Affaire de l`Erika... encore et au-delà

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Affaire de l`Erika... encore et au-delà
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Environnement n° 6, Juin 2012, repère 6
Affaire de l'Erika... encore et au-delà...
Repère par Christian Huglo
avocat à la cour de Paris
docteur en droit
co-directeur scientifique du JurisClasseur Environnement et Développement durable
Sommaire
L'arrêt de la cour de Paris, soumis à la Cour de cassation, a d'ores et déjà fait l'objet d'un procès devant l'opinion
publique en pleine campagne électorale.
La lecture hâtive des pièces du dossier et une mauvaise connaissance du sujet ont semble-t-il permis toutes sortes de
prises de position, y compris les plus extrêmes.
1. - Mais certains ont tout de même travaillé le sujet et ont pris position.
Dans une récente chronique parue dans la Semaine juridique, édition générale, du 23 avril 2012, Yann Aguila écrit que
si les juges de cassation avaient à juger sur la question du dommage écologique, ils devraient en quelque sorte tenir
compte, écrit-il : « de la réserve de l'avocat général qui serait parfaitement rigoureuse sur le plan juridique » (JCP G
2012, doctr. 531, Y. Aguila).
Il gage alors qu'une réforme de cette question s'impose et fait état du projet du Club des Juristes (auquel nous avons
d'ailleurs participé personnellement), qui devrait mettre un terme à un certain nombre de polémiques et de confusions.
Louons cette initiative, mais voyons surtout que, jusqu'à présent - et l'arrêt de la cour de Paris n'échappe pas à cette
observation - les juges saisis de ce type de question n'ont jamais erré.
2. - La première illustration de l'indemnisation du dommage écologique remonte à l'affaire dite de la Montédison réglée
par les jugements du tribunal de grande instance de Bastia des 7 décembre 1976 et 5 juillet 1985.
Dans cette procédure, le département de la Corse a été admis à faire valoir son atteinte à l'image de marque en raison
d'une intense pollution chimique située au large des côtes de la Corse de nature à nuire à l'image « de l'Île de Beauté » et
les marins pêcheurs corses eux-mêmes ont été indemnisés des pertes de revenus liées à l'atteinte au milieu.
Des décisions semblables ont été rendues dans le contentieux que les marins pêcheurs ont livré à différentes usines de
produits chimiques dans la baie de la Seine dans les années 1980 ; la théorie n'a pas été consacrée dans l'affaire de
l'Amoco Cadiz à Chicago en raison de la faiblesse des précédents en droit français mais elle a été consacrée par la cour
de Paris dans l'affaire dite Erika actuellement soumise à la Cour de cassation.
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3. - Comment peut-on hésiter sur la réalité et la nécessité de la réparation du dommage écologique ?
Simplement parce que l'on commet une grave confusion.
Il y a ce qu'autorisent les textes d'un côté, c'est-à-dire la réparation des dommages directs et indirects causés par une
pollution telle que prévue par le Code de l'environnement pour les associations, et plus récemment pour les collectivités
publiques (article L. 142-4 issu de la loi du 1er août 2008 pour ces dernières), et de l'autre ce que l'on nomme le
dommage écologique pur.
Évidemment, lorsque l'on définit le dommage écologique pur comme un dommage causé au milieu, indépendamment
des atteintes à des personnes susceptibles de le réclamer, il n'y a pas de réparation possible. Qui peut réclamer le
dommage causé en haute mer dans le naufrage de l'Erika ? Qui peut réclamer le dommage causé à l'atmosphère par la
société Total du fait des fuites de gaz dans la mer du Nord ?
Cette dernière question reste évidement complètement ouverte et sans solution sur le plan du droit positif.
4. - Mais il n'en va pas de même lorsque le juge remarque que l'ensemble des lois et des conventions internationales ont
pour but de protéger l'environnement et que seules peuvent réclamer le dommage écologique les personnes publiques ou
privées qui ont été atteintes dans leurs intérêts directs et indirects comme le prévoit la loi du 1er août 2008 dont l'avocat
général reconnaît qu'elle s'applique à l'instance en cours.
Le juge répare tout simplement un dommage direct personnel, certain, évaluable en argent, à partir d'expertises.
C'est ce qu'a fait la cour de Paris en faisant le partage entre les communes qui réclamaient des dommages écologiques et
qui n'y avaient pas droit directement (étant situées dans le nord Finistère, elles n'avaient pas été touchées par la marée
noire), et les collectivités publiques du Morbihan de la Loire Atlantique et de la Vendée qui, elles, sur leurs plages, ont
été atteintes par le fuel transporté par l'Erika, à la fois sur leur territoire et sur leur réputation de communes touristiques.
Les marins pêcheurs ont eux aussi le droit, en tant que professionnels, de réclamer la réparation du dommage causé au
milieu, lié aux pertes de ressources évaluables en argent, exactement comme le font toutes les juridictions lorsqu'elles
indemnisent par exemple un ensemble forestier qui a été détruit par un incendie.
Le Conseil d'État, dans un arrêt extrêmement ancien mais fort pertinent, Commune de Barjols c/ Correnx, avait pris en
considération le double préjudice lié à la perte des recettes de vente du bois, d'un coté, et de l'autre le cycle de
repeuplement forestier.
Il ne faut donc pas confondre la question de la réparation du dommage écologique pur et la réparation du dommage à
l'écologie et au milieu qui est un dommage par ricochet, classiquement admis par la jurisprudence de la Cour de
cassation depuis de longues décennies.
5. - Pour faire reste de droit et s'attacher uniquement à l'affaire Erika, il paraît évident que dans l'espèce, la Cour de
cassation ne pourra que rejeter les arguments de l'avocat général sur la question du dommage écologique, qui sont liés
simplement à des considérations non pas environnementales, mais de droit pur car, selon lui, la Convention sur la
responsabilité civile dite CLC n'aurait pas la même conception que la loi française.
Or, il suffit de relever que dans l'affaire dite Commune de Mesquer c/ Total, la Cour de justice des communautés
européennes, d'une part, puis la Cour de cassation elle-même, ont parfaitement admis la possibilité de recourir au droit
commun, pour réparer le dommage causé par une pollution par hydrocarbures, en dehors des dispositions de la
Convention sur la responsabilité civile dite CLC.
La Convention sur la responsabilité civile n'est pas le remède universel car s'il l'avait été, on ne voit pas pourquoi,
effectivement, l'État français et les collectivités bretonnes dans l'affaire de l'Amoco Cadiz auraient pu plaider aux
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États-Unis alors que ladite convention prévoit des clauses de compétence très strictes.
En fait, pour faire reste de droit aussi à l'arrêt de la cour de Paris, cette dernière a simplement condamné civilement des
personnes non visées à la Convention sur la responsabilité civile.
6. - Que l'on ne dise pas non plus que la conception de la loi française, en l'espèce l'article L. 142-4 du Code de
l'environnement issu de l'amendement Retailleau, serait contraire au droit international.
Il suffit de relever à cet égard que la Convention Marpol qui est destinée à lutter contre la pollution par les
hydrocarbures a précisément pour but d'empêcher, nous citons, « la réalisation de dommages par substances nuisibles
qui sont définies au titre de la convention comme toutes substances dont l'introduction dans la mer est susceptible de
mettre en danger la santé de l'homme, de nuire aux ressources biologiques, à la faune et à la flore marines, de porter
atteinte à l'agrément des sites ou de gêner toute utilisation légitime de la mer.
La cour d'appel de Paris n'a rien jugé d'extraordinaire qui ne soit pas strictement conforme à une conception
traditionnelle du dommage indemnisable
7. - Alors, mettons bien les choses au point : s'il y a une forte attaque effectivement sur la question du dommage
écologique, encore faut-il qu'elle soit présentée de façon honnête, complète et objective. Si l'on veut écarter une juste
réparation du dommage écologique, il faut aussi songer à ce que l'on risque : l'on voit bien quels sont les enjeux pour le
futur, s'il y a par exemple plus que des intentions de prospection pétrolière au large des côtes, et pensons également à la
question du dommage écologique lié à une affaire qui reviendra prochainement d'actualité, la question des gaz de
schiste.
Le droit de l'environnement s'est bâti grâce à la décision des juges, ce qu'ils ont fait jusqu'à présent est totalement
réaliste et totalement adapté aux situations réelles. Ne gâchons pas ce qu'ils ont construit en trente ans, même si le droit
de la responsabilité n'est qu'une partie du droit de l'environnement.
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