Intégralité du 9ème jeudi de l`Ordre consacré aux soins palliatifs

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Intégralité du 9ème jeudi de l`Ordre consacré aux soins palliatifs
UN AN APRES LA LOI SUR LES SOINS PALLIATIFS
BILAN : SUCCES, ECHECS, ESPOIRS
19 octobre 2000
9ème jeudi de l’Ordre
INTRODUCTION
Un an après la loi du 09 juin 1999 sur les soins palliatifs et au lendemain du premier décret
d’application, le Conseil national de l’Ordre des médecins a choisi de faire le bilan auprès des acteurs
de terrain : médecins, infirmiers, accompagnants bénévoles et responsables d’associations.
L’Ordre des médecins à l’occasion de ce jeudi de l’Ordre s’est penché autant sur les aspects
“ techniques ” que sur l’approche humaine des soins palliatifs. En effet, il a été question de pratique
médicale contemporaine comme l’organisation des réseaux de soins palliatifs, de coordination des
équipes, de formation des médecins aux sciences humaines et de FMCou encore de la
professionnalisation des équipes soignantes au chevet des personnes en fin de vie que ce soit au
sein des unités de soins palliatifs ou encore à domicile.
Une attention particulière a été portée à la dimension humaine et sociale de l’accompagnement jusqu’à
la mort. La présence d’un sociologue en ouverture a permis de lever toute une série de tabous autour
de la notion de mort et de deuil dans notre société, ce qui était un préalable essentiel. Enfin au
travers des témoignages de professionnels ou de bénévoles, la douloureuse question de la
souffrance physique ou psychique a largement été évoquée.
L’Ordre des médecins ne peut qu'être favorable à la formation des médecins aux soins palliatifs, il
espère contribuer à la qualité de ses mêmes soins au travers de sa réflexion sur la restructuration de
l’offre de soins dans le cadre de la qualité de l’exercice médical.
Nous espérons que la restitution de ce jeudi de l’Ordre répondra à toutes les questions de ceux qui
s’intéressent aux évolutions éthiques de la prise en charge médicale au sein de notre société.
Conseil National de l’Ordre des médecins
Débat
Patrick BAUDRY, Professeur en Sociologie - Université Michel de Montaigne Bordeaux 2
Michel DETILLEUX, Conseil National de l’Ordre des Médecins
Marie FAUCHEUR, Cadre infirmier – Service Soins Palliatifs – Hôpital Sainte Périne
Françoise GLORION, Présidente de JALMALV Paris Ile-de France
Lucien NEUWIRTH, Sénateur de la Loire
Marie-Aline RENARD, Bénévole - JALMALV Paris Ile-de France
Martine RUSZNIEWSKI, Psychanalyste – Unité mobile de Soins Palliatifs – Hôpital Pitié-Salpêtrière
Pascale VINANT, Médecin – EMSP – Hôpital Cochin
Le débat a été présidé par le Professeur Bernard GLORION, Président de l’Ordre National des
Médecins, et animé par Sophie AURENCHE, journaliste.
Bernard GLORION
Bienvenue au neuvième jeudi de l’Ordre consacré à la loi sur les soins palliatifs. Un an après son
vote, il est utile d’en dresser un bilan. Je remercie le sénateur Neuwirth d’avoir été à nos côtés pour
ce combat. Vous êtes parlementaire et avez certainement beaucoup influencé vos collègues pour le
vote de cette loi publiée au Journal Officiel le 9 juin 1999. Je tiens également à remercier Sophie
Aurenche qui animera le débat et tous les intervenants présents aujourd’hui qui vont-nous faire-part
de leur expérience des soins palliatifs.
La loi comporte de nombreuses propositions dont certaines n’avaient pas été appliquées jusqu’à
présent faute de décret d’application. Elle n’est autre que la transposition des articles 37 et 38 du
Code de déontologie. Nous y retrouvons les préoccupations essentielles de l’accompagnement des
personnes en fin de vie, du soulagement de la douleur, du maintien de la qualité de la vie qui reste et
de l’accompagnement de l’entourage.
Avant d’ouvrir le débat, je tiens à vous communiquer les propos de Madame Gillot sur les deux
décrets d’application des articles 5 et 10 de la loi : “ Le premier décret d’application concerne les
conditions d’intervention des associations de bénévoles auprès des personnes en fin de vie,
bénévoles qui doivent conclure des conventions types entre les associations et les institutions de
santé. ” Ce décret a été signé par Madame Aubry hier matin. Nous ne pouvons que l’en remercier. Le
second décret d’application concerne les conditions particulières d’exercice et de rémunération des
professionnels qui délivrent des soins palliatifs à domicile. Madame Gillot prévoit que “ ce décret sera
finalisé dans les plus brefs délais ”.
Si cette loi représente une avancée considérable, il est de mon devoir de dire qu’elle ne résout pas
tous les problèmes. Les soins palliatifs relèvent d’un engagement de tous : médecins, bénévoles,
personnel infirmier et famille. J’aimerais insister sur leur caractère affectif. Malgré des lois
encourageantes, le problème des soins palliatifs est essentiellement humain.
Sophie AURENCHE
Je vous propose d’écouter Lucien Neuwirth qui s’est notamment battu pour la reconnaissance des
soins palliatifs. Un an après cette loi, quel est votre bilan sur le terrain ?
Lucien NEUWIRTH
Avant tout, je tiens à vous témoigner mon plaisir d’être parmi vous, à l’heure où naît une nouvelle idée
de la médecine, plus proche de l’homme. Je confirme les propos du Professeur Glorion. J’ai
beaucoup insisté pour que Madame Aubry signe, avant son départ du Gouvernement, le décret
d’application de la loi relatif aux relations et aux conventions des bénévoles accompagnant les
personnes en soins palliatifs. Les associations de soins palliatifs peuvent enfin exister d’après la loi et
développer leurs interventions, tant dans les établissements de santé, sociaux, médico-sociaux qu’à
domicile.
Concernant le deuxième décret d’application sur la sortie du paiement à l’acte, nous allons devoir être
patients. De fait, le Secrétariat d’Etat à la Santé n’avait pas toutes les compétences pour agir. Par
conséquent, ce décret a été orienté vers la CNAM. En réponse à une question orale au Parlement,
Madame Gillot a fait savoir qu’elle devait encore consulter les organisations professionnelles pour
mettre au point cette manière de procéder. J’ai de bonnes raisons de penser que ce décret sera signé
à la fin 2000.
En réalité, la loi sur les soins palliatifs a été la conséquence de la loi sur la prise en charge de la
douleur promulguée en février 1995. Les articles 37 et 38 du Code de déontologie qui ouvraient le
chemin vers une définition légale des soins palliatifs sont ensuite apparus en septembre 1995.
L’article premier de la loi sur les soins palliatifs stipule que toute personne malade dont l’état le
requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. L’article C fait état que
toute personne malade peut s’opposer à toute investigation thérapeutique. Enfin, l’article 7 indique
que les établissements médico-sociaux doivent mettre en œuvre les moyens propres à la prise en
charge de la douleur des patients qu’ils accueillent et assurer les soins palliatifs que leur état requiert,
quelle que soit l’unité ou la structure de soins dans laquelle ils sont accueillis. Les établissements de
santé, les établissements de services sociaux et médico-sociaux peuvent donc passer des
conventions pour assurer ces missions.
Cette loi vise directement les personnes âgées dépendantes. Ces dernières ont les mêmes droits que
les autres. Accompagner une personne malade implique un véritable investissement humain et
affectif. Les bénévoles donnent le meilleur d’eux-mêmes pendant quatre ans en moyenne. Pour un
malade, le passage dans une unité de soins palliatifs n’est pas facile à vivre. C’est pourquoi les soins
palliatifs sont à replacer dans la logique de la continuité de soins. Le regard et l’écoute de l’autre sont
extrêmement importants : celui ou celle qui va quitter ce monde a besoin d’être entendu. Il est
souvent question de la qualité de la vie. Je crois qu’il est également essentiel de se préoccuper de la
qualité de la fin de la vie.
C’est ainsi que les unités de soins palliatifs se développent de plus en plus. Au-delà d’une prise de
conscience de cette nécessité, un humanisme du troisième millénaire est en train de naître. Nous
savons tous pertinemment que nous avons besoin de cet humanisme pour répondre aux grandes
questions et conflits du moment. La définition de la loi passe par cette nouvelle vision de ce devoir
de solidarité et d’accompagnement. Je suis donc très heureux que Madame Aubry ait tenu sa
promesse de signer le premier décret d’application avant son départ. Ce décret qui couvre une page
du Journal Officiel prend en compte tous les aspects de la participation des bénévoles à
l’accompagnement des personnes en fin de vie.
Sophie AURENCHE
Selon vous, pourquoi avons-nous dû attendre l’année 1999 pour que cette loi soit votée alors que
beaucoup étaient convaincus de son utilité depuis longtemps ?
Lucien NEUWIRTH
Les structures mentales sont extrêmement difficiles à changer. Je pense notamment au problème de
la douleur. Les premiers centres de lutte contre la douleur existent depuis de nombreuses années,
mais il a fallu changer les mentalités. De fait, la douleur s’était banalisée. Dès lors qu’il était “ normal
de souffrir ”, les médecins laissaient souffrir leurs patients. Les attitudes ont donc dû être modifiées.
Pour ma part, j’avais demandé à voir le cardinal Lustiger afin de lui poser la question suivante :
“ Quid de la douleur rédemptrice ? ” Je me suis retrouvé en face d’un homme intelligent et ouvert qui
m’a répondu : “ Je suis tout à fait d’accord avec les conclusions de votre rapport. Je considère qu’à
notre époque, nous n’avons plus le droit de laisser souffrir les malades, puisque nous en avons les
moyens. Je pense que Jésus a souffert pour tous les hommes. L’Eglise catholique vous aidera. ”
Avant la promulgation de la loi sur la douleur, j’ai également entendu l’opinion du recteur de la
Grande Mosquée, du Grand Rabbin de Paris et des représentants de l’Eglise protestante. Tous
étaient favorables à la maîtrise de la douleur.
Concernant le changement de mentalité par rapport aux soins palliatifs, je suis convaincu que les
articles 37 et 38 du Code de Déontologie ont eu une importance considérable dans cette ouverture
d’esprit. Finalement, le Parlement a voté cette loi à l’unanimité.
Sophie AURENCHE
Professeur Detilleux, pensez-vous que cette loi va améliorer votre pratique quotidienne ?
Michel DETILLEUX
Bien évidemment. Etant membre de l’institution ordinale, je ne peux qu’être touché par le rappel de
l’utilité des articles 37 et 38 du Code de Déontologie pour inspirer des travaux réglementaires.
Aujourd’hui, nous sommes réunis pour faire un bilan aux multiples facettes. J’aimerais donc attirer
votre attention sur les divers éclairages qu’il convient d’envisager.
Tout d’abord, le bilan institutionnel n’est pas simple à effectuer. Deux dispositifs, l’un sur la douleur,
l’autre sur les soins palliatifs, se sont succédé et superposé à des actions anciennes, militantes, plus
ou moins isolées et dans l’ensemble peu reconnues. Mais depuis deux ans, nous avons assisté à une
formidable accélération du mouvement en faveur de l’accompagnement des malades par la mise en
œuvre de soins palliatifs. De nombreuses équipes se sont créées en conformité avec des textes
réglementaires prônant la mobilité, la souplesse d’organisation et la proximité du patient. Il s’agit
d’intervenir dans l’ensemble de l’hôpital et non de créer des services cloisonnés. Si le nombre
d’unités fixes de soins palliatifs a augmenté, les créations d’unités mobiles ont été bien plus
nombreuses. L’accès des patients à des soins de qualité a été facilité. Je voudrais également
souligner la résorption rapide, quoique manifestement incomplète, des inégalités géographiques. Les
structures régionales ont joué un rôle important dans cette évolution. Monsieur Neuwirth a souvent
insisté sur le nécessaire soutien du développement des soins palliatifs par les Agences régionales
d’hospitalisation. L’Ordre est également convaincu de l’importance de la régionalisation en matière
de santé. Les objectifs de cette régionalisation sont en autres de responsabiliser davantage les
différents acteurs, de faire un meilleur usage des moyens et d’aller au plus près des besoins des
malades.
Nous pouvons également faire un bilan en termes d’évolution des attitudes, des préoccupations et
des pratiques du personnel soignant affronté à la douleur des patients, à leur détresse ainsi qu’à ce
lle
de leur entourage. Dans tous les champs de l’exercice de la médecine, nous sommes engagés
actuellement dans un processus de prise en compte des besoins des patients autant que des
caractéristiques de la maladie. Il s’agit véritablement d’une ré-humanisation des pratiques médicales.
Les soins palliatifs ne sont pas le seul moteur de cette évolution, mais je suis convaincu qu’ils y
contribuent beaucoup. Aujourd’hui, les unités de soins palliatifs disposent du savoir-faire et des
compétences professionnelles qui ont facilité la continuité avec les soins curatifs. Parallèlement, la
compassion réintègre progressivement le champ de la pratique médicale. Il n’y a pas si longtemps, il
était possible de faire huit ou dix ans d’études de médecine sans que le mot “ compassion ” ne soit
prononcé une seule fois. Je pense que ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Par ailleurs, un bilan peut être effectué en termes d’organisation des établissements. Les structures
de soins palliatifs bousculent les habitudes, les frontières et les hiérarchies. Ces structures nouvelles,
appuyées sur la loi, partagent pour la plupart la caractéristique de ne pas avoir de “ territoire ”
matériellement défini. Aujourd’hui, après les premiers succès de la mise en place d’équipes
transversales, nous assistons à un début d’effacement des classements traditionnels de l’hôpital et
même à un franchissement de ses murs par des équipes dynamiques.
Dans un tout autre domaine de réflexion en termes de bilans, je suis convaincu aussi que la réussite
reconnue des soins palliatifs pourrait nous conduire à réfléchir à nouveau aux demandes de ceux de
nos patients qui, en dépit des soins qui leur sont consacrés, expriment lucidement leur désir qu’il soit
mis un terme à une existence à laquelle ils ne trouvent plus de sens.
Finalement, nous devons nous réjouir des combats menés et gagnés par des hommes comme
Lucien Neuwirth. Mais nous devons aussi déplorer que ces combats aient été nécessaires. Dès la fin
des années 70, grâce notamment à l’action entreprise par et autour du centre Laënnec, les
compétences, la technicité, la pharmacologie relatives aux soins palliatifs commençaient d’être
promues et diffusées. Il faut déplorer le peu d’empressement que nous avons mis à appliquer et à
étendre ces pratiques.
La reconnaissance de ces carences a été très tardive. Elle s’est faite pour une part sous l’effet
d’interventions extérieures à notre profession. Nous, médecins, n’aurions pas du avoir besoin d’une
loi pour apprendre à mieux prescrire des opiacés. Il ne devrait pas avoir nécessité d’un plan
gouvernemental pour rappeler que les établissements de santé doivent prendre en charge la douleur
des patients sous toutes ses formes et assurer les soins palliatifs. Au sein de l’Ordre, nous devons
tout particulièrement nous interroger sur les causes profondes du retard pris dans la prise en charge
de la douleur et dans les soins palliatifs. La diffusion rapide des pratiques améliorées et des
innovations qui peuvent bénéficier aux personnes qui se confient à nous est essentielle. Il nous faut
constamment mériter cette confiance.
Sophie AURENCHE
Lorsqu’une loi est votée, nous nous demandons toujours si elle accompagne ou si elle précède
l’évolution de la société. Pour avoir quelques éléments de réponse, je vous propose d’écouter Patrick
Baudry, sociologue à Bordeaux.
Patrick BAUDRY
Je remercie le Professeur Glorion de m’avoir convié à cette réunion. Une loi est importante car elle
crée un cadre politique et symbolique où les principes directeurs de la société humaine sont mis en
œuvre. Toutefois, pour un sociologue, le droit ne suffit pas à la fabrication de la société. J’aimerais
donc vous apporter quelques éléments de réflexion sur les structures mentales mentionnées par
Lucien Neuwirth. De fait, de très grands progrès doivent encore être réalisés dans ce sens.
Selon moi, le progrès de l’idée de l’euthanasie comme conclusion souhaitable de la vie doit toujours
être pris en compte. Je ne pense pas que la loi suffise à faire rempart à ce progrès d’une certaine
idéologie de l’euthanasie comme conclusion inévitable de l’existence. De fait, ce discours est adapté
à la modernité, à l’émergence de la logique du “droit à ” et à un certain hédonisme où la souffrance ne
saurait plus avoir de positivité. Il est également une réponse logique aux situations engendrées par le
techno médical. Cette réflexion se fonde sur une position binaire entre d’une part l’acharnement
provenant du pouvoir médical et réduisant l’homme au statut d’objet, et d’autre part l’euthanasie
permettant de retrouver la possibilité d’une décision individuelle où l’homme serait sujet et auteur de
sa propre fin. Cette capacité de décision couronne la liberté comme droit inaliénable.
Dans les années 80, deux tendances s’opposaient : l’association pour le droit à mourir dans la dignité
et l’association JALMALV (Jusqu'à la mort accompagner la vie). Le tournant fut pris dans les
années 90 lorsque l’ADMD a intégré la notion de soins palliatifs comme contrôle de la douleur et
maîtrise des derniers moments. Dès lors, j’ai pu observer des confusions au travers de mes enquêtes
et de mes entretiens : les soins palliatifs sont souvent réduits à une forme d’euthanasie. Certaines
personnes considèrent seulement que l’euthanasie est plus rapide que les soins palliatifs. Par
ailleurs, j’ai pu constater une sorte d’indétermination politique. Je me pose alors une question : les
soins palliatifs ne seraient-ils pas une sorte d’amélioration des conditions d’hospitalisation du malade
en fin de vie, sans exclure dans un avenir plus ou moins proche l’éventualité d’une législation du
suicide assisté ? Je soumets cette question au débat. Dans un article de la revue Prévenir, Bernard
Matray soulignait que le suicide assisté peut se comprendre par un ensemble d’acteurs dans la vie
sociale comme l’accompagnement le mieux réussi.
Pour l’heure, il faut lutter contre la représentation d’une mort dégradante et insupportable. Le
Professeur Schwartzenberg parlait souvent de la mort monstrueuse. Le fait de ne pas accepter la
mort provient de trois sources. Premièrement, la formation des médecins doit être considérablement
améliorée. Il existe de nombreux lieux où les Sciences Humaines ne jouissent encore que d’une
portion congrue. En outre, l’enseignement de la sociologie par les médecins me paraît surprenant. La
deuxième source de l’image de la mort comme étant ignoble est le prima de l’image externe comme
équivalent de l’identité. Le sentiment de la dégradation est lié à ce que la personne montre d’ellemême au lieu de prendre en compte ce qu’elle continue d’être. Troisièmement, l’idée selon laquelle
la mort est un problème et que la mort n’est plus considérée comme étant naturelle, comme au
Moyen Age. Or pour le sociologue, la mort relève bien du culturel et de l’organisation en commun
d’une société. Elle est non seulement un événement mais a également une dimension sociale
impliquant l’intervention du collectif.
Bien évidemment, la mort est un événement terminal. Elle fait également référence à l’enjeu de la
transmission. La scène du film de Marcel Pagnol où Panisse est entouré de ses compagnons n’est
pas obsolète. Les enfants entre 8 et 14 ans, qui n’auront pas pu revoir leur parent malade avant leur
décès seront extrêmement choqués de le revoir transformé lors de leur décès.
La question de la douleur est également essentielle. Mais le traitement de la douleur ne supprimera
pas la souffrance. Le monde médical a longtemps été réticent aux antalgiques, moins parce les
patients pouvaient devenir dépendants que parce l’enjeu relationnel provenant de la douleur est
conséquent. Le travail et l’investissement supposé par l’accompagnement l’est également. Il est
utopique de penser que nous pourrons un jour mourir sans souffrance. Pour tout être, la mort
demeurera toujours une forme de violence.
Certes, la place de la mort est importante. Je pense que la place des morts l’est tout autant en
termes de souffrance (deuil) et de responsabilité.
Sophie AURENCHE
Ne pensez-vous pas que cette loi a le mérite de nous faire réfléchir sur les conditions de mourir
aujourd’hui ?
Patrick BAUDRY
Encore faut-il que cette loi soit diffusée et discutée. Nous pouvons avoir l’impression qu’il s’agit d’une
question d’expert relevant d’une technicité médicale. Mais cette loi a tout de même permis une mise
en public des questions relatives à l’approche et l’humanisation de la mort. Le fait qu’une loi autorise
l’absence professionnelle d’une personne pour pouvoir être au chevet d’un malade est la preuve de
la resocialisation de la mort.
Sophie AURENCHE
Pourtant, peu de personnes ont demandé à bénéficier de ces congés d’accompagnement.
Lucien NEUWIRTH
Le congé d’accompagnement soulève un problème majeur : à l’heure actuelle, nous ne disposons pas
de financement spécifique des problèmes de santé. De fait, aucune politique globale de la santé n’a
encore été définie. Par exemple, le budget de la Sécurité Sociale de 693 milliards de francs environ
n’est pas pensé dans la vision d’une action spécifique et globale de la santé. Pour en revenir au
congé d’accompagnement, le Sénat a voté à l’unanimité le congé d’accompagnement des personnes
en fin de vie en même temps que le congé d’accompagnement pour les enfants malades.
Malheureusement, faute d’un financement global, la Secrétaire d’Etat à la Santé a appliqué
l’article 40 qui consiste à interdire toute dépense non gagée par une recette. Une partie du budget de
l’Education Nationale, avec l’accord de Ségolène Royal, sert donc à financer l’accompagnement des
enfants malades au titre d’une politique de la famille. En revanche, puisqu’il n’existe aucun budget
autonome de la santé, le financement de l’accompagnement des personnes en fin de vie ne peut pas
s’effectuer.
Bernard GLORION
J’aimerais revenir sur les derniers propos de Patrick Baudry. Pourquoi ne pas organiser des forums
citoyens sur la mort ? Les usagers ont été introduits dans le système de santé. Ils devraient
également être informés sur la mort. Les différents intervenants présents aujourd’hui vont
quotidiennement parler de la mort aux jeunes, aux adultes et aux personnes âgées. La mort ne doit
plus être un mot tabou.
Sophie AURENCHE
Finalement, la loi a-t-elle eu des répercussions sur la pratique quotidienne des médecins et des
infirmières ? Marie Faucheur, qu’en pensez-vous ?
Marie FAUCHEUR
La loi du 9 juin 1999 n’a pas modifié nos pratiques au sein des unités de soins palliatifs. En revanche,
elle a permis une reconnaissance de la part de nos supérieurs hiérarchiques et rendu public ce vers
quoi nous devons tendre. Il y a une quinzaine d’années, des pionniers se sont lancés dans cette
aventure. Nous en tirons les bénéfices aujourd’hui. La loi n’aurait pas été telle qu’elle est sans eux.
Malgré la loi, les unités de soins palliatifs s’organisent toujours de la même façon. En effet, les
premières unités créées ont fonctionné sur une logique médicale convergente. Sans le partage de
valeurs professionnelles et de références éthiques, rien n’aurait été possible. Ces valeurs et
références sont des fondations partagées par toute l’équipe et énoncées dans un projet de service
auquel nous nous référons. Par la suite, les équipes soignantes et les médecins ont cherché, en
collaboration avec les psychologues et les assistantes sociales, à créer des outils pour que ces
fondations puissent vivre au quotidien.
J’aimerais souligner un point qui me tient à cœur.Certes, il faut des médecins compétents, disponibles
et humains. Mais les psychologues sont également essentiels. Je n’arrive pas à croire que certains
projets puissent encore être validés sans psychologue et sans groupe de parole. A l’hôpital Sainte
Périne, nous devons notre maturité professionnelle aux psychologues. De fait, ces derniers disposent
de compétences particulières. Ils sont là pour soutenir les malades, soutenir les familles et
accompagner les équipes.
Sophie AURENCHE
Les familles que vous accueillez connaissent-elles la loi ?
Marie FAUCHEUR
Nous ne leur communiquons pas le texte. Toutefois, les familles ont beaucoup de bon sens. Il
suffirait de les écouter et des les entendre et nous ne tomberions pas dans l’acharnement
thérapeutique. A ce sujet, j’aimerais vous citer un cas récent que j’estime inacceptable. Un malade
est décédé en réanimation. Il s’agissait d’une personne de 82 ans, sédatée et mis sous dialyse. Sa
femme n’a pas pu rester plus de cinq minutes aux côtés d’un homme qu’elle ne reconnaissait pas.
Elle aura beaucoup de mal à accepter le départ de son mari. La famille est détruite. Un autre patient
m’a violemment dit un jour : “ on m’a volé ma mort ”. Je ne vous parle pas non plus de l’état dans
lequel certaines personnes arrivent. Nous passons des heures au téléphone avec des familles en
détresse. Ainsi, même si la loi nous ouvre le chemin, il reste un travail considérable à faire.
Bernard GLORION
Vous avez parlé d’acharnement thérapeutique. Je parlerais plutôt d’obstination déraisonnable.
Marie FAUCHEUR
Je préfère parler d’acharnement thérapeutique. En mai ou juin 2000, des malades provenant de
services aigus (cancérologie…) sont arrivés dans l’unité de soins palliatifs. Deux jours avant, ils
avaient subi la pose d’un cathéter, d’une seringue électrique, d’une sonde urinaire et reçu des
antibiotiques très sophistiqués et très coûteux. Ces malades sont décédés quatre jours plus tard. Je
me suis demandée comment il était possible de nous envoyer de tels malades. Je me suis alors dit
que le PMSI cotait ces actes qui rapportent des points. C’est une hérésie. Que pouvons-nous dire
aux familles à qui l’on avait donné de l’espoir ?
Sophie AURENCHE
Pascale Vinant, pour vous, la loi est très importante pour que les soins palliatifs soient différemment
considérés à l’hôpital.
Pascale VINANT
Effectivement, le personnel de l’unité de soins palliatifs a eu l’impression d’être entendu et reconnu.
La loi a redonné du baume au cœur des professionnels. Notre équipe mobile ayant rencontré de
sérieuses difficultés pour obtenir des moyens, elle a ressenti cette loi comme un soutien à son travail.
Sophie AURENCHE
Etiez-vous considéré comme des étrangers il y a cinq ou dix ans ?
Pascale VINANT
Tout à fait. Au début des équipes mobiles, la méconnaissance des services de soins palliatifs était
patente. Leurs conditions de travail étaient si difficiles que nous ne pouvons pas les imaginer
aujourd’hui. La loi nous a donc apporté un soutien en ce sens. Cela étant dit, dans la pratique, un
grand nombre d’équipes mobiles se sont mis en place dans une certaine précipitation, alors que les
professionnels de soins palliatifs ne se trouvent pas facilement.
Sophie AURENCHE
En 1997, il y avait 74 unités de soins palliatifs. Il y en a 15 de plus en l’an 2000. Par ailleurs, les
équipes mobiles étaient au nombre de 84 en 1997. Elles sont 184 aujourd’hui.
Daniel d’HEROUVILLE
A l’heure actuelle, les unités de soins palliatifs comptent de un à trois lits. L’évolution du nombre
d’équipes mobiles que vous mentionnez est donc tout à fait relative. La Société Française
d’Accompagnement aux Soins Palliatifs (SFASP) n’a pas les mêmes données puisque le Secrétariat
d’Etat à la Santé considère comme équipes mobiles les équipes constituées d’une personne (souvent
à temps partiel…).
Sophie AURENCHE
C’est un des effets pervers de la loi.
Daniel d’HEROUVILLE
Tout à fait. Je pense qu’il faut donner aux équipes le temps d’arriver à une constitution complète. Les
équipes comptabilisées par le Secrétariat d’Etat à la Santé ne répondent pas aux critères qui
permettraient de les définir comme des unités de soins palliatifs ou des équipes mobiles. Toutefois,
je précise que nous travaillons avec le Secrétariat d’Etat sur de très nombreux projets en cours.
Sophie AURENCHE
Martine Ruszniewski, pensez-vous que le développement intempestif des équipes de soins palliatifs
peut décrédibiliser le mouvement même des soins palliatifs ?
Martine RUSZNIEWSKI
Les équipes mobiles “ vitrine ” sont effectivement nombreuses. Souvent, dans certains grands CHU,
rien n’est organisé autour des soins palliatifs. Selon moi, la présence d’une infirmière ou d’un
psychologue à mi-temps ne suffit pas pour parler d’équipe. A la Pitié-Salpêtrière, l’équipe des soins
palliatifs n’est pas une équipe vitrine, même si elle n’est constituée que d’un médecin à plein temps et
d’un médecin ayant quatre vacations. Au regard de la charge de travail, cela ne me semble pas
suffisant bien qu’ils soient épaulés par trois infirmières, deux cadres, une psychologue et une
secrétaire.
En plus de certaines résistances matérielles et budgétaires, les unités de soins palliatifs génèrent de
nombreuses frustrations chez les soignants qui travaillent dans des services aigus (cancérologie,
maladies infectieuses…). De fait, ayant suivi un nombre incalculable de formations aux soins
palliatifs, les infirmières et les médecins sont également sensibilisés à l’accompagnement de fin de
vie. Ce temps entre mort possible et mort réelle est un temps très difficile à vivre en termes de
souffrance.
Il existe également une résistance intra-psychique. Lorsque ces patients passent des services
traditionnels aux services de soins palliatifs, nous sommes souvent témoins d’obstination
thérapeutique. A travailler dans des services traditionnels, je vois à quel point certains médecins se
retrouvent face à des situations épouvantables du fait de cette résistance intra-psychique. En effet,
même si le patient sait que sa mort est proche, même s’il sait que la médecine ne peut plus rien pour
lui, il garde l’espoir d’être immortel. Selon moi, le fait que les congés d’accompagnement ont été très
peu demandés est lié à ce phénomène d’espoir. Comment faire pour que la mort psychique ne
précède pas la mort physique ? Ces personnes en fin de vie ne sont pas des mourants mais des
personnes qui ont envie de vivre jusqu’au bout.
Pour terminer, je dirais que personne n’a le droit d’écrire que toute personne malade dont l’état le
requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement (article premier de la loi) si,
dans les services de cancérologie et de gériatrie on n’a pas employé une personne pour
accompagner les malades. En effet, je vois quotidiennement des soignants dans un état de
frustration extrême. Les psychologues sont également là pour entendre la souffrance des soignants.
Cette souffrance pourrait être soulagée si les services concernés mettaient les moyens nécessaires
pour cela.
Sophie AURENCHE
Daniel d’Hérouville, vous pensez que le manque de suivi politique est patent, notamment en termes
de moyens.
Daniel d’HEROUVILLE
Tout à fait. Le constat de ce qui a été mis en place est très positif. Mais il reste un travail très
important à faire. Pour reprendre les propos de Martine Ruszniewski, je pense que si la souffrance
des soignants n’est pas prise en compte, nous ne pouvons pas parler de soins palliatifs. Une équipe
ne peut pas prendre en charge des patients en fin de vie sans qu’elles ne soient aidées face aux
difficultés qu’elles rencontrent.
Sophie AURENCHE
Comment faire pour que vos souhaits se traduisent sur le terrain ? Faîtes-vous du lobbying
politique ?
Lucien NEUWIRTH
Le problème réside toujours dans le financement politique de la santé. A l’heure actuelle, il n’existe
pas de budget de la santé. Nous devons faire passer ce message aux hauts fonctionnaires. Les ARH
m’ont souvent dit qu’elles n’avaient pas de moyens. Or il est évident que l’on ne fait rien sans rien.
Après avoir réussi à changer les mentalités, il nous faut parvenir à changer les conceptions des hauts
financiers administratifs.
Bernard GLORION
Martine Ruszniewski parlait du nombre insuffisant de soignants dans les équipes de soins palliatifs.
Cette remarque s’applique également aux médecins. La carte sanitaire actuelle est catastrophique.
Elle ne tient compte que des anesthésistes, des chirurgiens, des pédiatres… mais pas des médecins
qui se dévouent dans les unités de soins palliatifs. La carte sanitaire nationale ne comporte pas de
postes suffisants pour remplir ces fonctions.
Sophie AURENCHE
La nécessité d’avoir un budget de la santé semble primordiale. Daniel d’Hérouville, ne pensez-vous
pas également que les soins palliatifs nécessitent une politique structurant les unités en fonction des
besoins en France ?
Daniel d’HEROUVILLE
Un groupe de travail doit se mettre en place avec le Secrétariat d’Etat à la Santé afin de définir les
missions et les normes relatives aux personnels, aux moyens et aux locaux pour les unités de soins
palliatifs, pour les équipes mobiles, pour les réseaux et pour les services d’hospitalisation à domicile.
Je souligne par exemple que les locaux dans lesquels l’équipe mobile de soins palliatifs de Pascale
Vinant sont assez représentatifs de la considération des soins palliatifs dans un hôpital. Pourtant,
Pascale Vinant réalise un travail fabuleux.
En premier lieu, il convient donc de définir ces normes. Pour les réaliser, il faudra ensuite parler de
financement. Jusqu’à présent, le plan triennal de Bernard Kouchner nous aidait. Ce plan doit s’arrêter
fin 2001. Nous allons essayer de le renouveler en le revalorisant. Par ailleurs, la nécessité d’une
organisation régionale est essentielle. Toutefois, les Schémas Régionaux d’Organisation Sanitaire
(SROS) ont besoin d’une impulsion nationale pour développer les soins palliatifs. De fait, ce
développement est actuellement réalisé selon la bonne volonté de telle personne dans telle région.
C’est ainsi que certaines régions comme l’Aquitaine définissent de très grands projets et d’autres
régions ne comptent que deux lits de soins palliatifs.
Sophie AURENCHE
Malgré la loi, l’inégalité dans les conditions de mourir est bien réelle.
Daniel d’HEROUVILLE
Effectivement. Pour moi, les conditions de mourir aujourd’hui sont une affaire de chance. Certaines
familles me disent qu’elles ont eu la chance de savoir que l’unité de soins palliatifs dans laquelle je
travaille existait.
Sophie AURENCHE
La formation des médecins est également un grave problème. Pascale Vinant, il semble que les
cursus universitaires n’offrent pas beaucoup de place à l’enseignement des soins palliatifs.
Pascale VINANT
Je ne connais pas les chiffres sur l’ensemble de la France. En ce qui concerne l’hôpital Cochin, nous
avons mis en place un enseignement optionnel (20 heures) depuis plusieurs années pour les
deuxième et troisième années de médecine. En revanche, seulement 4 heures sur l’apprentissage et
le traitement de la douleur sont dispensées en deuxième cycle. Dans le troisième cycle de médecine
générale, les médecins généralistes ont mis en place un enseignement de 8 heures. Par contre, rien
n’est encore mis en œuvredans le troisième cycle de médecine spécialisée. Ce sont pourtant les
médecins spécialistes qui ont en charge la formation des futurs externes et internes.
Sophie AURENCHE
Ainsi, une des conditions de réussite de cette loi passe par un réel mouvement de formation des
médecins. Tous les postes doivent être pourvus. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Pascale VINANT
En soins palliatifs, nous rencontrons de grandes difficultés à combler les postes à pourvoir. Nous
sommes en recherche permanente de professionnels formés aux soins palliatifs.
Lucien NEUWIRTH
Cela dépend des facultés. Certaines sont en avance. Je pense notamment à celle de Saint Etienne.
Daniel d’HEROUVILLE
J’aimerais replacer le problème de la formation dans un cadre plus général. La loi donne un droit
fondamental aux personnes malades. Ce droit entraîne un devoir de la part des soignants de
permettre à chaque personne, quel que soit le lieu où elle réside, de pouvoir bénéficier des soins
palliatifs. Pour ce faire, les médecins doivent se former, s’informer sur ce qui existe autour d’eux,
demander un avis quand ils ne savent pas et s’organiser pour y arriver. Ce dernier point concerne
notamment la prise en charge des malades le week-end. Il est tout à fait normal qu’un médecin parte
en week-end, mais il a le devoir de trouver un collègue qui puisse prendre le relais pendant son
absence. De fait, le nombre d’hospitalisations augmentent sensiblement le vendredi soir et le samedi
matin pour certains patients. Pour moi, la formation doit être intégrée dans un ensemble.
Sophie AURENCHE
Je vous propose maintenant de discuter avec les bénévoles, bénéficiaires du premier décret signé de
la loi. Françoise Glorion, expliquez-nous en quelques mots votre travail au sein de JALMALV. La loi
a-t-elle modifié votre travail au quotidien ?
Françoise GLORION
Je cautionne tous les propos des personnes ici présentes. L’association JALMALV et d’autres (l’ASP
et Alliance notamment) doivent rester modestes. Mais nous sommes tout de même fiers que ces
associations aient témoigné d’un vide médical devant la détresse, la souffrance et l’angoisse des
personnes en fin de vie. En 1983, je ne pense pas qu’un seul médecin en France connaissait les
termes “ soins palliatifs ”, malgré tout ce qui avait été fait en Angleterre depuis vingt ans.
JALMALV a cette particularité d’avoir dit en premier qu’il fallait faire évoluer les regards, les
mentalités et les attitudes devant la mort. Ensuite, l’association a démontré l’importance de la
présence de non-médecins pour les soins palliatifs. Cet effort de solidarité est essentiel. Les
bénévoles ne remplacent pas les soignants, mais comblent simplement un vide. Pour l’heure, la
France compte 2 000 bénévoles accompagnant actifs pour 530 000 décès par an (dont certains sont
tout de même accidentels et ne demandent pas d’accompagnement). Actuellement, JALMALV
essaye de remplir son rôle en effectuant un travail d’information auprès de toutes les personnes
susceptibles de l’entendre et en formant des bénévoles.
Pour ce qui est de l’apport de la loi, rien n’a changé pour nous. Toutefois, l’ensemble des bénévoles
de JALMALV la connaît. Cette loi a été une reconnaissance importante de ce que nous avions déjà
défini auparavant. Il n’est pas ordinaire que, dans une loi, les bénévoles soient reconnus, interrogés
sur leur avis et écoutés. C’est notre fierté. Pendant les trente dernières années, l’essor de la
technicité avaient occulté le fait que nous ne sommes pas immortels. Aujourd’hui, la société est en
train de changer. Les bénévoles de JALMALV et d’autres associations de même nature sont aussi les
représentants et les porte-parole des personnes en fin de vie. Ils sont en lien avec les familles. Par
ailleurs, ils luttent contre l’ignorance et les malentendus des personnes qui vont mourir. Ces
malentendus peuvent être un facteur d’augmentation de désarroi. Ne prenez pas mal mes propos : je
crois que c’est une chance d’intégrer une unité de soins palliatifs. C’est pour cette raison que nous
devons continuer à former des bénévoles.
Auparavant, nous étions obligés de venir nous présenter pour parler de notre activité. Aujourd’hui,
nous sommes demandés. Cette évolution est tout à fait positive. Toutefois, la modestie doit rester
notre maître mot. Nous savons pertinemment que nous n’allons pas changer les choses. Mais nous
sommes les témoins du changement de regard de la société vis-à-vis des personnes en fin de vie.
Sophie AURENCHE
Marie-Aline Renard, vous accompagnez 60 bénévoles à JALMALV et intervenez dans treize lieux en
Ile-de-France. Cette loi vous a-t-elle aidé à être mieux accueilli dans les services ?
Marie-Aline RENARD
Nous ne sommes pas encore bien accueillis partout. En effet, nous n’allons pas forcément dans les
unités de soins palliatifs ou dans les équipes mobiles, mais dans des services actifs où la
confrontation avec la mort est presque quotidienne. En quelques mois, j’ai tout de même pu
constater un progrès d’accueil à notre égard. Les équipes avec lesquelles nous travaillons ont compris
que notre présence pouvait être bénéfique pour les malades et pour les soignants.
Sophie AURENCHE
Martine Ruszniewski, les soignants ne sont-ils pas frustrés de voir des bénévoles qui ont le temps de
parler avec les malades et de les accompagner ?
Martine RUSZNIEWSKI
Cette frustration est moins visible vis-à-vis des bénévoles que vis-à-vis des équipes mobiles de soins
palliatifs et des psychologues. De fait, les soignants peuvent avoir l’impression que des spécialistes
font mieux leur travail qu’eux-mêmes. C’est pour cette raison qu’une collaboration entre ces
personnes, entreprise depuis plusieurs années maintenant, était nécessaire. Mais cela se fait très
progressivement du fait des résistances psychologiques. Personne n’a effectivement envie
d’entendre parler de soins palliatifs.
Sophie AURENCHE
Pascale Vinant, comment votre collaboration avec les bénévoles se déroule-t-elle ?
Pascale VINANT
Nous n’avons pas la chance de travailler avec les bénévoles car la Direction des Soins de l’hôpital
Cochin a mis un veto formel afin de ne pas voler la part relationnelle aux infirmières. J’aimerais
ajouter quelques mots sur la difficulté des soins palliatifs dans les services aigus. Marie Faucheur
parlait de l’état déplorable de certains patients qui arrivaient dans les unités de soins palliatifs. Pour
ma part, je défends mes collègues des services curatifs. Il est extrêmement difficile d’être compétent
en cancérologie ou en pneumologie en étant opérationnel en soins palliatifs. Certaines infirmières (et
médecins) m’ont dit que le soulagement de la douleur était une très bonne chose, mais qu’elles se
retrouvaient devant un désarroi incommensurable face à la souffrance. Je ne pense pas que les
médecins ne soient pas humains. Ils sont simplement débordés. En outre, dans les services
d’oncologie et de pneumologie où les cancers font rage, les décès sont parfois plus nombreux que
dans les unités de soins palliatifs. Récemment, dans un des services de l’hôpital Cochin, il y a eu
quinze décès (sur 35 lits) en quinze jours. Il faut donc considérer le manque de moyens des CHU
pour habiliter les soins palliatifs.
Sophie AURENCHE
Françoise Glorion, certains bénévoles trouvent encore des portes fermées dans certains CHU.
Françoise GLORION
Effectivement. Le bien fondé de la place des bénévoles me semble évident. Mais force est de
constater que les résistances sont encore très importantes aujourd’hui. Par exemple, un référent
auprès des associations nous a dit que, dans tel hôpital parisien, les soins palliatifs n’étaient pas
indispensables car les malades ne mourraient pas. Néanmoins, il convient de relativiser les choses.
Si nous étions accueillis partout à bras ouverts, je ne suis pas certaine que nous puissions répondre à
la demande. En effet, les bénévoles susceptibles de se prêter à l’accompagnement ne sont pas si
nombreux et “ s’usent ” vite.
J’aimerais vous faire-part d’une anecdote. Je me souviens avoir été invitée dans un colloque. Avant
d’entrer, mon hôte m’a dit : “ vous ne leur parlerez quand même pas trop de la mort ”. Or je venais
expliquer le travail de JALMALV ! Cette réticence fondamentale vis-à-vis de la mort est présente à
tous les niveaux. Nous devons continuer notre travail d’information et d’accompagnement, mais je ne
pense pas que nous rencontrions, un jour, un succès dans ce domaine.
Lucien NEUWIRTH
Les propos de Françoise Glorion expliquent la difficulté de la sortie du premier décret d’application
de la loi. Les pressions internes du monde hospitalier sont patentes. Toutefois, nous pouvons
comprendre cette réaction. Lorsque nous critiquons tel hôpital de ne pas consacrer assez de place
aux soins palliatifs, les directeurs hospitaliers nous répondent que la gestion (intendance, postes…)
d’un hôpital est très complexe. Sans moyens supplémentaires, ils ne savent pas où placer les soins
palliatifs.
Marie FAUCHEUR
J’aimerais dire que mes précédents propos ont certainement manqué de nuance. Mais certains états
de fait me font violence, notamment lorsque les décisions sont prises unanimement par une
personne qui va imposer ses choix. Bien évidemment, les soins palliatifs demandent du temps et de
l’argent, mais c’est également une question de volonté. Sans travail d’équipe, nous ne pourrons pas
avancer. Nous avons besoin des uns et des autres pour prendre en charge les malades et leurs
familles. Ces dernières doivent être considérées comme un sujet de soin et non comme un objet.
Ayons la volonté de travailler ensemble !
Débat avec la salle
Jackie AHR, Conseiller National
Pour reprendre les propos de Lucien Neuwirth, je pense que le monde politique ne peut pas nous
demander de devenir humaniste sans voter de textes concernant la gestion comptable de la santé. Il
faut arrêter cette hypocrisie.
Par ailleurs, Martine Ruszniewski, si les médecins sont les défenseurs d’une qualité de vie en matière
de soins palliatifs, accepterions-vous que les psychologues soient considérés comme les avocats de
la mort ? De fait, les médecins aident les hommes à vivre. Les psychologues sont excellents dans
l’apprentissage de ce qu’est la mort. Nous devons accepter de coopérer.
Martine RUSZNIEWSKI
Pour ma part, j’essaye d’accompagner la vie et de reconnaître la souffrance des personnes. Cela fait
vingt ans que je travaille dans des services aigus. Je n’ai jamais aspiré à travailler seule, mais en
collaboration directe avec les soignants. En effet, la quasi-totalité des malades hospitalisés dans les
services aigus ne désirent pas une prise en charge psychologique spécifique. Ils veulent simplement
que leur médecin puisse les entendre. Il n’est pas question d’avoir des médecins qui s’occupent
uniquement du corps et des psychologues qui s’occupent uniquement de l’âme. Selon moi, le
psychologue est présent pour rassembler la personne dans sa globalité. De fait, le patient est
confronté à une maladie grave qui vient bouleverser sa vie de sujet.
Bernard LEGRIS, Bénévole à domicile à l’ASP
Vous n’avez pas parlé des soins palliatifs à domicile. Les soins à domicile sont une manière
d’humaniser la fin de vie, la contrepartie étant la plus grande fatigue de la famille. J’aimerais
témoigner du fait qu’il est possible de mourir à domicile. Pour cela, les bénévoles s’emploient à aider
la famille.
Sophie AURENCHE
Les réseaux de soins palliatifs à domicile se multiplient. Comment parvenez-vous à collaborer avec
les médecins et les infirmières de l’hôpital ?
Bernard LEGRIS
Nous rencontrons souvent une réticence de la part des infirmières qui considèrent que nous prenons
la partie la plus intéressante de leur travail : le contact avec les malades. Mais contrairement au
personnel soignant, les bénévoles peuvent rester plusieurs heures auprès des malades et de la
famille. Notre complémentarité me semble donc évidente.
Sophie AURENCHE
A l’heure actuelle, 30 % des personnes meurent à domicile en France.
Un médecin généraliste à Valence
Le débat m’a beaucoup intéressé. Je tiens toutefois à souligner les carences en termes de soins
palliatifs rencontrées dans la Drôme et dans l’Ardèche. Cinq lits de soins palliatifs ont été créés dans
ces deux départements, dans une petite ville à 25 kilomètres de Valence. Par conséquent, une
personne de l’Ardèche désireuse de bénéficier de soins palliatifs sera automatiquement coupée de sa
famille. Ce n’est pas du tout souhaitable.
En outre, l’ensemble de l’hôpital de Valence ne dispose que d’une psychologue à mi-temps. L’unité de
soins palliatifs est composée d’un médecin à quart de temps et d’une infirmière à mi
-temps. Aux
urgences, une seule assistante sociale accueille les familles. Elle le fait en plus de son travail. Je
tenais à dire que nous sommes en parfait décalage avec ce qui peut se passer sur Paris et sa région.
Régis AUBRY, Médecin responsable d’un réseau de soins palliatifs en Franche-Comté
Je pense qu’une loi ne suffit pas à changer les mentalités. Il faut du temps. La confrontation entre le
mouvement croissant des soins palliatifs et quelques archaïsmes entraînent des résistances. De fait,
des concepts éthiques ancrés depuis de nombreuses années sont bousculés. Des concepts politiques
sont également modifiés. Nous parlons aujourd’hui d’un nouveau système de soins en réseau.
De même, le concept de la souffrance est concerné par ces changements. En Franche-Comté et
ailleurs en France, faute d’avoir réfléchi à temps à cette problématique insoluble de la souffrance et à
la nécessité de l’accompagnement, des dérives sectaires émergent au sein des hôpitaux. Je voudrais
donc vous alerter sur les risques engendrés par les vides de la médecine. Ma profession de médecin
dans un service de soins palliatifs m’a amené à militer dans une association de lutte contre les
manipulations mentales. En effet, mes collègues et moi-même sommes confrontés, de manière
hebdomadaire, à des situations témoignant que l’absence d’offres de soins palliatifs conduit à des
dérives sectaires.
Si nous continuons à confiner le débat sur les soins palliatifs au domaine strictement médical, nous
n’arriverons à rien. Comment faire pour sortir de nos archaïsmes ?
Jean-Claude LECLERC, Médecin généraliste dans les Hauts-de-Seine
Pour en revenir aux propos de Martine Ruszniewski, je pense qu’il ne faut pas parler d’obstination
déraisonnable mais d’obstination nécessaire. Le médecin rencontre une extrême difficulté à savoir s’il
doit encore tout mettre en œuvre pour sauver une vie ou si cela est vain. Nous sommes souvent
étonnés des résultats. Sans cette obstination, le professeur Jean Bernard n’aurait jamais pu guérir la
leucémie aiguë de l’enfant.
Par ailleurs, j’insiste sur la nécessité de concomitance des soins palliatifs, qui doivent être dispensés
du premier au dernier jour d’une maladie grave, avec les soins curatifs, qui peuvent être dispensés
presque jusqu’au dernier jour. Pour cela, il convient d’enseigner dès le début des études médicales le
traitement de la douleur et de l’angoisse.
Enfin, j’aimerais dire quelques mots sur les soins palliatifs à domicile. Les médecins généralistes
doivent penser à les proposer. Les familles n’en sont pas tout le temps informées. Les obstacles
psychologiques et matériels peuvent être nombreux, mais les familles qui les ont franchis sont
reconnaissantes envers les médecins. Elles ont ainsi pu préparer le deuil.
Xavier DEAU, Président du Conseil départemental des Vosges
J’aimerais apporter une note optimiste au débat : en France, certains patients meurent avec le
sourire, grâce au regard de leur famille ou d’un médecin. Le malade qui ferme les yeux se trouve
alors dans un mieux-être qui lui permet de comprendre cette ultime souffrance.
Daniel d’HEROUVILLE
Cette note positive est importante. Notre travail consiste à essayer de répondre à toutes les situations
dans lesquelles le décès ne se passe pas avec le sourire. Par ailleurs, je pense que l’exemple de
Jean Bernard cité par mon collègue des Hauts-de-Seine ne peut pas être généralisé. Il faut veiller à
ne pas justifier certaines attitudes à partir d’exemple aussi précis. J’aimerais également insister sur la
remarque de Marie Faucheur : les médecins doivent se faire aider, dans leur réflexion, par toutes les
personnes autour d’eux.
Par exemple, avant-hier, j’étais au domicile d’une personne où étaient présents le médecin
généraliste, la femme du patient, une infirmière et un kinésithérapeute. Je vous assure que la
décision médicale que nous aurions pu prendre au début de la discussion et la décision que nous
avons prise à la fin de la discussion n’était pas la même. Chaque intervenant a pu donner son avis
éclairé. La décision a été prise en tenant compte des différents éléments apportés par chacun. Cela
est fondamental. En tant que médecin, je peux dire que les soins palliatifs m’ont permis de sortir de
ma solitude. Lorsque cela est possible, il est également extrêmement important de parler au patient
qui peut s’opposer à toute investigation thérapeutique.
Bernard GLORION
Le Code de déontologie le stipule.
Jacques LUCAS, conseiller national
Le domaine des soins palliatifs va nécessiter d’abattre le mur qui existe entre le secteur hospitalier et
le secteur ambulatoire. Le SROS arrêté pour les Pays de la Loire a instauré une coordination des
soins palliatifs sur la base de réseaux. Les Conseils Départementaux de l’Ordre se sont impliqués
dans ces réseaux en désignant un interlocuteur ordinal pour faciliter leur fonctionnement.
Nous avons beaucoup parlé des droits du patient. Je crois qu’en fin de vie, son profond désir est de
mourir à domicile. Nous devons pouvoir lui offrir les moyens d’un accompagnement technique. Les
possibilités offertes par les unités mobiles de soins palliatifs sont nombreuses.
Par ailleurs, je ne pense pas qu’il faille former des spécialistes de la prise en charge de la fin de vie.
Cela fait partie des vocations profondes de tout médecin qui ne demande qu’à recevoir une formation
à ce sujet. Je trouve regrettable que les spécialistes ne reçoivent pas de formation en matière de
soins palliatifs et abandonnent les patients dans les services curatifs. Dès lors, je ne pense pas
psychologiquement souhaitable de dispenser une formation aux soins palliatifs au début des études
de médecine. Certaines connaissances doivent être auparavant acquises afin d’avoir un recul par
rapport à la technicité. Dans les premières années de médecine, une simple initiation aux soins
palliatifs me semble suffisante.
Marc LERAT, conseiller national
J’aimerais demander aux différents intervenants quelle place prennent la religion et l’aspect de l’audelà dans leur travail quotidien.
Françoise GLORION
L’association JALMALV se définit comme apolitique et non confessionnelle. Mais nous respectons
toutes les croyances et non-croyances. Nous savons que les besoins des malades s’accompagnent
parfois d’une quête religieuse. Bien évidemment, les bénévoles ne font aucun prosélytisme. Ils
s’emploient simplement à faciliter l’accès à l’écoute des patients. Je pense que toutes les confessions
sont d’accord sur ce point. A titre indicatif, 17 % des Français pratiquent le culte catholique. Mais il
s’avère que 80 % des personnes demandent des obsèques religieuses.
Bernard GLORION
Pour les personnes intéressées par cette question, j’informe que l’Académie de Médecine a organisé
une journée thématique sur l’accompagnement des personnes en fin de vie. Les plus hautes
personnalités du monde religieux étaient invitées. Pour avoir participé à cette journée, je peux vous
dire que le représentant de la religion catholique, celui de la religion protestante, le recteur de la
Grande Mosquée et le Grand Rabbin ont été unanimes sur la nécessité des soins palliatifs.
Lucien NEUWIRTH
Sur le plan de la loi, il est formellement indiqué dans les travaux préparatoires que, si le malade est
dans l’incapacité de prendre une décision, chaque famille est habilitée à choisir l’accompagnement
religieux qu’elle désire.
Marie-Aline RENARD
Sur le terrain, les questions religieuses ne sont quasiment jamais abordées par les malades en fin de
vie. Ces derniers sont plutôt demandeurs de quêtes spirituelles, de bilan d’une vie ou de recherche
du sens de la vie.
Philippe BERGEROT, Président de l’Union Nationale Hospitalière de Cancérologie Privée
(UNHCP)
Le sujet des soins palliatifs nous intéresse. Je pense qu’il ne faut pas opposer d’emblée les soins
curatifs et les soins palliatifs. Après enquête dans l’ensemble des services de cancérologie, il s’avère
qu’un tiers des lits sont occupés par des patients en fin de vie. Les soins curatifs et les soins palliatifs
sont donc intimement liés. Par ailleurs, dans les hôpitaux, certains soignants ont envie de faire des
soins palliatifs, d’autres ne connaîtront jamais cette envie. Il faut respecter ce choix. De ce point de
vue, la loi est intéressante puisqu’elle offre la possibilité aux malades d’aller dans des unités de soins
palliatifs.
Par ailleurs, la régionalisation me semble très importante. Nous ne pourrons pas faire des démarches
identiques partout en France. Les régions ont leurs particularités. Par exemple, dans les campagnes,
la notion de mort à domicile est beaucoup plus présente. Les ARH ont une grande responsabilité dans
cette régionalisation pour pouvoir adapter les moyens aux attitudes locales.
Lucien NEUWIRTH
J’aimerais citer le texte de la loi : “ Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus, pratiqués par
une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la
souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. ”
Daniel d’HEROUVILLE
Le pourcentage significatif des personnes en fin de vie dans les services curatifs ne garantie pas
l’existence de soins palliatifs. Ainsi, en fonction de la spécificité du lieu de résidence, nous devons
réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour que les patients puissent bénéficier de soins palliatifs. Il
s’agit de prendre en compte toutes les dimensions (physique, psychologique, sociale…) de l’individu
et donc de travailler en équipe. Un médecin seul ne peut accompagner à la fois les malades, les
familles et les soignants. Sans travail d’équipe, nous ne pouvons pas parler de soins palliatifs. Je
pense que les équipes mobiles autant que les équipes fixes de soins palliatifs sont importantes. Les
équipes mobiles permettent aux personnes de rester dans leur unité. Les équipes fixes sont
nécessaires pour les situations complexes. Quant aux réseaux, ils permettent aux patients de rester à
domicile. Les services d’hospitalisation à domicile ont également leur importance. Une cohérence
d’organisation entre ces différentes entités serait appréciable.
François PINOT, Commission SFA-CNAM
Je voulais simplement remercier Lucien Neuwirth. Nous lui devons la somme que la CNAM a mise à
notre disposition pour la formation des bénévoles.
Jacques POULETTY
J’apprécie la signature du premier décret de la loi. Toutefois, je suis surpris par l’article de loi qui
stipule que le patient a le droit de refuser une thérapeutique. Il me semble que cela a toujours été de
soi, non seulement dans les soins palliatifs mais dans tous les domaines de la médecine.
Bernard GLORION
Selon moi, il est important vis-à-vis de l’opinion publique de montrer clairement que la décision
médicale n’est pas une obligation. Les patients participent à cette décision, y compris dans le refus.
Depuis longtemps, l’Ordre des Médecins a banni l’expression de “ pouvoir médical ”. Nous parlons
aujourd’hui de responsabilité vis-à-vis des patients.
Daniel d’HEROUVILLE
Cet article a été rajouté dans un livre préliminaire, avant l’article premier du Code de la Santé. Il n’est
donc pas réserver aux soins palliatifs.
Jacques LUCAS
D’un point de vue opérationnelle, les ARH disposent de moyens relatifs à la structuration hospitalière.
Actuellement, le fonds d’amélioration de la qualité des soins de ville me semble pouvoir permettre la
constitution de réseaux ville / hôpital en matière de soins palliatifs avec, sur le plan technique,
l’intervention des unités mobiles.
Jacques GIRARDIER, Conseiller à Dijon
Je voudrais tout d’abord saluer la participation des hommes politiques dans le développement des
soins palliatifs. La loi nous a rendu service pour répondre à cette démarche. Cependant, elle a
provoqué une multiplication des équipes de soins palliatifs. Les moyens étant limités, je pense que le
rôle de la SFASP est de les contrôler. Un fonctionnement correct et un développement satisfaisant
de ces équipes doivent pouvoir être assurés. Le développement rapide des soins palliatifs entraîne
un risque : créer un secteur indépendant du reste de la médecine. Nous devons être soucieux
d’assurer un lien entre le domaine “ ordinaire ” de la médecine et les soins palliatifs.
Michel DETILLEUX
Pascale Vinant, où en sont les projets de réalisation de deux réseaux parisiens : le réseau des
urgences palliatives à domicile de Cochin et le réseau de la Pitié-Salpêtrière ?
Pascale VINANT
Le réseau des urgences palliatives à domicile basé sur Cochin a pour but d’assurer une astreinte
médicale de soins palliatifs pour les patients, familles et intervenants libéraux qui rentrent au
domicile. Cela a été mis en place notamment pour répondre aux appels en urgence des vendredis
soirs du fait des départs en week-end des médecins. Il existe également un autre réseau de soins
palliatifs autour de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Ce réseau part de la ville, avec une organisation
de médecins généralistes qui répondent aux patients en fin de vie. Ces deux réseaux sont très
récents. La préoccupation concernant les soins palliatifs à domicile est vivace. Je tenais également à
signaler que, grâce à la loi, un financement (partiel, mais conséquent) pour les gardes-malades au
domicile est possible.
Patrick BAUDRY
J’aimerais formuler une interrogation et un souhait concernant la formation aux soins palliatifs. Tout
d’abord, est-ce nécessaire d’enseigner les Sciences Humaines en première année de médecine ?
Personnellement, je n’en suis pas convaincu. Par ailleurs, je souhaite que davantage d’heures soient
consacrées à l’enseignement des Sciences Humaines dans le cursus médical. Il s’agit essentiellement
de créer une meilleure intelligence des relations entre les Sciences Médicales et les Sciences
Humaines.
Bernard GLORION
J’ai récemment participé à un colloque où des responsables des Sciences Humaines posaient la
question de savoir s’il ne fallait pas faire entrer la Médecine dans les Sciences Humaines plutôt que
l’inverse.
Daniel d’HEROUVILLE
J’aurais également un souhait en matière de formation : avoir, à la fin des études médicales, au
moins autant de connaissances que les infirmières et les aides-soignantes.
Bernard GLORION
Merci à tous les intervenants. Pour conclure, je dirais que j’ai toujours eu une phobie des “ lits ”. En
effet, à partir de la notion de lits, de graves erreurs ont été commises dans l’organisation des soins et
des hôpitaux. Je pense donc qu’il vaut mieux éviter de parler de lits de soins palliatifs.
Enfin, j’ai été très sensible à l’image rappelée par Patrick Baudry de la mort de Panisse dans le livre
de Marcel Pagnol. Je pense que nous ne cultivons pas suffisamment cette image compassionnelle.
Je vous donne rendez-vous le 18 janvier 2001 pour le dixième jeudi de l’Ordre.