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Assister à la performance des professionnels par opposition à s’exécuter sur le terrain : Comment la couverture médiatique sportive a une incidence sur les athlètes qui pratiquent le sport au niveau communautaire par Romayne Smith Fullerton, Ph. D., professeur adjoint, journalisme, Faculty of Information & Media Studies, University of Western Ontario Traduit de l’anglais Nous sommes une société médiatisée. Presque à toute heure du jour ou de la nuit, les Canadiens et les Canadiennes ont accès à des résultats et à des commentaires sportifs de dernière heure, ainsi qu’à des démonstrations sportives. Même si certains journaux et stations de télévisions intermédiaires couvrent le sport communautaire, la grande majorité des nouvelles diffusées dans les médias de masse mettent l’accent sur le sport professionnel, les athlètes très bien rémunérés et les scandales ou intrigues qui s’y rattachent. Le sport professionnel a envahi notre culture. Chez les jeunes, les effets de ce phénomène sont très répandus. Le monde du sport professionnel est devenu une vaste source d’inspiration : mode, choix d’une carrière, modèles à suivre et héros. Compte tenu de l’immense pouvoir qu’ont les médias de nous influencer, le but de cet exposé est d’analyser comment la façon dont on présente le sport professionnel et le sport amateur dans les médias a des répercussions sur la façon dont les Canadiens et les Canadiennes, notamment les jeunes, perçoivent et définissent leurs buts et leurs valeurs. Cet exposé fait état de la nature du contenu de quatre semaines de couverture médiatique sportive choisies au hasard, au cours de l’année dernière. Cette analyse du contenu ponctuelle explique les types de sujets couverts, les thèmes récurrents et les valeurs explicites et implicites qui sont à la base de la couverture. On y présente également le rapport entre la couverture du sport professionnel et la couverture du sport amateur (ratio) dans un quotidien national (le Globe and Mail), un quotidien provincial de langue française (La Presse), un grand quotidien métropolitain (le London Free Press), un hebdomadaire communautaire (Journal Argus) et plusieurs reportages télévisés. Cet exposé donne une indication de la diversité de la couverture médiatique à la fois du sport professionnel et du sport amateur et répond à des questions telles : Combien y a-t-il de filles et de femmes ? Combien d’athlètes ne sont pas de race blanche ? Y a-t-il des athlètes handicapés ? Étant Le sport que nous voulons 99 donné que le Canada est un pays vaste et hétérogène, la plupart des régions sont-elles représentées ? Méthode L’analyse du contenu est axée principalement sur les médias imprimés, c’est-à-dire les journaux. En raison de questions d’accessibilité liées aux émissions survenues au cours de l’année dernière, même si nous avons effectivement visionné plus de 12 heures de nouvelles et d’émissions sportives télévisées et écouter la radio publique et privée durant le mois de février 2003, cette partie de l’exposé fait l’objet d’une discussion plus générale. Pour être en mesure de recueillir des renseignements sur la couverture sportive à chaque saison dans les médias imprimés, nous avons divisé l’année dernière en quatre périodes : été, hiver, automne et printemps. Nous avons par la suite utilisé des numéros au hasard pour sélectionner une semaine qui représenterait chaque période (saison). Les dates sont les suivantes : du 13 au 19 mai 2002; du 5 au 11 août 2002; du 30 septembre au 6 octobre 2002; et du 3 au 9 février 2003. Puisque 2002 était une année olympique (Jeux d’hiver 2002 à Salt Lake City), nous avons fait l’analyse de l’hiver 2003 plutôt que de l’hiver 2002 afin d'obtenir une représentation plus fiable de ce que les Canadiens et les Canadiennes regardent et lisent régulièrement dans les journaux. Sommaire de l’analyse du contenu Pour les besoins de l’analyse, les chercheurs ont utilisé le terme « professionnel » pour désigner tout athlète ou toute équipe dont la source principale de revenu est tirée du sport. Ils ont utilisé les termes « amateur », « local », et « sport communautaire » de façon interchangeable pour désigner tout athlète ou toute équipe qui participent à des sports, mais dont la subsistance ne dépend pas de la compétition. Seule exception à cette règle est le patinage artistique. Sport Canada considère ce sport comme un sport amateur même si les athlètes reçoivent des sommes appréciables lors de compétitions. La grande majorité de la couverture dans le Globe and Mail, un quotidien national, dans La Presse, un quotidien équivalent dans la province de Québec, ainsi que sur les réseaux Rogers Sportsnet et CTV Sports est axée presque exclusivement sur le sport professionnel. Cette constatation n’est pas surprenante compte tenu de leur vaste auditoire et des problèmes de nature pratique qu’entraîne le fait de discuter de sports au niveau local pour de nombreuses régions à la fois. Il n’est pas question de prétendre qu’aucune mention n’avait été faite du sport amateur, mais de souligner le fait que la couverture du sport professionnel était beaucoup plus importante. En ce qui concerne le London Free Press, un quotidien métropolitain, la couverture est partagée. Elle est de 70 % pour le sport professionnel contre 30 % pour le sport amateur. Le New PL (une station de London affiliée à City-TV) couvre le sport professionnel et le sport amateur de façon similaire. Quant à l’hebdomadaire communautaire Journal Argus (St. Mary’s, Ontario), la couverture est axée presque exclusivement sur le sport local. Les athlètes professionnels sont mentionnés seulement dans les reportages qui traitent d’un sujet qui touche la ville ou ses environs. En effet, ces reportages (p. ex., profil d’une athlète) traitent de l’historique familial, d’une participation antérieure dans le sport au niveau 100 Assister à la performance des professionnels par opposition à s’exécuter sur le terrain local etc. Des exemples de ce genre de reportage sont plutôt rares dans la présente analyse de contenu. Quels genres de reportages sont rédigés? En ce qui touche le genre de couverture du sport professionnel et du sport amateur partout dans les médias, il s’agit la plupart du temps de nouvelles chaudes (reportages factuels qui font état de ce qui est arrivé et à quel moment) ou de reportages liés étroitement à des manifestations sportives récentes ou à des événements dans le monde du sport. Ceci est dû au fait que la couverture médiatique sportive suit les mêmes critères que les autres types de nouvelles. La couverture est axée sur les événements nouveaux et les plus récents développements. Ainsi, puisque ce qui fait la nouvelle est surtout ce qui vient tout juste de se passer, il n’y a pas de place pour fournir un historique dans ce type de reportage, ni pour la discussion de questions connexes ou des incidences. Ce type de reportage donne l’impression que le pointage, le classement et les résultats sont ce qui comptent le plus. Quels sont les thèmes les plus souvent abordés? En qui touche le contenu de la couverture du sport professionnel, le thème le plus populaire est la victoire ou la défaite. Les gagnants sont ceux qui occupent en général le plus de place, c’est-à-dire plus de photos, plus de séquences filmées, plus d’exemplaires traitant de leur succès. Les autres thèmes les plus populaires sont l’argent, la propriété, l’entraînement et une certaine mention des habiletés qui ont permis à l’équipe de remporter la partie. Il faut aussi mentionner que les statistiques que l’on peut lire dans les journaux et les tableaux de pointage que l’on nous présente à la télévision occupent une place assez importante. Cette façon de présenter le pointage, ainsi que le fait que la victoire soit de toute évidence la chose mise le plus en vedette dans les reportages en général, fait en sorte que le processus entourant le sport est séparé du résultat. Cette situation peut amener les jeunes Canadiens et Canadiennes à penser que le fait de marquer des points et de gagner est plus important que la façon dont on pratique un sport. En ce qui concerne le sport communautaire, le thème le plus populaire est identique à celui que l’on retrouve dans la couverture du sport professionnel, c’est-à-dire la victoire ou la défaite. Ensuite, contrairement à la description des résultats, vient une description des habiletés ou de la position de l’athlète ou des stratégies qui ont mené à la victoire. Dans le cas de l’hebdomadaire Journal Argus, les descriptions des événements deviennent parfois le thème principal, délaissant le thème de la victoire. Cela a pour effet de démontrer que même si la victoire est importante, être habile, jouer sa position et soutenir son équipe font aussi partie de l’ordre du jour des nouvelles communautaires. Cette couverture locale peutelle compenser auprès des jeunes lecteurs et lectrices l’emphase qui est mis sur le pointage et la victoire dans les journaux plus importants ? Est-ce que différents journaux traitent les nouvelles sportives de façon distinctive ? Est-ce que cette façon de faire donne une impression différente aux Canadiens et aux Canadiennes de ce qui est valorisé dans le sport ? Dans le Journal Argus, il y a une différence marquée dans la façon dont le message de la Le sport que nous voulons 101 victoire ou de la défaite est véhiculé. D’autres part, le London Free Press a tendance à traiter la couverture sportive professionnelle et locale de la même façon, en mentionnant habituellement le pointage dans les premiers paragraphes pour ensuite faire la description des événements qui ont mené aux résultats. Le journal local présente le récit de l’événement habituellement en ordre chronologique, avec les résultats à la fin. Le fait de lire à propos de l’événement sportif de cette façon fait en sorte que la victoire n’est pas mise au premier plan. Le processus est donc plus évident que dans les cas où le pointage vient en premier. Et que dire des articles où l’on émet des opinions? En ce qui a trait aux types de couverture médiatique, la forme la plus utilisée après la nouvelle chaude et le reportage est la l’article de fond. Ce genre d’article est habituellement écrit par un rédacteur sportif chevronné11 qui bénéficie d’une grande liberté par rapport au sujet traité en raison de sa connaissance approfondie du domaine. Ces articles ne sont pas nécessairement liés au plus récent événement ou à la dernière manifestation sportive, mais ont tendance à traiter de questions d’actualité de la même façon que d’autres types de nouvelles. 11 Raison de l’utilisation du masculin : Des 295 articles analysés, un seul a été écrit par une femme. Cet article avait pour sujet un ensemble d’événements relatifs au soccer et non un commentaire sportif comme tel. La plupart des articles de fond dans le Globe and Mail, le London Free Press et La Presse portent sur les athlètes professionnels et les manifestations sportives professionnelles. En ce qui concerne le Globe and Mail et La Presse, le rapport entre les articles sur le sport professionnel par rapport au sport amateur est de 30 pour 1. En ce qui concerne le London Free Press, ce rapport est de 25 pour 1. Compte tenu du fait que ce journal est rendu populaire par sa couverture du sport local, il est étonnant de constater que ses rédacteurs n’accordent pas plus d’espace à des commentaires sur les athlètes locaux et les équipes locales. Toutefois, les articles de fond ont tendance à présenter une analyse critique. Même si le rédacteur en chef sportif, Dave Langford, dit que le London Free Press n’évite pas de faire la critique du sport amateur, les rédacteurs se sentent peutêtre, de façon subconsciente, moins à l’aise de commenter sur de jeunes athlètes qui ne sont pas des professionnels. En contrepartie, le but des articles de fond, comme de l’information en générale, n’est pas d’arborer l’étendard de la communauté. Il en découle alors qu’il est peut-être plus facile de commenter le sport professionnel que le sport local. Un autre point dont il faut tenir compte est qu’un grand nombre de ces articles de fond dans le London Free Press parviennent du siège social du journal, Sunmedia/Quebecor. De son côté La Presse compte beaucoup sur l’Associated Press et d’autres fils de presse. Les articles que ces services ont en commun doivent donc être pertinents pour tous les journaux de la chaîne ou du groupe auquel ils appartiennent. 102 Assister à la performance des professionnels par opposition à s’exécuter sur le terrain Les articles où l’on émet des opinions abordent-ils des thèmes différents des reportages? En ce qui a trait aux thèmes qui dominent les journaux, les articles de fond comme les nouvelles chaudes et les reportages sont axés d’abord et avant tout sur ceux ou celles qui remportent les victoires et sur les questions liées à l’argent, la propriété et les habiletés des athlètes. Même si les articles de fond ont été analysés pour noter la prévalence du thème de l’esprit sportif, la plupart font état de la mention des événements qui ont mené au pointage ou aux blessures, plus particulièrement les événements qui ont eu une incidence directe sur le résultat final par opposition aux événements qui ont trait à l’équité, à l’honnêteté, à la reconnaissance envers d’autres athlètes et ainsi de suite. Ce manque de traitement du thème de l’esprit sportif est vrai à la fois pour le sport professionnel et le sport amateur. Ce silence donne-t-il l’impression aux amateurs de sport que ces valeurs ne sont pas importantes ? Il existe pourtant des occasions où les rédacteurs pourraient donner place à une plus grande discussion des questions liées au respect des règles du jeu, aux valeurs liées à la compétition et aux bienfaits d’intégrer le sport à la communauté. En ce moment, cette discussion n’est à peu près jamais abordée. La diversité dans la couverture médiatique Pour plusieurs raisons, la couverture médiatique n’est pas aussi diversifiée que ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre. Les pages réservées aux sports dans les journaux et les émissions de télévision font encore preuve de sexisme, sont axées sur le rang social et accordent une grande place aux personnes de race blanche et physiquement aptes. Puisque que la couverture médiatique est axée en grande partie sur le monde du sport professionnel à majorité masculine, les nouvelles chaudes, les reportages, les profils et les articles de fond sont axés exclusivement sur les femmes 7,5 % du temps. Les femmes ne sont pas représentées non plus dans les photos illustrant des athlètes professionnels. Les photos qui montrent exclusivement des femmes représentent 7,2 % et les photos qui montrent à la fois des hommes et des femmes représentent 1,6 %. Lorsque les femmes sont dans des photos illustrant le sport professionnel, il s’agit la plupart du temps d’une prise de la tête alors que l’athlète est en train de s’exécuter, et la photo se retrouve dans un petit encadré à un endroit où il y a tout juste assez de place. Même si dans le cadre de l’analyse le nombre de nouvelles chaudes plus longues n’ont pas été séparées des courts sommaires ou nouvelles en bref, l’impression qui ressort est que les photos des femmes dans le sport professionnel se retrouvent souvent dans la section « En bref » du journal où peu est dit à propos des récentes victoires de l’athlète et où l’on met un plan serré de son visage au lieu d’inclure la nouvelle dans un article de premier plan (nouvelle chaude ou reportage plus long). Le fait que l’on présente sur les photos des plans de la tête et non des plans en plein mouvement, et qu’il est plus probable qu’un article sur une femme se retrouve dans la section « En bref », pourraient laisser entendre aux Canadiennes (femmes et filles) qu’on préfère les regarder que de les admirer pour leurs habiletés athlétiques, et que leurs accomplissements ont moins de valeur, puisque la couverture médiatique ne soulève pas la question de l’égalité. Le sport que nous voulons 103 Les personnes de couleur obtiennent un meilleur traitement dans le sport professionnel par opposition au sport amateur. Du total de 1 511 photos, 141 ne présentent pas des personnes de race blanche. De ce nombre, les photos liées au sport professionnel comptent pour 93,6 % et celles liées au sport amateur comptent pour 6,4 %. Les athlètes professionnels de couleur ne représentent que 11,2 % du total des photos liées au sport professionnel. Compte tenu du fait qu’un grand nombre de d’afro-américains et de latinoaméricains jouent au football, au basketball et au baseball, ce chiffre est sans aucun doute trop peu élevé. Ce qui est encore moins acceptable est le nombre extrêmement faible de personnes de couleur dans les photos liées au sport amateur. Par exemple, dans la ville de London (population de 300 000 habitants), il y a une population Autochtone de 10 000 personnes. Et, ce n’est là qu’un segment de la population qui n’est pas de race blanche. Il demeure que des 329 photos d’athlètes amateurs, seulement 9, c’est-à-dire 2, 9 %, représentent des personnes de couleur. Lorsque de jeunes athlètes de couleur ne voient pas leurs visages régulièrement dans les pages réservées au sport, est-ce qu’ils ou elles se demandent s’ils ou elles ont vraiment une place dans le sport ? Puisque le London Free Press et le Journal Argus couvrent le sport local, et que les femmes et les filles participent à des sports de plus en plus, il est plus probable que la couverture du sport amateur devienne plus équitable. Toutefois, même si les chiffres démontrent une croissance en ce qui concerne le nombre d’articles (nouvelles chaudes, reportages, articles de fond et profils) qui portent exclusivement sur les ambitions athlétiques des femmes ou des filles, le rapport est de 3 (hommes) pour 1 (femmes). Les articles qui couvrent les deux sexes représentent 16,6 %. Les photos ne témoignent pas non plus d’égalité des sexes. Les femmes et les filles sont le sujet principal des photos dans 23,7 % des cas. Encore une fois, plus souvent qu’autrement, on montre une prise de la tête alors que l’athlète est en train de s’exécuter ou dans une pose désinvolte. Il est permis de penser que le mandat des médias est, en partie, de représenter une communauté en tant que telle tout en présentant des thèmes qui visent d’autres communautés. Alors que La Presse fait un très bon travail de représentation des athlètes québécois en faisant état de leurs succès au pays et à l’étranger, le Globe and Mail et le London Free Press souvent ne mentionnent pas la ville ou la province natale d’un athlète à moins qu’il s’agisse d’un profil de l’athlète en question et que la raison motivant la couverture du sujet est de montrer un athlète qui était déjà au niveau local et qui connaît maintenant du succès. Les références qui ont été relevées proviennent d’un échantillon assez diversifié et représentatif de la couverture médiatique dans l’Est et dans l’Ouest, avec une seule référence provenant du Grand Nord12 et aucune mention des Premières nations. L’impression que cela peut donner aux jeunes Canadiens et Canadiennes est que le Canada urbain est plus important et que le sport 12 Il s’agit de l’histoire tragique du service de police de Brandon qui a dû subir des mesures disciplinaires parce que la procédure n’a pas été suivie lors de la remise d’un conducteur en état d’ébriété aux mains d’un adulte sobre. Le jeune contrevenant, Terrence Tootoo, frère de Jordan, s’est par la suite enlevé la vie. Cette histoire est parue dans le Globe and Mail le samedi 5 octobre 2002. S8. 104 Assister à la performance des professionnels par opposition à s’exécuter sur le terrain organisé est inexistant dans le Nord ou sur les réserves. De façon similaire, les athlètes handicapés sont absents de la couverture médiatique sportive. Dans les émissions télévisées, on a noté que des personnes physiquement aptes dans les séquences de film. Des 2 461 reportages (sport professionnel et amateur, nouvelles chaudes, reportages, profils et articles de fonds) du Globe and Mail, du London Free Press et du Journal Argus, 13, c’est-à-dire 0,5 %, font référence à des athlètes handicapés. Dans plusieurs de ces cas, l’handicap en question est le problème de gorge du capitaine de curling Bryan Cochrane – l’article portant sur la façon dont il s’est servi d’un sifflet pour communiquer avec son équipe sur la surface glacée. Pour ce qui est des photos, il y en a eu 2 au total (dans le London Free Press). L’impression générale est qu’on couvre les athlètes handicapés seulement à l’occasion d’une grande manifestation sportive comme les Jeux paralympiques ou encore lorsque les athlètes handicapés participent à une compétition régulière. Ces athlètes deviennent alors intéressants parce que, comme M. Cochrane, leur participation à l’événement est unique en son genre. En d’autres temps, ces athlètes ne se retrouvent pas dans les nouvelles. Les conséquences plus importantes Le loisir et la participation au niveau amateur durant le 19e siècle ont été remplacés au 20e siècle par la technologie et une industrie toutes deux axées sur le spectateur. (traduction libre) Lawrence Wenner, Mediasport13 Nous n’avons pas besoin d’une analyse de contenu pour nous apprendre que la couverture médiatique sportive d’aujourd’hui est à peu près exclusivement axée sur le sport de ligue majeure où des athlètes très habiles se font la compétition pour gagner de gros sous et divertir les spectateurs. Quiconque a un sens critique est à même de le constater. Il ne s’agit pas de pratiquer un sport pour sa beauté et l’euphorie de participer. Il ne s’agit pas non plus de bon esprit sportif, de règles du jeu équitables, d’honnêteté, de respect ou de discipline personnelle. Il ne s’agit pas des valeurs que la majorité des parents et des entraîneurs souhaiteraient transmettre à la jeunesse. La couverture médiatique du sport professionnel est une industrie importante, qui fait dorénavant partie intégrale de l’industrie du divertissement. Il reste à savoir ce qui suit : Puisque la plupart des jeunes ne sont pas au courant des messages que véhicule la couverture médiatique du sport professionnel, transposentils les attentes, les comportements et les valeurs problématiques liés à ce genre de couverture avec eux sur le terrain, dans leurs communautés. Le but de la couverture médiatique du sport professionnel est de livrer des spectateurs aux publicitaires. Le fait que les pages dans les journaux et les émissions télévisées dédiées au 13 Wenner, Lawrence A. “Playing the Mediasport Game,” Mediasport, Lawrence A. Wenner Ed., London: Routledge, 1998. Le sport que nous voulons 105 sport sont d’une importance primordiale pour assurer la portée ou encore l’influence des médias est appuyé par le fait que des montants appréciables de temps et de ressources y sont alloués. Un sondage mené dernièrement par le London Free Press tend à démontrer que le cahier des sports est la deuxième raison en importance pour laquelle les lecteurs achètent le journal. Le London Free Press a 8,5 employés dans le secteur des sports, ce qui représente à peu près 14 % du personnel affecté aux nouvelles/reportages/correction et l’équivalent du budget total. De façon similaire, Canwest/Global accordent un temps de diffusion équivalent aux nouvelles et aux sports à 23 h, soit une demi-heure dans chacun des cas. Les médias font leurs profits au moyen de la vente de publicité ou, si vous préférez, en livrant les spectateurs aux publicitaires. Tant les publicitaires que les médias savent que l’auditoire visé en ce qui touche le sport est l’homme âgé entre 18 et 40 ans. Un survol du London Free Press démontre bien que la plupart des annonces ont pour thème la bière, les hippodromes, l’équipement sportif, les voitures et des produits liés à l’industrie du sexe comme les bars de danseuses nues et les films pour adultes seulement. Le sport n’est plus un art réservé aux initiés, mais un produit médiatisé qui vise un auditoire profane. Il est facile d’utiliser le sport dans le but de divertir, car la poursuite de l’excellence sportive est un divertissement en soi. La confrontation est un des éléments les plus importants de la nouvelle comme telle et le sport marie à la fois défi, risque, violence et défaite. Nous aimons assister au combat et jeter notre dévolu sur le résultat. Il est toutefois important de distinguer le sport qui est pratiqué pour l’amour du sport et le sport qui est présenté comme un produit de consommation. Le sport professionnel met une emphase démesurée sur la victoire. Il est clair que gagner veut dire argent, popularité et, dans certains cas, héros. Quand Steve Yzerman a décidé de jouer à l’occasion des séries éliminatoires l’an dernier malgré le fait qu’il était blessé, il a été récompensé par une couverture médiatique avantageuse qui l’a présenté comme un surhumain ayant sacrifié sa santé pour la victoire. Lorsque les jeunes Canadiens et Canadiennes voient comment les médias encensent le comportement de M. Yzerman, il se pourrait qu’ils aillent jusqu’à penser qu’eux aussi devraient faire passer la victoire avant les préoccupations de santé. La violence est aussi une valeur intrinsèque dans le monde du divertissement. On montre les multiples coupures ainsi que les nombreux bleus et points de suture de joueurs comme Tie Domi, en très gros plan dans le cahier des sports. Ce type de couverture ne résulte pas du fait qu’il est un joueur habile ou faisant preuve d’esprit sportif. Il est un batailleur et cela a fait de lui une vedette. Son entraîneur, les propriétaires de son équipe, les fans, les médias et le résultat de la partie appuient son comportement, car s’il se bagarre avec assez de joueurs adversaires, les Leafs vont peut-être l’emporter. L’attrait de la violence est telle que Don Cherry tire pas mal d’argent de la vente de films (“Rock ‘em, Sock ‘em”) qui reprennent les moments glorieux du hockey et les bagarres les plus vicieuses. Voilà le côté enchanteur de l’industrie du divertissement, mais qui n’a rien à voir avec l’éthique dans le sport. 106 Assister à la performance des professionnels par opposition à s’exécuter sur le terrain L’impression générale laissée par la couverture sportive ressemble à cette invention des médiatique du sport professionnel est qu’il faut médias ? Les parents, entraîneurs et les jeunes avoir l’attitude suivante : gagner à tout prix. Au pensent-ils que chaque match devrait cours de la saison 1998 de baseball américain, comprendre en grande partie des faits saillants les médias n’ont pas été très ardents à et des buts ? Si c’est le cas, est-ce que cette condamner Mark McGwire pour avoir utilisé image du sport créée par les médias a un effet des substances destinées à augmenter la sur les athlètes au niveau local qui préfèreraient performance ni à pointer du doigt le baseball pour son manque de Les médias constituent un mécanisme pouvant 14 transformer des athlètes en des personnes politiques claires sur le dopage. reconnues partout au pays. Les athlètes gagnent L’important était de battre le record pour nous tous également de coup de circuit parce que cela était divertissant. Les gens vont regarder ce genre d’événement ou lire sur le peut-être prendre plaisir à relever le défi lié au sujet. Et, lorsqu’ils le feront, auront-ils sport au lieu de reproduire ce qu’ils considèrent l’impression que ces valeurs liées au comme le comportement de ceux et celles qui divertissement sont les mêmes pour le sport les précèdent. amateur ? Les grands titres des articles de journaux qui parlent du pointage final et la mise en marché des faits saillants sportifs à la télévision, buts et bagarres dans le cas du hockey, présente le résultat et le processus qui a mené au résultat de façon séparé. Les éléments essentiels du match comme tel sont perdus tout simplement parce qu’ils ne sont pas mis en évidence dans la façon dont on traite la couverture sportive. Ces éléments ne sont même pas mentionnés dans bien des cas. L’effet que cela a sur les lecteurs et les spectateurs canadiens est de montrer les athlètes dans un contexte où ils sont constamment en train de marquer des buts ou de se bagarrer. Les aspects plus terre à terre sont délaissés. Les parents, entraîneurs et même les jeunes s’attendent-ils à ce que leur expérience 14 Document de travail intitulé : “ L'interaction du sport professionnel et du sport amateur Considération d'éthiques”, Centre canadien pour l’éthique dans le sport, septembre 1999, p.4 Les médias constituent un mécanisme pouvant transformer des athlètes en des personnes reconnues partout au pays. Les athlètes gagnent pour nous tous également. En étant présents dans les médias, les athlètes sont réifiés et utilisés comme des outils qui assureront la victoire. On peut les acheter, les vendre et les échanger (ces thèmes sont couverts), mais si l’un d’entre eux est blessé ou n’est plus au meilleur de sa forme, il est sacrifié. Ce qui arrive à un athlète qui a déjà mis fin à sa carrière ne se trouve pas en page couverture ni dans un article de fond à vrai dire. Alors que des athlètes sont au sommet de leur art et qu’ils connaissent la victoire, ils sont des vedettes montantes et la valeur de ce potentiel ne glisse pas vers les grandes entreprises. Une partie appréciable de la transformation d’un athlète au rang de vedette met à contribution les publicitaires qui désirent vendre leurs produits. Ses entreprises savent que lorsqu’une vedette de hockey ou de baseball fait la promotion de leur Le sport que nous voulons 107 produit, les ventes s’améliorent de façon formidable. On voit ces athlètes dans d’autres types de couverture médiatique et pas seulement durant les matchs, ce qui a pour effet de mousser rapidement leur popularité. Leur succès est sans équivoque. Dorénavant, leurs comportements à l’extérieur du terrain sont tout aussi intéressants pour les médias que la façon dont ils se comportent sur le terrain. La problématique est la suivante : Ces athlètes n’ont pas nécessairement accepté de devenir des modèles à suivre pour des jeunes, des entraîneurs ou des parents. Or, lorsque Mike Tyson, un violeur reconnu coupable, se bat contre Evander Holyfield et que des milliers de fans l’encouragent près du ring, la question de savoir si le sens moral dont il fait preuve dans sa vie personnelle devrait être pris ou non en compte lorsqu’il offre une performance publique mérite d’être soulevée ? Comment séparer la violence d’une sphère à l’autre ? Les jeunes comprennent-ils la distinction entre les deux ? Est-ce que le fait d’applaudir les habiletés d’un athlète professionnel équivaut à accepter les mœurs de ce dernier ? Les sports communautaires sont pratiqués dans un contexte très vaste. Ce milieu est d’ailleurs modelé en grande partie par la couverture médiatique. En général, les médias sont au service des agendas fixés. Ils donnent les paramètres nécessaires à la discussion et ont une influence sur les idées, les attitudes et les comportements. Dans plusieurs des cas, le sport local est traité de façon quasi-identique au sport professionnel. Cela envoie le message à nos jeunes que les enjeux sont les mêmes dans les deux cas. Alors que nous voulons peut-être séparer la couverture du sport professionnel de la couverture du sport communautaire, ou déclarer que nous assistons au sport professionnel et vivons le sport amateur,15 la distinction entre les deux n’est tout simplement pas claire. En raison de l’influence des valeurs véhiculées par l’industrie du divertissement dans la couverture médiatique sportive, les matchs sont à plusieurs occasions utilisés pour diffuser des performances musicales, des parades, des profils aux allures de feuilletons et d’autres segments qui ne sont pas liés au domaine du sport. Dans un reportage sur les Jeux olympiques récemment, les épreuves comme telles représentaient une fraction du reportage dans son ensemble. Les réseaux ont préféré mettre l’accent, entre autres, sur les malheurs, les détails familiaux et les défis personnels des athlètes. À l’occasion du Super Bowl 2003, les Tampa Bay Buccaneers ont partagé la une des journaux avec la vedette de la mi-temps, Shania Twain. Les reportages écrits et télévisés au sujet de la prestation de la chanteuse faisant du lipsynch (synchronisation labiale) et de son bustier étaient aussi nombreux que les commentaires sur le match comme tel. Kevin Sylverter, de CBC Radio One, a passé plusieurs minutes le jour suivant a parlé de la performance décevante de Shania Twain. Il y a un énorme battage publicitaire entourant certains concours, au football et au hockey en général. Cette façon de faire indique clairement aux spectateurs les concours qui valent la peine d’être mentionnés et respectés. Certains sports sont réputés valides ou « masculin », tandis que d’autres 15 Document de travail intitulé : “Document de travail sur l’influence du sport professionnel dans le contexte de la Stratégie canadienne sur l’éthique dans le sport ”, Centre canadien pour l’éthique dans le sport, décembre 2001 (mis à jour en avril 2002), p.2 108 Assister à la performance des professionnels par opposition à s’exécuter sur le terrain ne le sont pas de toute évidence. Récemment, sur les ondes d’une station radiophonique populaire de London, un animateur a indiqué qu’il ne pouvait pas concevoir que le curling puisse prendre presque toute la page couverture du London Free Press. Il a demandé qu’est-ce qui arrivait avec les vrais sports – le curling étant comparable à des travaux domestiques sur glace16. Les répercussions d’un tel commentaire sont évidentes pour les athlètes canadiens. Les vrais sports sont destinés aux hommes et le curling est destiné aux femmes et aux poules mouillées. Ce type de commentaires vient en partie du langage que les journalistes et les commentateurs utilisent pour décrire le sport en général. Les « tireurs de précision » et les « tireurs d’élite » visent avec la « précision d’un laser » dans des épreuves où l’on fait référence à eux comme « du sang neuf ». Ils « battent », « anéantissent », « aplatissent », « écrasent », « fauchent » et « piétinent » leurs adversaires. Pour gagner, même les joueurs de golfs doivent être entêtés.17 Même si le langage dont on se sert pour décrire le sport est moins dur dans la couverture locale de l’hebdomadaire communautaire, le Journal Argus utilise à peu près les mêmes appellations pour décrire le sport professionnel et le sport amateur que dans le London Free Press. Les commentaires faits sur les ondes par le New PL sont similaires au style du journal local de London. Lorsqu’il est question de l’Équipe Junior A de London, les London Knights, on indique qu’ils ont « combattu ardemment » ou « percé » le filet de leur adversaire pour laisser passer les buts. Ce Paul Damen, animateur de radio, Drive Home Show, FM 96, London (Ontario), le lundi 3 mars 2003. 17 Expressions tirées du London Free Press. Ces mots sont si communs qu’il n’est pas nécessaire de les citer un à un. 16 genre de vocabulaire, de toute évidence marqué par des expressions militaires, ne sert qu’à renforcer les valeurs entourant le combat : attitudes, comportements et résultats dignes d’un temps de guerre. Cette façon de s’exprimer soutien indirectement la violence et la brutalité. Elle met également de côté des sujets comme l’équité, la justice, les habiletés et la beauté de la participation sportive. La mentalité de guerre mêlée à un résultat fondé ultimement sur l’ultime suprématie fait en sorte que même si un athlète gagne, tout ce qui compte vraiment est la première place. Ce point a été récemment démontré à la une du London Free Press. Dans un article sur Hermann Maier, on indiquait que Herminator continuait d’éblouir, mais qu’il n’était pas satisfait de la médaille d’argent qu’il avait remporté à l’épreuve du Super G dans le cadre du championnat mondial de ski alpin. Un mot qui est notamment absent de la couverture médiatique sportive est le « plaisir ». Alors que la majorité des personnes sont d’accords sur le fait que la pratique d’un sport au niveau local est censé encourager la forme physique, le bien-être, l’estime de soi, etc., on sous-entend que ces objectifs sont fixés dans le but d’avoir du plaisir et que tous et toutes en profitent pour se divertir en même temps. Malgré cela, le mot « plaisir » a été relevé seulement une fois dans la couverture médiatique dont fait l’objet ce rapport, et il a été utilisé de façon sarcastique et ironique. Le London Free Press a publié une photo de Bobby Orr et inclus une introduction invitant les lecteurs et les lectrices à consulter le cahier des sports pour en savoir plus. L’introduction en question indiquait (traduction libre), « Hérésie au sein du hockey : Le légendaire Le sport que nous voulons 109 Bobby Orr souhaite faire du hockey mineur une partie de plaisir, parmi toutes les choses dont il pourrait se préoccuper. »18 Dans un commentaire dans le cahier des sports, Jim Kernaghan, a dit clairement que (traduction libre) « l’homme qui avait fait en sorte de rendre possible l’impossible dans la LNH » était en train d’essayer de relever un défi encore plus grand en voulant faire du hockey une partie de plaisir pour les enfants. De plus, on constate également que le journaliste avait choisi d’accorder une grande place dans son l’article au passé de Bobby Orr – ses problèmes de genoux et l’extraordinaire habileté dont il a déjà fait preuve – plutôt que de se concentrer sur l’essentiel de la nouvelle. Malgré le statut de vedette de Bobby Orr et malgré la promotion du plaisir dans le sport qui justifient la présence de Bobby Orr à la une du journal, le jugement qui est porté sur la nouvelle sous-entend que l’idée de remettre du plaisir dans le sport ne mérite pas une couverture à part entière. Le plafond de verre, la salle blanche et la manque d’accès nécessaire pour gravir échelons La couverture médiatique peut façonner une communauté. Les journalistes, commentateurs et professionnels de la nouvelle décident qui et quoi font la une, le traitement réservé aux sujets “Hockey Heresy: NHL Legend Bobby Orr preaches making minor hockey fun, of all things”, le London Free Press, le jeudi 8 août 2002, A1. 18 et la fréquence de publication. Comme notre pays est grand, nous comptons sur les médias pour façonner notre communauté, c’est-à-dire refléter notre réalité par rapport aux autres. En raison du monopole quasi total du sport professionnel et du fait que le sport national au Canada, le hockey, est un sport de blancs en grande partie, la couverture médiatique est surtout axée sur cette réalité. Le problème est par contre plus grand que cela. Il n’est pas seulement question de l’absence des femmes dans le sport organisé ou du fait que peu d’afroaméricains jouent au hockey. Le véritable enjeu est l’exclusion ou la dévalorisation, voir même la marginalisation des minorités en ce qui touche la pratique du sport comme telle. Les femmes et les filles L’émission « Hockey Night in Canada » (équivalent à la Soirée du hockey) a embauché récemment une nouvelle animatrice, Martine Gaillard, pour interviewer des joueurs « sur la glace ». Mme Gaillard est jeune, blonde et jolie et tout à fait à l’opposé de Ron Maclean et Don Cherry. Son rôle fonctionnel est pour ainsi dire très discutable. Alors qu’il est possible qu’elle ne connaisse pas à fond le hockey, cette particularité n’est pas mise en évidence. Elle n’a pas été embauchée pour faire des commentaires, comme M. Maclean et M. Cherry, mais pour poser des questions aux joueurs laissant le soin aux hommes d’analyser le match. Cette situation témoigne du contexte global dans lequel évolue le sport organisé. À la 110 Assister à la performance des professionnels par opposition à s’exécuter sur le terrain télévision, les équipes d’animation affectées aux sports sont en grande partie formées d’hommes. Lorsque des femmes y sont effectivement présentes (et cela est de plus en plus vrai, car leur nombre fait grimper les cotes d’écoute), on dit souvent que c’est pour leur image. Dans un article du Toronto Sun paru dernièrement, on notait le nombre d’animatrices sportives ayant déjà fait une apparition dans Playboy ou ayant posée sur la couverture de revues destinées aux hommes. Voici la réponse du vétéran Pat Marsden à la question de savoir si les femmes sont embauchées pour leur image, « Écoutez, je n’en ai pas encore vu une femme qui était ‘ordinaire’19 » (traduction libre). Dans le même ordre d’idée, Kathryn Humphreys, une animatrice sportive à City-TV, justifie sa décision de poser nue avec d’autres animatrices sportives sur la couverture du Urban Male Magazine de la façon suivante : « Il n’y avait tellement rien là. Je parle dans mes reportages d’hommes qui poursuivent des balles un peu partout. Je ne vois donc pas pourquoi j’aurais besoin qu’on me prenne au sérieux. » (traduction libre)20 Il est évident que cette situation a l’incidence suivante : les hommes se battent sur le terrain pendant que les femmes sont assises dans les gradins et regardent, encouragent et jouent à être jolies. Les commentatrices ne sont pas prises au sérieux et même les commentateurs sérieux se moquent d’elles. Une animatrice sportive a récemment fait remarquer sur les ondes de l’émission Canada AM que ses boucles d’oreilles n’étaient pas coordonnées à son habillement. C’était juste avant qu’elle 19 Le Toronto Sun, “They’ve Come A Long Way... Or Have They?”, le vendredi 31 janvier 2003, B2. 20 Ibid, B3. commente le curling. Récemment, durant l’émission Ontario Morning, à l’antenne de CBC Radio One, Erica Ritter a d’abord présentée la commentatrice sportive Martina Fitzgerald (en remplacement du commentateur habituel) en lui parlant de son collier de perles. Dans une autre émission, Mme Ritter a fait une remarque à propos du gilet de Mme Fitzgerald. Bien qu’il n’y ait rien de mal en soi à faire de la conversation libre ou des commentaires personnels, la situation est difficilement imaginable dans ce cas-ci si l’animateur avait été un homme. Le fait que les jeunes Canadiennes puissent penser que cette situation est normale dans le contexte de la couverture médiatique sportive leur indique que le rôle de la femme ou de la fille dans le sport est d’appuyer les hommes quelles que soient les habiletés ou les connaissances sportives dont elles font preuve. Leur apparence physique est ce qui compte avant tout. Les femmes et les filles ont l’occasion de jouer un rôle dans la couverture médiatique du sport amateur. Pourtant, en dépit du fait que la présence des femmes dans le sport a connu un essor phénoménal21, l’analyse du contenu démontre que la couverture médiatique est encore axée sur les hommes et les garçons. Du côté du London Free Press, le territoire est clairement marqué ‘masculin’. Les publicitaires peuvent choisir dans quelle section du journal leurs annonces vont paraître. La gamme des annonces qui figurent dans cette section du journal indique que l’auditoire visé est en majorité masculine. On y retrouve plusieurs publicités de bière, de voiture, d’équipement sportif, de greffes capillaires, de bars de http://www.caaws.ca/Action/winter99/ media_guide.htm 21 Le sport que nous voulons 111 danseuses nues et d’hippodromes. Dans plusieurs des cas, les seules photos de femmes dans la section des sports sont des photos servant à publiciser des produits de l’industrie du sexe22. masquées par l’attention qui est portée à leur apparence. La couleur de la peau, la race et l’appartenance ethnique Le raisonnement implicite est en partie le suivant : les jeunes sont influencés par ce qu’ils voient à la télévision et lisent dans les cahiers des sports. Grosso modo, les jeunes ont besoin de s’identifier d’une quelconque façon à un athlète pour être en mesure de sentir un lien ou encore qu’ils pourraient avoir leur place au sein de la communauté un article de fond portant sur un tournoi de sportive en question. Si vous êtes un jeune karaté pour enfants a fait référence à l’une des d’origine Innu et que vous ne voyez pas championnes comme étant « mignonne » et décrit d’athlètes Innu dans les médias nationaux, les « boucles rebondissantes » d’une autre vous sentez-vous exclus ou marginalisés ? Estce que ce manque de couverture médiatique a des répercussions sur les sports que vous femme lorsqu’on parle d’elle qu’on ne le fait choisissez de pratiquer ? Le succès de Jordan pour un homme. Cette façon de faire fait Tootoo et la grande couverture médiatique qui a paraître les femmes davantage comme des accompagné ce succès ont-ils une influence positive petites filles et met les commentateurs en sur les espoirs, les aspirations et les comportements position d’autorité par rapport à elles. d’autres jeunes Inuit ? L’apparence des femmes demeure un enjeu. Même si l’on pouvait affirmer que dans la En ce qui a trait à la couleur, bon nombre d’athlètes couverture sportive d’enfants il est acceptable de de descendance africaine et espagnole pratiquent le faire des commentaires sur l’apparence, dans les football, le basketball et le baseball. Puisque ces cas où les commentaires ne sont pas neutres, sports sont diffusés régulièrement sur les grandes cette façon de voir les choses est discutable. Par chaînes de télévision, ces athlètes ont une place dans exemple, un article de fond récemment paru et le monde du sport professionnel. Ce type de portant sur un tournoi de karaté pour enfants a couverture peut montrer aux jeunes Canadiens et fait référence à l’une des championnes comme Canadiennes que dans le monde du sport étant « mignonne » et décrit les « boucles professionnel la couleur n’est pas un enjeu et que le rebondissantes » d’une autre enfant. Ce qui en succès, tant sur le plan social, économique et sportif, résulte est une impression que les réalisations ne dépend pas du fait d’être une personne de race sportives de ces enfants, comme c’est le cas blanche. pour les commentatrices sportives, sont Malgré le fait que l’un des golfeurs qui connaît le plus de succès dans le monde est un américain de descendance noire et asiatique (Tiger 22 Par exemple, le lundi 3 février 2003 et le lundi 13 Woods), et que les meilleures joueuses de tennis mai 2002. Le vocabulaire lié au sport n’est pas neutre. On parle encore des femmes de façon stéréotypée, comme dans un article du Globe and Mail sur le curling où on peut lire le titre suivant : « Les filles préfèrent les diamants » (traduction libre)4. Aussi, on utilise plus souvent le prénom d’une 112 Assister à la performance des professionnels par opposition à s’exécuter sur le terrain professionnel sont de descendance africaine (Serena et Venus Williams), la représentation des personnes de couleur demeure très inadéquate dans les médias imprimés. C’est particulièrement le cas si le vieil adage « une image vaut milles mots » tient toujours la route. Il est difficile de calculer le nombre de référence à des personnes qui ne sont pas de race blanche dans les textes écrits, car cet aspect ne fait habituellement pas l’objet d’un commentaire. Cependant les photos relevées dans le cadre de l’analyse de contenu, qui suscitent au départ ces commentaires, indiquent que la situation est inéquitable dans tous les journaux tant sur le plan de la couverture du sport professionnel que sur le plan de la couverture du sport amateur23. Même si le présent rapport ne prévoit pas de fournir le pourcentage d’athlètes qui ne sont pas de race blanche, le fait que le Globe and Mail, La Presse et Le London Free Press publient des photos d’athlètes de race blanche dans 90 % des cas ne reflètent certainement pas la réalité de la population échantillon.24 23 Bill Weeks, “Diamonds are this Girl’s Best Friend”, le Globe and Mail, le lundi 2 février 2003. 24 Exemple à préciser : Si une personne lit un article sur le baseball, il se peut qu’il soit vrai que la majorité des membres de l’équipe seraient de race blanche, mais ce n’est pas évident dans le texte de l’article. Ainsi, on peut supposer que de tels articles n’augmentent en rien la visibilité des personnes de couleur dans les médias imprimés. Les photographes peuvent par ailleurs donner une indication claire de la présence ou de l’absence de ces personnes et aider à créer, à établir et à maintenir l’impression pour les lecteurs et les lectrices que les personnes de couleurs pratiquent effectivement des sports. Même s’il est difficile de quantifier le jugement porté sur la nouvelle, c’est-à-dire comment les rédacteurs en chef décident de l’ampleur de la couverture d’une nouvelle, certains articles parus dans la section « En bref » des journaux semblaient assez importants pour faire l’objet d’une plus grande couverture et de photos grandeur nature. Par exemple, dans le Globe and Mail, quelques mots ont été écrits sur le fait que la vedette de tennis Serena Williams n’avait perdu que 4 fois dans les 10 derniers mois et sont parus en dernier lieu dans la section « En bref ».25 Le London Free Press a également publié une très brève note dans la section « En bref » rapportant la mort de Joe Black, le premier lancer noir à remporter les Séries mondiales (baseball).26 Cette nouvelle n’a même pas été incluse dans La Presse et le Globe and Mail. Les athlètes handicapés En ce qui concerne les athlètes handicapés, les occasions de se retrouver dans le journal ou à la télévision sont extrêmement rares. Au total, les références à des athlètes handicapés ont représenté la moitié de un pourcent de toute la couverture médiatique analysée. De plus, l’un de ces reportages avec photo portait sur le capitaine de curling Bryan Cochrane suite à son utilisation d’un sifflet au championnat de curling/Coupe provinciale Nokia. L’absence quasi totale de ce segment de la population dans la couverture médiatique Photos de professionnels : Le Globe and Mail : 81 % de race blanche, Le London Free Press : 85 % de race blanche et La Presse : 97 % de race blanche. 26 Le London Free Press. “Baseball Notes.” le samedi 18 mai 2002, E6. 25 Le sport que nous voulons 113 sportive laisse croire que l’auditoire visé ne possède aucun intérêt pour ces athlètes et que leurs efforts méritent une certaine couverture seulement lors de la tenue d’événements majeurs impossibles à ignorés. À l’instar des femmes et des filles, ou encore des personnes de couleur, les athlètes handicapés peuvent avoir l’impression que le manque de couverture médiatique de leurs sports équivaut à un manque de valorisation de la participation sportive au niveau local. 114 Assister à la performance des professionnels par opposition à s’exécuter sur le terrain