la vie du « service » pour lequel il a été initié, il était important de ne pas négliger les aspects exploitation, afin d’être à même de pouvoir délivrer ce « service » dans les meilleures conditions. Différents outils sont nécessaires à l’exploitation, tels que les tableaux de bord mensuels qui permettent d’avoir une vision objective, au travers d’un certain nombre d’indicateurs (nombre de tickets d’incidents ouverts dans le mois écoulé, disponibilité mensuelle des liaisons, évolution de la bande passante…), de la santé et de l’évolution du réseau (voir figure 2). Ou le Plan d’Assurance Qualité qui décrit de façon détaillée l’architecture mise en œuvre ainsi que les informations nécessaires à la gestion au quotidien (traitement des incidents, processus d’escalade, définition des périmètres de responsabilité…). 3. Conclusion Les multiples facettes des projets télécoms nécessitent à la fois une approche globale et détaillée des projets, qui ne se satisfait pas d’une seule vision technique. Le recours à la méthodologie PMBOK, qui a fait ses preuves sur des projets complexes de toute nature, est particulièrement adaptée. Gouvernance des systèmes d’information dossier Suivi de la qualité de service 100, 000 % 9 99, 950 % 8 7 99, 900 % 6 99, 850 % 5 99, 800 % 4 99, 750 % 3 99, 700 % 2 o b re N ov em b re D éc em b re re b m te p Se O ct o û t A Ju ill e ai M A M ar s vr ie r Fé n Ja t 0 Ju in 99, 600 % vr il 1 vi er 99, 650 % Taux de disponibilité Répartition par responsabilités 22,37 % Nb. incidents Répartition par type d'incidents Répartition par origine de la détection 23,68 % 1,81 % 33,00 % 12, 63 % 24,37 % 8,20 % 3,26 % 75,82 % Opérateur Client 67,00 % 27,86 % Client Tiers Autre Backbone Panne CE Énergie Erreur de configuration Opérateur Boucle locale Fig. 2 : Exemple de tableau de bord Biographie Depuis plus de dix ans, Stéphane Calé (certifié CISA) a réalisé de nombreuses missions pour d’importantes sociétés internationales du monde de la communication, des assurances, de l’industrie automobile… en tant notamment qu’architecte et chef de projets réseaux, télécommunications et sécurité. Ceci lui a permis d’acquérir une forte expertise technique sur ces domaines ainsi qu’en gestion de projets. Il est l’auteur de plusieurs articles dans des magazines spécialisés (ZDNet, Veille Mag et Netcost & Security) et des ouvrages « Sécurité informatique Virus & autres menaces » aux éditions Biotop ainsi que « La gestion de projets télécoms » aux éditions Hermès. Cet ouvrage vous guidera dans les différentes étapes de la mise en oeuvre d'une infrastructure réseau, de sa conception à son exploitation, en passant par son déploiement, au travers de l'utilisation de plusieurs outils méthodologiques, basés notamment sur le standard international de gestion de projets PMBOK. Grâce à son contenu clair et didactique, illustré de nombreux schémas et de conseils issus de l’expérience de son auteur, ce livre n’est pas uniquement réservé à un public d'ingénieurs et de chefs de projets en réseaux et télécoms, mais est tout autant indiqué pour des architectes ou des consultants en systèmes d'information qui souhaitent parfaire leurs connaissances en ce domaine. La gestion des projets télécoms Stéphane Calé Hermès, Collection Sciences Publications, Paris, 2005 – ISBN : 2746211378 • La revue n° 83 - Juin 2006 POUR EN SAVOIR PLUS 21