La Cour suprême limite les « class actions » pour les
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La Cour suprême limite les « class actions » pour les
Tous droits réservés Les Echos 2010 1/7/2010 P.13 LES STRATÉGIES DROIT PIERRE SERVAN-SCHREIBER (*) ET OLIVIER BOULON (**) La Cour suprême limite les « class actions » pour les groupes étrangers Un tournant judiciaire dans les « class actions » entamées contre Vivendi, Alstom ou la Société Générale aux Etats-Unis. C ’est une victoire importante pour les sociétés non américaines faisant l’objet de « class actions » aux Etats-Unis. Dans un arrêt rendu le 24 juin dernier dans l’affaire « Morrison v. National Australia Bank », la Cour suprême des Etats-Unis a décidé que les investisseurs ayant acquis des actions de sociétés non américaines sur des marchés non américains ne pouvaient agir en justice aux Etats-Unis pour obtenir réparation. C’est la première fois que la plus haute juridiction américaine se prononce sur l’application extraterritoriale du droit boursier américain. Cette décision était d’autant plus attendue qu’elle intervient dans un contexte de multiplication des « class actions » contre les sociétés non américaines aux Etats-Unis (Vivendi, Alstom, Société Générale, Barclays, UBS, RBS, Credit Suisse, etc.). Dans ces contentieux, les plaignants demandaient que l’ensemble des actionnaires soient inclus dans la classe des demandeurs, et ce quels que soient leur nationalité ou le marché sur lequel ils avaient acquis leurs actions. En d’autres termes, un actionnaire français, ayant acquis en France des actions d’une société française – surnommé « non américain puissance trois » (« foreign-cubed ») –, pouvait être automatiquement inclus dans la classe des plaignants au nom desquels il était demandé réparation. En se saisissant de cette affaire, la Cour suprême indiquait sa volonté de rendre un arrêt de principe. C’est ce qu’elle fit jeudi dernier en décidant que seuls peuvent se prévaloir du droit boursier américain les investisseurs qui ont acquis des actions aux Etats-Unis ou des actions cotées sur des marchés américains. Quels enseignements en tirer ? Tout d’abord, le rappel que le droit américain n’a pas vocation à s’appliquer en dehors des Etats-Unis, sauf si la loi le prévoit, ce qui n’est pas le cas du texte (la Section 10 (b) du Securities Exchange Act de 1934) sur lequel se fonde la plupart des « class actions » boursières. Ensuite, la décision clarifie les mécanismes de protection que les investisseurs peuvent obtenir des tribunaux américains : tout émet- teur faisant appel aux marchés de capitaux américains doit se conformer au droit américain et s’attendre à en répondre devant ses tribunaux ; à l’inverse, tout investisseur, même américain, qui achète des actions de sociétés non américaines à l’étranger ou sur un marché non américain, ne peut s’attendre à bénéficier de la protection du droit boursier américain. Stratégie de dissuasion Troisièmement, cette décision est de nature à dissuader les émetteurs non-Américains de se faire coter aux Etats-Unis. En effet, la « règle claire » (« bright line rule ») adoptée par la Cour suprême sécurise ces émetteurs dès lors que leurs titres ne sont pas cotés aux Etats-Unis. Ils seront également avisés d’exclure les actionnaires américains en cas d’offre publique sur quelque cible non américaine que ce soit afin de ne pas se retrouver du mauvais côté de cette « bright line ». En revanche, dès lors que les titres sont cotés aux Etats-Unis, leurs détenteurs doivent pouvoir agir en justice devant les tribunaux américains dans le cadre de « class actions » : aussi, il semble que les détenteurs d’ADR (« american depositary receipts ») devraient pouvoir se joindre aux « class actions », à tout le moins si les programmes dont ils résultent ont été approuvés par les émetteurs. Cette décision de la Cour suprême est une bonne nouvelle pour les émetteurs français faisant l’objet de « class actions » aux Etats-Unis, dans la mesure où elle devrait conduire les tribunaux américains à exclure de la classe des plaignants l’ensemble des actionnaires n’ayant pas acquis leurs titres aux Etats-Unis, réduisant très significativement les dommagesintérêts potentiels. Elle l’est aussi pour l’ensemble des sociétés non américaines, puisqu’elle réduit très sensiblement le risque de « class actions » aux Etats-Unis à leur encontre. Il serait excessif pour autant de conclure à la fin des « class actions » contre les sociétés non américaines. Des « class actions » ont parfois été initiées au nom des seuls détenteurs d’ADR (exemple de Nokia début 2010) et la jurisprudence Morrison ne devrait pas y mettre un terme. Cette décision est enfin un revers pour la SEC et le gouvernement américain, qui plaidaient pour une conception extensive du droit boursier américain. Ce revers incitera-t-il le législateur à passer outre la décision de la Cour suprême en adoptant un texte renforçant les pouvoirs de la SEC visà-vis des sociétés étrangères ? Un amendement dans le cadre de la discussion sur le Dodd-Frank Act a d’ores et déjà été déposé en ce sens au Congrès américain. (*) Avocat aux barreaux de Paris et de New York, expert au Club des juristes. (**) Avocat au barreau de Paris.