L`arbitrage maritime en France

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L`arbitrage maritime en France
Politique maritime
L’arbitrage maritime en France
François Arradon
Président de la Chambre arbitrale maritime de Paris
Chacun sait que l’arbitrage est un mode de règlement des litiges, mais certains
ignorent les différences existantes avec les autres moyens de résolutions des conflits que sont
notamment la conciliation et la médiation.
La caractéristique essentielle de l’arbitrage est d’être une juridiction à part
entière, une juridiction privée, mais une juridiction dont les décisions vont s’imposer
aux plaignants. Dans la conciliation ou la médiation, le médiateur et le conciliateur vont
déployer tous leurs efforts pour obtenir un consensus entre les parties, mais ils ne pourront pas
imposer de solution à l’un ou l’autre. L’arbitre, au contraire, tranche le litige, il a même
l’obligation de le faire.
Recourir à l’arbitrage est donc accepter de soumettre le règlement d’un litige né de
l’exécution ou de la non-exécution d’un contrat à des particuliers choisis par les parties au
contrat.
Dans les domaines commerciaux à spécificité forte, comme le transport maritime,
lorsque naissent des divergences d’interprétation sur la signification d’une obligation
contractuelle, armateurs, affréteurs, chargeurs, assureurs vont préférer recourir au jugement de
professionnels avertis. Cette volonté sera encore plus forte si les parties au contrat sont de
nationalité différente et n’ont qu’une connaissance limitée de l’organisation judiciaire du pays
de leur cocontractant. Ils vont d’autant plus préférer faire régler leur différend par leurs pairs
qu’ils pourront choisir l’un des arbitres. Enfin, ils savent que ce choix apportera une
solution plus rapide et moins onéreuse qu’un procès. Pour ces raisons, l’arbitrage est
devenu dans le transport maritime le mode le plus courant de résolution des litiges.
L’essor considérable de l’arbitrage maritime dans le monde depuis les années soixante
est lié au développement des relations internationales, le résultat a été la création de très
nombreux centres d’arbitrage.
L’arbitrage maritime en France est né avec la création de la Chambre arbitrale
maritime de Paris en 1966. Ses fondateurs, initialement armateurs et affréteurs
céréaliers, avaient pour but de faire régler par des praticiens les possibles litiges nés lors de
l’exécution de chartes parties. Ils souhaitaient éviter de devoir aller en arbitrage à Londres
pour de petits litiges. Cet objectif a été très vite atteint, et a également permis de
progressivement bâtir une jurisprudence de la Chambre pour éviter de nouvelles
contestations et de nouveaux procès ou arbitrages. Si l’arbitrage maritime en France est
aujourd’hui bien vivant, il n’a bien sûr pas l’importance de l’arbitrage maritime à Londres qui
reste la place de référence avec ses forces et ses faiblesses.
L’arbitrage étant une juridiction privée, mais une juridiction à part entière qui doit
trancher les litiges et dont les sentences seront exécutoires, il est souhaitable de rappeler dans
un premier point dans quel cadre légal et conventionnel s’inscrit l’arbitrage maritime à Paris
et quel droit doivent appliquer les arbitres. Dans une seconde partie, nous examinerons plus
spécialement le fonctionnement de la Chambre arbitrale maritime de Paris.
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Le cadre légal et conventionnel de l’arbitrage
Le cadre légal
Il est bien évident que l’arbitrage ne pourra avoir une réalité juridique que si les traités
internationaux et la loi nationale de chaque pays reconnaissent son existence et fixent les
règles qui lui sont applicables.
Sur le plan international, la commission des Nations unies pour le droit commercial
international (CNUDCI) a proposé, en 1985, aux organisations internationales et aux États
une loi type que chaque pays est invité à prendre en considération dans sa loi nationale. Sur le
plan français, le nouveau code de procédure civile en son livre quatrième traite de l’arbitrage.
Il donne aux arbitres une très grande latitude dans la conduite de l’arbitrage et tout
particulièrement de l’arbitrage international, tant en ce qui concerne la procédure à observer
que le droit à appliquer.
Le cadre conventionnel de l’arbitrage
Le code précise clairement que les arbitres tiennent leur pouvoir de la volonté des
parties exprimée dans la clause compromissoire 1. Aussi le souci constant des arbitres sera
donc de rechercher quelles étaient les intentions des contractants au moment où elles ont
conclu leur accord, avant que le différend ne survienne. Or bien souvent, les parties ne se sont
pas exprimées clairement. Cette recherche de la volonté des parties va s’inscrire dans le cadre
du monde maritime où elles exercent leur activité.
Ceci veut avant tout dire que même si l’arbitre décide l’application d’une loi, sa loi
nationale par exemple, les usages du commerce prévalent toujours sur cette loi. Il est, par
exemple, possible d’appliquer à la fois dans un arbitrage international la loi française sur un
point et des usages issus de la common law sur un autre.
Le règlement de la Chambre arbitrale maritime de Paris
Si la loi laisse une grande liberté aux arbitres dans l’organisation de l’arbitrage et sur
le choix de la loi applicable, il est apparu opportun à de nombreux centres d’arbitrage
d’édicter un règlement qui fixe le cadre précis que les parties et les arbitres devront respecter
dans le déroulement du procès. Il s’agit d’une précaution d’autant plus sage que certains
arbitres ne sont pas des juristes et peuvent méconnaître les principes généraux qui doivent
recevoir application dans tout procès, comme le respect du caractère contradictoire des débats.
Le choix de la Chambre arbitrale maritime de Paris dans une clause compromissoire implique
l’acceptation de son règlement.
Le fonctionnement de la Chambre arbitrale maritime de Paris
Comme nous l’avons vu, l’arbitrage a un fondement consensuel. Un arbitrage est donc
initié soit par l’accord mutuel des parties en cause qui signent un compromis d’arbitrage, soit
par application de la clause compromissoire insérée dans le contrat. Les formalités sont
réduites au minimum puisqu’une simple lettre recommandée suffit au démarrage de l’instance
arbitrale et pour interrompre la prescription. Il y a ensuite échange de mémoire entre les
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Clause compromissoire, par laquelle les contractants s’engagent à soumettre leurs différends
éventuels à l’arbitrage. Source Le Robert. Ndlr
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parties. Il est possible et souhaitable pour les petits litiges de s’entendre sur la désignation
d’un arbitre unique. Dans le cas le plus courant d’un collège de trois arbitres, chacun choisit
son arbitre et le président du tribunal arbitral est désigné par le comité de la Chambre
arbitrale. Les arbitres sont alors saisis de leur mission. Ils devront fixer une audience au cours
de laquelle les parties seront entendues. Ils peuvent bien demander toutes explications
complémentaires, faire appel à un avis d’expert sur un point technique, et d’une manière
générale prendre toutes mesures d’instruction qu’ils estiment nécessaire pour rendre leur
sentence. Ils disposent pour cela d’un délai de six mois qui peut être prolongé par décision du
président de la Chambre.
Le déroulement de l’instruction et de l’audience est donc très semblable à celui d’un
procès, la principale différence tient au fait que les arbitres n’aient pas à respecter les
procédures contraignantes imposées devant les tribunaux. Il en résulte que les audiences
d’arbitrage sont beaucoup plus informelles. L’autre différence est que la décision sera rendue
très rapidement et à un coût très modéré.
La liste des arbitres
L'assemblée générale réunissant les membres adhérents de la Chambre établit et tient
à jour une liste d'arbitres agréés. Ils sont inscrits en fonction de critères rigoureux, au premier
rang desquels figurent la compétence, l'expérience et l'indépendance d'esprit. Ils sont choisis
parmi des professionnels appartenant ou ayant appartenu à des organismes ou entreprises dont
l'activité est consacrée au commerce et à l'industrie maritime internationale, étant cependant
souligné qu'ils ne font pas de l'arbitrage leur profession exclusive.
Ils sont répartis en trois grandes catégories :
- les praticiens du commerce maritime : armateurs, affréteurs, courtiers, assureurs, agents
consignataires, transitaires, etc.
- les juristes : professeurs de droit maritime, juristes d'entreprises, magistrats, avocats
honoraires, etc.
- les techniciens : ingénieurs du génie maritime, capitaines au long cours, officiers
mécaniciens, experts, etc.
La sentence arbitrale
La sentence arbitrale tranche le litige. Les arbitres sont tenus de respecter les principes
directeurs du procès énoncés notamment par les articles 4 à 21 du nouveau code de procédure
civile. Les sentences doivent se prononcer sur tout ce qui est demandé. Les arbitres doivent
motiver leurs décisions en droit, ou comme précédemment indiqué par les usages du
commerce. Ils doivent veiller à ce que chaque partie ait eu connaissance des arguments de son
adversaire et ait pu en débattre. Pour répondre à ces règles évidentes de bonne justice une
sentence va en général exposer les faits, puis reprendre les prétentions et arguments des
parties, enfin donner sa décision dûment motivée et se terminer par ce qu’il est convenu
d’appeler le « dispositif » qui énonce les décisions du tribunal et le montant des
condamnations, s’il y en a, ainsi que la répartition des frais d’arbitrage. La grande majorité
des sentences reçoivent exécution par la simple volonté des parties ; en cas de difficulté,
l’exécution doit être demandée au juge qui n’a pas à juger de la décision, mais se contente de
vérifier que les principes généraux mentionnés ci-dessus ont été respectés.
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L’examen au second degré
Dans de nombreux pays, une décision d’arbitrage est susceptible d’appel devant une
Cour d’appel. La législation française est très favorable à l’arbitrage et reconnaît son caractère
autonome. Les parties peuvent ainsi renoncer à l’appel. Le seul recours possible devant une
Cour d’appel est le recours en annulation qui n’est accordée que de manière très
restrictive, dans des cas énumérés par l’article 1502 du Code de procédure civile, et encore si
la sentence est annulée le litige est à nouveau soumis à la Chambre arbitrale.
En ce qui concerne la Chambre arbitrale maritime de Paris, cette renonciation est
inscrite dans le règlement et l’appel est interne par la mise en œuvre de la procédure du
second degré qui donne aux parties la possibilité de demander un second examen de l’affaire
devant un tribunal arbitral autrement composé.
Le rôle du comité de la Chambre
Le comité de la Chambre composé du Président et de deux membres désignés par le
conseil d’administration de la Chambre est chargé de l’administration des arbitrages. La
contrepartie de la pleine autonomie de l’arbitrage maritime international est la responsabilité
conjointe des arbitres et de la Chambre de bâtir une jurisprudence cohérente en harmonie avec
le caractère particulier de l’arbitrage international proche du monde maritime et de la volonté
des parties. L’organisation de la Chambre arbitrale maritime a été bâtie avec cet objectif.
Cette condition est aisément remplie d’abord parce que les arbitres de la Chambre arbitrale
sont tous soit des praticiens, soit des juristes maritimes, soit des techniciens, et qu’ils ont à
connaître de problèmes qui leur sont familiers et qu’ils abordent très souvent de manière
identique.
Le président du collège arbitral est choisi par le comité de la Chambre en fonction du
dossier et de sa connaissance des questions à trancher. L’examen au second degré accentue le
rôle du comité puisque ce sont les trois arbitres qu’il va choisir pour ce réexamen. Le comité
dispose ainsi d’une importante responsabilité dans la composition des collèges arbitraux.
Enfin, au premier comme au second degré, les projets de sentences sont soumis au
comité qui peut suggérer aux arbitres toutes modifications de forme et attirer leur attention
sur le fond. Le comité composé du président de la Chambre et de deux membres titulaires est,
bien entendu, très respectueux de l’indépendance des arbitres et ne se considère pas en
position d’imposer des modifications aux arbitres.
La publicité des sentences
Enfin, les sentences ou tout au moins leurs résumés sont publiés, non seulement par la
presse maritime française, mais aussi dans des revues maritimes étrangères assurant ainsi la
diffusion de sa jurisprudence ou dans la nouvelle revue de la Chambre « la Gazette de la
Chambre », diffusée sur Internet. De plus, les sentences peuvent être aisément consultées
auprès du secrétariat de la Chambre. Cette publication est évidemment essentielle pour que les
parties connaissent la jurisprudence de la Chambre et pour que les arbitres puissent déduire de
cette connaissance leur volonté d’en bénéficier.
Conclusion
Le législateur français a donc voulu donner aux arbitres une grande liberté de
manœuvre tant dans la conduite de l’instance que dans la décision. Cette direction a été très
largement confirmée par les Cours d’appel françaises et la Cour de cassation qui
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reconnaissent pleinement le principe d’autonomie de l’arbitrage constatant que leur pouvoir
en la matière se borne à statuer sur les demandes d’annulation.
Les arbitres maritimes français n’ont donc guère d’entraves dans leur recherche de la
volonté des parties ou dans la conduite de l’instance arbitrale. L’obligation qui leur est faite
de toujours appliquer les usages du commerce international a pour immédiate conséquence de
les conduire à rechercher quelles sont les interprétations données par leurs collègues des
grandes places maritimes étrangères ou de la High Court britannique. Il est évident qu’ils
n’ont aucune obligation de s’y conformer, mais cette connaissance du droit maritime comparé
est essentielle pour bâtir entre pays actifs en arbitrage maritime, une jurisprudence
internationale cohérente, compréhensible par les commerçants qui contractuellement
choisissent telle ou telle place d’arbitrage.
Même si chaque place nationale garde aujourd’hui sa personnalité dans son approche
des questions de fond, cette cohérence existe. Les différences les plus importantes entre places
d’arbitrage tiennent à la conduite de l’instance arbitrale, à sa durée et à son coût. L’arbitrage
maritime à Paris devant la Chambre arbitrale maritime de Paris apparaît sur ce point très bien
placé pour répondre efficacement aux desiderata des praticiens du transport maritime.
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