« Il y a une dette de l`humanité au peuple juif »

Transcription

« Il y a une dette de l`humanité au peuple juif »
Discours
« Il y a une dette de l’humanité au peuple juif »
Le 22 mai dernier, l’ancien président français, Nicolas Sarkozy était invité par le Collège académique de
Netanya pour recevoir un diplôme Honoris Causa. Voici l’intégralité de son discours
Nicolas Sarkozy
M
esdames et Messieurs,
Mes chers amis,
Vos paroles me vont droit au cœur ; et je mesure
l’honneur qui m’est fait en recevant ce titre du Collège
académique de Netanya. C’est l’occasion pour moi de
réaffirmer ici deux convictions qui m’animent depuis le tout
début de mon engagement politique.
La première conviction, c’est celle de mon amitié pour Israël,
j’ai toujours éprouvé une grande fraternité avec le peuple
juif ; cette amitié, cette fraternité, je les revendique comme
un honneur, comme un devoir. Jamais je ne m’y suis dérobé.
Jamais je ne m’y déroberai.
Après mon élection en 2007, j’avais souhaité venir vite à
Jérusalem et à Tel-Aviv pour raviver l’amitié entre la France
et Israël. Il fallait relancer la coopération, dans tous les
domaines, sans exception, il fallait explorer de nouvelles
voies pour la paix avec les Palestiniens. Nous n’avons pas
tout réussi avec le Premier ministre Netanyahou ; j’ai plaidé
de toutes mes forces pour un nouvel élan pour le processus
de paix, qui n’a pas pu se concrétiser. Mais ensemble, avec
le Premier ministre, nous aurons traversé des épreuves
où notre espoir et notre persévérance ont été justement
récompensés – je veux notamment parler de la captivité et
de la libération de Guilad Shalit, ce jeune soldat israélien,
ce jeune juif que la France avait choisi de défendre comme
un Français, parce que la France doit se mettre au service
de tous ceux qui, à travers le monde, sont injustement
martyrisés et Guilad Shalit était un martyr.
Nous avons, avec le Premier ministre, fait tout notre possible
pour renforcer les liens entre nos deux pays – la défense et la
sécurité, la culture, les écoles, la recherche. Je suis heureux,
Monsieur le Président, de voir ici combien la France a eu
raison de choisir dans le Collège académique de Netanya un
partenaire si dynamique. Et nous sommes fiers d’être vos
amis.
Dans mon esprit, il n’y a jamais eu, et il n’y aura jamais, de
limites pour étendre le champ de ce que la France et Israël
peuvent et doivent faire ensemble.
Le peuple juif, une question universelle
J’ai prononcé le mot de fraternité pour évoquer mes rapports
avec le peuple juif. J’ai choisi ce mot parce que, voyez-vous,
je n’en ai pas trouvé de meilleur.
Parce qu’au plus profond de moi, j’ai toujours ressenti qu’il
y avait le monde avant la Shoah et qu’il y avait le monde
après. Après la Shoah, c’est une conviction qui m’a toujours
animé, nul n’a le droit, juif ou pas juif, d’être indifférent au
sort d’Israël et du peuple juif.
L’humanité, vous en êtes la preuve vivante,
triomphe toujours de l’obscurantisme.
C’est la leçon d’Israël et du peuple juif.
La Shoah a fait d’Israël et du peuple juif une question
universelle, parce qu’au moment de la Shoah, tant de nations
à travers le monde ont alors gardé le silence. Certes, il y a eu
les Justes, dans chaque nation, il y a eu des Justes, mais ils
ont agi dans la liberté de leur conscience et ont sauvé des
vies, mais six millions de juifs ont péri. Et le monde – c’était
au XXe siècle – et le monde ne l’a pas vu, c’était au XXe siècle,
et le monde ne l’a pas su, c’était au XXe siècle, c’était hier,
et le monde n’a pas hurlé son indignation. Alors, depuis ce
jour, depuis la Shoah, l’avenir d’Israël, est à jamais un sujet
qui concerne toute l’humanité, et pas seulement les juifs.
La question israélienne est une question de l’humanité
tout entière parce que la Shoah interpelle l’homme au
plus profond de soi. Il y a une dette de l’humanité envers
le peuple juif, et cette dette ne s’éteindra pas ; je reconnais
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19 Juin 2013
Nicolas Sarkozy. « Vous êtes un peuple qui démontre chaque jour depuis l’origine sa résilience. C’est tout
l’élan de vie du peuple juif à travers l’histoire qui m’a profondément marqué. » (DR)
bien volontiers que certains pourront regretter que cette
dette perpétue la singularité du peuple juif, alors même
que le sionisme a rêvé de faire d’Israël un peuple comme
les autres. Mais le souvenir de cette honte qu’est la Shoah
doit nous hanter. C’est pour cela que si Israël est attaqué,
que si Israël est menacé, Israël ne serait pas seul, car tous
ceux à travers le monde qui portent la mémoire de la Shoah
auraient le devoir d’être aux côtés du peuple juif dont nous
ne pouvons pas accepter en tant qu’êtres humains qu’il
puisse être menacé dans sa pérennité et dans sa survie.
La signification universelle qu’incarne l’histoire du peuple
juif m’a profondément marqué. La comprendre, à travers vos
écrivains, vos musiciens, votre cinéma, c’est apprendre sur
l’existence humaine, c’est comprendre ce que le mot dignité
veut dire, c’est s’interroger sur le mal, sur la souffrance, sur
sa réparation, mais aussi, parce que nous sommes en Israël,
sur la liberté, sur la renaissance, sur la résilience, car vous
êtes un peuple qui démontre chaque jour depuis l’origine
sa résilience. C’est tout l’élan de vie du peuple juif à travers
l’histoire qui m’a profondément marqué.
Aucun compromis avec l’antisémitisme
Fraternité enfin, parce qu’en France, j’ai eu l’occasion souvent
de le dire en tant que ministre de l’Intérieur, président de la
République, quand un juif est attaqué, c’est la République
qui est blasphémée, c’est chaque Français qui se sent
agressé. C’est ce que veulent dire nos lois. Aucun compromis
n’est possible avec l’antisémitisme, qui n’a pas d’autre objet,
à travers la haine du juif, que la haine de l’humanité tout
entière.
Je garderai à jamais la mémoire du rabbin Yonathan Sandler,
de ses enfants, Arieh et Gabriel, de la jeune Myriam
Monsonego, assassinés après nos soldats à Toulouse en
mars 2012. Je porte en moi la blessure d’avoir été ministre
de l’Intérieur quand Ilan Halimi a été assassiné par le « gang
des barbares », et que nous n’avons pas réussi à l’arracher
des griffes de ses tortionnaires à temps.
Au nom de la mémoire, c’est un devoir pour tous les
dirigeants du monde de mettre en échec la haine qui permet
de tels crimes, où qu’ils soient perpétrés dans le monde.
Je le dis parce que c’est ma conviction, ce n’est pas l’islam
qui est en cause, ne rendez pas service à ces assassins en
les caricaturant, c’est l’idéologie d’une minorité d’assassins
qui détourne la religion aux fins de meurtre, de rançon, de
terreur, de la négation de l’homme.
Ma deuxième conviction, c’est l’importance de la culture,
de l’éducation, de la formation. Ici en Israël, où un droit
aussi élémentaire que la sécurité est l’acquis fragile de tant
d’efforts et de sacrifices. Sans éducation, sans culture, sans
formation, il n’y a pas d’espoir, il n’y a pas d’avenir, vous
n’avez pas d’autre choix.
Qui ne voit aujourd’hui la tentation du désespoir quand
on scrute l’horizon à la recherche de progrès et de paix, et
qu’on ne trouve à la place que le massacre du peuple syrien,
la déroute de réfugiés jetés par millions hors de chez eux, et
l’avancée folle de dirigeants iraniens fanatisés vers la bombe
nucléaire ?
Qui ne voit que la portée des missiles à Gaza ou en Iran, et
la menace des armes de destruction massive nourrissent
la terreur et les stratégies suicidaires de vos adversaires, à
l’échelle de toute une région ?
Qui n’est pas effaré par l’essor des extrêmes et de
l’obscurantisme, au moment même où les peuples arabes
espéraient, et nous avec eux, redécouvrir la liberté politique ?
Israël, le contraire du pessimisme
Mais précisément, qui ne voit qu’à travers toutes ces
incertitudes, à cause d’elles et malgré elles, l’Israël que
vous incarnez ici c’est celui qui ne se départit jamais de
l’investissement dans ce que vous avez de plus cher, votre
jeunesse. Vous donnez cet exemple au monde.
Cet exemple, c’est le refus du renoncement généralisé, c’est le
refus du pessimisme. Israël, c’est le contraire du pessimisme,
c’est le contraire de la démission, c’est le contraire du
renoncement. En cela, le message d’Israël est universel.
Quand, à sa naissance, l’Etat d’Israël était encore fragile,
l’éducation et la science étaient déjà là, dans toutes leurs
dimensions, et très tôt vos universités ont nourri le pays de
leurs travaux et de leurs inventions.
Plus les cartes sont brouillées, plus le danger devient grand
et cette tentation est redoutable du renoncement pour
l’occident et, face aux incertitudes et à l’adversité, il faut
garder l’impératif de l’action, l’impératif de la création,
l’impératif de l’éducation.