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LA QUÊTE DE
L’ESPACE,
UNE ODYSSÉE
EUROPÉENNE
THE SPACE QUEST,
A EUROPEAN
ODYSSEY
2011
1
Festival international des arts & des écritures contemporaines
Du MARDI 13 SEPTEMBRE Au JEuDI 13 OCTOBRE 2011
FESTIVAL
RENNES
5-09/07/2011
AVEC FRANçOIS BEAuNE, JuLIEN BLAINE, NICOLAS BOuCHAuD ET SERGE
DANEy, PATRICk BOuVET, ROBERT CANTARELLA, FRANçOIS CHAIGNAuD
ET CéCILIA BENGOLEA, ANNE- JAMES CHATON, THOMAS CLERC,
HuBERT COLAS, CHLOé DELAuME, GuILLAuME DéSANGES, ANTOINE
DuFEu, ENABLERS, CLéMENTINE FORT, yVES-NOëL GENOD, PHILIPPE
GRANDRIEux, AyMERIC HAINAux, TRAJAL HARREL, JEAN-JACquES
JAuFFRET, SuzANNE JOuBERT, JORIS LACOSTE, ANTOINE LAuBIN,
L’EMPLOyEuR, RéMI MARIE, STEFANO MASSINI, RICHARD MAxwELL,
GILDAS MILIN, MOTuS, DIEuDONNé NIANGOuNA, NICONOTE,
STéPHANE NOwAk PAPANTONIOu, NOëLLE RENAuDE, LETIzIA
RuSSO, SARAH TROuCHE, GéRARD wATkINS …
Programmation en cours et sous réserve de modifications
Les propositions artistiques seront présentées hors les murs et réparties dans différents lieux
culturels de Marseille.
En partenariat avec : le Théâtre des Bernardines, le cipM, La Criée - Théâtre National de Marseille, le
théâtre du Gymnase, La Minoterie - Théâtre de la Joliette, la Friche La Belle de Mai / Système Friche
Théâtre, Le Merlan - Scène Nationale à Marseille, Les Amis du Théâtre Populaire / La Salle du Bois
de l’Aune - Aix en Provence.
Association des Libraire du Sud, Cinémas César - Variétés, l’ERAC - Ecole Régionale d’Acteurs
à Cannes, le Fond Régional d’Art Contemporain Provence Alpes Côte d’Azur, Diphtong Cie, le
GRIM, Librairie Histoire de l’oeil, montévidéo, marseille objectif DansE, librairie L’Odeur du temps,
OÙ - lieu d’exposition pour l’art actuel, la revue If, le festival Sonorités - Montpellier, Triangle France
Bonlieu Scène nationale Annecy
Partenariats presse : Mouvement, La Terrasse
www.lestombeesdelanuit.com
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30/05/11 22:38
Sélection Naturelle
Makadam Kanibal
création
du 20 au 23 juillet 11
dans le cadre des Noctibules
I festival des arts de la rue
et aussi ...
Cie Oposito I Trois éléphants passent... I Architects of Air Miracoco I Transe
Express I Les Tambours de la Muerte I Cie Les Philébulistes Arcane I Le S.A.M.U
Les Balcons Bavards I Magmanus I Cirkatomik De l’orange...au Jonglador! I Cie
Célestroï Les Géants Célestes I Duo Dithyrambe I Cie du P’tit Vélo Pétafun Tour I
Cirque AlbaTros Bling Blang I La Fanfare en Pétard I Cie Histoire de famille Potin
de fanfare I Les Krakens I Mazalda Turbo Clap Station I Jungle Julia I SUBA I Born
to Brass I Neeskens I Louise
information www.bonlieu-annecy.com I 04 50 33 44 11
UNE EUROPE EN
ÉTAT DE MARCHE
EUROPE: UP
AND WALKING
Jean-Marc Adolphe, Pierre Sauvageot
Jean-Marc Adolphe, Pierre Sauvageot
« L’Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle
se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. »
Ces mots du ministre français Robert Schumann dans une déclaration
de 1950, considérée comme l'acte de naissance de l'Union européenne,
n’ont rien perdu de leur actualité. Cette idée de chantier permanent vaut
naturellement pour l’Europe culturelle, car il ne suffit pas de se reposer sur
les lauriers d’un patrimoine autour duquel les villes ont grandi. A l’aube
du XXIe siècle, à l’échelle d’une Europe élargie et multiculturelle, comme
à l’échelle de la cité, – cette invention européenne –, comment continuer
à nourrir l’art du « vivre ensemble » ?
La question de l’espace public est au cœur même de la démocratie (comme
vient nous le rappeler le « printemps arabe » qui a éclos en Tunisie puis en
Egypte). Le « vieux continent » a fait de la construction européenne l’horizon
autant que l’outil de ce « vivre ensemble ». Alors que des fissures (la fragilité
du « pacte de stabilité », la vigueur des courants nationalistes…) menacent
ce chantier, des artistes-ouvriers de l’imaginaire s’engagent, partout en
Europe, dans des projets qui se mettent à l’écoute des territoires et de ceux
qui y vivent. Et leur font prendre, parfois, des chemins aléatoires, au fil
du temps et des espaces, à l’instar de Robert Wilson, dont la parole ouvre
ce cahier spécial entièrement bilingue coédité par Mouvement et Lieux
publics. Une Europe en état de marche ? Oui. Une Europe IN SITU,
pour reprendre le nom du réseau dont le nouveau programme 2011/2016
a reçu le soutien de la Commission européenne, et dont certaines œuvres
s’inscriront naturellement au sein de Marseille-Provence 2013, Capitale
européenne de la Culture.
“Europe will not be birthed in a moment, nor by joint construction: she will
be birthed by specific projects that will thereby create a de facto solidarity.”
These words by French minister Robert Schumann in a declaration in
1950, considered to be the birth certificate of the European Union, have
lost none of their relevance. This idea of a permanent work in progress is
perfectly valid for a Cultural Europe, since it is not enough to rest on the
laurels of a heritage around which cities have been built. At the dawn of
the 21st century, on the scale of an extended and multicultural Europe,
as on a city-wide scale, – this European invention –, how can the art of
“living together” continue to be strengthened?
The question of public space is at the very heart of democracy (as the “Arab
uprising” has recently reminded us, which began in Tunisia then spread to
Egypt). The “Old Continent” made European construction the horizon as
well as the tool of this “living together”. At a time when cracks (the fragility of the “stability agreement” or the strength of nationalistic fervor…)
threaten unity, artists working with imagination are launching, throughout
Europe, projects which listen to the urban space and those who live there.
And cause them sometimes to explore wandering paths through time and
space, following in the footsteps of Robert Wilson, whose interview opens
this entirely bilingual special edition coedited by Mouvement and Lieux
publics. Is Europe up and walking? Yes. She is a Europe IN SITU, (to
quote the name of the network whose new 2011/2016 program has received
the backing of the European Commission), some of whose productions
will quite naturally be presented during the Marseille-Provence 2013,
European Capital of Culture.
SOMMAIRE
CONTENTS
4 > Robert Wilson au fil des espaces —
10 > Assez de ronds-points ! —
7 > Robert Wilson over the spaces —
Entretien
13 > Away with roundabouts! —
Jean-Marc Adolphe
Interview
Jean-Marc Adolphe
16 > Dans la rumeur de l’espace public,
et parfois dans ses turbulences — Julie Bordenave
19 > In the whisper of the public arena,
and sometimes in its turbulence — Julie Bordenave
22 > Réveiller la ville —
24 > Awakening the city —
Pascaline Vallée
Pascaline Vallée
26 > Les artistes et la figure de l’étranger en Europe :
créations en résistance — Jean-Sébastien Steil
29 > Artists and the foreign presence in Europe:
productions that buck the trend — Jean-Sébastien Steil
32 > En Tunisie, une réappropriation esthétique
et citoyenne — Aurélie Machghoul
34 > In Tunisia, an aesthetic and populist
reappropriation — Aurélie Machghoul
36 > Chantiers utopiques —
36 > Chantiers utopiques —
Julie Bordenave
38 > Après le commerce, l’art équitable ? -
41 > After Fair Trade, Fair Art? -
Fred Kahn
44 > Lieux publics en 2011
Fred Kahn
44 > Lieux publics in 2011
46 > IN SITU network
46 > Réseau IN SITU
Cahier spécial / Mouvement n° 60 (juil. - sept. 2011).
Réalisé en coédition avec Lieux publics, Centre national de création.
Coordination : Jean-Marc Adolphe,
Julie Bordenave, Fanny Broyelle.
Conception graphique : Philippe Brandon.
Edition : Pascaline Vallée.
Partenariats/publicité : Alix Gasso.
Ont participé : Jean-Marc Adolphe, Julie Bordenave, Fred
Kahn, Aurélie Machghoul, Jean-Sébastien Steil, Pascaline Vallée.
Traductions : Steve Blackah et Johanna Raclin (entretien avec
Robert Wilson, de l'anglais au français).
Julie Bordenave
Mouvement, la revue indisciplinée | 6, rue Desargues | 75011
Paris | Tél. +33 (0)143 14 73 70 | Fax +33 (0)143 14 69 39 |
www.mouvement.net
Mouvement est édité par les éditions du Mouvement, SARL
de presse au capital de 4 200 euros, ISSN 125 26 967 Directeur de la publication :
Jean-Marc Adolphe. © mouvement, 2011.
Tous droits de reproduction réservés. Cahier spécial Mouvement n°60. NE PEUT ÊTRE VENDU
3
Lieux publics
Centre national de création
Direction : Pierre Sauvageot
16, rue Condorcet | F – 13016 Marseille
Tél : +33 (0)491 03 81 28
[email protected]
www.lieuxpublics.com
En couverture : Delices DADA, RUSHs, En lieux
et places de Toulon, juin 2010 – Lieux publics
et le conseil général du Var © Gilles Clément
Robert Wilson, Walking, Oerol Festival, 2008 © Anne Zorgdrager
4
ROBERT WILSON
AU Propos
FIL recueillis
DESparESPACES
Jean-Marc Adolphe
Dans le cadre du nouveau progamme mené par IN SITU, Robert Wilson parrainera le projet Walk in
progress, avec neuf jeunes artistes européens invités à imaginer des « dispositifs d’exploration urbaine ».
Le metteur en scène et plasticien américain avait déjà conçu, en 2008, une pièce intitulée Walking,
dans le contexte spécifique de l’île de Terschelling aux Pays-Bas, pour le festival Oerol. Il revient sur cette
expérience unique, et au-delà, livre sa perception de l’espace européen.
E
n 2008 votre projet Walking était présenté
au festival Oerol, sur une île. Aviez-vous
déjà réalisé auparavant une telle expérience,
dans un contexte si spécifique ?
« Non. C’était très nouveau pour moi. Je n’avais
jamais rien fait de semblable.
Comment avez-vous appréhendé ce projet, et
le cadre où il devait s’inscrire ?
« On m’a demandé de faire quelque chose sur
l’île de Terschelling. J’y suis allé et j’ai marché
à travers toute l’île, en particulier à l’extrémité
ouest, parce qu’il y a une très grande réserve
naturelle. J’ai remarqué que les bruits des
oiseaux et le bruit des insectes étaient différents.
J’étais aussi très intéressé par les paysages, qui
varient assez sur l’île. Cette extrémité a attisé
ma curiosité. Nous avons commencé sur le côté
est, à l’opposé des Pays-Bas. Il y avait très peu
d’herbe et, en marchant vers la Mer du Nord,
nous sommes tombés sur un endroit avec un
peu d’arbustes. Puis plus loin dans un bois assez
dense. Et en sortant de ce bois, nous avons été
confrontés à des dunes de sables. Assez grosses !
On devait traverser les dunes pour rejoindre la
mer. J’ai été fasciné par cette promenade, cette
marche. Je l’ai refaite de nombreuses fois, en
pensant trouver peut-être un lieu pour installer
un travail théâtral. Il m’est alors apparu que
la promenade elle-même était peut-être le plus
intéressant. Expérimenter la manière dont les
paysages, la végétation, mais aussi le bruit des
insectes et des oiseaux changent.
Alors, j’ai placé un arrêt au début, deux autres
au milieu et à la fin. Celui du début était une
sorte de marque ou d’introduction pour cette
pièce. Pour traverser l’île il me fallait une heure
40 à 45 minutes, en marchant “normalement”.
Mais j’ai fait quelque chose de spécial : j’ai
marché plus lentement et je me suis chronométré. J’avais mis un peu moins de 4h, et soudain
ma perception était différente, parce que j’avais
pris plus de temps pour marcher. J’ai perçu
différemment tout ce que j’avais entendu, senti
avant : j’ai fait un chemin différent. C’est là
qu’est venue cette idée d’avoir une pièce appelée Walking, où quelqu’un marcherait seul,
comme cela personne ne vous parle et vous
pouvez être conscient de tous vos sens : la
vue, l’odorat, l’écoute, etc. J’ai donc établi ces
trois stations. La première était une espèce
d’espace vide, quelqu’un entrait dans un cube
noir qui était totalement silencieux pendant
4 ou 5 minutes. Puis on quittait le cube et on
entrait dans un jardin de 15 m2 ouvert sur le
ciel. Une petite dizaine de personnes pouvaient
s’y tenir. Au sol, il y avait le sable de la plage
et, au centre, un cône de 5 m2 creusé dans la
terre, dont nous avions peint les parois en noir,
et d’où sortait le son enregistré d’un bourdon.
C’était presque comme si vous sentiez le centre
de la Terre trembler. Après 10 ou 12 minutes,
une personne partait, dans une file, à travers
une porte basse, et on commençait à marcher à
travers l’île. Pour mettre en place le rythme de
la marche, j’avais des guides. Cela durait de 9h
à 21h. Un guide commençait à 9h et il y avait
au moins 5 mètres entre chaque personne.
Vous n’aviez donc aucune chance de parler à
qui que ce soit. Au milieu de l’île, il y avait un
lieu pour se reposer où les gens s’asseyaient
sur des chaises et il y avait des longues tables
en bois étranges sur lesquelles étaient posés
des pommes et des verres d’eau. Les chaises
n’étaient pas côte à côte mais placées autour
du terrain broussailleux, des petits buissons.
J’ai utilisé le chant des criquets, insectes qui
vivent en moyenne 21 jours, et en prenant
l’espérance de vie moyenne d’un homme, qui
est de 70 ans, j’ai rallongé la durée de vie du
criquet. [Le chant du criquet a donc été ralenti
pour durer 70 ans, NdT.] Ce que nous avons entendu alors était incroyable. On n’aurait jamais
reconnu le “cricri” du criquet, ça ressemblait à
des anges ou à une chorale. Nous l’avons installé sur l’aire de repos, c’était incroyable parce
que les oiseaux et les insectes répondaient à
l’enregistrement. Les sons de la nature étaient
exacerbés, et après dix minutes de repos, les
gens se levaient et continuaient seuls à marcher
5
vers la Mer du Nord. Dans la forêt, j’ai fabriqué
deux très grand murs, à un bon mètre d’écart
et assez hauts. On marchait à travers ce couloir
naturel de bois, et un autre apparaissait comme
une clairière de forêt. En passant à travers cette
clairière, on commençait à grimper les dunes
de sable qui menaient jusqu’à la Mer du Nord.
Là, j’ai fabriqué une structure avec la boue du
trou de la première station. Il y avait un aspect
positif et négatif dans l’utilisation de cette boue.
Ici, le trou était placé dans la mer, on pouvait
entrer par une entrée circulaire et regarder la
mer à travers une autre. Au sommet de ce cône
de boue, j’ai placé une clochette qui produisait
des sons assez hauts en contrepoint des sons
très bas du bourdon qui sortaient du premier
cône creusé dans la terre. Voilà la pièce que j’ai
appelée Walking.
Même dans ce contexte particulier de l’île de
Terschelling, on pourrait dire que vous avez,
comme à l’accoutumée, travaillé sur le temps
et l’espace.
« Tout mon travail gravite autour du temps et
de la construction de l’espace. Le temps est la
ligne qui va du plus profond de la Terre au Paradis, tandis que l’espace est une ligne horizontale. Cette traversée du temps et de l’espace est
la base de toute forme d’architecture. Regardez
une goutte de lait dans un tableau de Vermeer,
c’est cette ligne verticale qui est l’architecture
du tableau. Regardez Barnet Newman, qui
peint une ligne noire au milieu d’une toile :
cette ligne verticale rencontre un sol horizontal
ou l’espace au-dessus. Si vous jouez Mozart sur
un piano, vos doigts vont en bas sur une touche blanche et ensuite en haut sur une touche
noire : il s’agit encore une fois d’une relation
verticale et horizontale. Vous pouvez frapper la
touche fort ou doucement, cette tension fait la
différence entre le vertical et l’horizontal ; puis
la différence ultime, c’est le son. C’est donc un
moyen pour construire n’importe quoi, que ce
soit un ballet, un opéra ou un immeuble… Il
n’y a que deux lignes dans le monde.
A Terschelling, vous avez traduit cette pensée
de l’espace et du temps dans un cadre naturel,
en vous laissant inspirer par le paysage. Walk
in Progress, le projet que vous allez parrainer
en 2013 à Marseille, va impliquer neuf artistes
dans un milieu très urbain. Pensez-vous qu’il
soit possible d’avoir les mêmes sentiments, les
mêmes expériences que vous avez décrits, dans
un milieu urbain ?
« Marseille est un environnement très différent
de Terschelling, je pense donc que l’expérience
de la promenade sera très différente. Je dois
d’abord trouver un lieu pour pouvoir penser ce
que la promenade sera, combien de temps elle
durera, ce qu’on y verra. On passe de la nature
à un lieu façonné par les hommes.
Devez-vous expérimenter cette marche par
vous-même en premier lieu ?
« Oui. Ensuite nous ferons la structure.
Vous êtes connu pour beaucoup voyager, rapidement, d’une ville à une autre mais, quand vous
êtes en Europe, aimez-vous vous promenez
dans les villes ? Qu’y ressentez-vous ?
« Paris est une ville géniale, tout comme New
York. Vous pouvez marcher à travers Paris. C’est
merveilleux, c’est comme de petits villages, vous
pouvez aller d’un lieu à un autre. C’est une ville
faite pour marcher, contrairement à Los Angeles
ou Pékin.
êtes beaucoup plus conscients de ce qui se passe
au Japon ou en Chine. Vous voyez l’influence
au XIXe siècle de la venue de l’amiral Perry au
Japon, quand l’Est a commencé à s’ouvrir à
l’Ouest, du moins au Japon. Les Français ont
très tôt adopté la peinture japonaise. Et vous
voyez comment le wood-block [instrument de
musique asiatique, Ndlr.] et les compositions
japonaises ont été immédiatement absorbés
dans la culture française. Au XXe siècle, vous
avez accueilli Stravinsky, Picasso, jusqu’à Peter
Brook. Plus de Français ont vu mon travail
que les Américains. J’ai eu quasiment chaque
année une production en France depuis 1971.
Les Français sont plus intéressés par mon travail
que ne l’est mon propre pays. Einstein on the
Beach était une commande de Michel Guy, alors
ministre de la Culture. J’avoue que jamais le National Endowment for the Art aux Etats-Unis ne
demanderait à un Français d’écrire un opéra... »
Je dois d’abord
trouver un lieu pour
pouvoir penser ce
que la promenade
sera, combien de
temps elle durera,
ce qu’on y verra. On
passe de la nature à
un lieu façonné par
les hommes.
Robert Wilson, Walking, Oerol Festival, 2008 © Anne Zorgdrager
En tant qu’artiste américain, vous avez une
grande expérience de l’Europe. Quelle est selon
vous la plus grande différence entre Etats-Unis
et Europe ? Qu’est ce qui fait qu’une ville est
« européenne » ?
« J’ai grandi dans une ville qui n’a rien de
vieux, ce qui fait que nous n’avons aucun sens
de l’Histoire. L’Europe a en premier lieu une
culture plus ancienne que celle des Etats-Unis,
nation vieille de deux cents ans seulement.
Nous sommes venus de l’Europe pour échapper
à une pression politique, sociale et économique.
Contrairement à Europe, où vous vivez plus
près les uns des autres (Anglais, Français, Allemands, etc.), les Américains vivent dans un
très grand pays, et ne connaissent pas vraiment
les frontières. Nous avons envahi Grenade [en
1983, une coalition emmenée par les Etats-Unis
renversa le régime pro-soviétique qui avait pris le
pouvoir sur cette île des Caraïbes, Ndlr.], mais
cela aurait pu être le Groenland. Nous ne savons pas où est Grenade parce que nous vivons
dans un grand pays. Les Américains sont en
quelque sorte moins conscients de l’Histoire,
et il y a donc chez eux une certaine naïveté, à la
différence des Européens. Nous sommes moins
concernés par les autres cultures. Je pense qu’en
Europe vous êtes plus intéressés par ce qui se
passe actuellement en Tunisie, en Libye ou au
Moyen-Orient. Vous savez ce qui se passe avec
Israël et les Palestiniens. Et je pense que vous
6
ROBERT WILSON,
PACES
IN
SPACES
Interview by Jean-Marc Adolphe
In the frame of the new IN SITU’s programme, Robert Wilson will
drive the project “Walk In Progress”, with nine young european artists
who were invited to imagine some structure to explore a city. In
2008, the American stage director and visual artist had already
done a production named “Walking” in the specific context of the
Terschelling Island off the coast of Holland for the Oerol Festival. He
reviewed with us this unique experience and shared his perception
of the European space.
7
I
n 2008, you did a project called Walking in
Oerol Festival, was it the first time you did
this kind of project in such a specific context?
Well I’ve never really done anything exactly like
that, so that was something very new for me.
How did you approach such a specific project?
I was asked to do something on the island of
Terschelling. I went and I walked all over the island, especially the western end, because there
is a very large nature reserve there. I noticed
that the sounds of the birds, of the insects were
different. I also was curious as to the landscape,
that all over the island varied somewhat. But
at this end of the island I was very curious.
We started on the east side, just opposite the
main land of the Netherlands. There were low
grasses and in crossing to the North Sea we ran
into an area of low shrubbery. And then still going further we went into a very dense wooded
area. And coming out of the dense wooded area
we were confronted with sand dunes. Quite
high! In order to get to the North Sea, one had
to walk over the sand dunes. I was fascinated
by this journey. I walked it a number of times,
thinking to find maybe a location to do a theatrical work. Then it occurred to me, that actually
the walk was maybe what was most interesting.
To have this experience of how the landscape,
the vegetation, but also the sounds of the birds
and the insects.
So I made a station at the beginning, a station
in the middle and a station at the end. The station at the beginning was a kind of hallmark
or introduction for this piece. Walking across
the island took me one hour and forty-forty
five minutes, walking at a natural pace. But I
did a very curious thing: I took a slower time
to walk and I timed myself. It was a little over
four hours. And suddenly my perception was
different, because I took more time to walk.
So what I had been hearing, what I smelled,
saw before, I perceived in a different way. So I
came up with this idea of having a piece called
“Walking”, where one would walk single file,
so you didn’t have a chance to talk and one
became more aware of one’s senses: of sight,
of smell, of hearing, etc. So then I established
those three stations. The first one was a kind of
clearing space. One entered a black cube that
was totally silent and where there was no light,
and stayed alone in this black cube for about
four or five minutes. Then one left this cube
and went into a courtyard, which was about
fifteen meters square and open to the sky. And
I think it was eight or ten people, who were allowed in this big space. The ground was sand
from the beach and in the center was a five
meter conical shape that had been dug into the
earth. We painted the surface black and I put in
a sound installation of a deep drone, almost as
if you could hear the center of the earth trembling. After ten or twelve minutes, one left, in
a single file, through a very low doorway, and
began to walk across the island. In order to set
the pace of the walk, I had leaders. We started
at nine o’clock in the morning and went till
nine o’clock in the evening. There would be
a leader that would start at nine o’clock in the
morning and between every person was at least
five meters, so that you never had a chance to
speak to anyone. In the middle of the island I
had a rest stop where people sat on chairs and
I add these very long strange wooden tables on
which were apples and glasses of water. The
seats again were not placed with any two seats
placed next to one another but were distributed
around the brushy landscape, low brush. I took
the sound of crickets, insects who live an average of 21 days. And what we did was to take
the average lifespan of a human being, which
is seventy years, and we slowed the lifespan of
the cricket to seventy years. And what we hear is
something unbelievable. We would have never
recognized it as crickets chirping, it sounds
like angels or choirs of human beings singing.
Anyway this was played in the rest stop and it
was amazing because the birds and the insects
from this low bush area, they responded to this
tape. The sounds of nature were heightened.
Then after ten minutes of sitting, people got up
and again single file continued walking to the
North Sea. At one place in the forest, I made
two very long walls, about a meter apart and
quite tall. One walked through this long corridor of natural wood and as one came out, one
came to a clearing in the forest. And passing on
through the clearing, one began to climb these
sand dunes that lead one to the North Sea.
And once one was in the sea, I had taken the
earth that had been dug out from the conical
shape in the first station and had built a mud
structure above ground. So there was a positive
and a negative use of the mud. And the conical
shape now placed on the North Sea one could
enter through a circular doorway and look
out through another doorway to the sea. And
in the top of this conical shape, I placed tickle
bells and these tickle bells were high broken up
sound as a counter point to the low (droning
imitation) drone from the first conical shape
that was cut into the earth. So this is the piece I
did called “Walking”.
I will need to find a site and then to consider
what the walk will be, how long it should be,
what one sees, whether one goes through
nature from something more man-made.
This piece was done in this Terschelling island.
But, in a way, even in this very specific context,
we could say you have as usual worked on time
and space.
I think in all my work it’s a time and space construction. Time is the line that goes to the center
of the earth and goes to the heavens. Space is a
horizontal line. This cross of time and space is
the basic architecture of everything. You look
at the drip of milk in a Vermeer painting; that
vertical line is the architecture of the painting.
You look at a painting of Barnet Newman, who
paints one black stripe down the middle of a
canvass. This is a vertical line, this meeting a
horizontal floor or a space above. If you play
Mozart on a piano, your finger goes down on
a key of the piano and up and out on a string,
so it’s again a vertical and a horizontal. You can
strike the key of the piano in a hard way or you
can strike it in a soft way and this tension makes
the difference between the vertical and the horizontal and then ultimately the difference in the
sound. So it’s a way of constructing anything
whether it’s a ballet or writing an opera or a
building. Now there are only two lines in the
world.
In Terschelling you transposed this idea of space
and time in a natural place, you let yourself be
inspired by the landscape. "Walk In Progress",
the project you will sponsor in Marseilles in
2013, will involve nine artists in a very urban
context. Do you think it’s possible to have the
same feelings, the same experiences as you have
been describing, in such an urban context?
Marseilles is a very different environment than
Terschelling so I think the experience of walking will be very different. I will need to find a
site and then to consider what the walk will be,
how long it should be, what one sees, whether
one goes through nature from something more
man-made.
You must walk by yourself first ?
I have to find it myself and then we will make
a structure.
You are known to travel very quickly from a
space to another one, but when you are in Europe, do you like walking in the cities yourself?
What do you feel?
I think Paris is a great city because it’s like New
York. You can walk all over Paris. It’s wonderful; it’s like little villages, you can go from one
place to the other and it’s a great city to walk in.
Unlike Los Angeles or Beijing…
8
You are an American artist but you has such
a huge experience of Europe. Regarding this
question of urbanism, what is for you the largest difference between the States and Europe?
What is specifically European in this approach
to urbanism, cities?
I think that in Europe, first of all, you have a
much older culture than in the United States.
We are just a little over two hundred years old as
a nation. We came to escape Europe and political, social and economic pressures. Americans
are in some ways less aware of history. Americans live in a very big country. We don’t really
know the borders. In Europe, you live much
closer together, so the French, the English
know where the Germans are. We have never
been invaded the way you have been invaded
in Europe. So you grew up seeing something
from the twelfth century or from the fourteenth
century, going into a building that is a medieval
building. I grew up in a town where there was
nothing old, so we had no sense of history. We
invade Grenada but it could be Greenland, we
don’t know where Grenada is, because we live
in this vast country. So there is a certain naivety
to the Americans that is very different to the
Europeans. We are less aware of what is happening in other cultures in the United States.
I think in Europe you’re much more aware of
say what is going on in Tunisia, in Libya, in
the far-east, what is going on with the Israelis,
with the Palestinians. And I think you are even
more aware in some ways of what is going on in
Japan or China. You see already the influence
in the nineteenth century after an American,
Admiral Perry went to Japan, when the east began to open to the west, or at least in Japan. The
French were one of the first to adopt Japanese
painting. The woodblock and the Japanese
compositions and paintings were immediately
absorbed into French culture. In the twentieth
century, you gave a home to Stravinsky, Picasso,
Peter Brook. More French have seen my work
than Americans. Almost every year I’ve had a
production in France since 1971, about six or
seven years ago I had nine productions in one
year in France. The French are much more
aware of my work than in my own country. You
have a philosophy that allows for support of art
other than French. “Einstein on the beach” was
a commission by Michel Guy, the minister of
Culture. I dare say that the National Endowment for the Arts in America would never commission a French man to write an opera.
Robert Wilson, Walking, Oerol Festival, 2008 © Anne Zorgdrager
9
« L’expertise artistique a-t-elle sa place aux côtés
des grands corps de métiers traditionnellement
investis dans le champ de la fabrique de la ville
(architectes, ingénieurs, urbanistes, paysagistes) ? » (Maud Le Floc’h, directrice du pOlau) Pixel 13, BULB@Archipels Marseille-Provence 1.0, Small is beautiful, octobre 2010, Marseille – Lieux publics © Vincent Beaume
10
ASSEZ DE RONDS-POINTS !
Jean-Marc Adolphe
L’aménagement urbain ne serait-il qu’affaire de circulation et de carrefours giratoires ?
Du nord au sud, d’ouest en est, les villes européennes ont su, au fil des siècles,
développer une certaine culture urbaine, qui est aujourd'hui soumise à de profondes
mutations. Sans considérer le concept de « ville créative » comme une panacée, les
artistes n’hésitent plus à délaisser la seule figure de « saltimbanque » et s’engagent
dans des projets qui composent avec l’imaginaire en devenir d’une « ville en partage ».
Q
ui connaît aujourd’hui Eugène Hénard ? Si la célébrité l’a oublié en
chemin, il n’en reste pas moins l’un
de ceux grâce à qui la ville contemporaine est
ce qu’elle est… Cet architecte français a en effet
inventé en 1906 le premier « carrefour giratoire »,
qui s’est plus communément répandu sous le
nom de « rond-point ». Il y a en a aujourd’hui,
en France, plus de 18 000. Chacun d’eux coûte
de 150 000 à 800 000 euros. Mais quand il s’agit
de privilégier la sécurité des conducteurs, à quoi
bon lésiner sur la dépense ? De toute façon, le
déplacement automobile semble être devenu
l’alpha et l’oméga des politiques d’aménagement urbain (« Il faut adapter la ville à l’automobile », disait le Président français Georges
Pompidou)… En soi, le rond-point est moche.
Certains le restent, strictement confinés dans
leur fonction de terre-plein central : circulez,
il n’y a rien à voir. Mais parfois, de plus en plus
souvent, les municipalités cherchent à embellir
la chose et rivalisent d’une créativité débridée :
compositions florales, bateaux échoués, carrioles bariolées, voire sculptures contemporaines
dessinent confusément un nouveau folklore
urbain. A quand les cartes postales ?
Il était grand temps que les arts de l’espace
public s’emparent de ces scènes « naturelles »
autour desquelles un innocent « public » ne fait
que tourner. « Les ronds-points sont des théâtres
urbains à 360° », proclame Matthieu Bouchain,
metteur en scène de T. Public, association
d’idées, qui a décidé d’en faire le cadre de P@té
de maisons, et envisage de détourner ces fameux
ronds-points en autant d’« îlots poétiques », en
y créant « des mises en situation insulaires et des
images décalées ». Tout en cherchant la complicité avec l’environnement, Matthieu Bouchain
veut y faire surgir l’utopie d’un « droit à la ville »,
le giratoire étant alors perçu comme « zone de
transit d’un monde devenu fou où nos civilisations
perdent leurs mémoires, leurs cultures, leurs identités… ».
L’architecture, les opérations urbanistiques,
façonnent les villes et modifient leur usage. Et
l’espace urbain est un chantier permanent. Architectes de formation, Alexandre Cubizolles et
Sabine Thuillier (dont le sujet de diplôme était
déjà intitulé « Chantier conseillé au public »),
ont fondé à Marseille l’association PIXEL 13.
Leur dernier projet en cours, Work’n progress,
se greffe sur la notion même de chantier. En
faisant travailler conjointement des artistes avec
les équipes techniques de maîtrise d’œuvre, il
s’agit d’intervenir sur le déroulement même du
chantier, sans le déranger, mais en lui conférant
une dimension esthétique. Appliqué à la ville
en train de se construire, ce travail de scénographie urbaine ira de la « chorégraphie d’engins
de chantier » à des réalisations multimédia qui
puisent leur matière première dans les ressources mêmes du chantier.
L’espace public n’est pas seulement ce qui est
(qu’il soit « urbain », « péri-urbain » ou « rural »),
mais ce qu’on en fait. La ville comme théâtre
éphémère d’une sorte de rituel artistique, à
l’instar du cycle Sirènes et midi net de Lieux
11
publics à Marseille, chaque premier mercredi
du mois, à l’heure où meuglent les sirènes de
la protection civile. La ville comme agora, promue en tant que telle par la compagnie tchèque
Divadlo Archa à travers un nouveau festival,
Akcent, qui cherche à briser les frontières entre
la création artistique et les problèmes sociaux,
économiques ou politiques, et s’infiltre pour
cela dans des lieux atypiques. La ville comme
source de prélèvements, dont le montage et la
mise en scène peuvent agir comme autant de
« révélateurs ». Sous le titre générique d’Holocene, le collectif anversois BERLIN réalise des
portraits de ville : quatre à ce jour (Jérusalem,
Iqaluit – en territoire inuit –, Bonanza – hameau
de sept habitants aux Etats-Unis – et Moscou).
De chaque lieu exploré, après une immersion
de quelques mois, émerge un « cadastre secret »
nourri par les paroles des habitants : « Ce sont
nos personnages », expliquent Bat Baele, Yves
Degryse et Caroline Rochlitz : « Le réel nous
apporte beaucoup plus de surprises que ce que nous
aurions pu inventer. » A chaque fois, un dispositif
scénique, constitué d’écrans, restitue ces collectes, dans la multiplicité des points de vue : « Il y
a plusieurs vérités. » (1)
Puisque la ville est une entité physique, vivante
et mouvante, et que s’y inscrivent vécu social,
légendes urbaines et traumatismes enfouis, rien
n’interdit de s’y pencher avec les outils de la
psychanalyse. Depuis 2003, Laurent Petit a mis
un certain nombre de villes sur le divan, avec
son Agence nationale de psychanalyse urbaine
(ANPU), qui vante une « méthode d’investiga-
tion consistant essentiellement dans la mise en
évidence de l’inconscient à l’origine de l’aménagement urbain. » A contre-pied de l’architecte,
obnubilé par la physique des matériaux et
les contraintes budgétaires, le psychanalyste
urbain prône une « science fondamentalement
inexacte » et ne se veut guère plus qu’un « marchand de tissus invisibles ». Mais, ajoute Laurent
Petit, « le monde entier ne devrait-il pas de temps
en temps basculer dans l’hyper-poésie ? » (2) Avec
le projet Eutopia, le plasticien et architecte
belge Filip Berte espère pour sa part construire
une véritable maison dont chacun des cinq
étages symboliserait un état de la construction
européenne – depuis la cave, où s’entasseraient
les (mauvais) souvenirs (désastres, conflits)
au grenier, où une œuvre viendrait présenter
l’Europe sous le jour de l’utopie.
Si l’Europe est, comme on le répète à l’envi,
cette « maison commune », les artistes sont
parmi les premiers bâtisseurs. Peuvent-ils en
devenir les « aménageurs » ? L’un des axes du
projet META (Manifeste européen pour la
transformation par l’art), porté par le réseau
européen IN SITU, dessine les contours d’une
« ville en partage ». Loin de se satisfaire de l’aspect décoratif que la « requalification urbaine »
réserve parfois à des commandes artistiques, il
s’agirait de susciter et de mettre en réseau des
initiatives où s’inventent « les formes nouvelles
d’un monde commun, fondées sur l’expérimentation de relations sociales plutôt que sur la création
d’objets d’art ». Assez de ronds-points, fussentils embellis ! Ce n’est pas en se concentrant
exclusivement sur les axes de circulation que
l’on rendra les villes plus hospitalières, ni
même plus agréables à vivre. L’action, la vie
et l’échange sont les trois fondamentaux qui
régissent les interventions du collectif eXYZt,
composé d’architectes, graphistes, vidéastes,
cuisiniers, etc. Pour eux, l’architecture est un
médium, qui doit avant tout rendre possible
les rencontres et l’échange entre les hommes :
« eXYZt défend l’idée que l’acte d’architecture
déborde largement l’espace circonscrit du geste de
design. Ses actions travaillent à la définition d’une
architecture comprise comme outil d’agencement
de compétences et de savoir-faire multiples en vue
d’expérimenter des formes et des méthodes inédites
de construction. Pour, enfin, reconsidérer l’horizon
d’un habiter ensemble. » (3)
Chercher à dépasser un rapport à la ville qui
serait uniquement celui d’une fonction cosmétique ou animatoire : telle est l’une des missions
principales que s’est donné le pOlau, pôle de
recherche sur les arts et la ville. « L’expertise artistique a-t-elle sa place aux côtés des grands corps de
métiers traditionnellement investis dans le champ
de la fabrique de la ville (architectes, ingénieurs,
urbanistes, paysagistes) ? », questionne Maud
Le Floc’h, urbaniste-scénariste et directrice du
pOlau. L’an passé, une journée professionnelle,
« Art et Ville », réunissait ainsi, en région Poitou-Charentes, un certain nombre d’exemples
concrets où de telles collaborations ont été mises
en jeu. Il y fut question d’« écologie urbaine »,
de « recyclage créatif », de « valeur d’usage de
l’art urbain », de « perturbations positives »,
qui pourraient être mis au service d’un certain
« génie des lieux » (4).
A plus grande échelle, le Festival international
de théâtre de Copenhague a lancé en 2007 un
BERLIN, Iqaluit, Small is beautiful, octobre 2010, Marseille – Lieux publics © Vincent Lucas
programme décennal, intitulé Metropolis, qui
s’attache à promouvoir et à relier, dans toute
l’Europe, des initiatives où la notion d’« œuvre
d’art » (artworks) serait remplacée par celle
d’« art qui travaille » (art that works) (5). Ce
nouveau paradigme vise clairement à mettre
l’artiste au cœur d’un changement de pratique
urbaine, avec une philosophie où d’anciennes
utopies portées par une certaine contre-culture (en particulier les mouvements issus du
situationnisme) accoucheraient aujourd’hui
d’un pragmatisme assumé. Les temps sont sans
doute mûrs pour cela, alors même que partout
en Europe, bon nombre d’élus et d’urbanistes
cessent de considérer la ville au filtre de ses
seules fonctionnalités (souvent séparées les
unes des autres), et davantage en termes de
« reliance », avec une approche de l’organicité
et la complexité de l’écosystème urbain, d’où
ne serait pas exclue la dimension artistique et
culturelle.
Depuis que le Canadien Richard Florida en a
formulé le concept, la notion de « ville créative »
s’est imposée comme un leitmotiv des politiques urbaines. Mais derrière la dénomination,
séduisante, une réalité à double tranchant s’est
vite fait jour. Car si l’idée de créativité véhicule,
aux yeux de tous, une charge positive, celle des
« territoires » devient souvent le fer de lance
d’une logique de marketing, à l’heure où la
compétition économique se substitue partout
à l’exigence républicaine des solidarités. Cette
concurrence entre villes européennes se vérifie
notamment au moment de décrocher le titre
de Capitale européenne de la culture, qui peut
conduire celles-ci à s’ériger davantage en vitrines qu’en laboratoires. Reste que ce concept
de « ville créative », écrit Jean-Pierre Saez, « a
incontestablement des vertus mobilisatrices, en
tant que point d’appui pour réinventer la pensée de
l’action urbaine » (6). Ces dernières années, les
artistes qui interviennent dans l’espace public
ont suffisamment nourri d’expériences et affûté
leurs « compétences » pour pouvoir apporter leur
grain de sel, sans être dupes de tous les intérêts
parfois souterrains qui profilent l’aménagement
urbain. Quitte, donc, à être le poil à gratter des
politiques qui les sollicitent enfin.
1. A lire, sur le collectif BERLIN : « Le théâtre,
écran du réel », Gwenola David et Jean-Louis
Perrier, in Mouvement n° 51 (avril-juin 2009).
2. Laurent Petit : cf « Les villes sur le divan »,
Julie Bordenave, in Mouvement n° 58
(janvier-mars 2011).
3. A lire, sur le collectif eXYZt, « Architectures
de l’intérieur », Sébastien Thiery,
in Mouvement n° 54 (janvier-mars 2010).
4. Le pOlau : www.polau.org
5. www.kit.dk/2010/metropolis.htm
6. Jean-Pierre Saez, in L’Observatoire n° 36,
revue des politiques culturelles.
www.observatoire-culture.net
12
BERLIN, Moscow, Small is beautiful, octobre 2010, Marseille – Lieux publics © Vincent Lucas
AWAY WITH ROUNDABOUTS!
Jean-Marc Adolphe
Hasn’t urban development been reduced to a question of traffic management and
gyratory crossroads? From north to south, west to east, European cities have managed,
over the centuries, to develop a certain urban culture into which new threads must now
be woven. Without considering the concept of the “creative city” as a panacea, artists
are no longer hesitating to set aside the established principle of “entertainers”, in order
to pursue projects that interact with the emerging imagination of a “shared city”.
W
ho today remembers Eugène
Hénard? If the hall of fame forgot
him along the way, he nevertheless
remains one of those thanks to whom the contemporary city has become what it is… In 1906
this French architect in fact invented the first
“gyratory crossroads”, which more commonly
goes by the name of “roundabout”. There are
over 18,000 in France today. Each one costs
between 150,000 and 800,000 Euros. But if it’s
a case of promoting the safety of drivers, why
skimp and save? Whatever the case, traffic flow
seems to have become the Alpha and Omega
of urban development politics (“the city must
adapt to the automobile”, French president
Georges Pompidou used to say)… In its own
right, a roundabout is ugly. Some remain so,
strictly limited to their function of central
reservation: keep moving, there’s nothing to
see. But sometimes, more and more frequently,
town councils attempt to embellish them, and
rival each other with unbridled creativity: floral
compositions, shipwrecked boats, brightlycolored sleighs or even contemporary sculptures
provide a confusing illustration of new urban
folklore. When will the postcards follow?
It was high time that arts within the public
arena seize this “natural” context around
which an innocent “audience” endlessly
turns. “Roundabouts are 360° urban theatres”,
proclaims Matthieu Bouchain, director of
‘T.Public, association d'idées’ who has decided
to make this the context of ‘P@té de Maisons’,
and who is aiming to convert these famous
roundabouts into a series of ‘poetic islands’ by
creating thereupon “insular role-plays and unexpected images”. Whilst still seeking harmony
with the environment, Matthieu Bouchain
wants to see the emerging utopia of “our right
to the city”, the roundabout being then perceived as “the transit zone of a world gone mad
in which our civilizations lose their memories,
13
their cultures, their identities…”
Architecture and urban operations shape cities and modify their use. And the urban space
is a permanent building site. Both qualified
architects, Alexandre Cubizolles and Sabine
Thuillier (her graduation project was already
entitled “Building in progress – public welcome”), have founded the association PIXEL
13 in Marseilles. Their latest production underway, Work’n Progress, is based around the very
concept of the building site. By inviting both
artists and technical construction teams to work
together, they have an involvement in the very
development of the building project, without
disturbing it, but rather adding an aesthetical
dimension. Applied to the city under construction, this work of urban scenography extends
from the “choreography of heavy plant machinery” to multimedia productions of which the
very source material at the work-site will be its
building blocks.
“Does artistic expertise have its place alongside the
mainline professions traditionally involved in the fabric of
city life (architects, engineers, urban planners, landscape
designers)?” (Maud Le Floc’h, director of the pOlau)
ANPU, Agence nationale de psychanalyse urbaine © Charles Altorfer
14
The public arena is not only what it is (whether
classed as “urban”, “suburban” or “rural”),
but what one makes of it. It is the city as the
ephemeral theatre of a kind of artistic ritual,
as for instance in the cycle “Sirènes et midis
net” by Lieux Publics in Marseilles, every first
Wednesday of the month, at the time when the
civic protection sirens are sounded. The city as
a concourse, promoted as such by the Czech
Company Divaldo Archa during a new festival,
‘Akcent’, which is seeking to remove the barriers
between artistic creation and problems that are
social, economic or political, by infiltrating unusual locations. The city as a source of samples,
edited and directed in order to fulfill a “revelatory” role. Under the generic title of Holocene,
the Antwerp collective BERLIN produces city
portraits: there are four so far (Jerusalem, Iqaluit
– in Inuit territory –, Bonanza – a hamlet of
seven inhabitants in the United States – and
Moscow). In each explored location, after a few
months of being immersed in the environment,
there emerges a “secret land registry”, established
by the memories of its inhabitants: “They are our
characters”, explains Bat Baele, Yves Degryse
and Caroline Rochlitz: “reality provides us with
a lot more surprises than what we might have
invented”. Each time a theatrical set, composed
of screens, portrays the information collected
and the wide variety of viewpoints expressed:
“there are several truths” (1).
Since the city is a physical entity, living and moving, and that this is the context for social experience, urban legends and buried traumatisms,
there is no reason to refrain from exploring it using psychoanalytical tools. Since 2003, Laurent
Petit has invited a certain number of cities onto
the couch via his National Agency for Urban
Psychoanalysis (ANPU in French), and claims
to promote “an investigative method consisting
essentially in the revealing of the subconscious
thoughts at the origin of urban development”. In
contrast to the architect, obsessed by the physicality of materials and budget constraints, the
urban psychoanalyst favors a “fundamentally
inaccurate science” and scarcely sees himself as
more than a “seller of invisible cloth”. But, adds
Laurent Petit, “shouldn’t the whole world swing
towards hyper-poetry from time to time?”(2).
With his Eutopia project, Belgian visual artist
and architect Filip Berte has the personal goal of
building a genuine house in which each of the
five floors would symbolize a stage in European
construction, from the basement, where (bad)
memories (disasters, conflicts) would be heaped
together, to the attic, in which an artwork would
present Europe in a Utopian light. If Europe
is, as very often stated, this “shared home”, then
artists are certainly its first builders. Can they
become its “planners”? One of the aims of the
META project (European manifesto for transformation via Art), promoted by the European
network IN SITU, is to define the contours of
a “shared city”. Far from being satisfied by the
decorative aspect that “urban requalification”
sometimes expects from the artistic orders it
places, this would aim to spark network initiatives in which “the new forms of a shared world,
based on the experimentation with social relationships rather than the creation of art objects” would
be invented. Away with roundabouts, even the
most beautified! It is not by concentrating exclusively on traffic flow that cities will become more
hospitable, or even better places to live. Action,
life and exchange are the three fundamental
avenues explored in the work of the collective
eXYZt, comprising architects, graphic designers, video directors and cooks etc. For them,
architecture is a medium which must first and
foremost make possible meetings and exchanges
between people: “eXYZt defends the idea that
the architectural act goes way beyond the defined
space of the design gesture. Its actions are working
towards the definition of architecture understood
as a tool for the organization of various skills and
savoir-faire that can experiment with original
construction forms and methods. In order, ultimately, to reconsider the horizon of shared life.” (3)
Seeking to go beyond an approach to the city
which would be uniquely that of a cosmetic or
enlivening function: this is one of the primary
objectives adopted by pOlau, a research centre
exploring arts in the city. “Does artistic expertise
have its place alongside the mainline professions
traditionally involved in the fabric of city life
(architects, engineers, urban planners, landscape
designers)?” asks Maud Le Floc’h, urban planner/scriptwriter and director of pOlau. Last year
a one-day event for professionals, “Art and City”
assembled, in France’s Poitou-Charentes region,
a certain number of specific examples where
such collaborations have been undertaken.
Issues were tackled such as “urban ecology”,
“creative recycling”, “the common value of
urban art”, and “positive disturbances” which
could be used in a kind of “city engineering” (4).
On a wider scale, in 2007 The International
Festival of Theatre at Copenhagen launched
a ten-year program entitled Metropolis which
committed to promoting and networking, across
the whole of Europe, initiatives in which the
notion of ‘artworks’ would be replaced by ‘art
that works’ (5). This new paradigm is clearly
aiming to place the artist at the heart of a change
in urban practice, with a philosophy in which
15
former utopias supported by a type of counterculture (in particular movements derived from
situationism) would lead today to an assumed
pragmatism. No doubt the time is ripe, since
throughout Europe a large percentage of elected
representatives and urban planners are no longer
viewing the city merely through the filter of its
functionalities, (often quite separate one from
the other), and more in terms of “connectivity”
with an approach to the organic structure and
the complexity of the urban ecosystem within
which the artistic and cultural dimensions
would not be excluded.
From the moment that Canadian Richard
Florida formulated the concept, the notion of
“creative city” has become the leitmotif of urban politics. But behind this appealing label, a
double-edged reality has emerged. For if the idea
of creativity conveys, as is commonly agreed, a
positive message, that of “territories” often becomes the launch pad for marketing strategies at
a time when economic competition is replacing
everywhere the republican demand for acts of
solidarity. This competition amongst European
cities is most notable at the time when the title of
European Capital of Culture is awarded, leading some cities to build shop windows rather
than laboratories. Nevertheless, this concept
of “creative city”, writes Jean-Pierre Saez, “has
undoubtedly provided a mobilizing impetus, as a
springboard for reinventing the approach to urban
action” (6).
Over recent years, artists who intervene in the
public arena have gained sufficient experience
and honed their skills to be able to bring their
grist to the mill, without being naive about
all the vested interests, sometimes behind the
scenes, that are involved in urban development.
Artists that are ready, therefore, to be the itching powder of the politicians who finally call for
their services.
1. About the BERLIN Collective: « Le théâtre,
écran du réel », Gwenola David and Jean-Louis
Perrier, Mouvement n° 51, April-June 2009.
2. Laurent Petit : cf « Les villes sur le divan »,
Julie Bordenave, Mouvement n° 58, JanuaryMarch 2011
3. About the eXYZt Collective, « Architectures
de l’intérieur », Sébastien Thiery, Mouvement n°
54, January-March 2010.
4. Le pOlau : www.polau.org
5. www.kit.dk/2010/metropolis.htm
6. Jean-Pierre Saez, in L’Observatoire n° 36,
review of cultural politics.
www.observatoire-culture.net
Entre prélèvements de fragments visuels et autre
cueillette de signes urbains, les CRU (chemins de
randonnée urbains) proposent de décrypter la
sémiologie de la ville : identifier les stratégies de
domination insidieuses à l’œuvre dans l’espace
public, et leur impact sur l’inconscient collectif.
Les Apprentis de la FAIAR, L'équipée sauvage de six reines et dix minettes, Sirènes et midi net, avril 2011, Marseille – Lieux publics © Vincent Lucas
16
DANS LA RUMEUR DE L’ESPACE PUBLIC,
ET PARFOIS DANS SES TURBULENCES
Julie Bordenave
L’homme au centre, telle est la préoccupation de toutes les propositions
artistiques qui s’affirment dans un cadre urbain ou paysager. Mais
comme le rappelle le sociologue tunisien Rida Boukraa : « Il n’existe pas
d’espace public absolu, seulement des espaces déterminés culturellement ». Avant de chercher à investir – voire à réinterpréter – cet « espace
public », peut-être s’agit-il simplement de l’écouter. Eprouvé au sein du
corps social, l’art se fait révélateur des usages et des empêchements
qui constituent nos environnements.
D
’une simplicité confondante, le
dispositif imaginé par le collectif
réunionnais Art Marron est pourtant
diablement malin : c’est en pleine rue que
Guillaume Lebourg et Xavier Daniel posent
leur Dernier salon où l’on cause – une pièce plastique bleue, biscornue, d’une beauté minérale
et énigmatique, comme une joyeuse invitation
à croiser les sphères intimes et privées. « La pièce
n’est complète que lorsque des gens sont présents
dans le salon et échangent », explique Guillaume
Lebourg. Appropriation timide ou spontanée,
mixité sociale… Le salon permet de prendre le
pouls de l’espace public, de rendre compte de
ses enjeux – usages et limites, tabous et envies.
En mai dernier au festival Leu Tempo (ile de
La Réunion), Créoles et Zoreils côtoyaient ainsi
représentants de l’agriculture biodynamique,
psychiatre, philosophe ou expert en langue et
culture créoles... Autant d’invités conviés par les
plasticiens pour donner corps à des utopies, impulser des rencontres, voire initier des réseaux
sur des problématiques concrètes – telles que
l’autonomie énergétique ou alimentaire dans
un contexte insulaire : « En invitant ces gens,
nous voulons nous réapproprier un espace public
qui a largement dérivé vers le virtuel », explique
Xavier Daniel.
Sur l’île de Terschelling, aux Pays-Bas, il s’agit
de tendre l’oreille à la rumeur du paysage : dix
jours en juin, l’Oerol Festival offre un cadre
idyllique à la quarantaine de projets accueillis
dans un contexte inédit. Art paysager, spectacles vivants et installations s’y côtoient, entre
dunes et forêts, plages et champs, amenant les
artistes à penser leur créations pour un endroit
à l’abri de la rumeur de la ville : « L’île compte
4 000 habitants, mais accueille jusqu’à 50 000
festivaliers durant Oerol. L’isolement insulaire
crée une complicité très forte entre le public et les
artistes : il ne s’agit pas de rentrer chez soi après
17
le spectacle, chacun reste dans cet univers durant
toute la durée du festival. Le monde imaginaire et
le monde réel y sont très proches », explique Kees
Lesuis, directeur artistique du festival. Certains trouvent à Terschelling l’essence de leur
inspiration, tel Tricyclique Dol, qui y ébaucha
les prémisses de sa nouvelle création : Contre
Nature, un parcours à la découverte de fantasques anomalies paysagères. Passé par les ateliers
Oreol en 2010 – worskhops in situ ouverts à de
jeunes artistes – Karl van Welden présente cette
année sa création Saturn : des performances à
observer par une longue vue, dans une réserve
d’oiseaux sise sur une dune haute de 40 mètres.
Pour Kees Lesuis, il est important de « développer
ces nouvelles esthétiques dans l’espace public, qu’il
soit urbain ou rural. » Pensés dans cette singulière bulle de réflexion artistique, les spectacles
créés à Oerol adaptent ensuite leur forme pour
se réinjecter dans la clameur de la ville.
En région parisienne, au sein du collectif Ne
Pas Plier d’Ivry-sur-Seine, le graphiste Gérard
Paris Clavel s’attelle quant à lui à affûter le
regard sur l’environnement urbain. Au sein
du groupe s’imaginent des CRU – chemins de
randonnée urbains – pour apprendre à lire la
ville : « Le principe du CRU repose sur la déambulation, les rencontres, les hasards, la recherche
de liens et de lieux d’échange réels et potentiels.
Le CRU est avant tout source de convivialité et
de plaisir. » Rendez-vous est donné pour une
déambulation aiguisée, entre prélèvements de
fragments visuels et autre cueillette de signes
urbains, afin d’en décrypter la sémiologie : identifier les stratégies de domination insidieuses à
l’œuvre dans l’espace public, et leur impact sur
l’inconscient collectif, en écho aux réflexions de
Roland Barthes : « L’usager de la ville est une sorte
de lecteur qui, selon ses obligations et ses déplacements, prélève des fragments pour les actualiser en
secret. » (1)
Ecouter l’espace public, tendre l’oreille à sa
rumeur, c’est aussi la démarche du collectif
Random : se frotter à l’infra ordinaire de la
cité pour en récolter des fragments épars, et les
restituer, tel un kaléidoscope sensible tendu au
public. Testé de Toulouse à Marseille et de Paris
à Marrakech, le Laboratoire Itinérant du Réel effectue des collectages sonores et plastiques qui
permettent d’identifier les enjeux propres à un
territoire. La restitution finale prend la forme
d’une déambulation, entre visible et invisible,
qui s’inspire des dérives situationnistes. Un
protocole simple – actions lancées dans la rue
par des comédiens vêtus de sweats à capuche
– esquisse des frontières volontairement floues,
gommant le fossé entre artistes et spectateurs,
pour créer une modalité de jeu de l’ordre de la
rumeur : « nous amenons les gens à agir avec nous
en partant sur des choses simples - marcher, s’arrêter,
grimper, chuter -, pour mettre peu à peu en lumière
des actions plus narratives. Les règles s’accumulent,
le public peut partir ou nous rejoindre à n’importe
quel moment », explique Zineb, membre du collectif. Mouvant, le processus de création s’adapte
au gré des territoires : travail sur le corps sexué et
le corps collectif au Maroc, expériences sur l’insécurité – « créer une ambiance par des phénomènes physiques : dix personnes qui se mettent à courir
dans une ruelle, c’est très parlant » –, organisation
de pique-niques sur des carrefours, ou lâcher de
feuilles mortes dans des rues piétonnes… « Par
l’aléatoire, nous cherchons à créer une brèche dans
la réalité. » De son intervention menée en mai
dernier dans le quartier parisien de Belleville,
lors du festival Préavis de Désordre Urbain
porté par le collectif marseillais Ornicart, le
Laboratoire a récolté ces bribes : « Entre rafle de
Tunisiens, bombe lacrymogène en plein après-midi
et étal de biffins, nous avons, de la bouche de la
rue, collecté : que les artistes, ça ne servait à rien…
qu’il fallait avoir un toit sur la tête pour aimer la
pluie… combien de kilos de viande tu manges en
un mois ?… la rue m’a pris plus que ce qu’elle ne
m’a appris… »
De l’Europe au monde arabe, la période
est tourmentée, les identités se fissurent, les
questions bouillonnent, jetées en pâture,
souvent sans réponse. En porosité avec son
environnement, l’artiste se laisse traverser par
les contextes sociaux chahutés qu’il traverse,
à l’image de la compagnie italienne Motus :
créé en plein contexte insurrectionnel à Athènes en 2008, le troisième volet d’un triptyque
initialement prévu sur Antigone se transforme
en une cruciale mise en abyme sur le rôle – et
les limites, peut-être – de l’artiste en temps de
révolte sociale (Alexis, une tragédie grecque).
Composante d’un corps social qui se remodèle,
l’artiste choisit différentes voies pour décaler les
points de vue. Les installations de Judith Nab
tentent ainsi de donner une identité à cette entité
mouvante, anonyme, parfois fantasmée, qu’est
le corps social. Sur les traces de Luigi Pirandello,
All the people I didn’t meet, « installation non-stop
sur la communication indirecte et des rencontres
imaginaires », tente d’illustrer que « chacun a sa
place bien précise dans l’imagination de l’autre. »
Entre onirisme et réalité reconstituée, le spectateur est invité à un parcours multimédia dans les
entrailles d’un hangar plongé dans le brouillard,
pour aller à la rencontre de l’autre, entre mirages
et renonciations. C’est aussi à l’incarnation de
ce corps social que s’attelle KompleX KapharnaüM avec Figures Libres : projet au long cours,
évolutif jusqu’en 2012, cette nouvelle création
part de « l’envie d’éprouver la foule, le rassemblement. » Portée par un dispositif multimédia,
Victor B., Trop de Guy Béart tue Guy Béart, Small is beautiful, octobre 2010, Marseille – Lieux publics © Vincent Lucas
cette marche collective dans la ville s’attache à
éprouver les rapports entre individu et groupe :
« Le dénominateur commun de ce face à face est le
corps : celui de la foule, filmé en direct et retransmis en léger différé, celui d’individus rencontrés
et captés en amont. »
De la déambulation sur les pas d’un cheval (Père
Courage, Le Phun) à l’intimité d’un parcours
sonore sous parapluie partagé (Un pépin pour 2,
traversée sensible et poétique d’un quartier
proposée par la compagnie Espaces sonores),
en passant par un festival imaginé comme une
chorégraphie de citoyens (Dream City, festival
d’art in situ à Tunis) : le vecteur commun est
bien le corps du spectateur / citoyen, qui peut
devenir actant à son tour. En sus de ses CRU,
Ne Pas Plier se soucie d’une pratique politique
du graphisme : « Pour qu’aux signes de la misère
ne s’ajoute pas la misère des signes », le collectif
propose « des moyens politiques et esthétiques
(mots, images, paroles) pour participer aux luttes
avec des formes heureuses. » Les fameux autocollants « Je lutte des classes » ou « Rêve générale »,
qui ont fleuri sur le bitume des manifestations
depuis le début des années 2000, sont son œuvre. A la notion de « colportage », Gérard Paris
Clavel ajoute celle de « corps porteurs » ; pour
ces œuvres graphiques, pas de signature, ni de
mise sur le marché : « Chacun devient l’auteur
de ce qu’il porte. »
Révélateur des usages de l’espace public, l’art
in situ l’est aussi de ses empêchements, et peut
s’atteler à transgresser les frontières, réelles ou
symboliques. Après s’être attaqué à la société
de consommation et son corollaire, la société
du spectacle et l’avidité insatiable du spectateur
(Rubish Rabbit, Christmas forever), les transgressifs Italiens de Tony Clifton Circus récidivent
avec Mission Roosevelt (3), qui propose au spectateur un parcours en fauteuil roulant. La provocation n’est pas gratuite : « Il s’agit avant tout
de changer le regard sur cet objet souvent connoté
négativement, pour tenter de modifier le rapport au
handicap. » D’autres s’attachent à donner corps
au doux oxymore de « parcours statiques » : après
avoir posé sa cabine de photomaton (Cabine Airline), destinée à fixer un instant de vie, de festival
en maisons de retraite, et de CHU en parloirs de
prisons, la compagnie Nejma mitonne un voyage
sensoriel en entresort (La Baraque Foraine 6.1,
création à l’automne 2011). Entre fantasme et
réalité, il s’agit finalement toujours d’éprouver,
au sens où l’entend Jacques Rancière (2), « l'art
comme transformation de la pensée en expérience
sensible de la communauté ».
(1) – Roland Barthes, La Poétique de l’espace,
PUF, 1992
(2) – Jacques Rancière, Le Partage du sensible,
La Fabrique, 2000.
(3) – Mission Roosevelt sera présenté en octobre
2011 à Aubagne pendant Small is beautiful.
18
IN THE WHISPER OF
THE PUBLIC ARENA,
AND SOMETIMES
IN ITS TURBULENCE
Julie Bordenave
Man at centre stage, such is the preoccupation of every artistic
proposition that is established in an urban or scenic context. But as
Tunisian sociologist Rida Boukraa reminds us: “there is no such thing as
absolute public space, only spaces that are culturally defined”. Before
attempting to investigate – indeed to reinterpret – this “public space”,
perhaps it’s a case of simply listening to it. Experienced at the heart
of our social being, art becomes the revealer of our customs and the
hindrances that constitute our environment.
A
lthough disarmingly simple, the production conceived by the Reunion Island
Collective ‘Art Marron’ is, however,
ingeniously cunning: it’s in the middle of the
street that Guillaume Lebourg and Xavier
Daniel install their Dernier salon où l’on cause
(‘Last Lounge for a chat’) – a peculiar, blue
plastic room of mineral and enigmatic beauty,
as a joyous invitation to cross intimate and
private spheres. “The room is only complete once
people are present in the lounge and chat together”,
explains Guillaume Lebourg. Timid or spontaneous ownership, social mix…The lounge takes
the pulse of the public arena, highlights its challenges – customs and limits, taboos and desires.
Last May, at the ‘Leu Tempo’ Festival (On Reunion Island), Creoles and local Zoreilles rubbed
shoulders with representatives of biodynamic
agriculture, psychiatry, philosophy or experts in
Creole language and culture…Guests invited by
Tony Clifton Circus, Mission Roosevelt, essai mai 2011, Marseille - Lieux publics © Fanny Broyelle
the visual artists to give expression to utopias,
encourage encounters, even initiate networking
around specific problems – such as food or energy autonomy in an island context: “By inviting
these people, we want to take back ownership of a
public arena that has swung significantly towards
the virtual”, explains Xavier Daniel.
At the heart of the collective ‘Ne Pas Plier’ from
Ivry-sur-Seine (Paris), graphic artist Gérard
Paris Clavel aims, for his part, to sharpen our
perspective of the urban environment. The
group has created CRUs – urban pedestrian
trails – to learn to interpret the city: “The principle of the CRU is based on walking, meeting,
chance encounters, the search for connections and
for real and potentials places of exchange. The
CRU is first and foremost a source of social interaction and enjoyment.” A rendezvous is arranged
for a sharp stroll, containing samples of visual
fragments and other collection of urban signs,
in order to decipher its semiology: identify the
insidious strategies of domination at work in
Judith Nab, All the people I didn't meet © Mark Berghoef
19
Samples of visual fragments and other collection
of urban signs: the CRUs (urban pedestrian trails)
propose to decipher the semiology of the city.
the public arena and their impact on the collective subconscious, which recalls the thoughts
of Roland Barthes: “The city dweller is a kind of
interpreter who, according to his obligations and
movements, samples fragments in order to update
them in secret.” (1)
To listen to the public arena and tune in to its
sound, that is also the aim of the ‘Random’
Collective: to rub shoulders with the ordinary
infrastructure of the city in order to gather scattered fragments and piece them together, like a
sensitive kaleidoscope presented to the public.
Tested from Toulouse to Marseilles and from
Paris to Marrakesh, the Laboratoire Itinérant du
Réel collects auditory and visual information
which enables the identification of challenges
specific to an area. The final presentation takes
the form of a stroll, between the visible and invisible, which is inspired by situational anomalies.
A simple protocol – actions initiated in the street
by actors wearing hoodies – sketch frontiers that
are deliberately vague, repairing the breach between artists and audience, in order to create a
game plan for classifying sound: “We encourage
people to act with us by beginning with simple
actions – walking, stopping, climbing, falling – to
gradually introduce more narrative actions. The
rules become more numerous, the public can leave
or join us at any time”, explains Zineb, member
of the collective. Mobile, the creative process
is adapted according to territory: work on the
sexual form and collective physical expression in
Morocco, experiments with insecurity – “to create
an atmosphere by physical phenomena: ten people
who begin to run in a side street, it really sets you
going”, - organization of picnics at crossroads, or
showering dead leaves over pedestrian streets…
“Through random acts we are seeking to make a
breach in reality.” Concerning their appearance
last May in the Parisian area of Belleville, during
the Festival ‘Préavis de Désordre Urbain’ run by
the Marseilles Collective ‘Ornicart’, the Laboratoire received the following comments: “Like
a Tunisian raiding party, a teargas grenade in the
middle of the afternoon or an infantry market stall,
the word on the street was: that artists aren’t of any
use to anyone…that you need a roof over your head
to appreciate rain…how many kilos of meat do you
eat per month?...the street took from me more than
it taught me…”
From Europe to the Arab world, these are troubled times, identities waver, questions abound,
thrown back and forth, often without reply. In
osmosis with his environment, the artist flows
with the currents of the chaotic social contexts
that he is crossing, as exemplified by the Italian
Company ‘Motus’: conceived at the heart of
the 2008 Athens insurrection, the third chapter
of a triptych initially based on Antigone was
transformed into an essential ‘mise en abyme’
concerning the role – and the limits, perhaps
– of the artist in times of social revolt (Alexis,
a Greek tragedy). Consisting of a social entity
which remodels itself, the artists choose different avenues in order to put forward points of
view. Judith Nab’s installations also attempt
to give an identity to this shifting, anonymous
and sometimes ghost-like entity which is the
social conscience. Following in the footsteps of
Luigi Pirandello, ‘All the people I didn’t meet’
is a “non-stop installation about indirect communication and imaginary meetings” that tries
to illustrate that “everyone has a specific place in
other people’s imagination”. Between hallucinosis and reconstructed reality, the spectator is
invited on a multimedia journey in the confines
of a hangar thick with fog in order to encounter
others, between mirages and renunciations.
It is also the incarnation of this social entity
that has inspired ‘KompleX KapharnaüM’ to
produce Figures Libres: a long-term project
that will evolve into 2012, this new production
stems from “the desire to experience the crowd, the
gathering”. Supported by a multimedia mechanism, this collective stroll in the city aims to
experience the connectivity between individual
and group: “The common denominator in this
face to face encounter is the body of people: that
of the crowd, filmed live and rediffused with a
slight time-lag, and that of individuals who were
met and filmed beforehand.” It may be a stroll
tracing the footsteps of a horse (Père Courage,
Le Phun), the intimacy of an audio itinerary
under a shared umbrella (Un pepin pour 2, a
sensitive and poetical itinerary across a neighbourhood proposed by the ‘Espaces Sonores’
Company), a Festival conceived as a citizens’
20
choreography (Dream City, art festival in situ in
Tunis), or intended as a journey through the city
(Artopolis, see opposite): the common element
is clearly the body of the spectator/citizen who
can subsequently become an active participant.
In addition to their CRUs, ‘Ne Pas Plier’ is
concerned about political practice in graphic
art: “So that signs of misery are not compounded
by miserable signs”, the Collective proposes
“political and aesthetical means (words, images,
declarations) to join the combats using fortunate
forms”. The famous bumper-stickers “I struggle
with class” or “Dream strike” which sprung up
in demonstrations in the early 2000s, are their
handiwork. To the notion of men “selling goods”
Gérard Paris Clavel adds that of men “carrying
goods”; for these graphic designs, no signature,
nor shop window: “Each one becomes the author
of what he is carrying.”
Revealing customs in the public arena, art in situ
also reveals hindrances and can be a vehicle for
crossing frontiers, real or symbolic. After having
targeted the consumer society and its corollary
the entertainment society and the insatiable appetite of the spectator (Rubish Rabbit, Christmas
Forever), the Italian transgressors of ‘Tony Clifton
Circus’ reoffend with Mission Roosevelt, which
invites the spectator on a wheelchair itinerary. It
is not just gratuitous provocation: “It is first and
foremost a case of changing our perspective on this
object that often has negative connotations, in an attempt to change our response to handicap.” Others
attempt to breathe life into the gentle oxymoron
of a “static itinerary”: having positioned his automatic photo booth (Cabine Airline), designed
to capture a moment of life, during festivals or
in retirement homes, in hospitals or in prisons
visiting room, the ‘Nejma’ Company propose
an other-worldly sensory voyage (La Baraque
Foraine 6.1, being launched in autumn 2011).
Mixture of fantasy and reality, it is a case in the
end of always feeling, as intended by Jacques
Rancière, “art as a transformation of the mind into
a tangible experience of the community” (2).
(1) – Roland Barthes, La Poétique de l’espace,
PUF, 1992
(2) – Jacques Rancière, Le Partage du sensible,
La Fabrique, 2000
Pierre Sauvageot – Lieux publics & Cie, Champ harmonique,
workshop au festival Oerol, Terschelling © Fanny Broyelle
21
RÉVEILLER LAPascaline
VILLE
Vallée
Lieu de vie, la ville disparaît souvent sous un tissu d’a prioris et d’habitudes. Pour
réactiver l’espace public, certains artistes nous proposent de voir la ville autrement,
que ce soit en insufflant de l’art dans notre quotidien ou en agissant sur nos sens.
I
l y a la ville, et ce qu'on en fait. Territoires
en perpétuel mouvement, nos cités, petites
ou grandes, modernes ou antiques, vivent.
Elles grandissent, respirent, s'étouffent, pourrissent. Leur flux sanguin est celui des Hommes,
fourmis travailleuses ou oisives, constructrices
ou destructrices. La ville, amalgame de personnes, de cultures et d'a prioris, est recouverte
par une cartographie dessinée par l'imaginaire
commun. « Nous semblons destinés à ne jamais
plus écouter le silence du réel », écrit le penseur
Francesco Masci dans son dernier livre, Entertainment!, relevant le fait qu’aucune image
ne peut désormais être neutre, sans référence
historique, sociale ou religieuse.
Face à cette complexité, la création artistique
sort de plus en plus des théâtres clos pour gagner la rue, si ce n'est pour confronter, au moins
pour impliquer ce réel dans son processus ou
proposer au citoyen de créer lui-même l'image
de sa ville. Car celle-ci est à la fois le décor malléable de centaines de milliers d’histoires et le
cadre implacable de la réalité quotidienne. Un
paradoxe symbolisé par les cartes, comme le
relève Philippe Vasset, auteur d’Un livre blanc
(Fayard, 2007), récit de ses explorations urbaines : « Dépliées, les cartes révèlent des paysages
idéaux, aux contours nets, vus, comme dans les
rêves, de haut. Représentations souvent irréconciliables avec ce que ces plans sont censés désigner :
égaré en rase campagne, on regarde dans toutes les
directions, mais rien ne paraît s'accorder avec les
formes claires et les couleurs franches de l'image
étalée sur nos genoux. »
Le but d’Adelin Schweitzer, initiateur d’AReality, est ainsi d’entremêler visions imaginée
et réelle. Né en 2008 à Liverpool, le projet
examine le paradigme de la ville portuaire. Il
propose aux habitants de se déplacer avec un
appareillage technologique sur la tête et le dos,
qui modifie la perception visuelle et sonore de
leur environnement, selon une cartographie
aléatoire que la machine déclenche. Tout en refaisant un trajet quotidien ou en traversant les
lieux banals, le sujet perd ses repères, découvre
une ville, cauchemar ou rêve, qu’il ne connaissait pas. Il se réapproprie un environnement
physique et sensible qui, au fil du temps, lui
avait échappé.
La ville est à la fois le décor malléable de
centaines de milliers d’histoires et le cadre
implacable de la réalité quotidienne
A chacun donc, de dessiner sa ville. Dans le
cadre de Marseille-Provence Capitale européenne de la culture, Lieux publics organisera
en septembre 2013 Métamorphoses, ensemble
d’installations et d’événements dispersés sur le
Vieux-Port, la gare, les cités... Parmi les idées
en réflexion, la compagnie ilotopie imagine
installer une Cité lacustre, ville sur l’eau où se
tiendront spectacles, conférences sur le thème
de l’eau et visites en barques. Benjamin Verdonck agirait quant à lui dans un supermarché,
où tous les produits seraient classés par gamme
de couleurs, déjouant les lois du marketing,
tandis que la Compagnie Off devrait installer
son Désert de piste : sur un boulevard transformé en désert, se tiendront conférences sur
le réchauffement climatique ou le pétrole, mais
aussi courses de chameaux, et thés à la menthe, avant de laisser place le soir au spectacle
de la compagnie, Paraboles. « Nous cherchons à
aller au-delà de l’installation, explique Philippe
Kauffmann, conseiller artistique du projet. Que
la métamorphose soit humaine, sonore…, elle influence les comportements. »
L’artiste est un animal sociable. Si Platon n’en
voulait pas dans sa cité idéale, il s’est depuis
bien intégré, comme le montre aujourd'hui
l’abondance des résidences et installations
in situ, demandées par des villes friandes de
nouveaux regards sur leur architecture et leur
population. Sans tomber dans l'animation, l'artiste a alors la lourde tâche de réveiller la ville,
de recréer du lien social de manière poétique et
créative. C'est ainsi le propos de Marcher commun, projet franco-italien présenté à Marseille
en 2009. Sur les marchés et dans les rues, des
danseurs forment des duos avec passants, fruits
ou vendeurs. Leurs pas sont de véritables pièces
courtes, qui parlent de nos rapports à la nourriture et à la marchandise. Un processus simple,
sans tambours ni tréteaux, mais qui décale la
perception et fait sortir du quotidien.
Autre lieu à la fois ordinaire et complexe, l’escalier fait aussi naître des démarches artistiques.
22
Pour Jany Jérémie, chorégraphe et pilote du
projet L’ai-je bien descendu ? mené par Lieux
publics sur les escaliers de la gare Saint-Charles
à Marseille, c’est un incontournable. « Comme
les fontaines, les places, il y a des escaliers dans
toutes les villes. C’est un lieu de vie mais qui génère de l’immobilité. Ce qui encourage à chercher
de nouvelles manières de créer, de rendre vivant
l’espace public. »
Lieu de passage fréquenté, l’espace public est
aussi le plus chargé d’Histoire. En Europe, le
« vieux continent », la plupart des villes sont
marquées par leur passé de guerres, de gloire
et d'expériences architecturales. Confrontant
passé et présent, l’association praguoise Čty i dny
a ainsi mis en place Places of act. Le festival investit à chaque édition des bâtiments différents,
où des artistes offrent des histoires, mêlant
espace mental et physique. « Chaque bâtiment
apporte ses histoires, les histoires des gens qui y
vivaient ou travaillaient », raconte Denisa
Václavová, productrice de Čty i dny. Mais, loin
de se cantonner à exhumer le passé, Places of
act se tourne vers l’avenir : « Comment vivre
pour que ceux qui viendront après nous soient à
même de profiter de ce que nous leur laissons ? »
Penser aux autres, faire renaître le sentiment
de communauté, c’est aussi ce que proposent
les Allemands de Raumlaboberlin. Fin mars,
au Grand Café, à Saint-Nazaire, ils encourageaient les visiteurs de l’exposition Communauté/Gemeinschaft à construire un banc en bois
confortable et à choisir sur une carte de la ville
son emplacement. Une invitation à reconquérir
un espace public qui laisse de moins en moins
de place à la pause et au dialogue. Echanger,
créer… L’interaction entre artistes et ville fait
renaître un art du quotidien, une autre manière
de voir son environnement. Comme l’écrit
Philippe Vasset, « les lieux vides et flous que j’explorais m’offraient le surplus d’inconnu que me
refusait désormais la fiction, musique d’ambiance
moulinée par la télévision et les magazines, pâte
grise égalisant les surfaces, arrondissant les angles
et bouchant les fissures. »
Adelin Schweitzer, A-Reality, Marseille 2011 © www.deletere.org
23
AWAKENING THE
CITY
Pascaline Vallée
A living entity, the city often disappears under a weight of apriorisms and habits.
In order to revitalize the public arena, certain artists are inviting us to view the city
differently, whether by introducing art into our daily routines or by activating our senses.
T
here is the city, and then what we
make of it. Territories in perpetual
motion, our cities - be they large or
small, modern or ancient - are alive. They
grow, breathe, suffocate, decay. Their blood
flow is that of Men, ants that are hard-working
or idle, constructive or destructive. The city,
this amalgam of people, culture and a priori
is composed of a cartography conceived by the
common imagination. “We seem destined to no
longer ever listen to the silence of reality”, wrote
philosopher Francesco Masci in his latest book
entitled ‘Entertainment!’, which highlights the
fact that henceforth no image can be neutral,
without having a historical, social or religious
reference.
Faced with this complexity, artistic creation is
increasingly leaving behind the closed confines
of theatre in favor of the city streets, if not to
confront, at to involve this reality in its artistic process or to invite citizens to create for
themselves the image of their city. For the city
is both the fluid décor of countless individual
stories and the implacable framework of daily
life. A paradox which is symbolized by maps,
as highlighted by Philippe Vasset, author of
Un livre blanc (Fayard, 2007), an account of
his urban explorations: “Unfolded, maps reveal
ideal landscapes, with defined contours, seen from
above as in a dream. Representations which are
often irreconcilable with that which the maps are
supposed to indicate: lost out in the countryside,
we look in every direction but nothing seems
to match the clear outlines and the sharp colors
spread across our knees.”
The aim of Adelin Schweitzer, the initiator of
A-Reality, is therefore to merge imagined and
real perceptions. Birthed in Liverpool in 2008,
the project explores the paradigm of this sea
port. He invites inhabitants to don technological apparatus on their head and their back,
which modifies their visual and auditory perception of their environment, based on random
cartography generated by the machine. When
remaking a daily journey or walking through
everyday places, the volunteer loses his bearings
and discovers a city, nightmare or dream, that
he didn’t know. He rediscovers for himself a
physical and tangible environment that, over
time, had escaped him.
For the city is both the fluid décor of
countless individual stories and the
implacable framework of daily life.
Each one then should add their flavor to the city.
In the context of Marseilles, European Capital
of Culture, Lieux publics will be organizing, in
2013, Métamorphoses, a collection of installations and events scattered throughout the Old
Port, the station, the suburbs…The ‘ilotopie’
company planning to install a Cité lacustre, a
lakeside village where productions and conferences will be held on the themes of water and
boat trips. Benjamin Verdonck, on the other
hand, should be involved in a supermarket in
which all items would be displayed by a colorcoding system, defying the laws of marketing,
whereas the ‘Compagnie Off ’ would be setting
up their Désert de piste: on a boulevard transformed to resemble a desert, conferences would
be held on global warming or oil production,
but there would also be camel races and mint
teas, before giving centre stage in the evening to
Paraboles. “We are seeking to go beyond a simple
installation”, explains Philippe Kauffmann, the
project’s artistic advisor. “Whether the metamorphosis is human or auditory… it influences
behaviors.”
The artist is a social animal. Even though Plato
didn’t want any in his ideal city, they have been
well integrated ever since, as demonstrated
today by the plethora of residential workshops
and in situ installations, requested by cities
keen to welcome new perspectives on their
architecture and inhabitants. Needing to do
more than merely entertain, the artist thereby
has the major challenge of awakening the city,
of recreating the social fabric in a creative, poetical way. This is the aim of Marcher commun,
a franco-italian project presented in Marseilles
in 2009. In marketplaces and along streets,
dancers perform duets with passers-by, fruit or
stallholders. Their dance-steps are in fact short
performances, which highlight our rapport
with food and merchandise. A simple process,
without drums or stage, but which alters perceptions and breaks with daily routine.
Another item that is both ordinary and complex, the staircase has also given rise to artistic
expression. For Jany Jérémie, choreographer in
24
charge of the L’ai-je bien descendu? (Did I come
down well?) project, organized by Lieux publics
on the staircases of Marseilles’ Saint-Charles
station, it is an essential setting. “As there are
fountains and squares, there are staircases in every
city. They are full of life, but generate immobility.
That encourages us to seek new creative uses, to
breathe life into this public setting.”
Often full of passers-by, the public arena is
also full of History. In Europe, the “Old
Continent”, the majority of cities are affected by their past history of wars, glory and
architectural experiences. Confronting past
and present, the Prague association Čty i
dny has launched the ‘Places of Act’ event.
Each time the festival is held in a different
building in which artists propose different
histories, merging mental and physical space.
“Each building has its own history, the stories of
people who lived or worked there.”, says Denisa
Václavová, director of Čty i dny. But far from
limiting itself to retracing the past, Places of
Act is focused on the future: “How can we live
so that those who come after us may benefit from
what we leave them?”
Thinking of others, rekindling a sense of
community, is also the aim of a German
group called Raumlaboberlin. At the end of
March at the Grand Café in Saint-Nazaire,
they encourage visitors to the Communauté/
Gemeinschaft exhibition to build a comfortable
wooden bench and to choose a location for it
on a town map. It is an invitation to reconquer a public arena which has been making
less and less room for rest and dialogue. To
exchange, create… the interaction between
artists and city is seeing the renaissance of
daily art, an alternative way of seeing one’s
environment. As Philippe Vasset writes, “the
empty, undefined spaces that I was exploring
were providing me with the unknown surplus
that was no longer offered by fiction, ambient
music churned out by television and magazines,
this grey paste producing uniform surfaces,
smoothing angles and covering cracks.”
L’ai-je bien descendu ?, performances pour escaliers, avec Alex Rigg, Small is beautiful, octobre 2010, Marseille – Lieux publics © Vincent Lucas
Raumlaboberlin, Communauté/Gemeinschaft, 2011 © Grand Café à Saint-Nazaire
25
LES ARTISTES ET LA FIGURE
DE L'ÉTRANGER EN EUROPE :
CRÉATIONS EN RÉSISTANCE
Jean-Sébastien Steil
Révolutions arabes d’un côté, repli xénophobe des pays d’Europe de l’autre et,
des unes aux autres, des migrants portés par un espoir formidable.
Sur les scènes européennes, des artistes tentent de traduire et de donner
à éprouver l’expérience ambivalente que sont les migrations et l’exil.
A
vant que n’éclate le « printemps arabe »,
les régimes dictatoriaux de Khadafi
et de Ben Ali étaient les partenaires
des Européens, retenant sur leur territoire les
candidats à la traversée de la Méditerranée.
Leurs pays constituaient l’exosquelette, la carapace extérieure d’une Europe molle et pétrie
d’ambivalences. La révolution tunisienne, la
révolte puis la guerre en Libye ont conduit à
l'augmentation du nombre d’accostages de migrants sur les rivages européens, suscitant, en
France et en Italie, une vague de cynisme et de
surenchère populiste au sommet des Etats.
Dans ce contexte de stigmatisation des populations exogènes, prétendument inassimilables, quelle est la contribution des artistes ?
Quel regard portent-ils sur l’altérité ? Quelles
réponses offrent-ils aux crispations des sociétés
européennes face à la figure de l'étranger ?
Relire aujourd’hui le testament intellectuel de
Stefan Zweig Le Monde d’hier. Souvenirs d’un
Européen, éclaire d’une lumière inquiétante
notre vision du monde d’aujourd’hui. Dans
ce manifeste pour une fédération pacifique de
l’Europe, les artistes apparaissent comme les
vecteurs les plus sûrs mais aussi les plus fragiles
de la circulation des idées universalistes. Dans
cette chronique documentaire de l’Europe
entre 1895 et 1941, écrite depuis son exil au
Brésil avant de se suicider avec sa femme en
1942, Zweig décrit les bouleversements de la
Première Guerre mondiale, la crise de 1929, la
guerre d’Espagne, l’arrivée au pouvoir d’Hitler
et l’épouvante de l’antisémitisme d’Etat. Pourchassé, exilé, censuré, il voit ses livres brûlés et
son nom cité comme celui d’un criminel dans
l’Allemagne nazie. Plaidoyer pour l’Europe,
ce livre décrit aussi le formidable mouvement
intellectuel et artistique dont Zweig fut acteur
et témoin.
Le sort des intellectuels et des artistes européens
confrontés à la violence politique est au centre
du projet artistique coécrit par les compagnies
Divadlo na peróne (Košice, Slovaquie) et Là
Hors De (France), intitulé Step by step. L’exil, la
migration forcée, la fragmentation des parcours
biographiques et l’arrachement à la terre natale
traversent cette démarche de reconstitution pas
à pas d’une figure d’artiste en résistance, répondant à l’oppression par l'obstination à penser,
écrire, peindre, créer. Ce projet a démarré en
2008 avec l’évocation du parcours de Sándor
Márai. Ecrivain, journaliste, dramaturge, poète
et traducteur hongrois né en 1900 à Kassa alors
intégrée à l'Empire austro-hongrois (actuelle
ville slovaque de Košice), Márai traversa tous
les soubresauts du XXe siècle. Il fut poussé à fuir
Budapest par la terreur totalitaire du pouvoir
soviétique. Ses livres furent interdits et systématiquement détruits. Il se suicida aux Etats-Unis
en 1989. D’autres portraits d’artistes en proie à
la violence de leur temps seront élaborés par ce
projet dans d’autres villes européennes, jusqu’à
la présentation de la version complète d’un
spectacle à Košice et à Marseille, toutes deux
capitales européennes de la culture en 2013.(1)
Dans le contexte politique actuel, d'autres démarches artistiques nous donnent à partager et
comprendre l’expérience de la migration.
26
Exprimer un refus, résister à son époque et
conquérir sa dignité par l’exil ou la fuite est le
thème du spectacle Autoroute du soleil mis en
scène par le chorégraphe Ali Salmi (Osmosis
Cie), inspiré par la bande dessinée de Baru.
Deux jeunes Lorrains natifs d’une cité ouvrière
déclassée s’engagent dans un road movie héliotrope vers un éden, le littoral méditerranéen.
Récit d’initiation, l’expérience prend son sens
au fil des aventures vécues pendant le trajet.
Le sentiment de relégation sociale y est pointé
comme le germe de la volonté initiale de départ.
Selon Ali Salmi, « la question de l'altérité joue
plus sur le regard que sur la distance géographique
qui nous sépare. Les jeunes de banlieue par exemple se sentent étrangers dès qu’ils changent de
quartier. Cette réalité crée des états de révolte compréhensibles. »
Deux autres pièces montées par Ali Salmi
abordent la question du voyage sous l’angle
plus sombre de la migration clandestine. Elles
expriment le balancement entre l’espoir d’une
vie meilleure et le désenchantement et dépeignent le chaos traversé par les personnages : le
migrant est la part négligeable et la matière insignifiante de la mondialisation. Ce thème fait
pour le chorégraphe cohérence avec son travail
corporel : « Le danseur expérimente le fait d'être
pris dans un mouvement, d’être emporté, de passer d'un point à un autre, de traverser l'espace. La
migration comme la danse sont des questions spatiales. »
Le sort tragique des hommes qui traversent
l’Asie centrale de l’Afghanistan jusqu’à Calais,
cachés dans la remorque d’un poids lourd, constitue le sujet de Transit (2005), spectacle pour
Le sort des intellectuels et des artistes européens
confrontés à la violence politique est au centre de
Step by step, projet artistique coécrit par les compagnies
Divadlo na peróne (Kosice, Slovaquie) et Là Hors De (France).
Divadlo na peróne / Là hors de, Step by step 2, Use the city festival 2010 (Kosice, Slovakia) © Là Hors De - Divadlo na perone
27
Osmosis cie, Transit, En lieux et places de Toulon, juin 2010 – Lieux publics et le conseil général du Var © Gilles Clément
danseur seul dans un semi-remorque à l’arrêt.
Tous les espaces du camion porteur sont explorés
comme autant de lieux de repli, de heurts et de
confrontation du corps et de la matière, les mouvements du danseur suggérant le déchirement,
la fragilité et les blessures d’un clandestin. Ali
Salmi explicite : « Les migrants sont les guerriers de
situations qu’ils refusent, de conditions qui ne leur
permettent pas de nourrir et de faire grandir leurs
enfants. Mon engagement est une arme pour rendre
honneur à l’énergie déployée par ces combattants
du réel. Ces mères qui portent leurs enfants dans la
neige ne sont pas portées par l’énergie du désespoir
mais au contraire par un formidable espoir. »
Dans la pièce Alhambra container (2008), c’est
de l’arrivée à destination dont il est question.
On y assiste au déchargement de trois containers
sur un quai de manutention, ballet d’engins
de levage manœuvrant les cubes d’acier dont
émergent trois silhouettes dérisoires, ballotées et
transportées telles des marchandises. Ali Salmi
ajoute : « Les artistes sont des passeurs, ils aident à
la compréhension de l’autre. L’artiste apporte une
part d’imaginaire qui ouvre des fenêtres parfois plus
douloureuses que le réel, parfois plus magiques que
lui. Nous touchons aux réalités du monde avec une
légèreté ou une dureté que les journalistes ou les
sociologues ne peuvent pas se permettre. Tous ces
regards se complètent, se répondent, se nourrissent
mutuellement.»
Dire la douleur, la solitude, le froid, le sentiment d’abandon, la tristesse, le déchirement et
la misère en donnant voix aux migrants que
nous ne percevons généralement qu’au prisme
de statistiques funèbres est aussi l’intention du
spectacle Haven 010, écrit par Michael de Cock
(‘t Arsenaal) avec Judith Vindevogel (Walpurgis). Mourad, jeune Algérien sans papiers caché
dans un entrepôt d’Ostende « tel une souris dans
la cale d’un bateau », tente de gagner désespéré-
ment l’Angleterre. Il rencontre Eric, routier
belge se méfiant des étrangers qui menacent son
travail, et qui se définit lui-même comme une
fourmi transportant des denrées alimentaires à
travers toute l’Europe. Michael de Cock, auteur,
journaliste et metteur en scène, définit ainsi ses
intentions : « L’Europe et le monde bougent. Le
problème n’est pas de savoir comment résister à
l’extrême-droite, il est de faire bouger nos mentalités à tous. Quand une personne est renvoyée
dans son pays ou quand elle meurt en mer, cela
nous est indifférent car nous ne la connaissons pas.
Mon rôle d’artiste est peut-être simplement de faire
prendre conscience que le monde change et qu’il
faut s’y adapter. »
Haven 010 est ponctuée d’intermezzos musicaux orchestrés par Judith Vindevogel. La
pièce s’achève par l’arrivée sur scène d’un
chœur d’hommes, de femmes et d’enfants, tous
demandeurs d’asile hébergés dans un centre
de rétention, avec lesquels le spectacle a été
préparé. Le chœur interprète la cantate de Bach
Ach wie flüchtig, ach wie nichtig ist der Menschen
Leben (Combien passagère, combien vaine est la
vie des hommes !). Judith Vindevogel raconte :
« Leur entrée sur scène provoque une irruption
brutale du réel dans la fiction. On entend les paroles de la cantate chantées par des gens qui nous
disent quelque chose d’eux-mêmes. On connaît ce
répertoire, mais tout à coup on réalise que ce chant
qu’on croyait appartenir à la culture européenne,
appartient tout autant à ces étrangers qui le comprennent et lui donnent un sens différent. Pour
nous, il dit la futilité qu’il y a à passer sa vie à
accumuler des richesses, mais pour les demandeurs
d’asile, il signifie : “la vie est courte, il y a urgence
à vivre mieux.” »
C’est une démarche similaire que développe
Dries Verhoeven metteur en scène et scénogra28
phe néerlandais, dans No man’s land (2008). Un
groupe de migrants avec lequel le metteur en
scène a longuement travaillé vient chercher les
spectateurs sous l’horloge d’une gare ferroviaire.
Muni d’un casque auditif, chaque spectateur
suit un guide pour un parcours pédestre dans le
quartier environnant. Alors que chaque binôme
ainsi formé traverse le secteur cosmopolite où
les rues et les paysages défilent tels les plans
d’un film, les écouteurs diffusent l’histoire de
l’étranger, contée par sa propre voix. La bande
sonore agit comme le procédé d’une voix off,
opérant une mise à distance qui double l’acuité
auditive d’un regard renouvelé sur la ville et
ses habitants. Ce travail rappelle les propos du
réalisateur néerlandais Johan Van der Keuken :
« Dès qu’un homme est filmé, il cesse d’être un
homme pour devenir un morceau de fiction, de
matériau filmé. Et pourtant, il continue d’exister.
Cette double vérité est lourde de tension. Trouver
une forme pour cette tension signifie : créer un
monde imaginaire et y décrire le combat humain. »
(Ceci, cela et comment, 1969)
Face à la recrudescence des populismes en Europe, le regard de ces artistes sur l’altérité ouvre
des espaces de compréhension pour accueillir
la différence. Dépassant la simple dénonciation
des injustices ou l’apitoiement compassionnel,
leurs créations nous révèlent nos peurs, nos angoisses et nos lâchetés. Ramenant l’étranger à sa
dimension humaine et universelle, leur voix est
un rempart puissant contre l’aveuglement des
passions xénophobes. Elle s'élève pour défendre
la libre circulation des personnes, un des acquis
politiques les plus significatifs d’Europe.
(1) La troisième étape de la création Step by step
sera présentée à Marseille en octobre 2011, dans
le cadre de Small is beautiful.
‘t Arsenaal & Walpurgis, Haven010 - Festival Zomer van Antwerpen 2010 © Kristien Verhoeyen
ARTISTS AND THE FOREIGN
PRESENCE IN EUROPE:
PRODUCTIONS THAT
BUCK THEJean-Sébastien
TREND
Steil
Arab revolutions on one side,
xenophobic withdrawal of
European countries on the
other, and moving from one
to the other, immigrants
holding on to glistening hope.
On the European stage,
artists are seeking to present
and help us to identify with
the ambivalent experiences
of migration and exile.
B
efore the recent ‘Arab uprising’, the
dictatorial regimes of Khadafy and
Ben Ali were partners with Europe,
retaining on home soil prospective candidates
for a Mediterranean crossing. Their countries
represented the exoskeleton, the outer shell of a
soft-bellied Europe showing total ambivalence.
The Tunisian revolution, then the revolt followed by war in Libya have led to an increase
in the number of migrants landing on the
European coastline, provoking, in France and
in Italy, a wave of cynicism and populist exaggeration amongst heads of State. In this context
of the stigmatization of exogenous populations, purportedly beyond assimilation, what
contribution are artists making? How are they
viewing ‘otherness’? What responses are they
proposing to the hostility of European society
towards the foreign presence?
It is worth re-reading today Stefan Zweig’s intellectual treatise “Yesterday’s world. Memories
of a European”, which sheds disturbing light
on our interpretation of the world today. In this
manifesto for a peaceful European federation,
artists are portrayed as the most dependable but
29
also the most fragile vectors for the circulation
of Universalist ideas. In this documentary essay on Europe from 1895 to 1941, written from
exile in Brazil before he committed suicide with
his wife in 1942, Zweig describes the upheaval
of the First World War, the crisis of 1929, the
Spanish Civil War, Hitler’s rise to power and
the horror of State anti-Semitism. Pursued,
exiled and censured, he saw his books burned
and his name listed as that of a criminal in
Nazi Germany. A plea for Europe, this book
also describes the amazing intellectual and
artistic movement that Zweig witnessed and
embraced.
The fate of european intellectuals and artists
confronted with political violence is at the
heart of the artistic project co-written by the
company Divadlo na peróne (Košice, Slovakia)
and Là Hors De (France), entitled Step by Step.
Exile, forced migration, the fragmentation of
biographical journeys and separation from the
homeland feature in this attempt to reconstruct
the step by step of an artist who expresses his
resistance, responding to oppression by an obstinate determination to think, write, paint and
L’ai-je bien descendu ?, performances pour escaliers, avec Yendi Nammour,
Small is beautiful, octobre 2010, Marseille – Lieux publics © Vincent Lucas
create. The project began in 2008 as a reminder
of the fate of Sándor Márai. Hungarian writer,
journalist, playwright, poet and translator born
in 1900 in Kassa which then formed part of the
Austro-Hungarian empire (the present-day
Slovak city of Košice), Márai experienced all
the upheavals of the 20th century. He was forced
to flee Budapest by the Totalitarian terror of the
Soviet regime. His books were banned and
systematically destroyed. He committed suicide
in the United States in 1989. Other portraits of
artists who were victims of violence in their
day will be developed by this project in other
European cities, leading up to the presentation
of a full version of the production in Košice
and Marseilles, both of them being designated
European Cultural Capitals for 2013.(1)
In the current political context, other artistic
expressions help us to share and understand the
experience of migration.
To express refusal, resist in one’s lifetime and
maintain one’s dignity by either exile or escape
is the theme of the production Autoroute du soleil directed by choreographer Ali Salmi (of the
Osmosis Company), inspired by Baru’s comic
strip. Two youngsters from the Lorraine region
of France, brought up in a deprived working
class neighbourhood, set out on a ‘road movie’
drawn towards an Eden, the Mediterranean
coast. A story of initiation, the experience takes
on meaning as their adventures accumulate
throughout the journey. The feeling of social relegation is highlighted here as the source of their
initial urge to leave. According to Ali Salmi, “the
question of ‘otherness’ is based more on perception
than on the geographical distance that separates
us”. Suburban youth, for example, feel displaced
as soon as they change neighborhood. This reality
creates understandable feelings of revolt.”
Two other productions proposed by Ali Salmi
examine the question of journeys from the
more somber perspective of illegal migration.
They explore the fine line between the hope of
a better life and disenchantment by depicting
the chaos experienced by the characters: the migrant is the negligible part and the insignificant
substance of globalization. For the choreographer, this theme is consistent with the physical
expressions he portrays: “the dancer experiences
30
being caught up in a movement, of being carried
along, of moving from one point to another, of
moving through space. Both migration and dance
are a question of space.”
The tragic fate of men who cross central Asia
from Afghanistan as far as Calais, hidden in
the trailer of an HGV, is the subject of Transit
(2005), choreography for a lone dancer in a
parked truck. All the confined spaces of the
truck are explored as places of retreat, conflict
and confrontation between body and surroundings, with the dancer’s movements portraying
the emotional upheaval, the fragility and the
wounds of an illegal migrant. Ali Salmi expounds: “Migrants are the warriors of situations
that they refuse, of conditions that don’t allow
them to nourish or to bring up their children. My
commitment to them is a weapon to honor the energy expended by those engaged in a life struggle.
These mothers who carry their children through
the snow are not driven by the energy of hopelessness, but on the contrary by a tremendous hope.”
In the production Alhambra container (2008),
the subject is arrival at destination. We witness
the unloading of three containers on a wharf,
a ballet of cranes maneuvering steel cubes
from which three derisory silhouettes emerge,
shifted and transported like mere merchandise.
Ali Salmi explains: “The artists are guides; they
help us to understand the other. The artists touches
a part of our imagination that opens windows
that are sometimes more painful than reality,
sometimes more magical. We touch the reality
of this world with either a lightness or a firmness
that journalists or sociologists are not able to do.
All these perspectives are complimentary, combine
and are mutually stimulating.”
To reveal the pain, the solitude, the cold, the
feeling of abandonment, the sadness, the upheaval and the poverty by giving migrants a
voice that we generally perceive only through
the prism of dire statistics, this is also the aim of
the production Haven 010, written by Michael
de Cock (‘t Arsenaal) with Judith Vindevogel
(Walpurgis). Mourad, a young Algerian without ID, hiding in a warehouse in Ostend “like
a mouse in a ship’s hold”, is desperately trying to
reach England. He meets Eric, Belgian lorrydriver suspicious of foreigners that threaten his
employment, and who defines himself as an
ant transporting food supplies across the whole
of Europe. Michael de Cock, author, journalist and stage director outlines his intentions:
“Europe and the world are in flux. The problem
isn’t knowing how to resist the extreme right, it’s
how to transform everyone’s mentality. When a
person is sent back to their country or when they
die at sea, we remain indifferent because we don’t
know them. My role as an artist is perhaps simply
to participate in raising awareness that the world
is changing and that we must adapt.”
Haven 010 is punctuated by musical intermezzos orchestrated by Judith Vindevogel. The
production finishes with the arrival on stage
of a choir of men, women and children, all
asylum seekers housed in a detention centre,
with whose help the production was prepared.
The choir interprets Bach’s cantata « Ach wie
flüchtig, ach wie nichtig ist der Menschen
Leben » (How fleeting, how vain is the life of
men!). Judith Vindevogel explains: “Their arrival on stage represents a brutal invasion of reality
into fiction. We hear the words of the cantata sung
by people who are telling us something about
themselves. We know this repertoire, but suddenly
we realize that this song that we thought belonged
to European culture belongs just as much to these
foreigners who understand it and who give it a
different meaning. It reveals for us the futility of
spending one’s life in amassing wealth, but for
asylum seekers it signifies: “life is short, there’s an
urgent need to improve life.”
spectators beneath the clock in a railway station. Provided with headphones, each spectator
follows a guide on a pedestrian outing in the
local neighborhood. Whilst each pair that has
formed crosses the cosmopolitan sector where
the streets and landscapes resemble the backdrop to a film, the headphones broadcast the
story of the foreigner, retold by his own voice.
The soundtrack acts like a voice off-stage, creating a certain distance which doubles the auditory acuity of a fresh look at the town and its
inhabitants. This work reminds us of the words
of Dutch producer Johan Van der Keuken: “As
soon as a man is filmed, he ceases to be a man and
becomes a piece of fiction, filmed material. And
yet, he continues to exist. This double-edged truth
is loaded with tension. To find an expression for
this tension implies: to create an imaginary world
and describe therein the human struggle.” (Ceci,
cela et comment, 1969).
In the face of renewed populism in Europe, the
perspective of these artists on the life of a stranger
broadens our understanding and enables us to
welcome the difference. Going beyond a simple
denunciation of injustices or compassionate
sympathy, their artistic creations highlight our
own fears, anxieties and cowardice. Granting
the foreigner his universal and human dimension, their voice is a powerful bulwark against
the blindness of xenophobic passions. It calls
us to defend the free movement of people, one
of the most significant political achievements
within Europe.
(1) The third step of the production Step by Step
will be presented in Marseilles in October 2011
during Small is beautiful festival.
The fate of european
intellectuals and
artists confronted with
political violence is at
the heart of the artistic
project co-written by
the company Divadlo
na peróne (Kosice,
Slovakia) and Là
Hors De (France),
entitled Step by Step.
Divadlo na peróne / Là hors de, Step by step 2, Use the city festival 2010 (Kosice, Slovakia) © Là Hors De - Divadlo na perone
A similar approach is taken by Dries Verhoeven,
Dutch director and set designer in No man’s
land (2008). A group of migrants, with whom
the director worked at length, come to find
31
Zedz, Dream City, 2010, Tunis © Zied Ben Miled - Les ADC
32
EN TUNISIE, UNE RÉAPPROPRIATION
ESTHÉTIQUE ET CITOYENNE
Aurélie Machghoul
Les révolutions arabes ne nous sont pas étrangères. Pour Mouvement comme pour Lieux publics, il semblait
naturel d’y faire place dans ce cahier « européen ». Journaliste tunisienne, Aurélie Machgoul observe
comment se multiplient aujourd’hui, dans son pays, les initiatives hors les murs, dans la réappropriation
spontanée d’un espace public longtemps interdit. Dès 2007, la biennale Dream City conviait des artistes
à penser des projets pour la médina de Tunis. « L’artiste face aux libertés » sera en 2012 le thème de sa
troisième édition, ouverte aux artistes d’Afrique et d’Asie Centrale.
C
omment amener la ville de Tunis en
perpétuelle transformation à devenir
un espace ouvert à des expérimentations
artistiques et culturelles ? Comment susciter le
développement de nouvelles formes de citoyenneté et de réappropriation de l’espace ? C’est la
réflexion que mène depuis 2007 Dream City,
biennale artistique pluridisciplinaire qui prend
la forme d’itinéraires urbains, pour rêver et se
réapproprier la médina de Tunis. Dream City est
une expérience qui fait l’éloge du transitoire, de
l’expérimental, du collectif, du décloisonnement
des pratiques et du croisement des regards. Et
cet « art in progress » a pour horizon une réappropriation esthétique de l’urbain par un exercice
inédit de la citoyenneté tunisienne.
Dans le prolongement de cette réflexion et à l’occasion de la 2e édition de Dream City (octobre
2010), est née la revue Z.A.T. - Zone Artistique
Temporaire. Ce support entièrement dédié à l’art
en espace public en Tunisie pense la ville artistiquement. En cela, il accompagne la démarche de
la biennale en y apportant une dimension moins
périodique. La revue témoigne d’expériences
d’artistes, de poètes, de réalisateurs, d’architectes, d’urbanistes, d’écrivains, de sociologues de
l’art, ou d’habitants qui réinventent l’urbain. En
juin 2011, sort le premier numéro post-révolutionnaire de la Z.A.T., un numéro consacré aux
nouvelles pratiques artistiques en espace public
en Tunisie. Car si la révolution du 14 janvier
2011 a bien évidemment profondément transformé le pays d’un point de vue socio-politique,
elle a également extraordinairement modifié le
rapport des artistes à l’espace public. Pléthore de
performances se déroulent avec une étonnante
spontanéité et associent bien souvent le public
(passants, habitants d’un quartier…). La liberté
retrouvée a suscité un véritable appel chez les
plasticiens, musiciens, performers, graffeurs,
étudiants des écoles d’art, qui ont investi la ville
et ses interstices, déployant tous une esthétique
d’un « art en action ».
Des actions artistiques comme, entre autres,
celle menée par Sélim Tlili – « Art For Tunisia »
témoignent de cette nouvelle approche démo-
cratique de l’art. Une semaine jour pour jour
après la chute du régime Ben Ali, Sélim Tlili
répond à un appel citoyen lancé sur Facebook
consistant à se réunir le premier jour de deuil
national en mémoire des victimes du soulèvement populaire. Il s’y rend une toile sous le bras,
s’installe et commence à peindre sur l’avenue
Habib-Bourguiba. Les passants s’arrêtent,
intrigués, observent et s’invitent. Devant cette
participation citoyenne libre et spontanée, Sélim
Tlili change d’approche et attribue à chaque
plage colorée de son tableau et aux couleurs
correspondantes un numéro. Les passants
peuvent ainsi facilement apporter leur contribution à l’œuvre qui devient collective et se fait
métaphore du champ politique récent. Une approche citoyenne et une pratique complètement
participative de l’art. Dans un deuxième temps,
le tableau achevé est symboliquement divisé en
pixels qui sont eux-mêmes mis en vente sur un
site spécialement créé pour l’occasion. L’argent
récolté est entièrement reversé à l’Association
Citoyenne Tunisienne pour soutenir le développement économique et culturel de zones
défavorisées du pays.
Un mois après la chute du régime, une autre
action comme le happening Horr 1 réalisé par
les plasticiennes Sana Tamzini et Sonia Kallel
rend visible, de manière artistique, certains
épisodes forts de la révolution comme les manifestations et les barrages de quartier visant à
défendre ceux-ci des milices de l’ancien régime.
Les artistes pensent, dans la médina de Tunis,
une action qui revendique l’espoir d’un avenir
meilleur et la solidarité née de la révolution
tunisienne. Sonia Kallel met alors en scène une
manifestation où ont été brandies, sous forme de
marionnettes–étendards, des poupées de chiffon
en forme d’enfants portant sur leur buste des
inscriptions des valeurs à venir. Dans les ruelles
de la médina, Sana Tamzini, elle, enchaîne dans
un tissu blanc liant les uns aux autres jeunes
filles et jeunes hommes afin de faire barrage
aux passants et aux véhicules. Il s’agit alors de
mettre en scène ces barrages de fortune réalisés
à partir d’objets en tout genre (planches, pneus,
tonneaux, chaises, briques, etc.) et dont le but
33
Laaroussa est une fabrique d’espaces
populaires de création culturelle qui a pour
but la revitalisation sociale d’une région et
d’une population. Ce projet pensé et porté
par l’équipe de Dream City se déroule de
février à juin 2011 entre Tunis et Sejnane,
mais le travail de fond se déroule autour de
petits villages de potières de Sejnane. Laaroussa développe des espaces d’échanges
autour de modes d’interventions artistiques, de processus de création et de
transmission des savoir-faire artisanaux et
artistiques de communautés de femmes
migrantes et locales. Trois communautés
de femmes sont prises en charge par ces
espaces de rencontres et de productions socioculturelles : les potières de Sejnane, les
tricoteuses-couturières-conteuses d’Arlène
(femmes maghrébines et africaines immigrées en France) et la population de femmes
migrantes de l’Afrique subsaharienne de
Tunis. Laaroussa tisse des liens entre des
savoir-faire artisanaux et l’art contemporain autour d'un objet universel commun :
la poupée (Laaroussa).
était de bloquer l’accès des quartiers aux véhicules suspects.
Le constat est le suivant : les pratiques et les
dispositifs artistiques qui existaient jusque-là
en Tunisie sont totalement reconsidérés. Les
artistes se réinventent, bousculent l’ordre établi
des évidences et opèrent une forme de résistance
artistique en même temps qu’ils œuvrent à la
reconstruction d’un espace social et politique.
Sommes-nous les témoins d’un genre de
laboratoire expérimental qui pourrait fédérer
de nouvelles démarches, pratiques artistiques,
politiques et esthétiques ? Comment expliquer
un tel engouement ? Quel rôle l’artiste tente-t-il
d’occuper dans la cité et dans les replis d’une
Histoire en train de s’écrire ?
Pour se procurer la revue Z.A.T. :
[email protected]
Trisha Brown, Floor of the forest, Dream City, 2010, Tunis © Chakib Mahjoub - Les ADC
La vie-site.com, Dream City, 2010, Tunis © Yassine Hakimi - Les ADC
Laaroussa, Sejnane, 2011© Abdellatif Snoussi - Les ADC
Maren Strack, muddclubsolo, Dream City, 2010, Tunis © Saif Chaabane - Les ADC
Johann Lorbeer, Tarzan standing legs, Dream City, 2010, Tunis © Yassine Hakimi - Les ADC
Ex-nihilo, Assemblements, Dream City, 2010, Tunis © Yassine Hakimi - Les ADC
34
IN TUNISIA, AN AESTHETIC AND
POPULIST REAPPROPRIATION
Aurélie Machghoul
Arab revolutions are not unknown to us. In the view of both Mouvement and Lieux publics, it seemed natural to
include them in this “European” review. Tunisian journalist Aurélie Machghoul observes how in her country today,
initiatives are multiplying beyond closed walls in the spontaneous reappropriation of a long-forbidden public arena.
Since 2007 the biennial Dream City has been inviting artists to present projects for the Tunis medina. “The artist’s
response to freedom” will be the theme of its third edition in 2012, open to both African and Central Asian artists.
H
ow can the city of Tunis, undergoing
constant transformation, become an
open space for artistic and cultural
experimentation? How can the development
of new forms of citizenship and the reappropriation of space be encouraged? These have
been the themes broached by Dream City since
2007, the multidisciplinary artistic biennial
which takes the shape of urban itineraries to
recreate and re-own the Tunis medina. Dream
City is an experience which values transition,
experiment, joint collaboration, liberated
artistic practice and mutual edification. And
this ‘art in progress’ has as its goal the aesthetic
reappropriation of the urban environment via
a novel artistic expression from the Tunisian
citizens themselves. As a result of this reflection
during the 2nd edition of Dream City (October
2010), the magazine Z.A.T – Zone Artistique
Temporaire – was launched. This support
document, entirely dedicated to art in the public
arena in Tunisia, views the city artistically. In
so doing, it supports the biennial approach by
providing a more regular dimension. The review highlights the experiences of artists, poets,
producers, architects, urban planners, writers,
art sociologists or inhabitants who are reinventing the urban context. In June 2011, the first
post-revolutionary number of the Z.A.T. will
be issued, an edition dedicated to new artistic
practices in the public domain in Tunisia. For
if the revolution of 14th January 2011 has of
course radically transformed the nation from a
sociopolitical standpoint, it has also dramatically modified artistic presence in public. A wealth
of performances are taking place with amazing
spontaneity that very often involve the public
(passers-by, local inhabitants…). The rediscovered freedom has led to a genuine call for visual
artists, musicians, performers, graffiti artists and
students of art schools, who have laid claim to
every nook and cranny of the city, using a totally
aesthetic approach of “art in action”.
Artistic actions such as, for example, that
initiated by Sélim Tlili – “Art For Tunisia”, is
evidence of this new democratic approach to
art. One week to the day after the fall of Ben
Ali’s regime, Sélim Tlili answered a call to
citizens, launched on Facebook, to gather on
the first day of national mourning in memory
of the victims of the popular uprising. He went
with a canvas folded under one arm, sat down
and began to paint on the Habib-Bourguiba
Avenue. Passers-by stopped, intrigued, to
watch and gather round. Faced with this free,
spontaneous participation, Sélim Tlili adapted
his approach and began to number each colored
section of his canvas and each corresponding
color that he used. Passers-by could then easily
make their contribution to the canvas which
became a collective expression and metaphor
of recent political upheavals. A united citizens’
approach and a completely participative expression of art. Subsequently, the finished painting
was symbolically divided into pixels which were
themselves sold on a website specially created
for the occasion. All the funds received were
donated to the ‘Tunisian Citizens Association’
to support economic and cultural development
of underdeveloped areas in the country.
One month after the fall of the regime, another
artistic expression such as the happening ‘Horr 1’
produced by visual artists Sana Tamzini and
Sonia Kallel rendered visible, in artistic fashion,
some of the key moments in the revolution such
as the demonstrations and the neighborhood
barricades that sought to defend local areas
from the former regime’s militia. In the Tunis
medina, artists planned an event to express the
hope of a better future and the solidarity born
out of the Tunisian revolution. Sonia Kallel then
initiated a demonstration in which, in the form
of puppet flag-bearers, child-sized cloth dolls
were displayed, each one bearing an inscription
of the country’s future values. In the streets of
the medina, Sana Tamzini then used lengths of
white material to join together young girls and
boys who blocked the passage of passers-by and
vehicles. The final stage was to present those
spontaneous barricades made from a whole
range of objects (planks, tyres, barrels, chairs,
35
Laaroussa is a workshop for popular venues of cultural creativity whose aim is the
social revitalization of a region or population. This project, conceived and run by the
Dream City team is held from February to
June 2011 between Tunis and Sejnane, but
the bulk of the work takes place around
Sejnane’s small pottery-making villages.
Laaroussa develops venues for exchange
based around methods of artistic intervention, creative processes and transmission
of artistic and traditional know-how in
communities of local and migrant female
workers. Three women’s communities are
involved in these venues for joint meetings
and socio-cultural productivity: the potters
of Sejnane, the knitters/seamstresses/storytellers of Arlène (African and Maghreb immigrants in France) and the population of
migrant women from sub-Saharan Africa
resident in Tunis. Laaroussa creates a link
between traditional skills and contemporary art around a common universal item:
the doll.
bricks etc.) whose aim was to prevent the access
to local neighborhoods of suspect vehicles.
The following observation can clearly be made:
the artistic practices and productions that were
formally common in Tunisia have been totally
revolutionized. Artists are finding fresh expression, overturning the traditionally established
order and are participating in a form of artistic
resistance whilst at the same time working towards the reconstruction of social and political
space. Are we the witnesses of a kind of experimental laboratory which could federate new
approaches, new artistic, political and aesthetic
practices? How can we explain such a radical
new departure? What role is the artist seeking
to fulfill in the city and in the pages of History
in the making?
To obtain a copy of the Z.A.T. Review:
[email protected]
Land of Giants™, pylônes électriques anthropomorphes imaginés par les
architectes américains Jin Choi et Thomas Shine (cabinet Choi+Shine). Seront-ils
érigés comme emblèmes des Métamorphoses, projet pensé par Lieux Publics pour
Marseille-Provence 2013 ?
36
CHANTIERS
UTOPIQUES
Et si l’expertise artistique modifiait
durablement notre environnement ?
Qu’ils soient geste pérenne appelé à transfigurer la garrigue
provençale ( Land of Giant ™ du
cabinet Choi+Shine), traitements
urbanistiques destinés à résoudre
les névroses des villes (ANPU) ou
architecture éphémère (La Linéa),
ces chantiers utopiques appellent
de leurs vœux des modifications
tangibles de l’espace physique.
Entre fantasme et réalité, l’irruption
d’une salutaire fantaisie dans le
quotidien le plus pragmatique.
La Linéa, Structure phénomène, architecture éphémère à hissage
participatif, création aux Tombées de la Nuit, Rennes, juillet 2011.
ANPU – Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine, OpéRaTion THC (THC pour Transports Hors du Commun), projet de Trottoir Roulant à Grande Vitesse © Charles Altorffer
37
Olivier Grossetête, Tour d'eau, Cesac filatoïo di Caraglio, 2010 © Francesca Cirilli
38
APRÈS LE COMMERCE,
L’ ART ÉQUITABLE
?
Fred Kahn
A rebours du modèle productiviste et consumériste qui a dominé le XXe
siècle émergent des systèmes plus contributifs. C’est dans ce contexte
que certaines démarches artistiques mettent en jeu un autre rapport
à l’économie, afin de mieux partager la richesse des imaginaires.
L
e modèle qui s’est imposé au XXe siècle
repose sur un système de production intensif et une fonction de consommation
exclusive, qui n’ont que faire de la richesse de
nos imaginaires. Dans tous les champs d’activité humaine, la « croissance » s’est révélée
destructrice en termes de bien-être, de cohésion,
d’égalité sociale, d’environnement… Une société de l’abondance ? Bernard Stiegler parle,
lui, de mécroissance : « Aucune société avant
la nôtre n’a fait du gaspillage des ressources et de
la jetabilité de tout et de tous le principe de son
fonctionnement. » (1) Mais pour le philosophe,
nous sommes enfin arrivés à la fin de ce cycle
néfaste. Le modèle industriel productiviste
s’essouffle. La prise de conscience politique et
environnementale coïncide avec des mutations
techniques et technologiques qui sont déjà en
train de bouleverser nos systèmes de production.
L’avènement du numérique marque ce changement d’ère : ces outils fonctionnent beaucoup
plus sur la contribution que sur la consommation, et induisent donc d’autres comportements.
« Il n’y a pas une centrale de production d’un côté
et des consommateurs de l’autre, explique encore
Bernard Stiegler, mais des contributeurs en réseau,
pouvant alterner et partager une responsabilité
de production. » Cette approche rhizomique
résonne fortement avec des préoccupations
d’artistes qui n’ont pas attendu la crise pour
explorer d’autres modalités de production et de
diffusion. Avec des conséquences esthétiques
considérables.
En partageant la création d’une œuvre, l’artiste
abandonne sa posture de démiurge. Il accepte
aussi de se dessaisir (partiellement) de son
statut d’auteur. Du coup, les rôles assignés à
chacun deviennent incertains. Les Pas Perdus
(Guy-André Lagesse, Nicolas Barthélemy et
Jérome Rigaut) construisent ainsi avec des
« occasionnels de l’art » des Maisons de l’ordinaire
et de la fantaisie et autres Zones d’anniversaire
concertées (ZAC) afin de célébrer à Marseille,
à Paris, ou en Afrique Du Sud, « l’invention
du monde au quotidien ». L’équipe est actuellement en résidence à Bruay-La-Buissière
dans une ancienne cité minière, ouverte à tous
les vents et à toutes les contributions, qu’elles
soient écrites, enregistrées ou photographiées.
Un chemin-promenade est en train de lentement s’élaborer et la déambulation fera naître
une œuvre d’imagination collective à partir de
l’histoire des habitants. Guy-André Lagesse
et ses complices sont des catalyseurs : « Ces
gens nous font expérimenter un terrain délicat
et raffiné : celui de l’extravagance des modestes,
dans leur pratique de l’élégance avec des choses de
peu. En tant qu’artistes, nous nous retrouvons en
phase avec leurs audaces et engageons avec eux des
combinaisons esthétiques à partir de la pratique
de la vie. »
Cette « économie » de l’art s’avère particulièrement généreuse et joyeuse. Elle fait le
pari de l’égalité des intelligences, telle que l’a
théorisée Jacques Rancière. Il n’y a plus d’un
côté le savant (l’artiste) et de l’autre l’ignorant
(le spectateur ou l’amateur), mais des êtres en
train de fabriquer des actes communs : « Aucun
n’est propriétaire de cette performance, aucun
n’en possède le sens, elle se tient entre eux, écartant
toute transmission à l’identique, toute identité de
la cause et de l’effet. » (2)
L’artiste doit consentir au déplacement, à l’abandon de ses prérogatives et de ses certitudes.
« Nous n’imposons pas une écriture déjà composée.
Nous créons en fonction des participants, de leur
potentiel et de leur univers. Et forcément, un tel
positionnement bouscule complètement notre pratique et notre écriture », dit ainsi Caroline Selig,
co-directrice de la compagnie Artonik, qui s’est
engagée sur un projet de spectacle participatif
(… Et ainsi de suite…) avec des personnes
n’ayant aucune pratique artistique. En 2010,
une première étape a été présentée avec douze
39
participants amateurs en partenariat avec le
théâtre Comœdia d’Aubagne et à l’occasion du
festival Small is beautiful. En 2011, la collaboration se poursuit, avec le groupe d’amateurs
d’Aubagne et d’autres à Marseille, Martigues,
ou Aix-en-Provence… La Compagnie Anitya,
dirigée par Christophe Cagnolari, agglomère
aussi à son ensemble (de comédiens, de danseurs et de musiciens) de véritables amateurs
pour un moment de création en temps réel :
le soundpainting (3). « L’improvisation touche à
l’essence même d’un art vivant qui doit trouver sa
justesse dans la fragilité et l’éphémère », dit Christophe Cagnolari. Dans le cadre des Sirènes
et midi net de Lieux publics, Anitya a investi
la place de l’Opéra de la Cité phocéenne et a
donné à entendre, avec quatre-vingts citoyensinterprètes, sa version de La Marseillaise.
Dans un tout autre genre, Olivier Grossetête
initie, lui aussi, des projets collaboratifs. Dans
le cadre d’ateliers ouverts à tous, il produit
des structures monumentales en carton. Ces
réalisations prennent la forme d'arche, de pont,
de façade, de tour, d'abri : des éléments d'architecture imposants rendus au nomadisme et à
l'éphémère pour mieux exciter notre aspiration
à la liberté. Cette expérience collective, au-delà
de son caractère public, convivial et fédérateur,
cherche à inventer des formes de réappropriation du monde, en incitant les participants à
devenir architectes de leur environnement. Il
va sans dire que tous ces dispositifs demandent
beaucoup de souplesse, d’énergie, de disponibilité et de temps, à contre-pied d’un système
de production dominant qui célèbre le profit,
la concurrence et l’individualisme.
Ce geste artistique participatif induit un autre
rapport à l’économie. Très concrètement, les
amateurs sont bénévoles, donc non rémunérés.
Pour Olivier Grossetête l’accord est clair : « Ils
apportent du temps de travail et moi, je leur amène
de la poésie, du possible, une expérience artisti-
port du canal de Bourgogne et à sa renaissance
comme halte fluviale pour le tourisme. À Marseille, Olivier Bedu a créé Banc de sable, une
œuvre architecturale qui est venue concrétiser,
de manière à la fois élégante et ludique, une
réflexion engagée par des habitants et des enfants (avec un accompagnement du Bureau des
compétences et désirs), sur le réaménagement
de leur quartier.
Anitya, La Marseillaise sans midinette, Sirènes et midi net, avril 2010, Marseille – Lieux publics © Vincent Lucas
« Les habitants de Bruay-La-Buissière nous
font expérimenter un terrain délicat et raffiné :
celui de l’extravagance des modestes, dans
leur pratique de l’élégance avec des choses
de peu. » (Guy-André Lagesse)
que… » Ici, l’utilisation de matériaux de récupération et le principe de construction collective
permettent de créer des événements importants
avec des budgets réduits. « Les modalités de
production peuvent être très lourdes, le temps de
préparation et d’accompagnement beaucoup plus
important qu’avec des professionnels », prévient
toutefois Caroline Selig. « L’intérêt financier
n’est jamais le premier moteur, insiste Christophe
Cagnolari, l’échange touche à un enrichissement
humain bien plus profond. » Du coup, l’atelier
de pratique redevient véritablement artistique,
c’est-à-dire un espace du « faire » à la fois expérimental et ludique. « La réflexion doit être mise
en acte pour faire sens, ajoute Olivier Gorssetête.
Nous ne faisons pas semblant, nous fabriquons
vraiment des objets artistiques. »
Pour la relation au public, là aussi, le bénéfice
est total. « Les gens se sentent tout de suite en
connivence avec la proposition, explique Caroline Selig. Il devient évident que la performance
a été pensée pour s’adresser à tout le monde, qu’elle
n’émane pas d’une sphère artistique lointaine et
déconnectée des préoccupations de chacun. »
Les procédures d’intimidation s’estompent, et
le gain est surtout à cet endroit-là, dans une
autre approche de la socialisation de l’œuvre,
en partageant les responsabilités. Cette vision
impose une profonde mutation des systèmes
d’administration, d’évaluation, de production
et de diffusion de l’art.
La Fondation de France expérimente précisément une répartition des rôles plus équitable
avec son programme Nouveaux Commanditaires. Ce dispositif repose sur la collaboration entre
trois acteurs : l'artiste, le citoyen commanditaire
et un médiateur culturel. Ce dernier recueille
la demande, choisit l’artiste le plus à même de
répondre à la commande, et fait le chemin avec
eux jusqu’à ce que l’œuvre soit produite. Elle
sort alors complètement de la sphère privée et
ses bénéfices concernent la Cité tout entière. À
Pont-Royal, hameau de la commune de Clamerey en Bourgogne, l'intervention de l'artiste
Michel Verjux a contribué, par la mise en place
d’un éclairage public, à la requalification d'un
40
Les projets n’hésitent pas à s’insinuer dans les
usages les plus marchands pour en éclairer l’absurdité. La Slovène Masa Cvetko prend ainsi
un malin plaisir à s’immiscer dans les espaces
publics. Son association ProstoRož invite des
« experts » (architectes, paysagistes, urbanistes,
designers) ou des juristes, pour réfléchir à
d’autres agencements urbains. Elle imagine
des formes d’organisation plus en accord avec
les besoins des habitants. Plus récemment,
Masa Cvetko s’est associée au groupe Enora
(Ana Malalan, Nataša Mrkonjič, Manja Porle)
pour s’attaquer à l’un des emblèmes de notre
société de consommation. Ce collectif a conçu
une Boutique de souvenirs (Gift shop), où chacun
pourra échanger ses cadeaux de Noël et ainsi
repenser ses habitudes de consommation et
d'achat en cette période. Chaque objet sera exposé comme une œuvre artistique, qui n’aura
de valeur que par sa capacité à cristalliser une
expérience esthétique relationnelle.
Les risques d’instrumentalisation sont réels,
et ces démarches n’offrent pas de cadre qu’il
faudrait ériger en modèle absolu. Les gestes
et les objets artistiques ainsi produits éclairent
cependant une évidence : l’économie, même
dans sa part la plus trivialement marchande,
recèle toujours une part de symbolique. Dans
tout « commerce » se joue un principe de reconnaissance mutuelle. Le vendeur fait toujours un
peu don de sa personne. À cet endroit, comme
l’a démontré Paul Ricœur (4), l’échange peut
redevenir festif. Comment « capitaliser » cette
richesse, optimiser de tels systèmes de « production » ? Par exemple en accélérant la marche
vers une économie hybride, à la fois publique,
privée, sociale et solidaire.
1. In Philosophie Magazine n°47 (mars 2011).
2. Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé. La
Fabrique éditions. 2008.
3. Langage gestuel développé par le compositeur
new-yorkais Walter Thompson, le soundpainting permet à des improvisateurs d’élaborer une
œuvre en temps réel. Si à l’origine ce langage fut
développé pour les musiciens, il est aujourd’hui
pleinement multidisciplinaire.
4. Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance.
Editions Stock 2004.
AFTER FAIR TRADE,
FAIR ART?
Fred Kahn
In contrast to the productivity-based, consumerist model which dominated the 20th century, more contributory systems are now emerging.
It is within this context that certain artistic creations are presenting
another economic approach, in order to more equitably share the
richness of our imaginations.
T
he model which imposed itself on the
20th century is based on an intensive
production system and an exclusive
consumer functionality which only profit from
the richness of our imaginations. In all the
fields of human activity, “growth” was shown to
be destructive in terms of well-being, cohesion,
social equality, the environment… An affluent
society? Bernard Stiegler in fact, believes it to
be effluent: “No other society before ours made
the waste of resources and the disposal of everything and everyone the basis of its functionality.”(1) But, according to the philosopher, we
have finally reached the end of this disastrous
cycle. The productivity-based industrial model
has run out of steam. A new environmental and
political awareness is coinciding with technological transformations and technologies which
Artonik, Premiers pas... à Aubagne, Small is beautiful, octobre 2010, Aubagne – Lieux publics © Vincent Beaume
are radically changing our production systems.
The digital dawn has influenced this new era:
these tools function much more via contributions than via consumption and thereby establish different behavioral patterns. “There isn’t a
production centre on one side and consumers
on the other”, Bernard Stiegler goes on to explain, “but a network of contributors, being able
to alternate and share responsibility for production.” This rhizomic approach closely matches
the preoccupation of artists who didn’t wait for
the current crisis before exploring other forms
of production and diffusion. With significant
aesthetic consequences.
By sharing the creation of an artistic work, the
artist abandons his role of demiurge. He also
accepts to relinquish (partially) his status as
author. As such, each person’s designated role
becomes uncertain. In this way the group ‘Les
Pas Perdus’ (Guy-André Lagesse, Nicolas Barthélemy et Jérome Rigaut) build in consultation using “casual art” ‘Houses of the Ordinary,
the Fantastic and other Anniversary Zones’ in
order to celebrate in Marseilles, Paris or South
Africa “the invention of daily affairs”. The team
is currently in residence at Bruay-La-Buissière
in a former mining area, open to all influences
and all contributions whether written, recorded
or photographed. A stroll down memory lane
is slowly taking shape and its exploration will
bring to fruition a work of collective imagination based on the history of its inhabitants.
Guy-André Lagesse and his accomplices are
the catalytic agents: “These people allow us to
experience a delicate and refined terrain: that
of the extravagance of modest incomes in their
lifestyle of elegance surrounded by very little.
As artists we identify with their boldness and
share with them aesthetic combinations based
on daily life.”
This “economy” of art proves to be particularly
generous and joyful. It believes in the equality of intelligence, as theorized by Jacques
41
Kubilaï Khan Investigations, L'Avventura, En lieux et places de Toulon, juin 2010 – Lieux publics et le conseil général du Var © Gilles Clément
Rancière. There is no longer on one side the
knowledgeable (the artist) and on the other side
the ignorant (the spectator or the amateur), but
human beings producing joint performances:
“no-one owns this performance, no-one controls its meaning, it is shared by all, preventing
any identical transmission or any identity of
cause and effect.”(2)
The artist must agree to be displaced, to abandon his prerogatives and his certainties. “We
do not impose an already completed script.
We create it according to the participants, their
potential and their world. And inevitably, such
a stance completely throws into turmoil our
practice and scripting”, states Caroline Selig,
co-director of the ‘Artonik’ Company, who
began a project for a participative production
(… Et ainsi de suite…) with people having no
artistic background. In 2010, a first stage was
presented with twelve amateur participants
in partnership with the ‘théâtre Comœdia
d’Aubagne’ at the “Small is beautiful” festival.
In 2011 the collaboration was continued with
the group of amateurs from Aubagne and others
in Marseilles, Martigues or Aix-en-Provence…
The ‘Anitya’ Company, directed by Christophe
Cagnolari, also attached to their ensemble (actors, dancers and musicians) genuine amateurs
for a moment of artistic creation in real time:
soundpainting (3). “Improvisation reaches to
the very heart of live art which must find its
precision within what is fragile and ephemer-
al”, states Christophe Cagnolari. In the context
of the ‘Sirènes et midi net’ proposed by Lieux
publics, Anitya took over the famous square
‘Place de l’Opéra’ in the city of Marseilles, and
gave a public rendering, using eighty citizeninterpreters, of their version of the French national anthem the ‘Marseillaise’.
Using a quite different approach, Olivier Grossetête also initiates collaborative projects. In
the context of workshops open to the general
public, he produces monumental structures
out of cardboard. These creations take the form
of arches, bridges, façades, towers or shelters,
imposing architectural elements rendered
nomadic and ephemeral in order to better
stimulate a drive for freedom. This collective
experience, over and above its public, convivial
and federative nature, is seeking to invent ways
of repossessing the world by encouraging participants to become the architects of their environment. It goes without saying that all these
mechanisms require a lot of flexibility, energy,
availability and time, unlike the dominant system of production which celebrates profit,
competition and individualism.
This participative artistic gesture inspires
another approach to the economic question.
Very specifically, the amateurs are volunteers,
and therefore not remunerated. For Olivier
Grossetête, the deal is crystal clear: “They contribute work time and as for me, I offer them
42
poetry, possibilities, an artistic experience…”.
Here, the use of recycled materials and the
principle of collective construction enable the
creation of major artistic works within limited
budgets. However, “production management
can be very tiring, the preparation and support
time can be much greater than with professionals” warns Caroline Selig. “The financial factor
is never the first consideration” insists Christophe Cagnolari: “the shared experience creates
far greater human enrichment.” As such, the
practice workshop becomes truly artistic, in
other words an environment for “doing” that
is both experimental and enjoyable. “Artistic
reflection must be outworked if it is to have
meaning” adds Olivier Grossetête. “We are not
play-acting; we are really constructing artistic
objects.”
As for relationships with the public, there
again there is benefit all round. “People feel
immediately involved with the proposition”,
explains Caroline Selig. “It becomes obvious
that the performance has been designed to be
relevant to everyone, that it hasn’t originated
from a distant artistic sphere unrelated to our
everyday preoccupations.” Methods of intimidation become unnecessary, and the advantage
is clearly to be seen in this area, via a different
approach to the socialization of the production
by the sharing of responsibilities. This vision
implies a major change to the administration,
evaluation and production systems as well as to
Roger Bernat / FFF, El lobo explica los beneƒicios del comercio con lana australiana a un rebanyo de ovejas sin esquilar,
Sirènes et midi net / Small is beautiful, octobre 2011, Marseille – Lieux publics © Vincent Lucas
the diffusion of the art form.
The ‘Fondation de France’ is indeed experiencing a more equitable sharing of roles with its
“New Partners” program. This mechanism
is based on the collaboration between three
figures: the artist, the citizen-partner and a
cultural mediator. The latter receives a request,
chooses the most appropriate artist for the
project and accompanies them through to the
finished product. In this way it is completely removed from the private sphere and benefits the
whole community. In Pont-Royal, a hamlet of
the commune of Clamerey in Bourgogne, the
involvement of artist Michel Verjux has contributed, by the installation of public lighting,
to the redevelopment of a port along the Bourgogne canal and to its restoration as a staging
post for water-based tourism. In Marseilles,
Olivier Bedu has created ‘Banc de Sable’, an architectural work which helped give expression,
in both an elegant but light-hearted fashion, to
a process begun by local inhabitants and their
children (accompanied by the Bureau of skills
and aspirations) for the redevelopment of their
neighborhood.
There is no hesitation about inserting projects
into the most commercial of contexts in order to highlight their absurdity. The Slovene
Masa Cvetko, for example, takes great delight
in sneaking into the public arena. Her association ProstoRož invites « experts » (architects,
landscape artists, urban developers, designers
or jurists), to rethink alternative urban planning. She imagines organizational structures
that more closely match the needs of the inhabitants. More recently, Masa Cvetko joined
with the Enora group (Ana Malalan, Nataša
Mrkonjič, Manja Porle) to confront one of the
emblems of our consumer society.
This collective has created a Gift Shop, in which
anyone can exchange their Christmas presents
and thereby rethink their consumer and purchasing habits at that time of year. Each object
will be displayed as a work of art, whose only
inherent value lies in its capacity to crystallize a
relational aesthetic experience.
The risks of exploitation are real, and these approaches do not offer a context that should be
heralded as the ultimate model. The gestures
and artistic objects that are thereby produced
highlight, however, an obvious truth: the
economy, even in its most trivially commercial
expression, always harbors a symbolic aspect. In
every “business” there lies a principle of mutual
recognition. The salesman always contributes
a small part of himself. At this point, as Paul
Ricœur (4) has demonstrated, the exchange can
again become festive. How can this richness be
« capitalized », how can such « production » systems be optimized? For example by accelerating
the market towards a hybrid economy, which
would be public, private, social and interdependent at one and the same time.
43
“Bruay-La-Buissière
inhabitants allow
us to experience a
delicate and refined
terrain: that of the
extravagance of
modest incomes
in their lifestyle of
elegance surrounded
by very little.”
(Guy-André Lagesse)
1. In “Philosophie” Magazine N047 – March
2011
2. Jacques Rancière. ‘Le Spectateur émancipé.
Published by La Fabrique. 2008
3. A gestural language developed by New-York
composer Walter Thompson, soundpainting
enables a real-time production to be constructed by improvisation. Though this language was
originally developed for musicians, it is today
fully cross-disciplinary.
4. Paul Ricœur. Parcours de la reconnaissance.
Publisher: Stock 2004.
LIEUX PUBLI
Lieux publics,
Centre national de création,
est conventionné par le ministère de
la Culture et de la Communication,
la ville de Marseille, le conseil régional
Provence-Alpes-Côte d’Azur, le conseil
général des Bouches-du-Rhône.
Il recoit le soutien de la Commission
européenne, Marseille-Provence
2013, la Sacem, et les villes
d’Aubagne et de Martigues.
Lieux publics pilote IN SITU,
réseau européen pour la création
artistique en espace public.
L’équipe
Président
Philippe Chaudoir
Direction
Pierre Sauvageot
Administration
Sabine Chatras
Chargés de projets
Fabienne Aulagnier avec Elisa Schmidt
Ariane Bieou avec Quentin Guisgand
Juliette Kramer
Elodie Presles
Communication et relations publiques
Fanny Broyelle avec Fanny Girod, Elodie
Mollé et Elodie Quaranta
Comptabilité
Elisabeth Henry avec Muriel Barguès
Technique
Pierre Andrac, David Mossé avec Camille
Bonomo, Alexandre Pax et Jérôme Boillet
Créations
accompagnées
Figures libres, KompleX KapharnaüM
Coproduction 2011, résidences 2011 et
2012, création 2012
Chez Lucille, Théâtre du Son
Création 2011, coproduction et accueil 2011
Ici ou ailleurs (la maison), Théâtre à l'envers
Création 2011, accueil 2011
Villa Olga, Tandaim
Création 2012, Remue-méninges 2011
Mission Roosevelt, Tony Clifton Circus
Création 2011, coproduction, résidence et
accueil 2011
Work’n progress, Pixel 13
Création 2011, coproduction et résidence
2010, soutien 2011
Ville carton (titre provisoire), Olivier Grossetête
Création 2013, Remue-méninges et accueil
2011
Holly VJ, Adelin Schweitzer
Création 2012, Remue-méninges 2011,
Un pépin pour 2, Espaces sonores
Création 2011, Remue-méninges 2011
résidence et accueil 2011
Soundpainting Anitya
Création 2013, Remue-méninges 2011
Supermarché chromatique, Benjamin
Verdonck
Création 2013, coproduction 2011
Grande fanfare contemporaine
euroméditerranéenne, Rachid Regragui
Création 2013, commandes d’œuvres
en 2011 et 2012, en coréalisation avec
l’Orchestre des jeunes de la méditerranée.
Résidences, commandes,
coproductions, atelier
scénographique, laboratoire
sonore, bourses de
composition
The Zoo, Ian Smith, Kurt Demey
Création 2012, coproduction 2011
… Et ainsi de suite…, Cie Artonik
Création 2012, coproduction, résidence et
accueil 2009/10/11
Résidence d’écriture, de réfflexion
sur 5 projets de créations en
gestation, Pigna, Haute-Corse,
du 16 au 20 février
Le grand (pas) Marseille (suite), ANPU
Commande 2009-2012
Step by step, Divadlo na peróne et Là
Hors De
Adaptation pour site spécifique 2011
Remue méninges
Compagnie Tandaim - Villa Olga
Christophe Cagnolari - soundpainting
Espaces Sonores - Un pépin pour 2
Olivier Grossetête - une ville en carton
Adelin Schweitzer - Holly VJ
44
Sirènes et midi net
Rituel urbain chaque premier
mercredi du mois sur le parvis
de l’Opéra de Marseille
2 février > Arseny Avraamov,
Symphonie des Sirènes
2 mars > Les Piétons, Entre 2
6 avril > Apprentis de la FAI AR, L’équipée
sauvage de six reines et dix minettes
4 mai > L'autre Compagnie,
Sirènes en campagne
1er juin > T. Public, association d'idées,
Le Défilé de Marques, une collection
d’hommes et de femmes
5 octobre > Divadlo na peróne & Là Hors de
2 novembre > La Zouze
7 décembre > Delices DADA
Lieux publics & Cie
Créations de Pierre Sauvageot
Champ harmonique
Grenoble (FR), Festival Les Détours de Babel,
du 9 au 17 avril
Ulverston (GB), Lakes Alike Season,
du 3 au 5 juin
Terschellings Oerol festival (NL),
du 17 au 26 juin
Copenhague (DK), Festival Metropolis,
du 13 au 21 août (sous réserves)
Le concert de public
Encausse-Les-Thermes (FR), 25 juin
Marseille, Small is beautiful (FR), 16 octobre
IN SITU
Réseau européen pour la création
artistique en espace public
Nouveau site internet www.in-situ.info
Février > clôture du projet pilote pour la
mobilité Rendez-vous (déc. 2009, fév. 2011)
Mai > Lancement du projet META,
Manifeste Européen pour la Transformation
par l’Art, cofinancé par la Commission
européenne (Programme Culture) pour la
période 2011 – 2016.
Métamorphoses
Rendez-vous européen de l’art
et de l’espace public
Préparation de la première édition en
2013, dans le cadre de Marseille-Provence,
Capitale européenne de la culture
ICS EN 2011
www.lieuxpublics.com
Small is beautiful
Spectacles, installations et interventions en espace public
Du 5 au 16 octobre Martigues / Marseille / Aubagne – gratuit
Espaces sonores (FR) Un Pépin pour 2
Parcours sonore sous un parapluie
Du 5 au 16 octobre 2011 aura lieu la 5ème édition de Small is beautiful, événement
organisé par Lieux publics - Centre national de création, et IN SITU, réseau européen pour
la création artistique en espace public. Des artistes venus de toute l’Europe, investissent
l’espace urbain d’un territoire traversant Martigues, Marseille et Aubagne ; ils surprennent
notre regard sur la ville en proposant spectacles, parcours et performances gratuits en
espace public.
Programmation sous réserve de modification
Théâtre à l’envers (FR) Ici ou ailleurs (la
maison)
Structure foraine utopique aux multiples portes
Divadlo Na Peróne (SK) / Là Hors De (FR)
Step by Step #3
Migrances artistiques, voyage de la langue
Marcher commun (FR/IT) Antipodes, Nice,
De Fakto, Rhône-Alpes, Cosetta Graffione,
Turin, Daniele Ninarello, Turin.
Solos et duos dansés sur le thème des
fontaines et bassins
Jean-Georges Tartare (FR) AAAA.A
Tout le répertoire Tartar(e) et la sortie de
son nouveau livre « Le Fictionnaire »
ANPU (FR) Le Cas Martigues
Psychanalyse urbaine de la ville de Martigues
Lieux publics & Cie (FR) Le Concert de public
Le concert dont vous êtes le héros
Cie Yoann Bourgeois (FR) Cavale
Spectacle sur la recherche de la base et
du sommet
Olivier Grossetête (FR) Le Phare d’eau et
autre construction
Construction monumentale participative
Tony Clifton Circus (IT) Mission Roosevelt
Invasion de fauteuils roulants dans la ville
Artonik (FR) « … Et ainsi de suite… »
Spectacle installation pour parcs et jardins publics
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Théâtre du son (FR) Chez Lucille
Installation immersive
Adelin Schweitzer (FR) HollyVJ
Performance sonore et visuelle
Ilotopie (FR)
Apparitions nautiques mobiles et immobiles
Théâtre du Centaure (FR)
Apparitions équestres
Vidéodrome (FR)
Staircase movie
Mondial de FlashRue
Et aussi, la semaine radiophonique
Grenouille is beautiful, les conférences et
rencontres avec les artistes…
IN SITU
European network for artistic
creation in public space
Nine years after its creation, the IN SITU network introduces META, European Manifest for the
Transformation thought Art*. This new project intends to develop the idea of a societal function of art
and artistic creation in public space. Focusing on three major themes: “European metamorphoses”,
or how large-scale artistic offerings can bring renewed magic to public space; “Walk in progress”,
urban walks, strolls and other circuits to (re)discover our living spaces; and “Shared cities”, in which
the artistic creations draw their inspiration from the territories and their inhabitants themselves.
For five years, from 2011 to 2016, nineteen cultural organisations from fourteen countries, 9 of which
belong to an inner circle of decision-makers. The network now covers 14 countries in the European
Union and has reached out appreciably towards Central Europe.
Co-organisers:
Arge La Strada
La Strada, Graz (AT) July 26th to August 6th
IN SITU Member since 2003.
Heartbeat for Austrian productions in the field
of urban arts, La Strada has consolidated its
role close to the Czech, Slovenian and Kosovan
partners as a springboard for cooperation and
dialogue at the heart of an outward-looking
Europe.
www.lastrada.at
Artopolis Association
PLACCC, Budapest (HU) end of September
IN SITU member since 2009.
Artopolis is a young association, which organizes the PLACCC festival (Budapest and Pécs).
As well as dealing with programming, it also
produces projects combining living arts, plastic
arts, urban planning, architecture and sociology.
www.en.placcc.hu
Čty i dny
4+4 Days in Motion, Prague (CZ), end of
October. IN SITU member since 2009.
For the past fifteen years, the association Čty i dny
(Four days) has organised the international
theatre festival 4+4 Days in Motion. Its driving
force is the mobility of artists thanks to an intensive policy of dialogue throughout Central
Europe and bilateral residences held in Prague
and abroad.
www.ctyridny.cz
Københavns Internationale Teater
Metropolis, Copenhague (DK), August
IN SITU member since 2009.
The Københavns Internationale Teater is
present on the Nordic urban arts scene with
“Metropolis”. This event is founded on biennial alternation between a festival combining
performing arts and installations and a Laboratory
for the development of the creative city.
www.kit.dk
Košice 2013
Use the city, Košice (SK) 25th-29th of May
IN SITU member since 2009.
Named European Capital of Culture 2013,
Košice focuses part of its Interface 2013 project
on redeveloping its public spaces and their
relationship with the citizens of the city. At
the heart of the project is a desire to support
contemporary creation and its link with the
populations.
www.kosice2013.sk/en
Lieux publics
Small is beautiful, Marseille (FR) 5th-16th of
October
IN SITU leader since 2003.
Unique in France and throughout Europe and
under the direction of the artist Pierre Sauvageot, Lieux publics is the national reference
centre in the field of creation for innovative
emerging art forms and new moving aesthetics
in public space.
www.lieuxpublics.com
Provinciaal Domein Dommelhof
Theater op de Markt, Neerpelt (BE) October
29th to November 1st
IN SITU member since 2009.
The Theater op de Markt (the theatre on the
market square) alternates a season of circus arts
in odd years with a season of itinerant art in
public space in even years. Its policy of supporting the productions of both young emerging
artists and more seasoned performers makes it
a renowned player on the European stage.
www.theateropdemarkt.be
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Oerol Festival, Terschelling (NL) 17th to 26th
of June
IN SITU member since 2006.
Veritable know-how giving rise to discoveries
combining theatre and landscape art, the Stichting Terschelling Oerol Festival has became
in the space of thirty years one of the leading
open-air international artistic event.
www.oerol.nl/en
UZ Events
Merchant City Festival, Glasgow (GB) 18th–
24th of July
IN SITU member since 2003.
A specialist in the organisation of cultural
events, the company UZ Events is omnipresent
both on its home territory and across the five
continents. Its founder, Neil Butler, puts his
strategic expertise to equally good use in the
fields of economic revitalisation, social insertion and intelligent tourism.
www.uzevents.com
Partners:
Atelier 231 (FR)
Bunker (SI)
Associazione C’era l’acca (IT)
Festival Chalon dans la rue, L'Abattoir (FR)
Cork Midsummer Festival (IR)
Fundación Municipal de Cultura
de Valladolid (ES)
La Paperie (FR)
Pronomade(s) en Haute-Garonne (FR)
X.Trax Arts Ldt (UK)
Oda Teatri (KO)
*This project is funded with support from the
European Commission (DGEAC – Culture
programme)
zone artistique
temporaire
à montpellier
2o1o > 2o2o
explorer
la ville autrement
spectacles et surprises urbaines :
arts vivants > arts visuels > street art >
performances > projets in situ > pastilles
vidéos réalisées avec des artistes,
des habitants de montpellier,
des observateurs de l’urbain
visibles sur internet et smartphone
3ème zat 11 > 13 nov 2o11
dernière zat > 31 déc 2o2o
zat.montpellier.fr
IN SITU réseau européen
pour la création artistique en espace public.
Créé en 2003 et piloté par Lieux publics,
Centre national de création, il rassemble
21 partenaires dans 15 pays de l’Union Européenne
IN SITU the European network
for artistic creation in public space.
Created in 2003 and led by Lieux publics,
Centre national de création, it brings together
21 partners from 15 countries within the European Union.
ME T A
la nouvelle aventure artistique d’IN SITU
the new artistic adventure of IN SITU
Cinq années pour métamorphoser la ville,
arpenter les territoires,
partager la création en Europe
Five years to metamorphose the city,
embrace the territories
and share creation in Europe
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This project has been funded with support from the European Commission (DGEAC –
Culture programme). This communication reflects the views only of the author, and
the Commission cannot be held responsible for any use which may be made of the
information contained therein.
oyelle
© Fanny Br
www.in-situ.info