Ils est l`antichambre de l`effort et la coulisse de l`exploit. On y
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Ils est l`antichambre de l`effort et la coulisse de l`exploit. On y
Nataf / Presse Sports dossier Dans le vestiaire du SO Chambéry, vainqueur d’Istres en Coupe de France, le 24 novembre 2006. Dans le secret des vestiaires Ils est l’antichambre de l’effort et la coulisse de l’exploit. On y célèbre bruyamment les plus belles victoires et l’on y digère en silence les défaites les plus amères. Entre soi. Lieu clos par excellence, où le corps se déshabille et où le mental fourbit ses armes, le vestiaire sportif est un monde à lui seul. Un monde organisé par de nombreux rituels, entre prosaïsme et irrationnel. Visite guidée. Décembre 2007 en jeu une autre idée du sport n°412 9 ENTRE RÉALITÉS ET CLICHÉS, PETITE INCURSION… Dans l’antichambre de l’effort Le sportif y côtoie ses pairs et y vit d’intenses émotions, avant et après le match ou pendant la mi-temps. Entrez avec nous dans l’intimité des vestiaires. es patères, des bancs, des casiers, des effluves de camphre, la vapeur des douches. Et le zip de l’élastoplaste que l’on déroule ou le martèlement des crampons sur le carrelage… Parler des vestiaires sportifs, c’est convoquer tout à la fois des images, des odeurs et des bruits, une ambiance très particulière dans laquelle se retrouvent les pratiquants du dimanche comme les athlètes de haut niveau. Lieu d’hygiène et de concentration, d’intimité et de partage, cet espace clos sur lui-même joue dans la vie du sportif un rôle qui va bien au delà de son utilité strictement fonctionnelle. Pour certains, il représente d’abord l’indispensable plage de détente qui précède et suit l’effort, en créant une communauté de pairs, voire d’amis. «Avant de commencer l’entraînement, le passage aux vestiaires est un moment où on retrouve les copains, où on se raconte notre journée, c’est très convivial», raconte Julien Médard, sabreur du Groupe France d’escrime qui s’entraîne à l’Insep. Même en compétition, la complicité s’y exprime plus qu’ailleurs: «C’est un lieu où les D joueurs se charrient et se chambrent beaucoup, remarque le journaliste de France 2 Laurent Jaoui, qui fréquente depuis quinze ans les coulisses du foot. Ça donne une atmosphère plutôt sympathique.» Mais le vestiaire, c’est aussi et surtout l’espace de transition qui permet de se muer en sportif. De l’enfant qui enfile pour la première fois son habit de judoka au champion de foot qui revêt le maillot de son équipe, l’enjeu reste le même: «Dans les vestiaires, on enlève les oripeaux de ce qui nous définit dans la vie de tous les jours, analyse Francine Barthe-Deloizy, auteure d’une Géographie de la nudité (1). C’est un passage qui transforme notre identité: il faut se mettre nu pour devenir quelqu’un d’autre.»À l’inverse, une fois la performance sportive achevée, les vestiaires permettent le retour progressif à la vie civile: «Devant la glace, c’est la cohue, raconte sur son blog une joueuse de rugby amateur (2). Le sèche-cheveux, le gel, le fond de teint, l’eye-liner (tiens tu utilises celui-là? il est bien?), le gloss... Difficile d’imaginer qu’il y a trente minutes, on s’empoignait pour aller déposer un précieux UNE ANTIQUE TRADITION Les vestiaires sportifs ne sont pas une invention moderne : ils constituaient un lieu incontournable pour les Romains, qui faisaient grand cas de l’activité physique et des soins corporels. Lors de leur visite quotidienne aux thermes, ils s’y arrêtaient pour laisser leurs affaires dans de petites niches aménagées dans les murs, surveillées par un esclave, et s’y enduisaient le corps d’huile. Puis ils passaient dans la palestre, une cour intérieure où ils pratiquaient gymnastique, jeux de balle ou athlétisme. Enfin, ils terminaient par une succession de bains et une séance de massage. Un circuit digne de la préparation de nos plus grands champions… ● S.G. 10 Décembre 2007 en jeu une autre idée du sport n°412 ballon derrière une ligne. Ou peut-être justement parce que, pendant 80 minutes, on a été concentré sur autre chose, il y a un besoin de féminité, un besoin de se retrouver.» À cet égard, les vestiaires sportifs ont quelque chose à voir avec la loge du comédien, où l’on endosse un rôle avant de s’en défaire. Sauf qu’ils mettent en jeu de façon beaucoup plus directe le corps et son dévoilement, ce qui pose problème à certains. «J’ai horreur de me déshabiller sous le regard d’autres personnes, avoue Laurence, adepte de fitness. Alors je m’arrange toujours pour m’arrêter chez moi avant le cours afin de passer une tenue de sport. Ça m’évite de me sentir mal à l’aise.» UNE NUDITÉ SANS AMBIGÜITÉ? De fait, les vestiaires sportifs imposent souvent une promiscuité physique qui malmène la pudeur, particulièrement dans le cadre des sports collectifs. «Cela peut apparaître violent à certains enfants ou adolescents de se dévêtir à plusieurs dans le même espace», souligne Ronan David. Ce doctorant à l’université de Caen, qui s’inscrit dans la lignée de la sociologie critique du sport, s’est penché sur cet univers et sur les pratiques qu’il abrite. (3) Pour lui, les vestiaires sont emblématiques de la violence qui sous-tend le sport: «Non seulement la pudeur n’y est pas respectée, mais elle est même souvent carrément stigmatisée: on joue à enlever la serviette du copain qui sort de la douche, par exemple. Et tout le monde fait comme si tout ça ne posait pas le moindre problème. Pire: on défend ce fonctionnement sous prétexte que c’est ainsi que se forme une communauté.» Mais si la nudité ne représente pas un problème aux yeux du monde sportif, c’est peut-être aussi parce qu’elle est présentée comme dépourvue d’ambiguïté. «Les vestiaires sont le lieu d’une Patrick Artinian / Presse Sports Dans le secret des vestiaires Orteils dénudés, protègetibias, crampons délacés : nature morte d’après-match. nudité désexualisée, nuance Francine BarthesDeloizy. D’abord en raison de leur non-mixité. Ensuite parce que le corps du sportif est autre chose qu’une enveloppe charnelle: c’est avant tout un outil qui permet une capacité d’action, une performance à venir. La nudité sexuelle n’a pas sa place dans ce contexte.» Pourtant, pour tous ceux qui n’y entrent pas, ces lieux interdits exhalent un parfum équivoque et suscitent parfois quelques sous-entendus grivois. Dans l’un de ses titres, la chanteuse Clarika joue d’ailleurs du cliché avec malice: «Les garçons ont dit-on/Des mœurs singulières/Dans les vestiaires(…) Ah si j’étais un garçon/Je saurais ce qu’ils font/Dans les vestiaires…» Ce fantasme récurrent n’a rien de vraiment étonnant: les sportifs correspondent parfaitement à l’imagerie classique d’une certaine masculinité, pétrie de muscles et gorgée de testostérone. Dans les représentations qui imprègnent l’inconscient collectif, le sport reste encore un emblème de la virilité triomphante. Il est d’ailleurs assez rare d’entendre fantasmer sur les vestiaires féminins… Quant aux rumeurs d’homosexualité qui planent sur certains vestiaires, elles sont souvent évacuées d’un haussement d’épaules par les sportifs, y compris et surtout dans les clubs qui s’affichent gays. Déjà investi d’un rôle important lorsqu’il est le prélude de simples entraînements, le vestiaire sportif devient une sorte de chaudron dès lors qu’il précède une compétition. L’enjeu lui confère alors une dimension supplémentaire qui en décuple la charge émotionnelle. Antichambre de l’exploit, il représente l’étape ultime avant l’entrée dans l’arène. La préparation psychologique y prend alors une place centrale, à l’écart du bruit et de la foule, comme dans une matrice. «C’est un cocon très hermétique, où l’on n’entend rien de ce qui se passe dehors, même s’il y a 80 000 personnes dans le stade», décrit Eric Briquet, arbitre de rugby de haut niveau et par ailleurs délégué départemental Ufolep du Var. DES RITES POUR TROMPER LA PEUR Dans cette bulle isolée du reste du monde, il s’agit pour chacun de se concentrer afin de se montrer le plus performant possible une fois sur le terrain. Ce passage est organisé par des rituels permettant une mise en condition progressive du champion. À travers des entretiens avec les joueurs de l’USA Perpignan, Jean-Luc Canal et Caroline Quintilla, issus du laboratoire Corps et culture de l’université de Montpellier, ont identifié plusieurs d’entre eux, qui se retrouvent peu ou prou dans les autres sports. Rituels liés au temps, tout d’abord. Selon leur caractère, certains sportifs arrivent très en avance, d’autres un peu plus tard. Mais le moment passé au vestiaire obéit toujours à un déroulement immuable, même s’il diffère d’un joueur à l’autre. Le sportif s’appuie sur des points de repères qui balisent la durée de l’attente et la rendent plus supportable: «Je rentre une heure avant dans les vestiaires, dit l’un d’entre eux. Pas 55 mn ni 1 h 05. Je fais des choses minutées pour faire passer plus vite l’avant-match.» (4) D’autres rituels sont liés à la façon d’occuper l’espace: souvent, les joueurs choisissent le même Décembre 2007 casier et la même place sur le banc. Une manière là encore de se lover dans des habitudes rassurantes pour éviter d’être gagné par le trac. Ainsi à Roland-Garros, Steffi Graff occupait-elle invariablement le casier numéro 19, car c’est celui qui lui avait été attribué la première fois qu’elle avait remporté le tournoi. Dans le cas des sports collectifs, cette place dans les vestiaires est aussi synonyme d’intégration dans le groupe. «Le vestiaire est un lieu d’observation rêvé pour comprendre comment fonctionne une équipe, explique Laurent Jaoui. La place de chacun y est emblématique: il y a le leader, ceux qui sont un peu à l’écart, et l’entraîneur au milieu.» Parmi les rites, il faut évidemment citer les petites et grandes superstitions sensées vacciner contre le mauvais œil: on enfile d’abord la chaussure droite, on fait une petite prière ou un signe de croix, on enlève son alliance, on se munit de gris-gris et fétiches divers… Les individus les plus terre à terre peuvent basculer dans l’irrationnel le plus fou dès lors qu’il est question de se prémunir contre l’échec. C’est ainsi que le joueur de tennis croate Ivan Ljubicic a retrouvé un homme nu dans son casier lors du tournoi de Key Biscane en 2005. Il s’agissait du joueur français Mickael Llodra, qui justifia ainsi son acte: «J’essaie de capter une part de ton énergie positive. Tu gagnes beaucoup de matches cette année.» L’ambiance d’un vestiaire de compétition est cependant très différente selon qu’il accueille un sport collectif ou individuel. Dans le premier cas, il est avant tout le lieu où se consolident les relations entre les joueurs. « Ce sas permet une en jeu une autre idée du sport n°412 11 TRANSE ET DÉLIRE Cette emprise de l’entraîneur est parfois critiquée. « Toutes les analyses décrivent les vestiaires comme le lieu de rites gentils, de pratiques codifiées qui ne posent pas vraiment problème, s’insurge Ronan David. Mais le but, c’est bien quand même de mettre le joueur en état de transe et de délire, en exaltant l’idéologie virile du guerrier. La violence de l’acte sportif, fondée sur un objectif de domination, a besoin d’exploser dans le vestiaire. » Pour les habitués des lieux, la charge appelle pourtant quelques correctifs : « Le lavage de cerveaux, ça a pu exister à une certaine époque, reconnaît Eric Briquet. Les prépas à l’ancienne jouaient souvent sur la violence verbale. Mais depuis une quinzaine d’années, ces pratiques ont disparu. On s’est rendu compte que cela ne servait à rien que l’inGaël Monfils met ses chaussettes. dividu s’efface. Aujourd’hui, l’approche est beaucoup plus professionnelle. » À l’inverse, après la défaite le vestiaire peut se muer en «un endroit de désolation et de putréfaction», un «no man’s land» où l’on respire «l’odeur de la mort», selon les mots employés par le NéoZélandais Anton Oliver, resté longtemps cloîtré avec ses coéquipiers après leur récente défaite contre le XV de France. Il peut aussi devenir un endroit où l’on se barricade, comme le vestiaire suisse assiégé dans le stade d’Istanbul après le match qui éliminait la Turquie voir ce que font les autres, d’encourager les copains… En ce qui me concerne, je trouve ça du Mondial de football… La problématique des sports individuels est dif- mieux que de rester tout seul enfermé dans son férente: il s’agit de partager le vestiaire non avec coin.» Mais alors, quid de la sacro-sainte concendes pairs, mais avec l’adversaire. L’intimidation tration? «Pour faire le vide, il suffit de se mettre peut alors faire partie du jeu. Lors du dernier un walkman sur les oreilles.» Diable! Être privé Roland-Garros, on a ainsi entrevu un Nadal au de vestiaire n’empêcherait donc pas l’excelregard de tueur jaugeant froidement un Djokovic, lence ! Tout juste manque-t-il peut-être ce hilare, juste avant la demi-finale qui devait les fumet d’embrocation et de sueur mêlés qui opposer. C’est le premier qui a gagné… La guerre nourrit chez certains anciens sportifs une indédes nerfs sévit aussi dans les compétitions de judo fectible nostalgie…● SOPHIE GUILLOU ou de patinage (lire encadré). En revanche, en escrime, le passage au vestiaire n’est chargé d’aucun enjeu… pour la bonne raison que personne n’y va. «On a tous l’habitude de se changer dans les tribunes, explique Gauthier Grumier, épéiste (1) Géographie de la nudité, être nu quelque part, coll. «D’autre champion du monde 2006 par équipe. Dans les part», Bréal, 2003. compétitions d’escrime, on est très nombreux, (2) monblogdefille.mabulle.com souvent plus d’une centaine par rencontre. Il fau- (3) «Le vestiaire sportif comme lieu de fabrication de la violence masculine». drait des vestiaires immenses pour accueillir tout (4) «Du mec au joueur: les rites de transformation des rugbymen le monde! Être dans les tribunes nous permet de dans le vestiaire», disponible sur http://corpsetculture.revues.org Hugues Lawson Body / Presse Sports phase de préparation collective, une mise en synergie des esprits, explique Eric Briquet. C’est là que se fait le groupe. Cinq minutes avant le coup d’envoi, il y a des échanges très forts entre les joueurs: ils se tapent les mains, se secouent, se frottent la tête, comme pour préparer le corps au contact.» À un moindre degré, basketteurs et handballeurs connaissent ce moment de fusion qui doit souder l’équipe. Dans cette ultime préparation, le coach a évidemment un rôle éminent à jouer pour motiver ses troupes, si besoin avec la manière forte. Tout le monde a en mémoire les cris et les gesticulations d’un Bernard Laporte exhortant ses joueurs à se reprendre lors du match France-Italie en 2002 – une séquence récupérée par la publicité – ou la colère froide d’Aimé Jacquet à la mi-temps de la demi-finale de la Coupe du Monde 1998 contre la Croatie, captée dans le documentaire «Les yeux dans les Bleus». « ON PENDAIT LES MANTEAUX AUX CROCHETS... » Sollicitée par En jeu (n°389, mai 2005) sur ses souvenirs sportifs, culottes imprimées aux jours de la semaine avec des couleurs diffé- l’écrivaine et vidéaste Valérie Mréjen avait choisi d’évoquer les rentes. C’était l’occasion d’observer, de voir lesquelles portaient déjà vestiaires des cours d’éducation physique. un soutien-gorge, celles qui rentraient leur chaîne en or sous la che- «Je me souviens des vestiaires. Chacun devait apporter ses affaires mise en coton, celles qui pliaient soigneusement leurs affaires, celles de sport dans un sac préparé la veille, qui contenait un survêtement qui laissaient le tout chiffonné en tas. Certaines étaient prêtes assez et des tennis, un short, un T-shirt, un polo, des chaussettes en coton vite et semblaient motivées, d’autres traînaient, prenaient leur temps, bouclé un peu épaisses ou des socquettes en éponge fantaisie avec deux se faisaient attendre interminablement. Certaines changeaient chaque mini-pompons à l’arrière. On pendait les manteaux aux crochets de fois de polo soigneusement plié et repassé: jaune, rose pâle, bleu… la barre centrale et mettait ses affaires en tas sur les bancs parallèles. D’autres enfilaient le même T-shirt un peu trop grand avec un imprimé Je me souviens de l’odeur de poussière et de sueur figée, dans les tapis ou une publicité, le nom d’un club de sport qu’elles fréquentaient en en mousse, du carrelage usé et glacé, et que, pour éviter d’y poser le dehors de l’école. Après le cours, il fallait enfiler à nouveau les mi-bas pied nu, on s’appuyait sur une basket écrasée par le poids. En se pen- et se tenir en équilibre afin d’éviter les moutons de poussière, remettre chant pour enfiler son survêtement, l’œil balayait les chaussettes les tennis dans le sac en plastique et le sac en plastique avec le sur- lâches, les auréoles sous les manches de polo, les élastiques usés, les vêtement humide au fond du sac de sport. »● 12 Décembre 2007 en jeu une autre idée du sport n°412 Dans le secret des vestiaires Vestiaires de glace Si certains vestiaires sont relativement ouverts aux medias, d’autres restent clos sur leurs mystères. C’est le cas dans le milieu du patinage. Petite visite dans le saint des saints, à l’occasion des Masters, en septembre. rissement de patins et triples sauts en cascade: sur la patinoire de Courbevoie (Hauts-de-Seine), les as du patinage français se retrouvent durant quatre jours pour tester leur nouveau programme. Le premier jour est réservé à l’entraînement, ultime réglage avant l’entrée en lice. La tension n’étant pas encore trop forte, nous voilà autorisés à dépasser la frontière de la salle de presse pour voir à quoi ressemble un vestiaire de patineurs… de l’extérieur. «C’est un endroit vraiment privé», souffle Nicolas Beaudelin, ancien patineur devenu responsable des relations presse de la Fédération. Entrouvrir cette porte, c’est s’aventurer en territoire interdit. Dans le milieu du patinage, le vestiaire est exclusivement réservé aux athlètes. Personne d’autre n’y pénètre, pas même les coaches. «On a coutume de les laisser tranquilles, confirme Baptiste Porquet, entraîneur à Toulouse. C’est là qu’ils se concentrent, qu’ils réfléchissent à leur programme… La seule incursion qu’on se permette, c’est de toquer à la porte pour leur annoncer que c’est bientôt leur tour.» C Une fois vidé de ses occupants, le sanctuaire se dévoile: une pièce exiguë, où un néon maigrelet peine à éclairer trois rangées de bancs orphelins. Pas même un miroir pour vérifier si le costume tombe bien. Pas non plus l’ombre d’un patin: une règle d’or un rien paranoïaque veut que les sportifs ne les laissent jamais sans surveillance. Dans le passé, quelques cas avérés de sabotage ont défrayé la chronique: un coup de ciseaux passé sur la lame, et le propriétaire desdits patins perd tous ses appuis sur la glace. Evidemment, ça refroidit… C’est donc dans cet espace nu que se retrouvent tous les concurrents avant et après leur passage sur la glace. Inévitablement, en attendant son tour, on scrute la physionomie de celui qui vient d’exécuter son programme. «En général, celui qui a réussi a plutôt envie de parler, celui qui a raté se retire dans son coin», relève Alban Préaubert, grande silhouette qui porte avec une modestie souriante son titre de numéro 2 français. À l’entendre, entre patineurs tricolores, l’ambiance serait plutôt conviviale. À coup de stages et d’entraînements communs, des liens se créent qui empêchent une rivalité trop agressive. En revanche, lors des rencontres internationales, la confrontation peut parfois tourner à une véritable guerre des nerfs. «On essaie de déstabiliser un peu l’adversaire, de marquer son territoire », confirme Alban Préaubert. À ce petit jeu de l’intox, les Russes sont considérés des experts: «Ils aiment faire sentir qu’ils sont les plus forts. Ils ont l’habitude de parler entre eux en fixant les autres, pour leur donner l’impression qu’ils parlent d’eux. » Malheur à celui qui se laisse intimider: sa prestation risque fort d’en pâtir… Mais la déstabilisation peut aussi venir de gestes plus innocents. «Pour me détendre, j’ai l’habitude de courir pieds nus dans le vestiaire, raconte Alban. Je suis sûr que cette manie en irrite certains, qui imaginent que j’agis ainsi exprès dans le but de nuire à leur concentration. » Large sourire. «Ça peut être pris pour de la provocation.» Mais évidemment, ça n’en est pas du tout…● S.G. POUR OU CONTRE LES CAMÉRAS ? «Ce n’était pas bien de montrer les vestiaires à la mi-temps. Dans irruption de la télé-réalité dans le monde du sport. Pourtant, le rugby, il faut préserver une part de mystère, d’intimité. » Au dans les faits, l’espace de liberté des journalistes s’est consi- lendemain du catastrophique France-Argentine en ouverture dérablement réduit. «Il y a quinze ans, on pouvait sans problème de la Coupe du monde, Clément Poitrenaud ne décolère pas. En accéder aux vestiaires pour faire des interviews, raconte Laurent cause : les images tournées par TF1 en marge du match, notam- Jaoui, journaliste au service sports de France 2. Aujourd’hui, ment la lecture de la lettre de Guy Môquet sensée galvaniser c’est de plus en plus difficile. On est entré dans une ère où le sport les troupes. Du coup, durant le reste de la compétition, la obéit à une logique commerciale, avec une communication très chaîne continuera à filmer en coulisses, mais sans plus le droit contrôlée. Je peux comprendre que les sportifs veuillent préser- de diffuser les images dans la foulée, certains joueurs s’étant ver leur intimité. Mais en même temps je le regrette : il y a évi- sentis ridiculisés. demment une proximité et une spontanéité beaucoup plus grande Sans doute la réaction eût-elle été différente si les Bleus avaient quand un type vous répond à chaud, avec sa serviette nouée autour vaincu… Mais au delà de la polémique, reste une question de de la taille, plutôt qu’en salle de presse une heure après la fin du fond : les vestiaires doivent-ils redevenir un sanctuaire à l’abri match. » Alors, respect de l’intimité ou verrouillage de l’info ? de toute intrusion médiatique ? Depuis plusieurs années (1), Le débat reste posé. ● S.G. les caméras ont investi cet espace intime pour se rapprocher au plus près des joueurs, en particulier dans les sports collectifs comme le foot, le rugby et le hand. Certains dénoncent cette (1) Canal + fut à l’origine des premières incursions, dès 1984, dans les vestiaires du championnat de France de football. Décembre 2007 en jeu une autre idée du sport n°412 13