La Caisse des dépôts et le procès de l`Amoco Cadiz
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La Caisse des dépôts et le procès de l`Amoco Cadiz
varia La Caisse des dépôts et le procès de l’Amoco Cadiz André LE PAPE, Ancien directeur adjoint chargé du département des prêts (1980-1984) LE CHOC Le 16 mars 1978, une catastrophe écologique sans précédent affecte gravement plus de la moitié du littoral nord de la Bretagne. L’Amoco Cadiz, un pétrolier géant, est venu, alors que souffle une violente tempête, s’éventrer à pleine charge sur les rochers de Portsall, situés à moins d’un kilomètre de la côte. En quinze jours, la cargaison de 230 000 tonnes d’hydrocarbures contenues dans les immenses cuves du navire s’échappe en totalité de ses flancs. Des vents d’ouest et de forts courants de marées poussent l’énorme masse noire et visqueuse le long du rivage. Elle s’insinue partout en profondeur et souille 300 kilomètres d’un bord de mer fortement peuplé, connu autant pour la beauté de ses sites que pour la richesse de ses fonds. Les dégâts causés à la flore et à la faune marines sont dévastateurs. Une estimation sommaire fait état de la destruction de 260 000 tonnes d’espèces vivantes. Sans attendre la réaction des pouvoirs publics, qui ne se manifestera qu’un peu plus tard, quelques-uns des maires des communes particulièrement éprouvées par la catastrophe pensèrent plutôt obtenir réparation du préjudice écologique subi, en s’adressant aux tribunaux. Deux avocats, Mes Christian Huglo et Corinne Lepage, spécialisés dans les questions d’environnement, acceptèrent de prendre leur défense. Les juristes firent toutefois observer aux victimes qu’en l’absence de conventions internationales, les décisions des instances judiciaires françaises ne seraient pas opposables aux compagnies américaines, même si ces dernières étaient jugées totalement responsables de la pollution provoquée par l’échouage du tanker. Ils conseillèrent donc aux plaignants, pour des raisons d’efficacité, de se pourvoir directement devant la justice américaine. Les maires se rendirent aux arguments avancés par les avocats et s’organisèrent. L’entreprise paraissait néanmoins déraisonnable aux yeux de beaucoup : comment, en effet, quelques dizaines de petites communes bretonnes désargentées seraient-elles en mesure d’obtenir gain de cause à l’étranger contre l’un des groupes les plus puissants de l’industrie pétrolière américaine, placé sous la bannière de la Standard Oil of Illinois, la 4e compagnie américaine et l’un des fleurons de la ville de Chicago ! Pourtant, le procès se déroulera bien dans la capitale du Middle Ouest, sous la présidence d’un juge fédéral, le juge Mac Garr. Il durera quatorze années et l’ensemble des collectivités bretonnes victimes de la marée noire, regroupées au sein du Syndicat mixte de conservation et de protection du littoral nord-ouest de la Bretagne, finiront par gagner leur procès. L’action, de nature plus classique, intentée parallèlement contre le groupe pétrolier par l’Agence judiciaire du Trésor, agissant pour le compte de l’Etat français, en remboursement des dépenses de nettoyage du littoral, parce qu’elles étaient matérialisées par des factures, donna beaucoup moins de souci, selon ses propos, au juge Mac Garr. LA MISE SUR ORBITE La Caisse des dépôts fut elle-même alertée sur cette affaire dans le courant de 1980, d’une manière inhabituelle et dans un contexte où le hasard et les circonstances jouèrent un rôle déterminant. 598 Le directeur général, M. Maurice Pérouse, m’avait confié récemment la direction du département des prêts à l’équipement des collectivités locales. Or, j’étais originaire de Trébeurden, l’une des stations balnéaires des Côtes-du-Nord les plus touchées par la marée noire de l’Amoco Cadiz. J’avais par ailleurs exercé les fonctions de délégué régional de l’établissement à Rennes pendant plusieurs années. Beaucoup plus troublant encore, juste avant mon retour au siège en 1972, j’avais été élu maire de Trébeurden, commune où je me rendais toujours chaque fin de semaine. On pardonnera ce luxe de détails me concernant, mais il permet mieux d’imaginer la suite. A la demande pressante des élus concernés par la catastrophe écologique en question, je fus désigné, en tant que maire d’une des communes gravement sinistrées, pour intervenir au nom de tous, auprès de la Direction générale de la Caisse des dépôts afin d’obtenir un prêt destiné à permettre le démarrage effectif du procès outre-atlantique. Les avocats américains chargés de la défense des intérêts des collectivités devant le tribunal de Chicago exigeaient, il va sans dire, que leur soient données au préalable des garanties de solvabilité en ce qui concerne le règlement de leurs états de frais et de leurs émoluments. Il s’agissait en l’espèce du cabinet Curtis, Mallet-Prévost, Cold and Mosle de New York qui disposait d’un bureau à Paris. M. Pérouse eut la bonté de croire au bien-fondé de mon argumentation un peu tirée par les cheveux, selon laquelle il s’agissait en définitive de permettre au syndicat mixte de financer non pas des dépenses de fonctionnement mais plutôt des investissements indirects et différés, lesquels seraient effectivement réalisés plus tard, grâce à l’argent récupéré au procès. De plus, à une situation très exceptionnelle n’était-il pas légitime pour la Caisse des dépôts de répondre par des moyens également exceptionnels ? Enfin, qui mieux que la Caisse des dépôts, dont les prêts représentaient plus de 80 % du financement des équipements locaux, pouvait venir au secours de collectivités désemparées, etc. ? Le Syndicat mixte de protection et de conservation du littoral nord-ouest de la Bretagne obtint ainsi de la Caisse des dépôts un prêt exceptionnel de 8 millions de francs d’une durée de cinq ans, réparti en quatre versements à mesure des besoins. En réalité, le concours exceptionnel apporté par la Caisse des dépôts aux collectivités bretonnes valait beaucoup plus que son montant. Il fut traduit par l’opinion locale comme un signal fort donné au secteur bancaire demeuré jusque-là assez réservé à l’égard des demandes de prêts formulées par le syndicat mixte, considéré à tort comme peu fiable. L’effet incitatif produit se prolongea et le syndicat mixte put désormais, sans difficulté, trouver auprès des banques tout l’argent nécessaire à la poursuite de son action aux Etats-Unis. Lors de l’un de ses premiers passages à Paris, Mrs. Haytts, président en exercice du cabinet Curtis Mallet-Prévost, s’inquiétait d’un retard de versement de la part du syndicat mixte. Il se montra lui-même rassuré d’apprendre que la Caisse des dépôts avait consenti la première à aider financièrement le syndicat mixte. A la fin du procès en 1992, les frais engagés par le syndicat mixte avaient atteint le montant insensé de 120 millions de francs. L’Etat français avait dépensé 80 millions de francs et le groupe Amoco lui-même, pour sa défense, l’équivalent en dollars de 200 millions de francs. Je n’étais plus maire de Trébeurden depuis 1983, sans pour autant me désintéresser de la suite du procès à titre personnel. No 7 - Juillet 2009 - varia Le naufrage de l’Erika invite toutefois à l’humilité et a montré que de gros progrès restaient encore à accomplir dans le domaine particulier de la fiabilité des navires. LE RÉSULTAT Le juge Mac Garr acta l’importance des atteintes portées à l’environnement en Bretagne mais déclara rencontrer des difficultés pour fixer le montant global des indemnités dues par les pollueurs au syndicat mixte. Il opta donc pour le calcul des dommages subis par les collectivités au cas par cas, ce qui le conduisit souvent dans des impasses. Il expliqua ne disposer d’aucun texte juridique auquel il pouvait se référer, le droit américain ne prenant pas en compte les atteintes portées aux éléments constitutifs de l’environnement considérés comme res nullius. La somme totale des réparations retenues au profit des collectivités fut, en définitive, de l’ordre des 235 millions de francs, montant jugé largement insuffisant par les victimes. La trop longue aventure aux Etats-Unis des communes bretonnes ne fut donc pas à proprement parler et dans l’immédiat un franc succès ni une réussite financière. Elle eut par contre un profond retentissement. La suite a montré qu’elle a eu pour effet de faire évoluer dans un sens beaucoup plus favorable aux victimes directes, les réparations accordées au titre des atteintes à l’environnement. Elle a contribué à la fois à faire évoluer le droit américain et les dispositions du droit international de la mer relatives à la sécurité des navires et à la responsabilité des propriétaires et des affréteurs. Les mesures de sécurité relatives à la circulation des navires marchands dans la Manche furent aussi très sensiblement renforcées et les dégazages sauvages en pleine mer furent plus sévèrement sanctionnés. PS. - Dans ce témoignage, il est fait allusion à plusieurs reprises au Syndicat mixte de conservation et de protection du littoral nord-ouest de la Bretagne, appelé plus souvent « le syndicat mixte ». Il s’agissait en réalité d’une entité administrative atypique créée pour la circonstance. Le choix de cette formule juridique ne s’imposa pas a priori et fit l’objet de recherches et de tâtonnements avant d’être adoptée. De quelle manière, en effet, pouvait-on rassembler au sein d’une même entité reconnue en droit, un ensemble hétéroclite regroupant à la fois quatrevingt-dix communes, deux départements, des chambres de commerces, des groupements de marins-pêcheurs, d’ostréiculteurs, de restaurateurs, d’hôteliers et diverses associations de protection des sites ? La réponse vint encore de la Caisse des dépôts. Mise en éveil, l’une des secrétaires de direction chevronnées du département des prêts se souvint d’avoir vu passer, parmi les milliers de dossiers enregistrés chaque année par les services du département, une demande de prêt qui lui était apparue un peu singulière. Elle était formulée par un syndicat de communes forestières comprenant également des propriétaires privés. Le dossier forestier fut exhumé. Le précédent était trouvé. Les avocats purent rédiger sans risque de rejet les statuts du syndicat mixte. 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