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The Endless City
Ricky Burdett,
deyan Sudjic (dir.)
demain, touS uRBainS !
Julien damon
Professeur associé à Sciences Po (cycle d’urbanisme)
L’année 2008 marque un tournant : la majorité de la population mondiale
est désormais urbaine. Le mouvement n’a cependant rien d’homogène, ni de
forcément réjouissant,en particulier pour les habitants des bidonvilles.Cependant
et à condition de bien prendre en compte l’ampleur des changements en cours
et à venir, une amélioration de la vie de tous est possible.
e
ntre 2007 et 2050, la population mondiale devrait, selon les projections
centrales de l’ONU, passer de 6,7 milliards à 9,2 milliards d’individus. Sur
cette période, la population des personnes vivant en ville devrait passer de
3,3 milliards à 6,4 milliards. En 2050, 70 % au total des habitants de la
planète seront devenus urbains.
l’âge urbain
Cette progression de l’urbanisation, avec l’infinie diversité de ses manifestations et de
ses problèmes, est au cœur d’une entreprise éditoriale et intellectuelle importante. Il en
ressort The Endless City, un livre absolument superbe, remarquablement illustré.
Trente experts internationaux de haut niveau (dont les sociologues Saskia Sassen
et Richard Sennett, et l’architecte urbaniste Rem Koolhaas) rassemblent ici leurs
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observations et conclusions. Ils sont servis par une iconographie particulièrement
attrayante de tableaux de données originales, de cartes inédites et de photographies
qui cherchent à capturer ce qui fait l’essence de la vie urbaine. Deux sites Internet,
particulièrement riches en informations et en illustrations, accompagnent l’ouvrage,
complètent le projet et comblent le lecteur.
La thèse générale de The Endless City est que nous
entrons dans « l’âge urbain ». Parallèlement à l’accélération de la mondialisation, l’urbanisation prend des
proportions inédites, et parfois difficiles à décrire. Alors
que 6 villes en 900 comptaient plus d’un million
d’habitants, on en dénombre 400 aujourd’hui. La population urbaine actuelle correspond à la population mondiale de 960.
La population
urbaine actuelle
correspond à
la population
mondiale de 1960.
Réalisé dans le cadre de l’ambitieux Urban Age Project de la London School of
Economics et de la Deutsche Bank, cet ouvrage est incontestablement une référence
majeure. Au terme de deux années de recherches et de rencontres, ces 500 pages
joignent une analyse captivante de l’urbanisation globale à l’étude approfondie de
l’actualité et de l’avenir possible de six villes : New York, Shanghai, Londres, Mexico,
Johannesburg, Berlin.
Certes, l’intensité des phénomènes et des problèmes n’est pas toujours comparable. La tendance générale est toutefois à la convergence. On vit, on travaille, on se
déplace, on joue, on aime, on produit, on se loge de manière toujours plus semblable.
Et ces rapprochements devraient s’accentuer2, selon la plupart des auteurs réunis
dans le cadre du projet.
Évidemment, les situations régionales sont bigarrées. Morphologies et armatures
urbaines, comme les modes de vie des habitants, sont dissemblables. Les contrastes
sont saisissants et préoccupants. L’urbanisation est en effet une dynamique hétérogène. Elle englobe autant l’étalement urbain pour des classes moyennes ou favorisées
que l’augmentation de la densité dans des tours gigantesques, ou le développement
à d’immenses échelles de taudis insalubres.
. La France est représentée par la politologue Sophie Body-Gendrot qui signe une intéressante contribution sur
la peur et l’insécurité.
. Sur les modes de vie urbains, leurs rapprochements mais aussi leurs notables distinctions, on lira en complément
Julien Damon (dir.), Vivre en ville, Paris, PUF, 2008. Cet ouvrage collectif s’appuie sur une enquête originale menée
à l’initiative de Veolia Environnement dans 4 métropoles, sur les cinq continents. Pour les premiers résultats, voir
www.observatoire.veolia.com.
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Demain, tous urbains !
Il est discutable – tous les experts en conviennent – d’englober sous le terme « urbains »
les habitants des centres-villes embourgeoisés des capitales riches (New York et Londres
par exemple), ceux de leurs ghettos périphériques ou centraux, et le milliard environ
d’êtres humains vivant dans des bidonvilles (comme au cœur et autour de Mexico et
de Johannesburg). Les réalités ainsi rassemblées manquent d’unité.
L’urbanisation suscite autant d’inquiétude, en termes de développement durable par
exemple, que d’espoir en termes d’émancipation et d’amélioration des conditions de
vie. Dans la variété de ses formes et avec son intensité différenciée selon les régions,
elle constitue un fait majeur et une perspective essentielle qu’il importe de comprendre et d’évaluer, avec rigueur et imagination. C’est ce à quoi s’emploient les auteurs
pour faire le point sur la situation et les perspectives des six villes visitées et étudiées.
Plus intéressant encore, ils situent leurs constats et leurs analyses dans le cadre plus
général des formes encore à venir de l’urbanisation mondiale. Et celle-ci consiste
d’abord en une croissance de la pauvreté urbaine.
diversité mondiale des définitions de l’urbain
Mais qu’est-ce qu’une ville ? Les zones urbaines sont définies de manière pour le
moins disparate. Divers critères sont pris en compte selon les pays : la densité de la
population, la structure de l’agglomération, des repères administratifs. Les définitions
ONU se limitent à l’addition de la variété des approches. Celles-ci peuvent reposer
sur un critère unique et retenir un critère démographique ou administratif. En Islande,
est urbaine une localité de plus de 200 habitants. En Autriche, ce sont les communes
de plus de 5 000 habitants. Au Pakistan, sont urbaines les zones dotées d’un conseil
municipal.
D’autres mesures combinent les critères. C’est le cas en France, où la définition
des « villes et agglomérations » associe taille de la commune (minimum de 2 000
habitants) et continuité de l’habitat (moins de 200 mètres de séparation entre deux
habitations successives). C’est le cas au Botswana, où une agglomération est classée
urbaine lorsqu’elle compte au moins 5 000 habitants et lorsque moins de 25 % de
l’activité économique relèvent du secteur agricole.
L’examen des définitions retenues par chaque pays pour classer comme « urbaine » une
concentration humaine fait apparaître leur grande diversité. Cependant, l’importance
de ces différences ne doit pas être surestimée. On peut être attentif aux variations de
définition sans s’y arrêter trop longuement car les tendances générales sont nettes.
source : Jacques Véron, L’Urbanisation du monde, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2006
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urbanisation ou bidonvilisation ?
L’urbanisation mondiale n’est pas une dynamique unique et uniforme. L’urbanisation
de nombre de pays développés a atteint des seuils très élevés, qui ne sont pas appelés partout à être encore dépassés. À l’inverse, l’urbanisation de nombreux pays en
développement va se poursuivre. Sur la période qui va de 2000 à 2030, la population
urbaine des pays en développement devrait doubler.
L’Asie compte maintenant la plus importante population urbaine – près de ,6 milliard d’habitants –, même si l’urbanisation ne touche que 40 % de sa population. D’ici
2030, l’Asie et l’Afrique avec l’Amérique latine et les Caraïbes devraient regrouper
plus de 80 % de la population urbaine mondiale. Les villes du monde en développement, grandes et petites, abriteront alors quatre urbains sur cinq. L’Asie, qui rassemblait 32 % des urbains en 950, pourrait en réunir 54 % en 2050. L’Afrique, qui
compte pour % des urbains aujourd’hui, pourrait en concentrer 9 % à l’horizon
2050.
Plus d’un être
humain sur sept
vit aujourd’hui
dans un
bidonville.
Il s’ensuit qu’une grande partie de l’urbanisation mondiale en cours passera par la prolifération et l’extension des bidonvilles. Les Nations unies ont estimé et
annoncé que le nombre de personnes y vivant avait
dépassé milliard en 2007 et qu’il pourrait atteindre
,4 milliard en 2020, voire 2 milliards en 2030.
Plus d’un être humain sur sept vit aujourd’hui dans un bidonville. Une proportion
qui passe à un tiers pour les individus recensés comme urbains en 2008 – 90 % se
trouvent dans les pays en développement. L’Asie compte, et de loin, le plus grand
nombre de citadins vivant dans ces zones, la pire situation étant l’Asie du Sud où
les habitants des bidonvilles représentent la moitié de la population urbaine. Chine
et Inde réunissent à elles deux près de 40 % des taudis du monde. En proportion
cependant, c’est l’Afrique subsaharienne qui vient en tête avec quelque trois quarts
des citadins dans des bidonvilles. L’urbanisation y est devenue quasi synonyme de
croissance des taudis.
Si les volumes sont impressionnants, il faut avoir à l’esprit que la situation s’améliore
relativement. En effet, la proportion des personnes vivant dans ces conditions baisse.
En 990, 47 % de la population urbaine des pays en développement vivaient dans
des bidonvilles. Ce n’était plus le cas que de 43 % en 200 et de 37 % en 2005.
On peut néanmoins aisément verser dans le pessimisme face au gigantisme des
chiffres et aux considérables inégalités qui affectent le monde urbain. Le monde
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prend des formes bien singulières lorsqu’on cherche à représenter ces inégalités sur
des cartes.3
de la volonté
Ce sont les pauvres qui alimenteront dans une très large mesure la croissance urbaine
à venir. Des experts pessimistes redoutent une catastrophe. Décrivant, non sans fondement, l’étendue des problèmes et des calamités, ils en font un récit apocalyptique4.
Qu’attendre donc de l’urbanisation ? Certains n’y voient que contraintes, voire malédictions. D’autres, plus optimistes, y décèlent un potentiel d’amélioration de la situation de tous. Les auteurs rassemblés dans l’Urban Age Project font plutôt partie du
second camp. Et ils ont des arguments.
Macroéconomiquement, il apparaît que les migrations vers les centres urbains ont
un impact positif sur l’économie en général et sur les migrants eux-mêmes. S’ils
demeurent pauvres, ils ont accès à davantage de services. L’urbanisation n’est pas
mauvaise en soi. Elle présente de nombreux avantages potentiels. Les villes sont
mieux pourvues d’opportunités en matière d’emplois,
d’informations, de communications, de technologies.
L’idée-force
Elles sont, de fait, attrayantes. Les personnes ayant
est
d’envisager
quitté la campagne pour venir en ville disent généralel’urbanisation
ment préférer leur nouvelle vie.
comme
irréversible et
potentiellement
L’idée-force est d’envisager l’urbanisation comme irrépositive.
versible et potentiellement positive. Les villes sont considérées comme les moteurs de la croissance dans tous les
pays. Cette croissance permet aux pauvres de voir s’améliorer leurs conditions de vie.
Le changement de regard sur ces questions est assez récent. L’urbanisation était
d’abord observée avec hostilité. Les politiques cherchaient assez souvent à en freiner
le mouvement. Il est désormais établi que pour briser le cycle de la pauvreté et s’ins. Voir à cet égard le site Worldmapper (www.worldmapper.org) et plus particulièrement les cartogrammes intitulés
« Slum Growth » (http://www.worldmapper.org/display.php?selected=88) et « Sewerage Sanitation » (http://www.
worldmapper.org/display.php?selected=85).
. Voir les ouvrages, de tentation catastrophiste, du sociologue activiste américain Mike Davis, notamment Le Pire
des mondes possible. De l’explosion urbaine au bidonville global, Paris, La Découverte, 2006.
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crire dans une optique de développement durable, il faut soutenir et accompagner
des politiques favorables à la croissance urbaine.
Du dynamisme économique à la revitalisation des quartiers dégradés, en passant par
les questions de gouvernance et de participation démocratique, tous les thèmes sont
abordés dans The Endless City, sans complication excessive et inutile. Mais attention : cette somme peut, par moments, donner le vertige.
Le livre et ses auteurs
Ricky Burdett, Deyan Sudjic (dir.) : The Endless City, Londres, Phaidon, 2007,
52 pages.
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