Laissez-Passer Européen

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Laissez-Passer Européen
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FAQ
Laissez-Passer Européen
Suite aux nombreuses arrestations de demandeurs d’asile afghans déboutés et
l’éloignement de certains d’entre-eux à l’aide de « Laissez-Passer Européens », de
nombreux intervenants nous ont consulté pour connaître la portée légale de ces
documents et les conditions de leur utilisation.
Nous faisons ici état du consensus exprimé par la doctrine sur les règles de droit
international coutumier régissant la réadmission et qui sont reprises par les normes
internationales en matière de circulation aérienne que la Belgique a ratifiées (A et B), les
développements d’une politique de l’UE en matière de réadmission (C), les usages que les
Etats européens ont trouvé aux Laissez-Passer européens (D), et enfin certaines
circonstances spécifiques au renvoi en Afghanistan (E).
A. Obligations internationales et état de la coutume
A.1 Obligation de reprendre ses nationaux
Les Etats ont le droit indéniable de contrôler souverainement l'entrée et le séjour des étrangers
sur leur territoire.1 Face aux pratiques abusives, c’est de longue date que des normes de droit
international ont été élaborées afin que ce droit des Etats ne puisse s’exercer de manière
absolue.2
1
CEDH, Amuur c France (Requête n° 17/1995/523/609) - 20 mai 1996 ; § 41.
Pour les prémices d’une limitation à l’action souveraine des Etats, voir notamment la théorie de l’abus des droits
dans les rapports internationaux défendue par Politis, selon laquelle l’expulsion doit répondre à une véritable
nécessité. Nikolaos Politis, Le problème des limitations de la souveraineté et la théorie des abus de droits dans
les rapports internationaux, RCADI, 1925, tome 1, p. 103. Charles de Boeck s’est également opposé à une vision
discrétionnaire du pouvoir d’expulser et estime que « l’expulsion sera légitime, lorsqu’elle aura pour objet la conservation de l’état ; elle sera illégitime si elle n’est pas dictée par l’intérêt supérieur de l’association politique
( …) » Charles de Boeck, L'expulsion et les difficultés internationales qu'en soulève la pratique, R.C.A.D.I., cours
1927, Paris, 1928.
2
2
D’un point de vue classique, l’obligation de reprendre ses nationaux apparaît comme le corollaire
du droit des Etats à expulser.3 La dimension bilatérale de l’action d’expulser et d’admettre est ici
évidente et vise à respecter la souveraineté nationale qu’exerce chaque Etat.4 Il existe également
un droit subjectif pour la personne à se voir reconnaître par son Etat de nationalité. La
Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques prévoient que toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien,
et de revenir dans son pays.5 L’Etat est en principe également tenu par les différentes
conventions relatives au statut des apatrides.6 Le refus de reconnaître ses nationaux à l’étranger
aurait pour conséquence dommageable de les laisser en errance dans une situation d’apatridie.
La réadmission présente ainsi à la fois les caractères d’une obligation inter-étatique et met en jeu
des droits fondamentaux de la personne.
L’obligation de réadmettre est-elle absolue ? Sa double dimension, personnelle et inter-étatique
rend la question épineuse.7 En réalité, le caractère obligatoire de la réadmission dépend de la
possibilité qu’il incombe à l’Etat une obligation qui soit autonome des droits liés à la personne, ce
qui autorise alors l’Etat à se passer de son consentement.8 L’Etat a-t-il lui, le droit de refuser ? Si
l’expulsion elle-même est illégale, il n’est pas du tout évident que l’Etat soit encore tenu de
réadmettre la personne visée.9
Le droit international coutumier s’oppose donc en principe à ce qu’un Etat refuse à ses propres
ressortissants d’avoir accès à son territoire et d’y séjourner.10 Il reste néanmoins que l’Etat reste
maître des conditions d’accès à son territoire et que la réadmission doit s’opérer dans un cadre
négocié par les Etats concernés.11 L’État de nationalité peut mettre des conditions à l’admission
Aujourd’hui, la CEDH consacre le principe du non-refoulement et accepte l’application extra-territoriale d’un certain nombre de dispositions de la Convention. CEDH, Soering c RU (Requête no 14038/88) - 07 juillet 1989; § 88.
Elle sanctionne également des décisions d’éloignement aux conséquences disproportionnées sur la vie privée
et/ou familiale des individus. CEDH, Rodrigues Da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas (Requête no 50435/99) - 31
janvier 2006 ; §39.
3
« It is arguable whether sovereign States have absolute discretion regarding the expulsion of foreigners or
whether, in this respect, the minimum standard of civilization imposes limitations on the exercise of untramelled
domestic jurisdiction. However this may be, within the limits in which international law permits the expulsion of
foreigners, this right involves the duty of the home State to receive its nationals.”Schwarzenberger, International
Law (jrd ed., 1957), vol. I, p. 360, cité par G. S. Goodwin-Gill, The limits of the power of Expulsion in public international law, British Yearbook of International Law, 1974-1975, p. 58.
4
Au XIXème siècle, les conventions de réadmission prévoient souvent un arbitrage en cas de désaccord, voir
ainsi Ben Tillett, Royaume-Uni c Belgique – Arbitrage du 19 mars 1898.
5
Certains ont pu argumenter que si l’obligation reposait sur le droit de revenir dans son pays, on pouvait alors
tout aussi bien lui opposer le droit à quitter tout pays dont le sien qui justifierait alors le refus de toute expulsion
forcée. V. Gregor Noll, Return of Persons to States of Origin and Third States, in Migration and international legal
Norms / ed. T. Alexander Aleinikoff, Vincent Chetail, .M.C. Asser Press, The Hague, 2003.
C’est notamment à partir de ce type d’objection que Hailbronner s’attarde à analyser la nature autonome de
l’obligation inter-étatique. v. note 8.
6
Notamment la Convention sur la réduction des cas d’apatridie du 30 août 1961.
Il nous apparaît cependant qu’il ne soit pas ici possible de parler d’apatridie de jure. Le refus d’émettre un document de voyage à la requête d’un Etat tiers pourrait difficilement être admis comme une preuve de la perte d’une
nationalité. Comme à l’inverse, l’émission d’un document de voyage ne constituera pas une preuve définitive de
la nationalité.
7
Nils Coleman, European Readmission Policy: Third Country Interests and Refugee Rights, Martinus Nijhof Publishers, The Hague, 2009; pp. 30-31.
8
Kay Hailbronner, Readmission Agreements and the Obligation of States under Public International Law to Readmit their Own and Foreign Nationals, Zeitschrift für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht, 1997,
No. 57; p. 5.
9
Il n’y a pas de position doctrinale définitive sur ce point. Goodwin-Gill indique : « Moreover it is far from clear that
a State is under a duty to receive those of its nationals who have been unlawfully expelled from another State, at
least in so far as the duty to admit is one which is owed between States alone.” G. S. Goodwin-Gill, op cit., p. 56.
10
CJCE, Yvonne Van Duyn (C-41/74) c Home Office – 4 décembre 1974; § 22.
11
Cette conclusion semble d’ailleurs être partagée par les services de la Commission européenne si l’on en croit
l’opinion suivante : "it is doubtful whether, in the absence of a specific agreement to this effect [readmission] be-
3
de ses ressortissants, la principale d’entre-elles étant qu’il puisse s’assurer de la nationalité de la
personne qui lui est présentée pour réadmission.12
A.2 Principe de l’identification de l’étranger à éloigner
Pour qu’un Etat soit en mesure de réadmettre son national,13 encore faut-il que sa nationalité et
son identité puissent être établies et que soient dressés les documents de voyage indispensables
à son embarquement et à son admission sur le sol de l’Etat de destination. Par l’existence de ces
conditions à l’entrée, les Etats entendent éviter que d’autres ne cèdent à la tentation de leur
débarquer sans crier gare des étrangers indésirables.14 Il est ainsi indispensable d’obtenir
l’accord du pays de destination sur la réadmission de son national. Sur la longue durée, le
développement des accords de réadmission constitue ici un élément central permettant de faire
état d’une coutume internationale, c’est à dire une pratique générale acceptée comme étant le
droit.15
Le passeport est habituellement considéré comme preuve de nationalité de l’étranger et permet
généralement l’éloignement vers le pays qui l’a émis. La question de la réadmissibilité est ainsi
clairement liée à celle du passeport.16 Mais en définitive, bien que le passeport constitue en luimême une garantie suffisante de réadmissibilité, le fait qu’un étranger possède un passeport « ne
garantit nullement à son titulaire l’admission sur le territoire de l’État qui l’a délivré, car la garantie
de réadmissibilité exigée par le droit international coutumier constitue une obligation qui ne lie
que des États entre eux. »17 A ce titre, le passeport n’est pas un élément suffisant en tant que tel
et il importe d’obtenir le consentement préalable de l’Etat de destination.18
Aucune législation internationale ne définit précisément ce qu’est un passeport et quelle est sa
portée juridique. Il s’agit essentiellement d’un objet dont l’usage est défini par le droit coutumier
international.19 Les passeports émis par un Etat sont habituellement acceptés par les autres
membres de la communauté internationale.20 Néanmoins, il ne s’agit pas là d’une preuve
définitive s’imposant aux Etats et le passeport ne démontre de plus pas un lien exclusif avec le
pays qui l’a émis.21
De nombreuses normes de standardisation ont par contre été édictées pour faciliter son usage
lors de voyages internationaux et les autorités consulaires ont cherché dans certains cas à
tween the concerned states, a general principle of international law exists, whereby these states would be obliged
to readmit their own nationals when the latter do not wish to return to their State of origin." Council Legal Service
Opinion n°6658/99, 10 mars 1999. La Commission a refusé de rendre cette opinion publique. Son contenu en a
néanmoins été diffusé par Statewatch : http://www.statewatch.org/news/jul00/01lome.htm
12
A/CN.4/625/Add.2 UN AG, Commission du droit international, Sixième rapport sur l’expulsion des étrangers,
additif 2, 9 juillet 2010 ; §93.
13
Ou d’autres personnes qu’il aurait autorisé à séjourner en son sein.
14
Daniel C. Turack, Selected Aspects of International and Municipal Law Concerning Passports, 12 Wm. & Mary
L. Rev. 805 (1971); p. 821.
15
Définition de la coutume internationale selon l’article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice.
16
A/CN.4/625/Add.2, op cit.; §98.
17
G. S. Goodwin-Gill, op cit. cité par A/CN.4/625/Add.2, op cit.; §99.
18
Turack, op cit.; p. 820.
19
Richard A.C Alton and Jason Reed Struble, The Nature of a Passport at the Intersection of Customary International Law and American Judicial Practice, Annual Survey of International & Comparative Law: Vol. 16: Iss. 1,
Article 6. 2010; p. 13.
20
Turack, op cit.; p. 808.
21
Voir notamment pour ce qui concerne la jurisprudence internationale : CIJ, Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala) arrêt du 6 avril 1955.
4
simplifier les documents de voyage utilisés pour les rapatriements. L’OACI22 travaille ici à
l’élaboration de passeports normalisés.23
L’OACI ne s’est pas limitée à formaliser les titres de voyage, elle édicte aussi des normes
relatives à la réadmission des personnes inadmissibles et à expulser. La Convention de
Chicago24 et son droit dérivé émis sous l’égide de l’OACI contribuent grandement à codifier de
nombreux éléments du droit international coutumier à ce sujet. L’annexe 9 de la Convention de
Chicago25 vient apporter des développements aux articles 22 et 23 de la Convention de Chicago,
dispositions qui couvrent les formalités de douane et d'immigration et leurs conséquences sur la
gestion du trafic aérien. Elle s’intéresse alors aux formalités nécessaires à l’embarquement des
personnes expulsées. Les normes énoncées à l’annexe 9 de la Convention de Chicago indiquent
clairement qu’il appartient à l’Etat requis de fournir endéans les 30 jours un document de voyage
ou d’indiquer que la personne n’appartient pas à ses nationaux. (norme 5.26) L’annexe précise
que si l’Etat n’est pas en mesure d’émettre un passeport endéans les 30 jours, il doit alors établir
un document de voyage conforme à la situation d’urgence. (norme 5.28) L’annexe indique enfin
que les Etats ne devraient pas faire échec au retour en refusant d’émettre un document de
voyage, rendant ainsi cette personne apatride. (norme 5.29) La force contraignante des normes
édictées par annexe découle de l’article 38 de la Convention de Chicago. Ce caractère
contraignant a été reconnu par le Conseil d’Etat.26
Il faut donc tenir compte, à côté des normes de droit international coutumier, des normes
codifiées par l’annexe 9 de la Convention de Chicago. Elles consacrent à la fois l’obligation de la
réadmission et le principe de la reconnaissance préalable de ses nationaux par l’Etat de
destination qui reste ici l’autorité désignée pour déterminer si l’étranger indésirable est ou non
son national.27
L’Office des Etrangers n’exprime aucune opinion28 divergente, sa pratique vise à obtenir pour
chaque personne à éloigner, un accord de réadmission et tant que faire ce peut, à obtenir des
accords visant à faciliter les échanges avec les autorités consulaires concernées.29
22
L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) a le statut d’institution spécialisée des Nations Unies.
Elle peut édicter des normes juridiquement contraignantes, mais aussi des recommandations dépourvues de
valeur contraignante publiées dans les annexes à la Convention.
Sur la force contraignante et l’applicabilité directe de normes édictées sous l’égide de l’OACI, v. BCHV, Het Verdrag van Chicago, Toepassing op asielzoekers aan de grens, Juni 2013.
http://www.cbar-bchv.be/fr-fr/publications/asile/analyses.aspx
23
V. p. ex. OACI, Doc 9303, Documents de voyages lisibles à la machine Sixième édition, 2006.
24
Convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale du 7 décembre 1944.
25
IACO, International Standards and Recommended Practices, Facilitation, Annex 9, Twelfth Edition, July 2005. Il
est à noter que cette 12ème édition édicte pour la première fois des normes détaillées sur les procédures de
réadmission. L’OACI note à cet égard : « Enfin, un nouveau Chapitre 5 entièrement inédit est consacré au problème croissant des personnes non admissibles et des personnes expulsées. Les dispositions de ce chapitre
décrivent en termes clairs les obligations des États et des transporteurs concernant le transport de migrants potentiellement en situation irrégulière et autres cas «problématiques» similaires auxquels l’industrie du transport
aérien international doit faire face quotidiennement et en nombre de plus en plus grand. En respectant strictement
leur obligation d’enlever de la circulation les documents de voyage frauduleux ou les documents légitimes utilisés
frauduleusement, les États contractants contribueront utilement à endiguer le flot des migrants clandestins dans
le monde entier. » OACI, document explicatif des annexes 1 à 18.
www.icao.int/safety/.../annexes_booklet_fr.pdf
26
R.v.St., nr. 171.698, 31 mai 2007 et R.v.St., nr. 191.296, 12 mars 2009
27
A noter que l’incorporation d’une norme coutumière dans un texte normatif ne lui fait pas perdre son applicabilité distincte, v. CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.
Etats-Unis d’Amérique) – arrêt du 27 juin 1986 ; §177.
28
Pour constituer une opinio juris, « deux conditions doivent être remplies. Non seulement les actes considérés
doivent représenter une pratique constante, mais en outre ils doivent témoigner, par leur nature ou la manière
dont ils sont accomplis, de la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l’existence d’une règle de
5
B. Accords de réadmission
Historiquement, les accords de réadmission consacrent le principe de la procédure de
réadmission entre les Etats. Les Etats européens ont cessé de reconduire simplement les
étrangers à la frontière pour recevoir préalablement l’accord du pays de destination et formaliser
le transfert.30 Ces accords visent non seulement à maintenir de bonnes relations entre les Etats,
mais également à protéger les personnes.31
droit. » CIJ, Affaire du Plateau continental de la mer du nord (République Fédérale d’Allemagne c. Danemark ;
République Fédérale d’Allemagne c. Pays-Bas) – arrêt du 20 février 1969 ; §77.
29
Il existe de nombreux documents où l’Office des Etrangers fait état des pratiques d’identification qui sont menées préalablement à l’expulsion. Nous renvoyons ici à quelques explications récentes :
« En cas de détention, l’éloignement ne peut avoir lieu que moyennant la production d’un document de voyage
(passeport, carte d’identité ou laissez-passer). Pour obtenir un tel document, l’OE doit fournir aux autorités du
pays d’origine (ambassade, consulat, ministère compétent, etc.) des éléments prouvant l’identité de l’étranger en
question.
(…) La procédure d’identification varie selon les pays. L’interview, le questionnaire, l’utilisation de données biométriques, etc., font partie des instruments. Beaucoup dépend de la disponibilité des données et de la collaboration tant des autorités du pays d’origine que de l’étranger lui-même. La charge de la preuve incombe à l’OE, qui
doit veiller à établir un dossier crédible concernant la nationalité et l’identité. Des accords sont également conclus
avec les ambassades sur la façon de procéder. Ces accords doivent régulièrement être renégociés après l’entrée
en fonction d’un nouvel ambassadeur ou consul. Pour cette raison, il serait préférable de convaincre les pays
d’origine de conclure des accords formels, par exemple sous la forme d’accords de réadmission au niveau de
l’Union européenne ou du Benelux, un Memorandum of Understanding (MOU), etc. »
DOC 53 3136/001, Chambre des Représentants de Belgique, Session 2013-2014, audition relative au rapport
annuel 2012 du Commissariat général au réfugiés et aux apatrides, à la politique de retour et à la problématique
de la régularisation médicale, 18 novembre 2013 ; pp. 8-9.
« (…) la procédure d’identification opérationnelle à suivre dans le cadre du retour de personnes en séjour irrégulier est décrite sur le plan du processus dans un vade-mecum interne. On y décrit qu’il faut préalablement vérifier
si la décision de mise en détention de la personne concernée satisfait aux exigences légales. Ensuite, il faut vérifier la procédure devant être suivie (procédure conventionnelle d’identification, demande de reprise de Dublin ou
demande bilatérale de reprise). Ensuite, le dossier est analysé et toutes les informations pouvant être utiles à
l’identification et la nationalité de l’intéressé sont vérifiées. Si la personne ne dispose pas de documents de
voyage valables, il sera pris contact avec les autorités diplomatiques, consulaires ou de migration compétentes
(en Belgique ou dans le pays d’origine) afin d’obtenir un laissez-passer. »
« Quand un étranger en séjour irrégulier ne dispose pas d’un document de voyage valable, l’ambassade ou le
consulat du pays (présumé) d’origine est contacté et est prié de délivrer un laissez-passer. Dans ce cas, la procédure d’identification diffère considérablement en fonction du pays d’origine et dépend également d’éventuels
accords conclus avec le pays d’origine. Dans la pratique, cela revient pour l’Office des étrangers à convaincre
l’ambassade ou le consulat d’un pays déterminé que la personne est un de ses ressortissants. »
« Il est évident que, lorsqu’une personne n’a pas pu être identifiée en tant que ressortissant d’un pays d'origine
déterminé, elle ne pourra pas être renvoyée. Ce que l’on doit entendre par « identification » peut différer. Pour
certains pays d'origine, il peut suffire d’établir la nationalité, sans avoir une idée de tous les éléments d'identité.
Cela est cependant plutôt exceptionnel. En effet, la plupart des pays d'origine souhaitent une identification permettant de se faire une idée de la nationalité, du nom, du prénom et de la date de naissance avant de délivrer un
laissez-passer. Pour certains pays, l’exigence de la date de naissance exacte est moins stricte étant donné qu’il
peut exister une certaine imprécision à ce propos. D’autres pays veulent également connaître la région d’origine
sans quoi, une comparaison des éléments d'identité avec les registres locaux n’est pas possible. Dans d’autres
cas encore, avant de délivrer un laissez-passer, le pays d'origine demande également des éclaircissements concernant l’adresse dans le pays d’origine ou le nom des parents. Ces coordonnées d’identification complémentaires sont surtout demandées par des pays qui connaissent une diaspora importante. Si la personne en séjour
irrégulier ne peut pas être identifiée par l’Office des étrangers ou si l’identification n’est pas confirmée par le pays
d'origine et qu’aucun laissez-passer ne peut être délivré, l’intéressé doit être libéré. »
European Migration Network, Identification des demandeurs d’asile : Pratique et défis en Belgique, septembre
2012 ; pp. 14, 20 et 28.
http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/networks/european_migration_network/reports/docs/emnstudies/establishingidentity/02c._belgium_national_report_establishing_identity_for_international_protection_final_nov2012fr_ver_fr.pdf
30
Nils Coleman, op cit.; p. 13.
31
A titre d’exemple, nous pouvons nous référer à la Convention entre la Belgique et les Pays-Bas concernant
l’assistance aux indigents et leur rapatriement signée à La Haye, le 15 mai 1936. Cette convention prévoit ainsi
que les indigents qui sont tombés à charge de l’assistance publique (malades, infirmes, aliénés, orphelins…) ne
6
Les nouvelles générations d’accords de réadmission s’attachent surtout à définir préalablement
des règles d’identification des personnes. Les critères prédéfinis afin d’établir ou de présumer la
nationalité permettent alors de déléguer la tâche de l’identification au pays expulsant. Les
communications préalables avec le pays de destination peuvent ainsi être réduites a minima,
elles se limitent généralement à un accord de principe puis concernent généralement la date et
les modalités de transfert. De tels accords peuvent être plus ou moins formalisés, et les pratiques
récentes ont accentué la flexibilité des arrangements administratifs au point que dans certains
cas, c’est la pratique elle-même qui tient lieu d’accord.32 Il devient alors difficile d’avoir une vue
précise sur l’ensemble des accords en vigueur. Si certains sont publiés au Moniteur Belge,33
d’autres sont considérés comme étant des accords administratifs confidentiels dont le contenu ne
peut être divulgué,34 dans certains cas, il s’agirait d’accords oraux… La pratique belge s’inscrit ici
dans un mouvement plus large où se multiplient différents types d’accords informels ou pratiques
concertées entre les autorités douanières ou les personnels diplomatiques, pratiques peu
transparentes qui constituent une menace particulière pour les droits de l’homme.35
C. Compétence de l’Union en matière de réadmission
Dès le moment où l’Union européenne s’est engagée à définir une politique migratoire
européenne commune, au début des années 90, la question des voies de réadmission s’est
imposée comme majeure. Le lien entre la politique de réadmission et l’objectif de lutte contre
l'immigration illégale est passé par la volonté d’insérer des clauses de réadmission dans les
accords de coopération classique. Dans la foulée, le Conseil a adopté des textes non
contraignants qui traduisent la volonté politique émanant de ces premières discussions et
consacrent la place centrale des procédés de réadmission dans l'action extérieure de ce qui est
encore à l’époque une Communauté d’une dizaine d’Etats.36 Concrètement, trois
recommandations visant à harmoniser les pratiques autour des accords de réadmission ont été
adoptées.37 Les avis divergent toutefois quant à savoir si effectivement ces recommandations ont
eu l’effet d’harmonisation escompté.38
seront rapatriés que si la pays auquel appartient l’indigent a pris les mesures nécessaires pour recevoir son ressortissant et a consenti à son rapatriement. (article 2)
32
PE 425.632, Jean-Pierre Cassarino, La politique de réadmission dans l’Union européenne, Etude, 2010 ; pp.
29-32.
33
Ainsi par exemple, l’Accord du 30 mai 2006 entre les Gouvernements des Etats du Benelux (le Royaume de
Belgique, le grand-duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas) et le Gouvernement macédonien relatif à
la réadmission des personnes en séjour irrégulier.
34
CRABV 52 COM 079, Question parlementaire de Mme Tinne Van der Sraeten au ministre de l’Intérieur sur
« les réfugiés du Bhutan » (n°1541) 23 janvier 2008. http://www.lachambre.be/doc/CCRA/pdf/52/ac079x.pdf
35
Doc. 12168, CoE AP, Les accords de réadmission, un mécanisme de renvoi des migrants en situation irrégulière, Rapport, 17 mars 2010 ; §32.
36
CFR-CDF.Obs.Them.2003.fr Réseau UE d’Experts Indépendants en matière de Droits Fondamentaux, Observation Thématique n°2 : Les Droits Fondamentaux dans l’Action Extérieure de l’Union Européenne en matière de
Justice et d’Asile et Immigration, janvier 2004.
37
JO C/1996/274 Décision du Conseil du 23 novembre 1995 relative à la publication au Journal officiel des
Communautés européennes des actes et autres textes adoptés par le Conseil en matière d'asile et d'immigration.
Parmi lesquels, trois recommandations ayant trait à la réadmission :
Recommandation du Conseil du 30 novembre 1994 concernant un accord type bilatéral de réadmission
entre un État membre et un pays tiers.
Recommandation du Conseil du 30 novembre 1994 concernant l’adoption d’un modèle-type de documents de voyage pour l’éloignement de ressortissants de pays tiers.
- Recommandation du Conseil du 24 juillet 1995 concernant les principes directeurs à suivre lors de l'élaboration de protocoles sur la mise en œuvre d'accords de réadmission.
38
Nils Coleman, op cit.; pp. 21-22.
7
L’étape suivante fut d’octroyer à l’Union la compétence de conclure avec des pays tiers des
accords visant la réadmission. (art 79.3 TFUE) Il s’agit d’un domaine de compétence partagée.
Les Etats conservent le droit de négocier des accords bilatéraux dès lors qu’ils n’interfèrent pas
avec le travail de la Commission. Quand un accord de réadmission est entériné au niveau de
l’Union, il est ensuite appliqué au niveau bilatéral par les différents Etats membres (en principe à
l’aide d’un protocole).39
De nombreuses critiques ont été formulées à l’encontre des politiques de réadmission que les
Etats entendent mener sous la direction de l’Union européenne. Ces critiques sont de plusieurs
ordres, et concernent tant leur élaboration que leur mise en œuvre par les Etats. Nous les
résumons ici brièvement. L’inclusion des accords de réadmission parmi les questions de politique
extérieure, non seulement brouille les enjeux, mais conduit à sceller des accords où les
obligations des partenaires sont déséquilibrées, ce qui hypothèque leur bonne mise en œuvre.40
La volonté de contraindre à la réadmission, outre les nationaux, toute une série de ressortissants
de pays tiers apparaît illégitime, car elle vise à contraindre les Etats à accepter la reprise
d’étrangers qui jusqu’alors, n’étaient pas concernés par les réadmissions.41 La mise en œuvre
des accords ne fait pas l’objet d’un réel contrôle afin de vérifier si les Etats en font un usage
conforme aux principes définis.42 Les accords n’offrent pas de garanties suffisantes en matière
de droits fondamentaux. Selon la Commission, les accords de réadmissions sont des instruments
techniques porteurs d'améliorations procédurales dans la coopération entre administrations qui
ne réglementent pas la situation administrative des personnes qui se les voient appliqués. La
légalité ou non du séjour d'une personne est déterminée préalablement par une décision de
retour.43 Si donc, certaines des garanties inscrites dans ces accords font alors double emploi, la
Commission estime que les garanties à inscrire dans les accords devraient plutôt viser à
compléter les instruments existants, en se concentrant sur les lacunes pratiques pouvant
entraîner la violation de droits fondamentaux de personne à réadmettre. La mise en œuvre des
accords de réadmission doit de plus respecter les principes de la Charte européenne des droits
fondamentaux.44 Selon le Conseil de l’Europe, il n’est pas toujours possible d’isoler les divers
maillons de la chaîne qui conduit au retour d’une personne et il convient plutôt d’appréhender le
39
Selon la Commission : « les accords de réadmission de l’UE sont des instruments autonomes, directement
opérationnels, qui n’exigent pas nécessairement la conclusion de protocoles d’application bilatéraux avec le pays
tiers. Dans une perspective à plus long terme, ces protocoles servent simplement d'instrument intermédiaire,
même s’ils ont parfois un caractère obligatoire, comme le prévoit, par exemple, l’accord de réadmission conclu
par l’UE avec la Russie. »
COM(2011) 76 final, Évaluation des accords de réadmission conclus par l’UE, 23 février 2011, ; p. 4.
40
Jean-Pierre Cassarino ed., Unbalanced Reciprocities: Cooperation on Readmission in the Euro-Mediterranean
Area, Middle East Institute Special Edition Viewpoints, 2010; p. 5.
41
Selon Hailbronner, nulle part dans la doctrine de droit international ou dans la pratique des Etats, n’émerge de
droit à l’admission basée sur la résidence. Les Etats mettent généralement des conditions strictes à la réadmission d’anciens résidents permanents, ce qui exclut que l’on puisse en tirer une reconnaissance en droit international d’un droit au retour pour cette catégorie de personne. Le même auteur ne trouve également aucune base
en droit international qui puisse appuyer une obligation de reprise pour des pays de transit. Hailbronner, op cit.; p.
3 & 34.
La Commission n’est pas loin de penser que la volonté des Etats membres de vouloir intégrer la réadmission
d’étrangers d’Etats tiers est finalement contre-productive car elle suscite énormément de résistances auprès des
Etats sollicités qui n’ont en effet aucune obligation internationale à ce sujet, ce qui explique que finalement un
nombre très restreint d’accords ont été signés. V. COM(2011) 76 final, op cit. ; p. 10.
42
PE 425.632, Cassarino, op cit. ; p. 22.
43
COM(2011) 76 final, op cit. ; p. 12. V. à cet effet la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil
du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au
retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Sur sa transposition en droit belge : Tristan Wibault, La
transposition de la directive Retour en droit belge, RDE, 2012, pp. 369 à 401.
44
COM(2011) 76 final, op cit. ; p. 13. La Commission vise ici tout particulièrement la situation des ressortissants
de pays tiers réadmis qui pourraient se retrouver dans une situation particulièrement précaire dans un pays de
transit, par exemple une période de détention prolongée ou indéfinie, ou un risque de refoulement en chaîne.
8
processus dans son ensemble afin de bien mesurer les conséquences de l’existence des accords
sur la prise de décision de retour et leur exécution.45
D. Laissez-Passer européen
D’après la Cour de Justice, « (…) il ressort de l’article 3, paragraphe 5, TUE, [que] l’Union
contribue au strict respect et au développement du droit international. Par conséquent, lorsqu’elle
adopte un acte, elle est tenue de respecter le droit international dans son ensemble, y compris le
droit international coutumier qui lie les institutions de l’Union. »46 Aucun acte de l’Union ne peut
dès lors être interprété comme autorisant les Etats membres à s’affranchir du droit coutumier de
la réadmission. Mieux, le droit coutumier peut être invoqué directement par un justiciable étant
donné que ces principes n’apparaissent pas avoir pour seule portée de créer des obligations
entre États et sont susceptibles d’avoir des implications sur les droits de ce justiciable.47
Les Etats sont a priori tenus de suivre les principes de droit coutumier. Toute autre pratique
assouplissant les conditions d’identification ne saurait être considérée comme légale si elle n’est
pas expressément intégrée dans un accord bilatéral (ou européen). A l’évidence pourtant,
certains Etats tentent de développer de nouvelles pratiques à partir des laissez-passer
européens.
Le laissez-passer européen est un modèle-type de document de voyage que le Conseil de
l’Union européenne a défini dans une recommandation aux Etats.48 Cette recommandation se
limite à définir la forme du document, mais n’indique rien quant à son usage. La Commission a
par contre pu constater que les pratiques des Etats membres étaient loin d’être validées par les
pays destinataires : « Le principal obstacle au retour dans les délais prévus est lié aux doutes sur
l’identité de l’intéressé et à l’absence de documents de voyage. Les pays d’origine retardent ou
refusent souvent la délivrance de documents de voyage, parce qu’il leur manque des
informations sur la nationalité ou l’identité des intéressés. Les États membres de l’Union ont donc
établi un document de voyage type à des fins de retour, mais les pays de renvoi n’acceptent pas
du tout, ou n’acceptent qu’exceptionnellement ou au cas par cas, ce laissez-passer de l’Union et
insistent surtout pour que soient utilisés leurs propres documents de retour. »49
Dans quels cas de figure les Etats membres sont-ils alors autorisés à utiliser ce document ?
45
Le rapport du Conseil de l’Europe renvoie à différents exemples. Des accords de réadmission peuvent être
associés à des procédures accélérées, ce qui en pratique peut réduire à néant les garanties écrites. Ainsi, depuis
l’entrée en vigueur des accords de réadmission conclus entre l’Ukraine et respectivement la Pologne et la Slovaquie, les polices des frontières polonaise et slovaque qui interceptent les personnes en provenance de l’Ukraine
les ont renvoyées vers ce pays dans un délai de quarante-huit heures, sans avoir cherché à connaître ou approfondir leur situation juridique ou leur éventuel besoin de protection internationale. Plus généralement, les accords
de réadmission peuvent être les catalyseurs de décisions de retour violant les droits de l’homme. Le Conseil de
l’Europe cite en exemple l’impact des accords de réadmission signés avec la Serbie et le Kosovo sur le retour
forcé des Roms en dépit de leur vulnérabilité.
v. Doc. 12168, CoE AP, op cit. ; §§27-43.
46
CJUE, Air Transport Association of America, American Airlines Inc., Continental Airlines Inc., United Airlines
Inc. (C-366/10) contre Secretary of State for Energy and Climate Change, 21 décembre 2011; §101.
47
Idem, §§107-110.
48
Recommandation du Conseil du 30 novembre 1994 concernant l’adoption d’un modèle-type de documents de
voyage pour l’éloignement de ressortissants de pays tiers.
49
COM(2002)175final, Livre vert relatif à une politique communautaire en matière de retour des personnes en
séjour irrégulier, 10 avril 2002 ; p. 21.
La Commission propose alors d’améliorer les procédures d’identification en amont par la mise en œuvre de mesures d’identification appropriées pendant les procédures administratives, lorsqu’il est dans l’intérêt de la personne concernée de fournir des informations exactes. Ceci concerne principalement les visas. En Belgique, des
procédures telles que les demandes de régularisation constituent également des moyens performants
d’identification.
9
Deux autres recommandations du Conseil définissent, l’une, un accord-type bilatéral de
réadmission et l’autre, des principes directeurs pour les protocoles sur la mise en œuvre des
accords de réadmission.50 Le Conseil fournit ici un certain nombre de principes qui peuvent être
utilisés par les États membres comme base de négociation avec les pays tiers pour la conclusion
d'accords de réadmission. Selon l’accord-type proposé, la partie contractante requise établit les
documents de voyage nécessaires à la reconduite de ses nationaux à réadmettre. (art 1.2 du
modèle). Les principes directeurs mettent alors en avant des modèles de documents écrits afin
d’obtenir l’accord préalable à la réadmission.
Les accords de réadmission européens prévoient dans certains cas les conditions d’usage d’un
laissez-passer européen établi par l’Etat membre requérant la réadmission. Elles varient selon
les accords. Ainsi par exemple, l’accord de réadmission avec la Russie est assez restrictif et
prévoit uniquement que la réadmission s’opère à partir d’un document établi par les autorités
consulaires russes.51 Plus fréquemment, l’accord prévoit que l’Etat requis qui n’établit pas luimême le document de voyage dans un certain délai est réputé accepter l’usage d’un laissezpasser européen rédigé par le pays requérant.52 Dans le cas où l’accord de réadmission porte
sur un ressortissant de pays tiers, c’est généralement l’usage du laissez-passer européen qui est
prévu. Dans tous les cas de figure, l’établissement d’un document de voyage s’opère après que
l’Etat requis se soit prononcé favorablement sur la réadmission.
En résumé, le laissez-passer européen est d’usage dès qu’un accord bilatéral ou européen
prévoit que l’Etat européen requérant y est habilité. Comment se fait-il alors que l’usage du
laissez-passer européen évolue dans un certain flou ?
Nous venons de voir à quel point il devient difficile de qualifier légalement des pratiques de
réadmission quand elles restent informelles. Rien non plus ne permet de présumer que les
pratiques bilatérales des Etats reproduisent les garanties inscrites dans des accords négociés
par l’Union Européenne. C’est dans ce contexte mouvant que certains Etats tentent visiblement
de s’affranchir des règles de droit international coutumier pour évoluer vers une politique
d’identification unilatérale des personnes à faire réadmettre.
Les différents Etats de l’Union semblent avoir des conceptions et des pratiques très différentes
de la portée et de l’usage des laissez-passer européens. Voulant faire un meilleur usage de ce
document, mais étant elle-même confrontée au refus des Etats tiers de reconnaître le document,
la Suède s’est informée auprès des autres Etats membres pour connaître leur expérience en la
matière.53 Aucun usage précis ne se dégage des réponses fournies. Plusieurs Etats n’ont pas
50
Voir note 33.
« Lorsque la Fédération de Russie a fait droit à la demande de réadmission, la mission diplomatique ou le
poste consulaire compétent de la Fédération de Russie établit si besoin est et sans délai, indépendamment de la
volonté de la personne à réadmettre, le document de voyage nécessaire au retour de l’intéressé, d’une durée de
validité de trente jours de calendrier. Si, pour quelque raison que ce soit, l’intéressé ne peut être transféré au
cours de la période de validité du document de voyage, la mission diplomatique ou le poste consulaire compétent
de la Fédération de Russie délivre sans délai un nouveau document de voyage ayant la même durée de validité. » Art 2.2 Accord de réadmission entre la Communauté européenne et la Fédération de Russie, JO n° L 129
du 17/05/2007.
52
P. ex : « Lorsque l’Arménie a fait droit à la demande de réadmission, la mission diplomatique ou le poste consulaire arménien compétent établit, immédiatement, gratuitement et au plus tard dans les trois jours ouvrables,
indépendamment de la volonté de la personne à réadmettre, le document de voyage nécessaire au retour de
l’intéressé, d’une durée de validité de 120 jours. Si, dans les trois jours ouvrables, l’Arménie n’a pas délivré le
document de voyage, elle est réputée accepter l’utilisation du modèle type de document de voyage de l’Union
établi à des fins d’éloignement. » Art 3.4 Accord entre l’Union européenne et la République d’Arménie concernant
la réadmission des personnes en séjour irrégulier, JO n° L 289 du 31/10/2013
53
European Migration Network, Ad-Hoc Query EU Laissez-Passer Requested by SE EMN NCP on 24 August
2010, Compilation produced on 14th October 2010.
51
10
souhaité rendre leur réponse publique.54 D’autres ont simplement indiqué qu’ils n’avaient aucun
usage de ce document. Quelques Etats disent l’utiliser régulièrement sans problèmes, mais ils se
réfèrent à des situations où le laissez-passer est joint à des documents d’identité nationaux. Les
autres Etats disent l’utiliser assez rarement sans qu’il ne soit possible de toujours saisir dans
quels cas de figure ils ont recours au document-type. Ces Etats indiquent que les pays tiers ne
reconnaissent généralement pas le document. Les Pays-Bas ajoutent utiliser les laissez-passer
européens quand ils sont sûrs que les personnes seront acceptées à la frontière.55 Apparaît ici
l’établissement autonome du laissez-passer européen en dehors de tout accord préalable en
circonscrivant son usage.
Le recours à une identification réalisée unilatéralement par le pays de renvoi réactive le risque
d’expulsions abusives que visaient précisément à éviter les procédures de réadmission avec
accords préalables. Il apparaît également que de telles pratiques voient le jour dans le contexte
de pays sujets aux conflits armés, aux autorités nationales fragilisées, voire supplantées par des
coalitions militaires étrangères. La conséquence la plus grave est bien sûr d’expulser une
personne dans un pays qui n’est pas le sien. Ce risque trouve des illustrations dans certains cas
d’expulsion.56 Ensuite, c’est la certitude de n’être pas attendu.57 En cas de crise humanitaire dans
le pays de destination, il est pourtant indispensable de s’assurer que la personne retournée
puisse exercer ses droits les plus fondamentaux, tels que l’accès à la nourriture, à un
hébergement, à des soins de santé.58
http://ec.europa.eu/dgs/home-affairs/what-we-do/networks/european_migration_network/reports/docs/ad-hocqueries/return/254_emn_ad-hoc_query_eu_laissez-passer_24august2010_wider_dissemination_en.pdf.
54
Autriche, Belgique, Irlande, Lituanie, Portugal, Royaume-Uni.
55
En effet, selon la législation néerlandaise (Paragraaf A4/4.2.2 Vreemdelingencirculaire 2000) Les autorités
néerlandaises sont autorisées à dresser un LP européen si il n’est pas possible d’obtenir les documents consulaires dans un délai raisonnable, si il y a des preuves suffisantes de la nationalité et de l’identité de la personne et
si il existe des chances raisonnables que la personne sera bien réadmise à son arrivée à la frontière.
Le Conseil d’Etat néerlandais a avalisé ce schéma. v. RvSt arrêt n°200403186/1 du 28 mai 2004. L’acceptation
de la troisième condition nous paraît fort problématique. En définitive, l’usage unilatéral du LP européen serait
légal dès lors qu’il n’y a pas d’éléments indiquant que la personne ne serait pas réadmise. On introduit ici en
réalité un critère de légalité de l’acceptation de la réadmission qui est post factum, or cela semble bien contraire
aux normes coutumières et à l’annexe 9 de la Convention de Chicago. Cette solution est d’autant plus discutable
que dans le cas d’espèce, il s’agissait de renvoyer unilatéralement une personne en Somalie.
56
Le CBAR a ainsi rédigé un avis dans le cas d’un demandeur d’asile bhoutanais débouté que l’OE tenta
d’expulser au Népal. Dans ce cas, le refus des instances d’asile de reconnaître l’origine bhoutanaise du demandeur a servi de base d’identification pour établir un laissez-passer à destination du Népal. Cette personne a
néanmoins été refoulée par le Népal. Il existait ici un accord de réadmission entre la Belgique et le Népal dont la
teneur n’est pas publique. Nous pouvons douter que les autorités népalaises aient accepté un tel critère
d’identification. V. Avis CBAR du 9 février 2012 :
www.cbarbchv.be/Portals/0/Information%20juridique/Asile/Avis/BCHV%20advies%20EU%20LP%20en%20identificatie.pdf
57
Dans un arrêt récent, la Cour considère que la Turquie a violé l’article 3 en ramenant à la frontière de l’Iran des
familles de réfugiés ouzbeks. Il est intéressant de noter que la Cour n’a pas jugé nécessaire d’examiner si cette
expulsion faisait courir un risque de refoulement en chaîne de ces personnes, mais elle a simplement constaté
que la Turquie s’était bornée à exécuter le renvoi sans accord préalable de l’Iran, abandonnant les familles sans
abris dans un environnement hostile. V. CEDH, Ghorbanov and Autres v. Turquie (Requête no. 28127/09) - 3
décembre 2013; §§32-35.
58
Sur la responsabilité des Etats partie à la Convention quant à la prise en compte du contexte humanitaire dans
le pays de renvoi, v. CEDH, Sufi et Elmi c. Royaume-Uni (Requêtes nos. 8319/07 et 11449/07) - 28 juin 2011 ;
§282.
La Cour en a jugé autrement pour l’Afghanistan tenant compte notamment du fait qu’il existait un gouvernement
disposant du contrôle de Kaboul et qu’un nombre significatif d’agences humanitaires étaient actives sur le terrain,
ce qui alors exonère en quelque sorte les autorités nationales. v. CEDH, SHH c. Royaume-Uni (Requête no.
60367/10) - 29 janvier 2013 ; §§91-92. Cet arrêt pris à quatre voix contre trois contient une opinion dissidente
exprimant la nécessité pour la Cour de développer un meilleur positionnement sur des problèmes de ce type. Il
faut alors noter que dans cet arrêt, les juges ont fait part de leurs difficultés à interpréter la teneur des recommandations du HCR. La nouvelle mouture des recommandations du HCR jointe à l’évolution sécuritaire et humanitaire
en Afghanistan fragilise la conclusion rendue par la Cour dans cette affaire.
11
Contrairement à d’autres pays européens, la Belgique n’a signé aucun accord de réadmission
avec l’Afghanistan.59 Les autorités belges ont répété lors de différentes déclarations officielles ne
disposer d’aucun accord de réadmission avec l’Afghanistan.60 L’Office des Etrangers conditionne
pourtant bien l’usage des laissez-passer européen à l’existence de ce type d’accord.61 Bien que
l’Office des Etrangers prétende aujourd’hui que l’usage des laissez-passer européens est avalisé
par un accord informel avec l’ambassade d’Afghanistan, il faut bien constater qu’il est ici contredit
par l’ambassade elle-même, laquelle dit refuser d’émettre tout document de voyage aux
personnes ne souhaitant pas retourner volontairement en Afghanistan.62 Selon les principes
établis, le seul fait que les personnes, une fois débarquées à Kaboul, ne sont pas renvoyées en
Belgique par les autorités afghanes, n’autorise pas à considérer qu’un tel mode de réadmission
par le fait accompli remplit toutes les conditions de légalité.
E. Retour en Afghanistan
La procédure d’identification constitue une mesure d’exécution de la décision de retour. La
directive retour opère une distinction entre la décision de retour qui vient sanctionner le séjour
irrégulier et la décision d’éloignement qui constitue l’exécution de la première. La législation belge
déroge à cette mise en œuvre d’une double décision et précise que la décision d’éloignement est
« la décision constatant l’illégalité du séjour d’un étranger et imposant une obligation de retour »
(art 1, 6° L60), l’ordre de quitter le territoire (OQT) constitue donc ici un acte unique et indivisible.
Les conditions du recours en extrême urgence contre l’ordre de quitter le territoire ne permettent
59
Depuis 2001, plusieurs pays ont signé des accords tripartites engageant également le HCR. Ces accords mettent l’accent sur le retour volontaire, et s’engagent à tenir compte des conditions régnant en Afghanistan et de
l’importance à accorder au retour durable, effectué dans la sécurité et la dignité. Ils contiennent en outre des
clauses de protection pour certains publics vulnérables. L’accord signé par la Suède en 2006 prévoit ainsi que
“The Parties will take special measures to ensure that vulnerable groups receive adequate protection, assistance
and care throughout the Return and reintegration process.” (paragraphe 12) Le HCR et ses partenaires opérationnels ont accès aux personnes avant et après le retour et sont associés aux programmes de retour volontaire (paragraphe 13) Ce Memorandum of Understanding prévoit l’usage de laissez-passer européens dans le
cas suivant : “For Afghans who have no protection or humanitarian needs justifying prolongation of their stay in
Sweden and who nevertheless, after a passage of reasonable time following the communication of a final negative decision, continue to refuse to avail themselves to the Voluntary Return Program set forth in this MoU, the
relevant Swedish authority will issue a valid travel document, EU Laissez-Passer.” (paragraphe 10)
Cet accord a expiré le 30 avril 2009 et ne semble pas avoir entre-temps été renégocié.
European Migration Network, Ad-Hoc Query on return policy to Afghanistan Requested by BE EMN NCP on 1
th
June 2011, Compilation produced on 10 of August 2011
http://www.emn.fi/files/463/BE_Ad_Hoc_Query_on_return_policy_to_Afghanistan_(Open).pdf
L’accord signé par la France en 2002 contient des garanties similaires et prévoit en outre que : « le processus de
retour des Afghans qui ne jouissent pas de protection ou n’ont pas de besoins humanitaires impérieux
s’effectuera de manière graduelle, ordonnée et humaine, et portera sur des effectifs compatibles avec les capacités d’hébergement disponibles. » (art 3) Il est à noter que le mémorandum signé par la France ne prévoit pas
d’identification menée directement par les autorités françaises et maintient intégralement la compétence des
autorités consulaires en ce domaine.
60
La Belgique a indiqué à EMN ne disposer d’aucun accord de réadmission avec l’Afghanistan.
EMN, Ad-Hoc Query on return policy to Afghanistan, op cit.
L’information présentée par l’OE contredit également les déclarations ministérielles faites au Parlement: « Depuis
2004, des négociations avec les autorités afghanes compétentes sont en cours en vue de signer un Memorandum of Understanding concernant le rapatriement des demandeurs d’asile exilés. Jusqu’à présent, nos tentatives
de conclure un tel Memorandum of Understanding sont restées sans succès. La transformation de notre bureau
diplomatique en ambassade à part entière n’y a rien changé. »
Chambre des Représentants de Belgique, Session 2010-2011, Question n° 256 de monsieur le député Theo
Francken du 23 mai 2011 au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères et des Réformes institutionnelles QRVA 53 035,
http://www.lachambre.be/QRVA/pdf/53/53K0035.pdf
61
« (…) il convient de souligner qu’une identification réussie n’implique pas nécessairement que le pays d'origine
délivre un laissez-passer. (…) Un accord spécifique a été conclu avec certains pays d'origine en vertu duquel les
autorités belges peuvent elles-mêmes délivrer un laissez-passer en cas d’identification réussie (ce que l’on appelle un laissez-passer européen). » EMN, Identification des demandeurs d’asile, op cit. ; p. 25.
62
Embassy and Mission of the Islamic Republic of Afghanistan Brussels, Attestation du 23 septembre 2013.
12
pas jusqu’à ce jour que puisse être déclaré recevable le recours qui viserait uniquement une
mesure d’exécution de l’OQT au moment où cette mesure est prise.63 Comme nous allons le voir,
cette étape de la réadmission se place dans le continuum de l’examen de protection contre le
refoulement. Il n’est donc pas nécessaire en réalité d’envisager un recours autonome contre le
laissez-passer, mais bien de contester la pratique de l’Office des Etrangers dans le cadre du
recours en extrême urgence contre l’OQT en voie d’être exécuté.
E.1 Les retournés potentiels « people of concern » du HCR
Dès lors qu’elles ne nient pas être afghanes,64 les personnes en voie d’être expulsées ont-elles
alors un intérêt à contester l’absence d’examen préalable de la réadmission? Il n’est pas possible
de répondre à cette question sans détailler un minimum les enjeux de la politique du retour en
Afghanistan.
Il faut en effet souligner l’importance toute particulière que relève la question du retour quand il
s’agit de l’Afghanistan. Depuis 1978, l’Afghanistan vit en guerre. Ce conflit, par sa durée et son
intensité, a profondément transformé la société afghane. Face à la violence, aux persécutions, à
la pauvreté et aux catastrophes naturelles, les Afghans ont multiplié les pratiques migratoires afin
d’assurer leur survie.65 La plupart d’entre-eux se sont exilés dans les pays limitrophes, ainsi, des
millions66 de réfugiés ont été accueillis durant des décennies en Iran et au Pakistan. Depuis la
chute des Talibans, la politique de reconstruction de l’Etat après le conflit a mis l’accent sur le
retour des réfugiés, à la fois comme vecteur de reconstruction et comme indicateur de réussite
de la pacification du pays.67 Cette politique s’est révélée rapidement problématique car il est
apparu que l’Afghanistan n’avait pas les ressources pour absorber une telle quantité de réfugiés
sur le retour.68 L’Iran et le Pakistan, avec l’aide de la communauté internationale, ont privilégié le
retour volontaire en Afghanistan69 de ces réfugiés. Ces réfugiés n’ont en réalité pas d’autres
choix, car même s’ils y sont nés, les réfugiés afghans subissent diverses discriminations
institutionnelles et n’y ont accès, ni à un séjour définitif, ni à la nationalité.70
63
Pour une analyse de ce problème, v. Tristan Wibault, RDE, 2012,op cit. ; pp. 376-382.
Notons que dans certains cas, les décisions des instances d’asile émettent un doute quant à la réalité de
l’origine afghane des demandeurs. Au-delà de la légalité de l’établissement d’un laissez-passer sans contrôle de
l’ambassade, il faut ici en outre s’inquiéter de vérifier à partir de quels éléments l’Office considère lui pouvoir
identifier avec suffisamment de certitude l’étranger à éloigner.
65
Alessandro Monsutti, Guerres et Migrations, Réseaux sociaux et stratégies économiques des Hazaras
d’Afghanistan, Editions de l’Institut d’ethnologie, Neuchâtel – Editions de la Maison des sciences de l’homme,
Paris, 2004.
66
Les velléités de vouloir chiffrer précisément les mouvements migratoires entre l’Afghanistan et ses pays limitrophes sont illusoires. Ainsi par exemple pour le Pakistan, si on estimait le nombre de réfugiés afghans à 2 millions en 2001, on comptabilisait 3,5 millions de retournés 6 ans plus tard, tout en recensant encore 2,5 millions de
réfugiés résidant au Pakistan… Pour l’analyse, v. Daniel A. Kronenfeld, Afghan Refugees in Pakistan: Not All
Refugees, Not Always in Pakistan, Not Necessarily Afghan? Journal of Refugee Studies Vol. 21, No. 1,,2008.
67
Ce que le HCR nomma à l’époque les 4R : repatriation, reintegration, rehabilitation and reconstruction.
68
Ceri Oeppen, The Afghan Diaspora and its Involvment in the Reconstruction of Afghanistan in Ceri Oeppen and
Angela Schlenkhoff (eds), Beyond the ‘Wild Tribes’ Understanding Modern Afghanistan and its Diaspora, Hurst &
Company, London, 2010; p. 145.
Voir également, UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), Home alone? A review of the relationship between repatriation, mobility and durable solutions for refugees, March 2010, PDES/2010/02; p. 8
http://www.refworld.org/docid/51751eec4.html
69
La nature volontaire de ces retours est fortement discutable puisque ces réfugiés vivent sous la menace constante de la non-prolongation de leurs titres de séjour.
Integrated Regional Information Networks (IRIN), Afghan refugees in Pakistan wait for reforms, 3 October 2013,
http://www.refworld.org/docid/524ff0004.html
70
Il existe de nombreuses publications qui permettent de saisir la réalité des mouvements de population entre les
trois pays et le fait que dans la période récente, les Afghans ont fait l’objet de nombreuses politiques répressives
des autorités iraniennes et pakistanaises. Ceci couplé à la détérioration de la situation en Afghanistan est un des
64
13
En réalité, la population afghane est rapidement devenue la victime d’un nouveau conflit armé et
aujourd’hui, de nombreux endroits du pays échappent au contrôle du gouvernement.71 Les
perspectives de retour en Afghanistan semblent se tarir, malgré les pressions des autorités
pakistanaises et iraniennes et ils sont de moins en moins nombreux à prendre la route du
retour.72 Par contre, de nombreuses catégories d’Afghans s’exilent à nouveau.
Le HCR qui est un des acteurs de la politique de retour volontaire,73 dresse aujourd’hui un
constat assez sombre de cette politique. Selon le HCR, plus de 40% des retournés ont été
incapables de se réintégrer dans leur communauté d’origine entraînant ainsi d’importants
déplacements secondaires. Au total, plus de 60% des retournés rencontrent des difficultés à
reconstruire leur vie en Afghanistan. Bon nombre des déplacés internes en milieux urbains
connaissent les conditions de vie les plus misérables et sont en réalité des retournés.74 Le HCR
constate aussi l’augmentation des déplacés internes en Afghanistan tout en avouant n’être en
mesure de comptabiliser que les déplacements les plus visibles.75 Non seulement, il est très
difficile sur le terrain de distinguer les raisons pour lesquelles les personnes quittent leur région
d’origine,76 mais de plus, le gouvernement afghan fait obstacle à ce que les déplacés soient
clairement identifiés, car cela irait à l’encontre de sa politique privilégiant le retour dans les
régions d’origine et visant à dissuader la réintégration en milieu urbain.77 Autre constat du HCR
tout à fait spécifique à l’Afghanistan, l’agence enregistre près de 1 million d’Afghans retournés en
Afghanistan comme étant toujours « people of concern » ce qui réduit ces personnes, en quelque
sorte, à des réfugiés dans leur propre pays.78 Ces différents éléments démontrent que la politique
facteurs permettant de comprendre que parmi les jeunes générations de réfugiés, ils sont plus nombreux que par
le passé à tenter leur chance vers des destinations plus lointaines. Pour une référence récente, voir :
Human Right’s Watch, Unwelcome Guests, Iran’s Violation of Afghan Refugee and Migrant Rights, Novembre
2013. http://www.hrw.org/reports/2013/11/20/unwelcome-guests
71
UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International
Protection Needs of Asylum-Seekers from Afghanistan, 6 August 2013, HCR/EG/AFG/13/01, p. 10
http://www.refworld.org/docid/51ffdca34.html
72
“By the time the insurgency gained both visible and critical momentum in 2006, we had already decided that we
needed to place even greater emphasis on the voluntariness of return. Not just as an issue of principle, but as a
pragmatic measure... Afghans who are able to make a free choice on a decision to return are more able to assess
where their best interests lie. And, of course, they are generally much better positioned to assess those interests
than UNHCR.” Personnel du HCR cité dans UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), Back to where you
once belonged A historical review of UNHCR policy and practice on refugee repatriation, September 2013,
PDES/2013/14; p. 37 http://www.refworld.org/docid/5226d8f44.html
73
“The durability of repatriation to Afghanistan hinges upon long-term, sustainable and positive change in Afghanistan’s political and economic situation. UNHCR’s role is dependent on the nature and pace of such change. If it is
positive, UNHCR can serve as a conduit for organized return and a gateway to development; if not, it will at best
provide a safety-net for a small number of returnees, and at worst will end up serving as a shuttle service for short
term, unsustainable returns.”
Arafat Jamal & Elca Stitger, Real-time evaluation of UNHCR's response to the Afghanistan Emergency, 31 mai
2002, www.alnap.org/pool/files/828.pdf
74
HCR/EG/AFG/13/01, op cit.; p. 28.
75
UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), Submission by the United Nations High Commissioner for
Refugees For the Office of the High Commissioner for Human Rights' Compilation Report – Universal Periodic
Review: Afghanistan, June 2013, http://www.refworld.org/docid/51b81fa54.html
76
Norwegian Refugee Council/Internal Displacement Monitoring Centre, Afghanistan - Comprehensive Response
Urgently Required as Displacement Crisis Worsens, 25 March 2013,
http://www.refworld.org/docid/515222142.html
77
Afghanistan Analyst Network (AAN) Christine Roehrs, On the Run without Aid: The much delayed policy on
Afghanistan’s internally displaced, 20 Octobre 2013, http://www.afghanistan-analysts.org/on-the-run-without-aidthe-much-delayed-policy-on-afghanistans-internally-displaced
78
UNHCR, Global Trends 2012, Displacement, the New 21st Century Challenge, 9 juin 2013, p. 30,
http://www.unhcr.org/51bacb0f9.html
14
de retour menée depuis 2002 avec l’appui du HCR et de la communauté internationale est un
échec.79
Le HCR constate également que les décennies de conflit et les catastrophes naturelles à
répétition ont laissé la population afghane dans un état de grande vulnérabilité, avec de
nombreuses personnes ayant épuisé leurs mécanismes de survie.80 Les personnes sont rendues
d’autant plus vulnérables qu’elles doivent également faire face aux inondations, tremblements de
terre, sécheresses et traversent des hivers particulièrement rudes.81 Selon l’agence humanitaire
des Nations-Unies, le conflit, les catastrophes naturelles, la pauvreté chronique et le sous-emploi
menacent la survie et la dignité des personnes. Elle constate que la résilience des communautés
se réduit, les personnes s’endettent, les cheptels sont tués, les biens détruits, obligeant les
familles à se séparer et à recourir à des mécanismes de survie négatifs tels que la migration et le
mariage forcé.82
E.2 Légalité de l’éloignement
En cas de retour en Afghanistan et indépendamment des situations personnelles de chaque
expulsé, l’Office des Etrangers et le CCE,83 considèrent que ces personnes peuvent s’établir à
Kaboul, ville qui est sous le contrôle des autorités nationales et qui ne connaît pas de problèmes
majeurs de sécurité.84 La situation en Afghanistan ne permet pas selon nous de présumer aussi
globalement qu’une réintégration soit possible. Il devrait être exigé que les instances d’asile
puissent concrètement déterminer quels sont les facteurs rendant cette réintégration possible. Le
sort commun que partagent régulièrement les retournés et les déplacés internes en Afghanistan
démontre selon nous que les instances doivent éviter de traiter les personnes au travers de
catégories juridiques abstraites pour s’attacher à déterminer ce que protection et réintégration
signifient dans ce contexte. Pour établir que Kaboul constitue bel et bien une alternative, le HCR
estime que la personne doit pouvoir compter sur un réseau social dont le soutien est prouvé. Il
79
“UNHCR’s representative in Afghanistan Peter Nicolaus said the international community had failed to help
returnees find a means of earning a living and, therefore, reintegrating into society. “We thought if we gave humanitarian assistance, macro development would kick in.” He added, “We made a big mistake, the biggest mistake UNHCR ever made”.”
“(…) the UNHCR estimates that 40 per cent of all the returnees it has helped since 2002 are “not at all reintegrated”. “In Afghanistan a quarter of the population are returnees,” said Nicolaus.”This is what the donor community
constantly forgets. This has been overlooked and it’s still overlooked. Nobody has taken this seriously. It’s a tragedy”.”
The Express Tribune, Humanitarian aid: ‘The biggest mistake UNHCR ever made’, 28 décembre 2011,
http://tribune.com.pk/story/312714/un-says-its-afghan-refugee-strategy-a-big-mistake/
80
HCR/EG/AFG/13/01, op cit.; p. 25.
81
HCR/EG/AFG/13/01, op cit.; p. 26.
L’hiver dernier, des déplacés internes sont morts de froid à Kaboul. V. Amnesty International, Afghanistan: Children among 17 dead in camps amid harsh winter conditions, 21 January 2013
http://reliefweb.int/report/afghanistan/children-among-17-dead-camps-amid-harsh-winter-conditions
82
UNOCHA, AFGHANISTAN Common Humanitarian Action Plan Mid-Year Review 2013, June 2013; p. 12
https://docs.unocha.org/sites/dms/CAP/MYR_2013_Afghanistan_CHAP.pdf
83
Récemment, le CCE a contredit la légalité de ces expulsions, estimant que l’OE ne pouvait simplement exécuter des OQT pris à l’encontre de demandeurs d’asile déboutés alors que la situation en Afghanistan s’étaient
sensiblement détériorée depuis la clôture de leur demande d’asile et que les instances d’asile n’avaient pas encore pris position quant à cette évolution constatée par différentes agences des Nations-Unies. V. entre autres
RVV arrêt n° 111.286 du 4 octobre 2013.
84
Nous avons déjà souligné les difficultés insurmontables qui peuvent advenir en cas de retour forcé en Afghanistan dans l’analyse suivante : CBAR, L’enfant dans l’asile : prise en considération de sa vulnérabilité et de son
intérêt supérieur, juin 2013,
www.cbar-bchv.be/Portals/0/Information%20juridique/Asile/Analyses/L%27enfant%20dans%20l%27asile.pdf
Le chapitre 7 de cette analyse étudie le sort qu’il est fait aux ex-Mena déboutés et expulsés en Afghanistan et
montre qu’il s’agit d’un public vulnérable qui ne devrait pas pouvoir être expulsé sans garanties à la réintégration.
Il est à noter que cette analyse ne pouvait pas encore s’appuyer sur les importants constats que les NationsUnies ont rendus public en juillet et en août 2013.
15
faut également que cette personne dispose d’option d’hébergements et de ressources préidentifiées.85
Si l’on admet que la procédure d’expulsion n’a pas pour objectif de multiplier le nombre de
déplacés internes dans le pays de réadmission,86 il importe donc de s’assurer du caractère
durable des retours.87 Il faut alors bien constater que les pratiques unilatérales de réadmission
vont à l’encontre de cet objectif. Selon la Commission, « Il ne faut pas oublier (…) que le retour
des personnes en séjour irrégulier a d’importantes répercussions sur les pays d’origine et de
transit. (…) Des mouvements de retour à grande échelle pourraient avoir un impact considérable
sur le développement d’un pays et sur l’empressement des autorités à coopérer au contrôle des
flux migratoires. »88
Les autorités afghanes se montrent de plus en plus réticentes à accueillir les retournés. Le
MoRR89 estime que le pays n’est plus en mesure d’accueillir d’autres retournés d’Iran et
d’Afghanistan en raison de l’absence d’opportunités économiques et de l’incapacité pour les
autorités de fournir les services et les infrastructures de base.90 Il faut donc comprendre l’attitude
de l’ambassade d’Afghanistan à Bruxelles dans ce contexte global. Les raisons qu’invoquent
l’ambassade afghane pour refuser d’émettre des laissez-passer ne sont pas anodines. Outre
l’incapacité des autorités afghanes à garantir la sécurité à ses citoyens, elle invoque également la
difficulté à identifier des personnes qui ont vécu très longtemps hors d’Afghanistan, voire sont
nées à l’étranger, en Iran ou au Pakistan.91 Ce dernier motif entre en résonnance avec les
raisons pour lesquelles les instances d’asile refusent bon nombre d’octroi de protection, à savoir,
l’impossibilité de déterminer le moment auquel les personnes ont quitté l’Afghanistan et donc, les
possibles alternatives qu’elles ont pu développer dans l’intervalle. Le raisonnement tenu ici par
85
HCR/EG/AFG/13/01, op cit.; pp. 74-75. Dans certains cas, le HCR accepte que la personne dispose de suffisamment d’autonomie pour se passer de tout soutien familial.
86
Ou d’aboutir à ce que les personnes réémigrent dans un futur proche. Suite à une étude menée auprès
d’Afghans ayant été retournés de force dans leur pays d’origine, il apparaît clairement que beaucoup de personnes expulsées quittent à nouveau l’Afghanistan.
Liza Shuster and Nassim Majidi, What happens post-deportation? The experience of deported Afghans, Migration
Studies, 8 mai 2013, http://migration.oxfordjournals.org/content/early/2013/05/08/migration.mns011.full
87
“Durable solutions for refugees — local integration, resettlement and repatriation — all provide for a return to
citizenship. It is this return to citizenship that provides a political remedy to the political deprivation of refugees’
rights as a result of either the incapacity or the active hostility of their state of origin. This means that it is a political reconnection with the state, rather than the physical movement involved in “return”, which is central to providing access to durable solutions for refugees in exile. Sustainable repatriation is thus closely connected to the
prospects for success in broader post-conflict reconstruction and peace-building efforts.”
HCR/ PDES/2010/02, op cit.; p. 39.
88
COM(2002)175final, op cit. ; p. 12.
Notons également que l’une des critiques récurrente faite aux accords de réadmission est leur propension aux
retours prématurés : « les retours sont prématurés lorsque les gouvernements européens ont tendance à considérer «la fin déclarée des hostilités et dans un pays/une région donné(e)» comme un motif suffisant pour imposer
le retour des réfugiés ou même retarder l’examen des demandes des demandeurs d’asile. Les exemples de retours prématurés sont nombreux. » PE 425.632, Cassarino, op cit. ; p. 42.
89
Ministery of Refufees and Repatriation
90
Austrian Centre for Country of Origin and Asylum Research and Documentation (ACCORD), Afghanistan: General return and re-integration prospects for Afghans who were born or have been living in Iran or Pakistan for
extended periods of time, 27 April 2010; p. 4 http://www.unhcr.org/refworld/docid/4bd6e5452.html
91
La presse relate : « L’année 2014 consacrera le retrait définitif des unités combattantes de l’Isaf et l’élection
d’un nouveau président. "En Afghanistan, on ne peut pas vraiment garantir la sécurité des personnes", assure le
diplomate afghan. L’autre raison est que les agents consulaires afghans ont bien du mal à identifier l’origine des
personnes. "Quand elles ont introduit une demande d’asile politique, elles n’ont évidemment pas contacté
l’ambassade", ajoute M. Jawid. "Parmi elles, il y a des Pakistanais et des Iraniens. Ils savent que la situation en
Afghanistan est difficile et se font passer pour des Afghans." Comme rien n’est simple, il y a aussi parmi ces
"Iraniens" et ces "Pakistanais" d’anciens réfugiés afghans qui sont installés dans ces pays de longue date, voire
sont nés là-bas. Kaboul n’a pas du tout envie de les voir revenir car le pays ne peut pas les accueillir.» La Libre
Belgique, Kaboul, non plus, n’en veut pas, 24 octobre 2013. http://www.lalibre.be/actu/belgique/kaboul-non-plusn-en-veut-pas-5268961e35708def0d922a85
16
les instances a souvent été critiqué en ce qu’il ouvrirait la trappe sur de possibles protections
gaps. Dans l’arrêt Singh, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que « ni le CGRA
ni le CCE ne se sont interrogés, même à titre accessoire, sur la question de savoir si les
requérants courraient des risques au sens de l’article 3 de la Convention. Elle remarque que cet
examen a été occulté au niveau du CGRA par l’examen de la crédibilité (…) »92 Le HCR a
également constaté que l’évaluation du besoin de protection était avorté lorsque les questions
préliminaires sur la résidence en Afghanistan n’étaient pas satisfaites.93 Enfin, les instances
d’asile n’ont pas non plus développé de position claire sur la viabilité d’un retour en Afghanistan
pour des jeunes ayant grandi en exil, d’abord dans un pays limitrophe, puis arrivés en Europe, et
elles intègrent rarement leur exil prolongé dans l’évaluation des conditions de possibilité d’un
retour en Afghanistan.94
Parmi les personnes expulsées en Afghanistan, un grand nombre d’entre-elles ont soit indiqué
avoir vécu longtemps en exil, soit ont vu leur présence récente en Afghanistan mise en doute par
les instances d’asile.95 Paradoxalement, ces personnes sont susceptibles de rencontrer des
difficultés insurmontables à leur arrivée à Kaboul, précisément en raison des liens distendus qui
les unissent encore avec la réalité de ce pays.96 Pour d’autres encore, leurs décisions de refus
de protection indiquent que leur protection est garantie par une alternative interne à Kaboul ou à
Jalalabad, mais ces décisions se limitent le plus souvent à exprimer des potentialités sans
déterminer concrètement une alternative d’hébergement qui soit immédiatement disponible en
cas de retour.97
En théorie, les instances d’asile ne se prononcent exclusivement que sur les besoins de
protection tels qu’ils sont définis par les articles 48/3 et 48/4 qui définissent les conditions de
reconnaissance du statut de réfugié et d’octroi de la protection subsidiaire. Toute invocation
directe de droits fondamentaux établis par d’autres instruments internationaux n’est pas
recevable dans le cadre de cet examen et ne peut être soulevé qu’à l’encontre de la décision de
retour. En pratique, il n’est pourtant pas possible de se prononcer sur le besoin de protection
d’une personne sans envisager concrètement l’avenir proche consécutif à un retour.98
92
CEDH, Singh et Autres c. Belgique (Requête no 33210/11) - 2 octobre 2012 ; § 100.
“The finding of a lack of credibility with regard to the applicant’s country of origin, or place of habitual residence
and/or recent stay, may be based solely on the applicant’s responses to questioning on his or her knowledge of
the country of origin or place of habitual residence, notwithstanding the submission of documentary evidence in
support of the asserted material fact. UNHCR was informed that when the applicant’s claimed origin or recent
stay in the country of origin is not considered credible, examination of the application is halted.” UNHCR, Beyond
Proof, Credibility Assessment in EU Asylum Systems : Full Report, May 2013; p. 162,
http://www.refworld.org/docid/519b1fb54.html
94
Nous renvoyons ici à un arrêt où le CCE a estimé que le requérant, parti à l’âge de 9 ans en Iran, et ne disposant que d’un oncle en Afghanistan, sans savoir précisément où il habitait, risquait alors d’être victime de traitements inhumains et dégradants en cas de retour. RVV nr. 50.813 van 5 novembre 2010.
95
Sur les méthodes utilisées par les instances pour déterminer les résidences passées d’un demandeur d’asile
en Afghanistan, différentes connaissances sont requises. La méthode utilisée n’est pas infaillible, pour une opinion contraire dans un cas individuel, voir l’avis suivant rendu par le CBAR le 12 juillet 2012 en défense d’un
jeune Afghan originaire de la province de Ghazni :
www.cbarbchv.be/Portals/0/Information%20juridique/Asile/Avis/BCHV%20Advies%20Afgh%20Recent%20verblijf%20belan
g%20van%20het%20kind.pdf
96
Mésestimés également, les risques de rejet auxquels sont confrontés les jeunes afghans occidentalisés :
« Westernalised girls and boys run a high risk of not being accepted in the community. » UN Children's Fund
(UNICEF), Child Notice Afghanistan 2013, janvier 2013, http://www.refworld.org/docid/5124c09e2.html
97
art 48/5§ 3L80 : Il n'y a pas lieu d'accorder la protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'on
peut raisonnablement attendre du demandeur qu'il reste dans cette partie du pays.
Dans ce cas, l'autorité compétente doit tenir compte, au moment où elle statue sur la demande, des conditions
générales prévalant dans le pays et de la situation personnelle du demandeur.
98
C’est en substance ce que confirme l’arrêt Singh et Autres c. Belgique.
93
17
Les questions d’ordre humanitaire et de possibilités réelles de réintégration sont essentielles
dans le contexte difficile de l’Afghanistan. Elles auraient dû être examinées intégralement dans le
cadre de l’évaluation des demandes de protection internationale, où les éléments utiles à la
décision sont rassemblés par le demandeur avec la pleine collaboration des instances d’asile.99
Or pour toute une série de raisons à la fois juridiques et pratiques, des doutes subsistent après la
clôture de la demande d’asile sur les possibilités réelles qu’ont ces personnes de reprendre pied
dans la société afghane.
Lorsque l’Office des Etranger prend et exécute un ordre de quitter le territoire, il est tenu de
vérifier si cette mesure est compatible avec les droits fondamentaux de la personne, et
notamment avec l’article 3 de la CEsDH. Comme nous l’avons vu, l’examen réalisé par les
instances d’asile est à de nombreux égards incomplet, et cette décision ne peut dès lors être
automatique. Les personnes retournées dans de mauvaises conditions courent le risque
considérable de partager le même sort que les déplacés internes en Afghanistan. Nous estimons
que les informations fournies notamment par le HCR donnent suffisamment corps à ce risque
pour que l’on puisse ici parler d’une présomption devant être dissipée par l’Office des Etrangers.
En raison du caractère absolu de l’article 3 CEsDH, il y a lieu de mener un examen attentif et
rigoureux des situations individuelles.100 Pour l’appréciation des éléments de preuve, la CEDH
retient le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ».101 Quel autre examen est-il
ici susceptible de remplir ce critère, si ce n’est l’examen des conditions concrètes de la
réadmission ?102 Dès lors que la personne ne dispose pas des ressources personnelles
suffisantes, il y aura lieu de vérifier concrètement l’accès à des ressources institutionnelles
protégeant l’individu.
F. Conclusion
L’analyse des accords de réadmission sur la longue durée nous a montré qu’au-delà des
rapports entre Etats, ces accords visaient également à protéger les personnes, et notamment les
personnes vulnérables. La situation humanitaire difficile que traverse l’Afghanistan nous oblige à
considérer toute une série de personnes comme vulnérables en cas de retour. Il s’agit non
seulement de personnes jugées habituellement vulnérables, les malades, les femmes, etc… mais
également d’autres comme par exemple, les personnes qui ont une expérience concrète limitée
de la société afghane ou étaient mineurs à leur arrivée en Europe.103
Le retour en Afghanistan a dans la période de l’intervention militaire internationale, fait l’objet de
programmes spécifiques. Tout d’abord, le HCR s’est investi exclusivement dans le retour
volontaire des personnes résidant dans les pays limitrophes.104 Certains pays de la zone Europe
ont signé des accords tripartites de réadmission qui tous, non seulement s’engagent à tenir
99
CJUE, C-277/11, M. M. contre Minister for Justice, Equality and Law Reform, Ireland, Attorney General, 22
novembre 2012, §§65-66.
100
CEDH, Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique (Requête no 10486/10) - 20 décembre 2011 ; §107.
101
CEDH, Rahimi c. Grèce (Requête no 8687/08) - 5 avril 2011 ; §64.
102
A titre d’exemple, sur le rôle de screening de l’UNMIK lors des retours au Kosovo, v. CEDH, Murat Haliti et
Autres c. Danemark (Requête no. 14712/03) – Décision 19 février 2004.
103
CBAR, L’enfant dans l’asile, op cit. ; p. 69.
UNHCR Research Paper n°246, Catherine Gladwell, Hannah Elwyn, Broken futures : young Afghan asylum
seekers in the UK and on return to their country of origin, October 2012. http://www.unhcr.org/5098d2679.pdf
104
Ceci aboutit à des paradoxes étonnants, puisqu’un jeune dont la famille a été enregistrée comme réfugiée en
Iran avant 2001 est protégé contre le refoulement et est en théorie libre de son choix au retour, mais dès lors qu’il
quitte l’Iran et introduit ici une demande d’asile, non seulement il n’est pas réfugié prima facie, mais en cas de
rejet de sa demande, sera expulsé en Afghanistan…
18
compte des conditions régnant en Afghanistan, mais s’engagent à garantir un retour durable,
effectué dans la sécurité et la dignité. Ces accords prévoient de plus de protéger les personnes
vulnérables et la bonne réception des retournés. Nous constatons que ces accords ont tous été
signés entre 2002 et 2006. Après cette date, il n’y a non seulement plus eu de nouvel accord
signé, mais certains d’entre-eux ont été suspendus et/ou révisés afin de mieux intégrer les
préoccupations humanitaires.105 Cette date constitue bel et bien un tournant après lequel il n’est
plus question de retour dans un pays en reconstruction.
L’identification unilatérale sans accord préalable sur la réadmission de la personne nous apparaît
être contraire aux principes reconnus par le droit international coutumier. En outre, cette pratique
constitue la négation même de l’existence de besoins particuliers en cas de retour en
Afghanistan et ne permet dès lors pas de s’assurer qu’ils s’opèrent dans la dignité des
personnes. Or, les difficiles conditions de survie partagées par une large frange de la population
afghane obligent les autorités à déterminer si d’un point de vue humanitaire, ces retours sont
durables.
Tout en n’ayant pas fourni d’analyse détaillée des risques que sont susceptibles de rencontrer
des personnes actuellement déboutées de l’asile, nous avons, dans le cadre de cette analyse
des pratiques de réadmission, montré que le problème dénoncé n’était pas de pure forme et que
de nombreuses personnes étaient en mesure de démontrer un intérêt à contester l’usage de tels
laissez-passer.
En cette fin d’année 2013, il est souvent fait état de la « transition » que connaîtra l’Afghanistan
en 2014 avec le départ définitif de la majeure partie des troupes armées internationales et la
succession électorale des principales autorités du pays. La notion même de transition repose sur
l’idée que nous avons affaire à un changement linéaire, or l’histoire de l’Afghanistan n’est pas
constituée de ces changements linéaires prévisibles, mais bien de ruptures et de changements
violents de paradigmes.106 L’Afghanistan est dès à présent confrontée simultanément à trois
crises, une crise économique résultant de la réduction des dépenses occidentales en
Afghanistan, une crise institutionnelle avec la fin du mandat du président Karzaï et une crise
sécuritaire avec la montée en puissance des Talibans et d’autres groupes armés illégaux.107 Il
n’est plus aucune région d’Afghanistan qui puisse aujourd’hui être encore considérée comme
étant sous le contrôle du gouvernement.108
Face à une telle imprévisibilité du futur le plus proche, et une majorité de prédictions fort sombres
sur l’évolution du conflit en cours,109 toute discussion sur le caractère durable ou non des retours
en Afghanistan paraît au final bien décalée.
105
Ainsi par exemple: “Tripartite Memorandum of Understanding (the MoU) between the Government of Norway,
the Islamic Republic of Afghanistan and the United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR)”, 10 August 2005, extended by addendum of 6 July 2007, 10 August 2009 and 29 December 2009. A further extension
until 30 June 2011 was agreed on 11 April 2010, subject to the conclusion of special arrangements safeguarding
the reintegation of particular, vulnerable groups in accordance with international standards.
106
Jonathan Goodhand, NOREF, Contested transitions: International drawdown and the future state in Afghanistan, 26 November 2012.
http://www.peacebuilding.no/Regions/Asia/Afghanistan/Publications/Contested-transitions-Internationaldrawdown-and-the-future-state-in-Afghanistan
107
Samuel Hall, Humanitarian assistance in a (pre)-conflict Afghanistan A contextual analysis – 2013, May 2013;
p. 9. http://samuelhall.org/REPORTS/Humanitarian%20Assistance%20in%20a%20(Pre)%20Conflict%20Afghanistan.pdf.
108
Idem : p. 11.
109
Le HCR prévoit à court terme une intensification de la violence. V. HCR/EG/AFG/13/01, op cit.; pp. 11-12.
19
Rédaction
Tristan Wibault, juriste détention du CBAR
Publication
18 décembre 2013
Editeur responsable
Charlotte van der Haert
Comité Belge d’Aide aux Réfugiés
Rue des Palais, 154
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