Les « boîtes à outils » de Madame Taubira

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Les « boîtes à outils » de Madame Taubira
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LA SEMAINE DU DROIT L’APERÇU RAPIDE
PEINES
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Les « boîtes à outils » de Madame
Taubira
À propos de la loi du 15 août 2014
POINTS-CLÉS ➜ La loi n° 2014-896 du 15 août 2014 a introduit une nouvelle peine dans le
Code pénal : la contrainte pénale ➜ Elle a également instauré une série de dispositions afin
d’accentuer l’individualisation des peines dans le but affiché de prévenir la récidive ➜ Hormis
quelques articles, la loi du 15 août 2014 entrera en vigueur le 1er octobre 2014
Virginie Peltier, maître de conférences, université de Bordeaux, Institut de
sciences criminelles et de la justice (EA 4601)
T
rès attendue parce que très médiatisée, la loi « relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales », dite loi Taubira a
été promulguée le 15 août 2014, le Conseil
constitutionnel ayant validé l’essentiel de ses
dispositions dans une décision du 7 août, à
l’exception de l’article 49 qui voulait instaurer une contribution pour l’aide aux victimes
par une majoration de 10 % des amendes
pénales, douanières et de certaines amendes
administratives (Cons. const., déc. n° 2014696 DC, 7 août 2014). Animée par l’idée que
la lutte contre la récidive passe essentiellement par l’application à chaque condamné
de la peine qui lui convient le mieux et qui,
dans la mesure du possible, doit éviter d’entraîner une privation de liberté, elle a refondu, pour les rendre plus lisibles, les principes
qui président à la personnalisation de la
peine, introduisant, en outre, la très controversée peine de contrainte pénale.
Mais au-delà de cette sanction emblématique, l’ensemble de la loi n° 2014-896 du
15 août 2014 (JO 17 août 2014, p. 13647. –
Étude à paraître J. Pradel) – hormis le volet
tendant à renforcer les pouvoirs de la police
et de la gendarmerie – est tout entier guidé
par ce double objectif : favoriser au maxi-
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mum l’individualisation de la peine, éviter autant que faire se peut la privation de
liberté.
Pour cela, en amont du prononcé de la
peine, la loi institue, à l’article 10-1 du Code
de procédure pénale (L. n° 2014-896, art.
18), la justice dite restaurative, applicable
à toute procédure pénale et à tous les stades
de celle-ci, à savoir un ensemble de mesures
destinées à résoudre les « difficultés résultant
de l’infraction », en particulier, la « réparation des préjudices de toute nature » qui en
ont résulté (CPP, art. 10-1). Mais ce souhait législatif d’organiser une justice concertée – l’accord de la victime et du prévenu
étant requis – contribue encore à obscurcir
la frontière entre responsabilité civile et pénale – dans le prolongement de la curieuse
peine de sanction-réparation. Cette volonté
d’éloigner cette dernière de son aspect purement répressif transparaît encore dans la
compétence reconnue à l’officier de police
judiciaire de transiger sur l’action publique
pour les contraventions de la cinquième
classe et certains délits (CPP, art. 41-1-1
créé), quoique cette disposition introduite
par l’article 35 de la loi soit sans réel rapport
avec son objectif premier.
En aval, la loi réécrit une partie de l’article 707
du Code de procédure pénale (L. n° 2014896, art. 24, I), redéfinissant les objectifs
poursuivis par l’exécution des peines –
préparer l’insertion ou la réinsertion de la
personne condamnée afin de lui permettre
d’agir en personne responsable et respec-
tueuse des règles et des intérêts de la société
et d’éviter la commission de nouvelles infractions – puis en fixant ses modalités. Il
s’agit d’adapter le régime d’exécution de la
peine subie par le condamné en fonction de
l’évolution de sa personnalité comme de sa
situation matérielle, familiale et sociale, régulièrement évaluée, même si la victime dispose, en contrepoids, d’un certain nombre
de prérogatives (et d’un bureau d’aide aux
victimes, institué dans chaque tribunal de
grande instance, dont le fonctionnement
sera précisé par décret : CPP, art. 706-154 créé ; L. n° 2014-896, art. 26) destinées à
assurer sa tranquillité et sa sûreté (CPP, art.
707, IV, 4° mod.). Ainsi, notamment, le droit
d’obtenir réparation de son préjudice par le
biais d’une mesure de justice restaurative,
qui accroît l’ambiguïté du système ainsi mis
en place, la victime ayant dorénavant la possibilité d’obtenir réparation du préjudice né
de la commission de l’infraction par trois
moyens différents : l’action civile, la peine de
sanction-réparation et la justice restaurative.
À l’inverse de la loi du 24 novembre 2009
(L. n° 2009-1436 : JCP G 2014, doctr. 552,
Étude J.-P. Céré), l’accent est davantage mis
sur la fonction de réadaptation que doit
poursuivre l’application de la peine. Il n’est
d’ailleurs symboliquement plus fait mention
de prévention de la récidive – terme trop négativement connoté – mais du souci d’éviter
la commission de nouvelles infractions. Pour
autant, la loi met en place, aux articles 709-11 et suivants du Code de procédure pénale,
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des dispositions destinées à assurer l’efficacité des sanctions pénales susceptibles d’avoir
été prononcées. Ainsi celui qui ne respecte
pas les obligations ou interdictions nées de sa
condamnation peut faire l’objet d’une rétention aux fins de vérification de sa situation
(CPP, art. 709-1-1 créé ; L. n° 2014-896, art.
34, I, 4°. - La loi prévoit le même mécanisme
pour la personne placée sous contrôle judiciaire : CPP, art. 141-4 mod. - CPP, art. 141-5
créé), d’une perquisition (CPP, art. 709-1-2
créé), d’une interception de correspondances
ou d’une géolocalisation (CPP, art. 709-1-3
créé), ces deux dernières en fonction de la
nature de l’interdiction méconnue et de
l’infraction pour laquelle l’individu avait été
condamné.
Toutefois, le cœur de la réforme se situe,
d’une part, dans la volonté du législateur de
réorganiser les règles d’individualisation des
peines (1) – le texte utilisant tour à tour les
termes d’individualisation et de personnalisation, preuve que les deux peuvent être
tenus pour synonymes – et, d’autre part,
dans la création d’une nouvelle peine, la
contrainte pénale (2). À cela s’ajoutent l’instauration du mécanisme de la libération sous
contrainte (3) et une réforme des dispositifs
de mise en liberté pour motif médical (4).
1. La réorganisation des
règles d’individualisation
de la peine
Les règles d’individualisation de la peine
avaient jusque-là leur siège à l’article 132-24
du Code pénal, devenu une véritable auberge
espagnole à la faveur de l’empilement d’une
succession de lois. La loi du 15 août 2014 a
le mérite de clarifier la matière en répartissant le contenu de ses divers alinéas dans les
textes idoines, traitant autant du choix de la
peine que de son exécution.
En premier lieu, et après avoir rappelé les
deux fonctions de la peine – sanctionner
l’auteur de l’infraction, favoriser son amendement (C. pén., art. 130-1 créé ; L. n° 2014896, art. 1er) –, le nouveau texte complète
(L. n° 2014-896, art. 2), tout d’abord, l’article
132-1 du Code pénal qui, jusque-là, ne faisait qu’annoncer les trois sections relatives
au régime des peines – dont la personnali-
sation – par deux alinéas, le premier posant
le principe d’individualisation (C. pén., art.
132-1, al. 2), le second rappelant que « (…)
la juridiction détermine la nature, le quantum
et le régime des peines prononcées en fonction
des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation
matérielle, familiale et sociale, conformément
aux finalités et fonctions de la peine énoncées
à l’article 130-1 » (C. pén., art. 132-1, al. 3).
L’individualisation de la peine d’amende, en
tenant compte des ressources et des charges
de l’auteur de l’infraction est, elle, ajoutée à la
fin de l’article 132-20 du Code pénal qui prévoyait seulement la possibilité pour le juge
pénal de prononcer une amende d’un montant inférieur à celui encouru (L. n° 2014896, art. 3, I, 2°).
Pour favoriser au mieux l’adaptation de
la peine à la situation du condamné, la loi
supprime, ensuite, tout ce qu’elle considère comme un obstacle à son individualisation, à savoir l’automaticité de la révocation du sursis simple (C. pén., art. 132-36
créé ; L. n° 2014-896, art. 8 qui entrera en
vigueur au 1er janvier 2015 : L. n° 2014-896,
art. 54, II), les peines-plancher (L. n° 2014896, art. 7, I, 1°), la distinction entre primodélinquants et récidivistes pour l’application
de certains aménagements de peine, sans
aller toutefois jusqu’à un alignement systématique (V. par ex., CPP, art. 721 mod., art.
721-1 mod. en matière, respectivement, de
crédit de réduction de peine et de réduction
supplémentaire de peine : L. n° 2014-896,
art. 13) et les obstacles à l’atténuation de
la peine concernant les mineurs de plus de
seize ans, notamment, là encore, en cas de
récidive (Ord. n° 45-174, 2 févr. 1945, art.
20-2, al. 2 mod. ; L. n° 2014-896, art. 7, III,
2°, b). Mais elle abaisse d’un tiers les quanta
encourus par l’auteur d’une infraction dont
l’altération des facultés mentales en auraient
altéré la lucidité, ce dernier n’encourant
plus que trente ans de privation de liberté
en cas de commission d’un crime passible
de la réclusion ou détention criminelle à
perpétuité (C. pén., art. 122-1, al. 2 mod. ; L.
n° 2014-896, art. 17, I), sauf si le juge décide
de passer outre, mais seulement en matière
correctionnelle, par une décision spécialement motivée.
La personnalisation de la peine, tant prônée
par la loi, est donc bridée en matière crimi-
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nelle, même si, certes, c’est par faveur pour
le condamné. Et le nouveau texte de tirer les
conséquences de la règle désormais posée à
l’alinéa 2 de l’article 122-1 du Code pénal
devant la cour d’assises (L. n° 2014-896, art.
17, II) ou encore en matière d’obligation de
soins imposée à un condamné, curieusement placée à l’article 706-136-1 du Code
de procédure pénale (L. n° 2014-896, art. 17,
II, 4°), le législateur ayant toutefois pris la
précaution de modifier l’intitulé du chapitre
autrefois uniquement relatif à l’irresponsabilité pour cause de trouble mental, celui-ci
englobant désormais les mesures de sûreté
pouvant être ordonnées en cas de reconnaissance de l’altération du discernement
(L. n° 2014-896, art. 17, II, 3°).
Enfin, pour que la juridiction de jugement
puisse prononcer la peine la plus adaptée à
la personne du condamné, la loi institue un
ajournement de son prononcé pour lui permettre de se livrer à des investigations afin
de mieux connaître la situation matérielle,
financière et sociale de l’intéressé (C. pén.,
132-70-1 et s. ; L. n° 2014-896, art. 5, I). Ce
dispositif est complété par un ajournement
aux fins de consignation d’une somme d’argent en vue de garantir le paiement d’une
éventuelle amende (C. pén., art. 132-70-3,
créé ; L. n° 2014-896, art. 6).
En second lieu, la loi s’est encore attachée à
favoriser l’individualisation de la peine
au stade de son exécution. Pour cela, la loi
transfère le contenu de l’alinéa 3 de l’ancien
article 132-24 du Code pénal vers l’article
132-19 du même code dont l’alinéa second
est remplacé par deux alinéas aux termes
desquels en matière correctionnelle, une
peine d’emprisonnement sans sursis ne peut
être prononcée qu’en dernier recours si la
gravité de l’infraction et la personnalité de
son auteur rendent cette peine nécessaire
et si toute autre sanction est manifestement
inadéquate (L. n° 2014-896, art. 3, I, 1°). Cependant, comme auparavant, l’emprisonnement doit faire l’objet d’un aménagement si
la personnalité et la situation du condamné
le justifient et sauf impossibilité matérielle.
En outre, le tribunal correctionnel qui ne
prononce ni sursis ni aménagement de la
peine ferme doit spécialement motiver sa
décision au regard des faits de l’espèce, de
la personnalité de leur auteur ainsi que de
sa situation matérielle, familiale et sociale.
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Enfin, pour favoriser l’exécution des sanctions pénales, il est créé à partir d’août 2015
un bureau de l’exécution des peines, dans
chaque tribunal de grande instance et dans
chaque cour d’appel, chargé de remettre à
toute personne condamnée présente à l’issue de l’audience correctionnelle un relevé
de condamnation pénale mentionnant les
peines qui ont été prononcées (CPP, art.
709-1 créé ; L. n° 2014-896, art. 4). Parmi
elles, figure la contrainte pénale.
2. La contrainte pénale
Mesure phare de cette loi du 15 août 2014,
la création de la contrainte pénale vise à
assurer un « suivi » renforcé de certains délinquants dont le profil révèle qu’ils en ont
besoin pour éviter le risque de réitération
de l’infraction (C. pén., art. 131-3, 2° mod. ;
C. pén., art. 131-4-1 créé ; L. n° 2014-896,
art. 19). Elle s’adresse en effet aux délinquants nécessitant « un accompagnement
socio-éducatif individualisé et soutenu »
(C. pén., art. 131-4-1, al. 1er).
La contrainte pénale se présente pour l’instant comme une peine alternative à l’emprisonnement susceptible d’être prononcée en
cas de condamnation à un délit passible de
cinq ans d’emprisonnement au plus, la loi
prévoyant elle-même ab initio sa propre
réforme puisque, d’une part, à compter du
1er janvier 2017, la contrainte sera encourue
pour n’importe quel délit (L. n° 2014-896,
art. 19, II) et, d’autre part, dans les deux ans
suivant sa promulgation, un rapport devra
être remis au Parlement sur l’opportunité
de supprimer la peine d’emprisonnement
prévue pour certains délits en la remplaçant
par la seule contrainte pénale (L. n° 2014896, art. 20).
Elle impose au condamné de se soumettre, à
ce titre, pendant une durée allant de six mois
à cinq ans à des « mesures de contrôle et d’assistance ainsi qu’à des obligations et interdictions
particulières destinées à prévenir la récidive en
favorisant son insertion ou sa réinsertion au
sein de la société » (C. pén., art. 131-4-1, al. 2).
La contrainte pénale, exécutable par provision, se présentant ainsi comme une « boîte à
outils » dans laquelle le juge pénal va pouvoir
puiser une ou plusieurs mesures adéquates
pour assurer l’accompagnement requis, elle
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offre un contenu variable en fonction de la
personnalité et de la situation du prévenu et
des circonstances de commission de l’infraction, bref, de l’individualisation décidée par
le juge, à une exception près : le condamné
doit respecter l’ensemble des mesures de
contrôle – qui sont celles de l’article 132-44
du Code pénal, autrement dit du sursis avec
mise à l’épreuve – pendant toute la durée
d’exécution de la contrainte pénale (C. pén.,
art. 131-4-1, al. 3). Quant aux obligations et
interdictions susceptibles d’être prononcées,
elles sont variées. Il y a celles mentionnées
à l’article 132-45 du Code pénal, là aussi
celles du sursis avec mise à l’épreuve, le travail d’intérêt général (qui doit être accepté
par le condamné et dont la durée maximale
passe de deux cent dix à deux cent quatrevingts heures : V. L. n° 2014-896, art. 21)
et l’injonction de soins qui ne peut toutefois être prononcée que si la personne a été
condamnée pour un délit pour lequel le suivi
socio-judiciaire est encouru, une expertise
médicale ayant préalablement conclu qu’elle
était susceptible de faire l’objet d’un traitement (C. pén., art. 131-4-1, al. 4 et s.). Enfin,
le condamné peut bénéficier des mesures
d’aide de l’article 132-46 du Code pénal
telles qu’elles étaient jusqu’alors prévues en
matière de sursis avec mise à l’épreuve.
veillance judiciaire). Mais entre le moment
de l’entrée en vigueur de la contrainte et la
période à laquelle elle sera évaluée (dans les
deux ans suivant la promulgation de la loi),
une circulaire devrait venir prôner le recours
au seul sursis avec mise à l’épreuve lorsqu’un
simple contrôle des obligations et interdictions apparaîtra suffisant et à la contrainte
pénale quand un accompagnement renforcé
semblera s’imposer – corriger un dispositif
législatif bancal par voie de circulaire, il suffisait d’y penser ...
La contrainte pénale est décidée par le tribunal correctionnel qui peut en choisir le
contenu dès qu’il la prononce, s’il dispose
de suffisamment d’informations. Dans le
cas contraire, et exactement comme en
matière de sursis avec mise à l’épreuve,
d’ailleurs, c’est le juge de l’application
des peines qui détermine les obligations
comme les mesures d’assistance auxquelles
le condamné sera astreint après évaluation
de sa personnalité, de sa situation matérielle, familiale et sociale par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, leurs
rôles respectifs étant détaillés aux articles
713-42 et suivants du Code de procédure
pénale (L. n° 2014-896, art. 22). Mais,
même lorsque la juridiction de jugement
les a fixées ab initio, le juge de l’application
« La contrainte pénale vise à assurer un
« suivi » renforcé de certains délinquants. »
On le constate, l’ensemble des mesures
constituant le régime de la mise à l’épreuve
se retrouve donc transposé au sein de la
contrainte pénale, ce qui risque d’entraîner
un risque de confusion entre la contrainte et
ledit sursis et pose, à tout le moins, la question
de l’opportunité du maintien de ce dernier.
Pourtant, la solution législative implique la
coexistence des deux sanctions pendant un
premier temps, en raison des multiples difficultés qu’aurait suscitées la disparition du
sursis (application de la loi dans le temps,
sort des peines « mixtes », c’est-à-dire comportant une part de sursis, et plus encore,
nécessité de réorganiser le droit de la peine
puisque les mesures de contrôle et les obligations du sursis avec mise à l’épreuve sont
reprises dans nombre d’autres mécanismes
répressifs à l’instar, par exemple, de la sur-
des peines peut toujours intervenir en cours
d’exécution pour les modifier, les supprimer ou en ajouter de nouvelles, la situation
du condamné devant, en effet, être réévaluée autant que de besoin et au moins une
fois par an (CPP, art. 713-44) ; il peut même
en suspendre l’exécution en cas d’incarcération du condamné (CPP, art. 713-46).
En outre, si le condamné respecte les mesures, obligations et interdictions qui en
découlent pendant au moins un an, le juge
de l’application des peines peut mettre fin de
façon anticipée à la contrainte. En revanche,
s’il les méconnaît, la loi instaure une réponse
graduée : tout d’abord, le magistrat peut procéder au rappel des mesures et obligations
qui pèsent sur lui, puis, si cela n’apparaît
pas suffisant, saisir le président du tribunal
de grande instance ou un juge désigné par
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lui afin que soit mis à exécution contre le
condamné tout ou partie de l’emprisonnement fixé par la juridiction ayant prononcé
la contrainte (CPP, art. 713-47 ; C. pén., art.
131-4-1, al. 10), mécanisme destiné à faire
pression sur le condamné pour qu’il respecte ses obligations (même s’il peut être
exécuté sous le régime de la semi-liberté,
du placement à l’extérieur ou de la surveillance électronique), largement éprouvé
en droit positif, par exemple, en matière de
suivi socio-judiciaire. Il en va de même si le
condamné commet, pendant la durée d’exécution de la contrainte pénale, un crime
ou un délit de droit commun suivi d’une
condamnation à une peine privative de liberté sans sursis (CPP, art. 713-48).
3. La libération sous
contrainte
Lorsque le condamné à une ou plusieurs
peines privatives de liberté d’une durée totale
inférieure ou égale à cinq ans en a effectué
les deux tiers, sa situation doit être examinée par le juge de l’application des peines en
commission de l’application des peines, afin
de déterminer s’il peut faire l’objet d’une
libération sous contrainte (en vigueur au 1er
janvier 2015 : L. n° 2014-896, art. 54, II), le
condamné exécutant alors le reliquat sous le
régime d’une semi-liberté, d’un placement à
l’extérieur, d’une surveillance électronique
et même d’une libération conditionnelle
(CPP, art. 720 créé ; L. n° 2014-896, art. 39,
I). S’il n’a pas été procédé à cet examen, le
condamné peut malgré tout faire l’objet
de la mesure, cette fois-ci prononcée par le
président de la chambre de l’application des
peines, d’office ou sur saisine du condamné
ou du procureur de la République (CPP,
art. 720, al. 4). Là encore, le législateur n’a
fait que rassembler dans une autre « boîte à
outils » une série de mesures qui existaient
déjà en droit positif, sans rien apporter de
réellement novateur.
En revanche, en cas d’exécution d’une ou
plusieurs peines privatives de liberté d’une
durée supérieure à cinq ans, le condamné
peut, après en avoir accompli les deux tiers,
bénéficier d’une libération conditionnelle
après examen de sa situation par le juge
de l’application des peines ou le tribunal
de l’application des peines lors d’un débat
contradictoire qui, en cas de condamnation
à la réclusion criminelle à perpétuité, ne peut
intervenir avant le terme du temps d’épreuve
ni avant celui de la période de sûreté (CPP,
art. 730-3, al. 1 ; L. n° 2014-896, art. 42). S’il
n’a pas été procédé audit débat, la chambre
de l’application des peines peut le tenir, d’office ou sur saisine du condamné ou du procureur de la République (CPP, art. 730-3, al.
3). Ce dispositif n’entrera en vigueur qu’au
1er janvier 2015 (L. n° 2014-896, art. 54, II).
Enfin, la loi a institué un mécanisme pour le
condamné qui n’a fait l’objet ni d’une libération sous contrainte, ni d’une libération
conditionnelle : le juge de l’application des
peines peut ordonner qu’après sa libération
et pendant une durée qui ne peut excéder le total des réductions de peines dont
il a bénéficié, il soit soumis aux mesures de
contrôle de l’article 132-44 du Code pénal,
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concordantes requises jusqu’alors (CPP, art.
720-1-1, al. 2, mod. ; L. n° 2014-896, art. 51,
I), ce qui va faciliter le prononcé de cette
mesure. Un certificat médical reste suffisant
en cas d’urgence, le nouveau texte n’exigeant
plus, en revanche, que le pronostic vital du
condamné soit, en outre, engagé.
S’inspirant des règles précédemment énoncées en matière de suspension médicale de
peine, la loi du 15 août 2014 (art. 50) introduit, au surplus, un article 147-1 dans le
Code de procédure pénale qui dispose qu’en
toute matière et à tous les stades de la procédure, et sauf s’il existe un risque grave de
renouvellement de l’infraction, la mise en
liberté d’une personne placée en détention
provisoire peut être ordonnée, d’office ou à
la demande de l’intéressé, lorsqu’une expertise médicale établit qu’elle est atteinte d’une
pathologie engageant son pronostic vital ou
que son état de santé physique ou mentale
« La loi modifie sensiblement la suspension
médicale de peine puisqu’il n’est désormais
plus besoin que d’une seule expertise médicale
pour en décider. »
à certaines interdictions de l’article 132-45
et aux mesures d’assistance de l’article 13246, par transposition, ici encore, du modèle
du sursis avec mise à l’épreuve. Mais en
cas d’inobservation desdites mesures, le
condamné peut se voir retirer tout ou partie
des réductions de peine dont il a bénéficié et
être réincarcéré (CPP, art. 721-2, al. 6, créé ;
L. n° 2014-896, art. 44), ce qui n’est pas sans
rappeler la logique de la surveillance judiciaire, même si le texte exclut de cette procédure les condamnés qui font l’objet de cette
mesure de sûreté.
4. La mise en liberté pour
motif médical
La personnalisation d’une peine ne peut être
totale s’il n’est pas tenu compte de la situation médicale du condamné. De ce fait, la loi
modifie sensiblement la suspension médicale de peine puisqu’il n’est désormais plus
besoin que d’une seule expertise médicale
pour en décider, au lieu des deux expertises
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est incompatible avec le maintien en détention. La personne remise en liberté peut
alors être placée sous contrôle judiciaire ou
faire l’objet d’une assignation à résidence
avec surveillance électronique. Bien que l’on
sorte ici du strict cadre de la recherche de la
personnalisation d’une peine puisque celleci n’a pas encore été prononcée et ne le sera
peut-être jamais, le législateur a donc profité
de la loi nouvelle pour donner un cadre à la
jurisprudence de la Cour de cassation, interrogée de façon récurrente par des prévenus
placés en détention provisoire et invoquant
leur santé défaillante pour solliciter une remise en liberté (V. par ex. Cass. crim., 18 déc.
2013, n° 13-86.739, n° 13-86.740 : JurisData
n° 2013-029424 ; Bull. crim. 2013, n° 263 :
l’expertise médicale constitue une vérification au sens de CPP, art. 194, al. 4. – Cass.
crim., 29 févr. 2012, n° 11-88.441 : JurisData
n° 2012-003065 ; Bull. crim. 2012, n° 58.
- Rappr. Cass. crim., 27 oct. 2009, n° 0982.505 : JurisData n° 2009-050067 ; JCP G
2010, 85, note M.-C. Guérin en matière de
garde à vue).
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