11ième Journée d`etude DEI - DEI

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11ième Journée d`etude DEI - DEI
11ième Journée d’étude DEI-France, 24 novembre 2012: Enfance, droits de l’enfant et territoires.
Contribution de Marie-Martine BERNARD,
Juge de proximité (ED) près le Tribunal de Police de Paris
Représentante de l’Association Nationale des juges de Proximité (ANJP), chargée du Pénal et des Questions Mineurs
Vice présidente de la Fédération Internationale pour l’Education des parents (FIEP)
Membre de Défense des Enfants International-France (DEI-France)
Les interrogations que soulève le sujet de cette 11ième Journée d’Etude de DEI-France, m’interpellent
particulièrement en tant que juge de proximité (JP) et en tant qu’ancienne chargée d’enseignement dans le
secondaire et le supérieur, notamment à l’IEJ de Paris 2. Je rappellerai très brièvement que la création des JP en
2002 semble être enracinée dans le besoin qu’éprouve toute société de résoudre à l’échelon local la multitude de
petits conflits du quotidien en y apportant des réponses rapides, simples, compréhensibles par tous.
Il a été souligné que l’avènement du juge de proximité procédait de la logique qui présidait dès 1790 à
l’élaboration de la définition du juge de paix dictée par la nécessité d’entreprendre une réforme judiciaire. Il est
tentant de faire observer que le 24 mars 1790, Jacques-Guillaume THOURET (député, rédacteur de Cahiers de
doléances en 1789, guillotiné le 22 avril 1794) déclarait devant l’Assemblée Constituante : il faut que dans
chaque canton tout homme de bien, ami de la Justice et de l’ordre, ayant l’expérience des mœurs, des habitudes,
et du caractère des habitants, ait par cela seul, toutes les connaissances suffisantes pour devenir à son tour juge
de paix. A cette définition, il greffait la question de la nécessité de la régénération absolue et incontestable de
l’ordre judiciaire, alors même, observait-il, que l’esprit des grandes corporations judiciaires est un esprit
ennemi de la régénération.
Je relèverai simplement que le besoin de « régénération » se manifeste aujourd’hui tant au regard du corps
judiciaire que du corps enseignant, par les tenants d’une mise à proximité des institutions au service des citoyens
et notamment des plus jeunes pour qui, la distance à réduire est en tout : dans l’espace, dans le temps, dans
l’habit ou le décorum, dans la psychologie, dans la culture, dans les mots et les choses.
Pour éclairer ce besoin récurrent de proximité moteur de régénération, je renverrai parmi de très nombreuses
références, à l’article d’Antoine PELICAND: Les juges de proximité en France, une réforme politique ?
Mobilisations et usages de la notion de proximité dans l’espace judiciaire, in Droit et Société 66/2007, p 275294, et à l’article du Monde du 02 avril 2010 : Il faudrait une révolution copernicienne pour réussir les Etats
Généraux (de la sécurité à l’école) par Claude LELIEVRE, éminent historien des sciences de l’Education.
J’indiquerai plus modestement les similitudes que j’ai pu constater au cours de mes missions de JP et
d’enseignante qui confortent l’idée d’une nécessaire régénération de la Justice et de l’Ecole afin de rendre plus
cohérentes leurs politiques et les actions qu’elles assignent aux personnes et agents de terrain.
J’ai en effet pu vérifier d’une part que le JP pouvait être considéré comme un « profane » (voir A.PELICAND,
Ibid., p 291) que le législateur a osé faire pénétrer dans le sanctuaire d’un corps judiciaire contraint de lui
concéder son statut de magistrat mais qui refuse de le reconnaître comme l’un de ses membres. J’ai pu mesurer
les effets de cette position se traduisant par l’indifférence ou la méconnaissance du rôle du JP au sein d’une
chaîne pénale qui ignore de fait son premier chaînon. Je peux en attester les conséquences dévastatrices quant à
l’intérêt des jeunes justiciables qui se voient alors privés d’une réponse judiciaire adaptée à leur âge, leur
personnalité, dès lors que cette « étape » dans leur quête identitaire est occultée au profit d’une certaine
conception de proximité de justice qui les renvoie trop souvent hélas s’acquitter au prix fort, devant une justice
beaucoup plus répressive, de la commission d’un acte qu’ils n’ont pu empêcher faute d’avoir été antérieurement
« prévenus ». C’est là une autre façon de signaler combien la méconnaissance du traitement de la délinquance
juvénile contraventionnelle par les juges de proximité et la mise à distance de ces derniers, contribuent à rendre
moins visible les atteintes portées à la justice pénale de proximité et les risques qu’elle encourt, comme celui de
sa disparition en dépit du principe même de l’intérêt prétendu supérieur de l’enfant, du jeune « contrevenant ».
D’autre part, j’ai pu constater qu’être « professeur de droit vacataire » dans le secondaire, c’est être l’arlésienne
de l’éducation nationale. Arlésienne, car le statut de professeur de droit n’existe pas. Et pour cause, le droit est la
seule matière qui ne soit pas enseignée dès l’école. Il convient dès lors de s’interroger sur la mise à l’écart,
récurrente elle aussi, du droit à l’école. Ne résulterait-elle pas de la croyance erronée en l’existence d’une
éducation juridique prévue dans les programmes scolaires mais qui, dans sa mise en application, n’est guère
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différenciée de l’éducation civique alors même que le contenu et les objectifs de ces deux disciplines sont
différents ? Mais la différence majeure entre éducation civique et éducation juridique est-elle toujours bien
perçue ?
Si l’éducation civique se fonde sur l’enseignement des principes républicains, Liberté, Egalité, Fraternité,
l’éducation juridique, elle, a pour but de faire accéder aux corollaires de ces principes, ce que j’appellerai la règle
des trois « R ». Liberté = Responsabilité (civile, contractuelle, pénale). Egalité = Respect (tous égaux en droit,
mais tous différents, le respect qui n’est pas simple tolérance conduit à la reconnaissance de l’Autre, à
l’acceptation de sa différence ce qui est la base même de la Fraternité), Fraternité = Réciprocité, génératrice de
solidarité.
En tout état de cause, une éducation civique qui ne s’appuierait pas sur une éducation juridique confinerait à
l’absurde. Elle risquerait de se figer sur un enseignement redondant, répétant des notions étudiées en Histoire,
telles que « les pratiques institutionnelles », « les valeurs républicaines »… et se trouverait décalée, éloignée des
préoccupations, parfois angoissantes, des jeunes élèves. Quid par exemple de l’apport des arcanes du vote, de
l’éligibilité et de leurs modalités, pour des 10/16 ans, c’est-à-dire pour des non-électeurs, exposés à des dérives
telles que la drogue et son commerce, les incitations du virtuel, les tentations publicitaires, ou qui sont victimes
de violences, intra familiales ou autres, comme le racket par exemple, ou encore qui sont saturés d’images
dévalorisantes et dégradantes de l’espèce humaine, des adultes, y compris parfois des élus ?… Il paraît donc
nécessaire d’adapter l’éducation civique à la coexistence d’une éducation juridique destinée à fournir des
réponses structurantes aux interrogations des jeunes, aux attentes des adultes (voir référence bibliographique in
annexe jointe n°5a), et par ailleurs, de faire évoluer les mentalités de certains enseignants quant à l’acceptation
de l’enseignement du droit à l’école, dès l’école, qui informerait en formant.
Autrement dit, l’éducation juridique devrait être le socle référentiel de toute éducation civique en garantissant
son effectivité. A titre d’exemple, enseigner ce qu’est le « racket » et les sanctions qui le répriment, ou encore
définir ce que le droit entend par injures en expliquant pourquoi et comment il les sanctionne, aura plus de
chance d’avoir un impact sur les velléités ou potentialités de tel élève, sur son comportement, dans et à
l’extérieur de l’établissement, que l’annonce d’un éventuel passage en conseil de discipline. Conseil qui ne
saurait se substituer à un tribunal, pour « sanctionner » un « comportement » non conforme au règlement interne
et réduit, par méconnaissance des règles juridiques, à une incivilité (voir infra : deuxième problématique). En
outre, dans l’hypothèse où le résultat escompté n’est pas atteint, le chef d’établissement pourra alors s’appuyer
sur « la loi générale s’appliquant à tous » pour conforter l’autorité de sa décision.
Par ailleurs, d’aucuns prétendent que le droit est enseigné au travers des interventions des professionnels
(avocats, gendarmes, policiers…). Or, la collaboration de ces intervenants n’est que ponctuelle et n’existe pas
dans tous les établissements scolaires. Enfin ce partenariat ne saurait se substituer à un enseignement qui s’inscrit
dans une certaine durée, qui nécessite une approche et une pédagogie spécifiques, qui s’appuie sur un contenu
plus vaste, plus général que celui de l’exposé d’une expérience professionnelle ou d’une présentation d’une
profession, servant surtout, et c’est là tout l’intérêt, à illustrer des données théoriques en contribuant à leur
diffusion. Or précisément ce sont ces données théoriques qui manquent et qui marquent le rendez-vous manqué,
par l’école, de l’enfant et de la loi, rencontre qui devrait pourtant avoir lieu le plus tôt possible, en amont de tout
conflit, dans un cadre extra judiciaire.
En ne saisissant pas l’opportunité de faire accéder l’enfant à la règle de droit, de le faire réfléchir sur son bienfondé, sur les conséquences de sa transgression, l’école contribue d’une part, à la méconnaissance du juridique et
du judiciaire, qui est l’une des caractéristiques majeures des violences et de la délinquance des mineurs, et
d’autre part à la création d’une carence grave dans l’éducation de l’enfant. En effet, l’enfant privé de la
possibilité de connaître et de comprendre les règles, les droits et les obligations en général, les siens en
particulier, et de la possibilité de réfléchir aux conséquences de leur inobservation est un enfant en réalité privé
de repères stables dans sa quête identitaire, dans son cheminement d’adulte et de citoyen en devenir. Et parce
qu’il ignore que la loi est faite pour protéger, préserver, informer, guider, sanctionner, il sera dépourvu du
réflexe, salutaire, de se prémunir ou d’accepter de l’être, en s’installant parfois dans la rébellion, ou dans un mal
existentiel.
Enfin, il conviendra d’observer que l’enseignement du droit à l’école devrait être le domaine de prédilection de
l’information et de la formation des jeunes aux droits de l’homme et à ceux résultant de la Convention
Internationale des Droits de l’Enfant. Ce qui, comme indiqué plus haut, est compatible avec des interventions
extérieures illustrant la mise en pratique de ces droits.
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Dès lors, il serait cohérent d’inscrire aux programmes scolaires, un enseignement général et non plus
ponctuellement entrepris ici où là, du droit qui serait adapté, mis à la portée des différents auditoires et à leur
classe d’âge. Lesquels par l’apprentissage du vocabulaire juridique qui leur serait offert, pourront comprendre
des règles, pourront réfléchir non seulement à leur essence mais aussi à leur efficacité, particulièrement à
l’efficacité dissuasive des sanctions qu’elles édictent. Ils pourront ainsi repérer les étapes balisées par une
éducation juridique qui les conduirait à reconnaître leur / la responsabilité de l’individu, la liberté du citoyen,
l’autorité légitime. Ce n’est en effet qu’en connaissant les règles du jeu, que l’enfant pourra jouer son rôle sur la
scène sociale et contribuer à la formation du fameux lien social dont on oublie trop souvent qu’il est lui-même
conditionné et garanti, précisément, par le respect des valeurs et par celui des règles qui les véhiculent, par
l’application de ces règles, et par leur transmission .(Sur tous ces points, y compris sur une proposition de
contenu des programmes du droit enseigné à l’école, la formation des professeurs de droit du secondaire, des
liens à créer en direction de l’environnement familial de l’enfant, voir réf. biblio note n°5a et 5b).
Force est de constater jusque là, que l’Education Nationale peine pour admettre l’évidence d’un enseignement à
part entière du droit indispensable à la « formation » civique des jeunes citoyens, pour reconnaître que cet
enseignement leur donnerait les clés d’une accession apaisée à la société dont ils se sentent, à tort ou à raison,
trop souvent rejetés. C’est pourtant en suivant cet enseignement que les jeunes auraient le plus de chances de
devenir acteurs de la protection de leurs droits, de leur prise de distance avec les tentations et les tentatives de
déviances, des violences, de la délinquance (voir réf. biblio n°5a). Et ce n’est qu’en passant par cette étape
préalable, que les mises en scène selon des scénarios divers de « démocratie participative », remporteront le
succès qu’elles méritent.
C’est pourquoi, tant au regard de la relation (droit de l’) enfant-école-famille, que de celle (droit de l’) enfantjustice-famille, je m’interroge sur la question de savoir si une révolution copernicienne ne serait pas également
nécessaire pour réussir à apaiser ces relations et rendre plus cohérentes et complémentaires les interventions de
l’école et de la justice dans la sphère sociale et familiale. Toutefois, en me gardant de répondre de façon
péremptoire à cette question, je ne retiendrai que les interrogations posées dans un cadre qui les cristallise : celui
de la prévention de la (primo) délinquance juvénile allant de pair avec la prévention de la récidive et la
protection de l’enfance en danger.
Je me limiterai cependant dans cette approche du sujet de la journée d’étude de DEI à l’évocation des
problématiques majeures rencontrées, en me permettant de renvoyer celles et ceux qui souhaiteraient aller plus
loin aux quelques éléments bibliographiques référencés dans l’annexe jointe. Au préalable, je rappellerai d’une
part quelques évidences, telles que : « la prévention n’est pas la prédiction » ; « la prévention judiciaire intervient
lorsque les actions entreprises antérieurement à celle-ci ont échoué, indépendamment de la qualité des
intervenants, tout système étant potentiellement appelé à se pervertir ». D’autre part, j’insisterai sur ce qu’il
s’agit ici de tendre à la mutualisation des compétences, des expertises, des expériences, sans mélanger les rôles
et les places, sans les inverser, et sans oublier les acteurs qui se mettent au service d’une justice dédiée aux
mineurs.
Quant aux problématiques rencontrées susceptibles d’entraver ce bel ordonnancement, je n’en citerais que trois.
La première, naît de la méconnaissance du rôle du juge de proximité ricochant sur l’absence d’un
enseignement du droit à l’école. Autrement dit, sont visées ici deux pistes oubliées de la prévention de l’enfance
en danger et de l’enfance délinquante. (Voir, réf. biblio. n° 4 et 5).
La première de ces pistes se situe en amont et même indépendamment de tout passage à un acte infractionnel.
Cette piste est celle d’un enseignement effectif et à part entière du droit à l’école (voir supra). Rappelons que
l’enseignement du droit à l’école, et les ouvertures qu’il offrirait aux adultes (voir réf. biblio n° 5a), contribuerait
d’une part au « retissage » du lien social, et d’autre part, à réduire la méconnaissance du juridique et du
judiciaire, qui reste, contrairement à bon nombre d’idées reçues, l’une des caractéristiques majeures de la
délinquance avérée des mineurs.
La prévention de cette (primo) délinquance passe alors souvent par la seconde voie oubliée et largement
méconnue, savoir celle qui se situe en aval d’un acte de délinquance avérée. C’est celle du traitement, par le juge
de proximité, des contraventions des quatre premières classes commises par les mineurs, telles que par exemple,
les violences légères volontaires, l’ivresse publique, les infractions aux règles d’hygiène, au code de la route, les
fraudes et dégradations lors de transports en commun, les bruits et tapages nocturnes ou injurieux troublant la
tranquillité d’autrui… Ces mineurs sont ainsi conduits à rencontrer, souvent pour la première fois, la justice
pénale. Il s’agit ici d’apporter une réponse judiciaire adaptée à des actes de faible gravité, mais le plus souvent
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annonciateurs d’actes beaucoup plus dangereux ou révélateurs de comportements délinquants plus graves. Telle
est la situation par exemple, d’un jeune mineur poursuivi pour une « simple » violation de l’interdiction de
fumer, alors que l’on découvre qu’il se procure des produits illicites pour son usage personnel ou pour celui
d’autrui. A ce stade, la réponse judiciaire doit représenter pour le jeune justiciable une chance de s’affranchir de
situations déviantes, voire même criminogènes, auxquelles il est parfois confronté. Le juge de proximité est ainsi
le premier maillon d’une chaîne pénale, qui l’occulte le plus souvent sans même mesurer la dimension
pédagogique et préventive de sa mission juridictionnelle (voir réf. biblio. n°1 à 3).
Ici, la prévention en aval d’un acte de délinquance juvénile avéré renvoie donc à celle d’une prévention en amont
indépendante de tout passage à l’acte infractionnel. Enfin, un passage obligé par ces deux voies en direction des
jeunes, permettrait de vérifier combien le lien humain est vital pour créer le lien social, pour éviter le délitement
des relations humaines sans lesquelles la notion même de lien social est vide de sens. Or, force est de constater
que cette problématique est elle-même soumise aux aléas d’une politique qui ferait en sorte que les législatures
passent alors que les problèmes demeurent (voir réf. biblio. nota n°6).
C’est dans tous les cas ce que j’ai pu constater au cours de mes expériences d’enseignante puis de juge de
proximité près le Tribunal de police de Paris où, entre 2005 et ma récente demande de mise en disponibilité, j’ai
eu la délicate mission d’entendre, de « dire le droit », de l’expliquer avant de juger, par an, environ 1300 enfants
de 13 à moins de 18 ans provenant de milieux familiaux et sociaux variés, dans un contexte semé d’entraves
dues d’une part à la cacophonie orchestrée autour de la prétendue démission des parents (voir réf.biblio. note n°
5b) et d’autre part aux incohérences législatives qui se sont succédées. La dernière de ces incohérences pourrait
bien être la loi du 10 août 2011 relative à la participation des citoyens-juges non volontaires et pas forcément
juristes, contrairement aux JP, labellisés juges-citoyens qui sont néanmoins ici exclus, du fonctionnement de la
justice pénale et du jugement des mineurs (voir réf. biblio.n°6).
Par ailleurs j’attire l’attention sur le fait qu’au Tribunal de police le Ministère public, représenté par de hauts
gradés de la Police nationale, contribue avec le JP à susciter un autre regard des jeunes contrevenants sur nos
institutions. C’est pourquoi la proposition d’une délégation interministérielle Justice-Intérieur-Ecole souvent
évoquée par JP ROSENCZVEIG au sein de DEI, paraît pertinente pour l’examen du problème de la prévention
de la « primo-délinquance » juvénile et de la protection de l’enfant en danger.
En nous recentrant sur la problématique de la prévention de la (primo) délinquance, nous rappellerons
brièvement, que si un enfant en danger ne devient pas un enfant délinquant, un mineur délinquant a été ou est le
plus souvent un mineur en danger. Autrement dit, si un enfant ne naît pas délinquant, il peut le devenir. Ou non,
s’il rencontre sur son chemin des adultes référents qui sauront lui tendre la main. En définitive, les seules
questions qui méritent d’être posées sont celles de savoir comment faire pour qu’un mineur ne devienne pas
délinquant, et comment faire, lorsque cette délinquance est avérée, pour empêcher la réitération ou la récidive de
celle-ci. Pour tenter d’y répondre deux pistes viennent d’être suggérées : celle qui se situe en amont de tout
passage à un acte infractionnel et qui est celle de l’enseignement du droit à l’école, et celle qui se situe en aval de
cet acte, et qui relève de la mission du juge de proximité. Cette piste se situant en aval d’une délinquance avérée,
renvoie, par les constats qui peuvent être faits en matière d’ignorance ou d’indigence du vocabulaire juridique et
des règles de fond et de forme du droit, à la piste de l’enseignement du droit située en amont et indépendamment
de tout passage à un acte infractionnel. C’est précisément au point de jonction de ces deux voies, qu’apparait la
possibilité de franchir sans heurts la frontière souvent ténue de la prévention et de la sanction, de tempérer la
volonté de punir par celle de prévenir, sans frénésie sécuritaire, ni angélisme déplacé, notamment à l’égard des
attentes légitimes des victimes et de leurs demandes de réparation.
Toutefois, ces deux pistes ne peuvent être suivies sans une action éducative entreprise par les adultes, à
commencer par les parents. Etant observé que tout acte éducatif est par essence préventif, qu’il intègre la
possibilité de sanction dans l’apprentissage et la reconnaissance des repères balisant l’accompagnement du
mineur vers sa majorité. Nous renvoyons sur ce dernier point à l’ouvrage incontournable d’Eirick PRAIRAT :
Sanction et socialisation, PUF, avril 2001 ; voir nota. pp 197-203.
La deuxième problématique de la prévention de la (primo) délinquance des mineurs réside dans la confusion
récurrente qui est faite entre incivilité et infraction, en l’occurrence entre incivilité et contravention.
Il y a dans ce domaine un dangereux mélange des genres qui conduit à une confusion des esprits. On assiste en
effet à une perversion intellectuelle qui perdure depuis plus de vingt ans : à savoir, celle qui consiste à confondre
les « délits » avec ce que l’on qualifie pudiquement d’« incivilités ». Or, un délit est ce qui est défini et réprimé
par la loi.
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Pour éviter cet écueil, nous n’avons donc pas d’autre choix que de :
- soit modifier la loi en sortant de nos textes tout ce que nous considérons dans notre société comme des
incivilités ;
- soit s’entendre sur ce que nous voulons considérer comme des délits même mineurs et que nous souhaitons
réguler par la loi.
Mais il faut alors prendre garde à ce que la requalification en incivilité de ces « petits délits » ne crée pas une
nouvelle « norme » qui consisterait à « excuser » des comportements ou attitudes fautifs générateurs de tensions
dans nos sociétés et à amplifier les fameux sentiments d’impunité et d’insécurité. C’est le risque encouru avec
les propositions « généreuses » de déjudiciarisation (voir réf. biblio. n° 3) ou de dépénalisation des petits délits,
en fait des contraventions, comme par exemple les injures, les violences légères, les bruits et tapages… Pour
autant, s’il n’est pas question ici d’assiéger les tribunaux avec une foultitude de « petites affaires », on ne doit
surtout pas masquer le fait qu’un traitement judiciaire adapté à ces petites infractions représente une opportunité
puissante pour éviter leur réitération.
En outre, il conviendra également de veiller à ce qu’une correctionnalisation excessive de faits constitutifs de
contraventions (comme par exemple l’occupation abusive des halls d’immeuble mais sans voie de fait) ne soit
pas une conséquence de la perversion intellectuelle dénoncée plus haut. Correctionnalisation qui brouillerait à
son tour les messages à envoyer aussi bien aux auteurs de ces faits qu’aux victimes. L’exemple du maire de
Cousolre condamné à 1000 euros d’amende et à 250 euros de dommages et intérêts pour avoir répondu par une
gifle à ce qu’il avait qualifié d’ « incivilités exaspérantes », illustre le désarroi que peuvent engendrer la
confusion incivilité-infraction et la méconnaissance récurrente de l’existence du contentieux contraventionnel, y
compris par les élus, empêchant ainsi que soit apportée une réponse adaptée aux actes de délinquance perpétrés
et subis.
Il est donc important de retenir que si, sous le mot d’« incivilité » se traduisant par l’expression « petit délit, pas
grave », sont visés divers comportements tels que faire du bruit sur la voie publique, répondre par une injure ou
avec agressivité à un mauvais regard, occuper un hall d’immeuble, bref, des « incivilités qui pourrissent la vie au
quotidien », il ne faudra plus s’étonner ensuite à la lecture ou à la retransmission de tel ou tel « fait divers » que
le bruit tue (untel excédé par le bruit tire sur celui qui en est l’auteur…), que l’occupation d’un hall d’immeuble
se solde par deux mois d’emprisonnement et 3750 euros d’amende, que le mauvais regard a valu à la victime qui
y a répondu 150 euros d’amende sanctionnant un comportement violent entre communautés… Et qu’un maire
soit condamné pour avoir confondu incivilité et infraction, confusion à l’origine de sa réponse inadaptée, mais
également inacceptable eu égard à sa qualité de dépositaire de l’autorité publique, que son « agresseur verbal »,
mineur de quinze ans au moment de l’« incivilité » reprochée (escalade d’un grillage appartenant à la commune
pour récupérer un ballon sur un terrain communal et injures proférées) soit poursuivi pour un délit et condamné à
250 euros payés par le père immédiatement au maire ; que ce dernier, après avoir refusé toute tentative de
conciliation qui aurait pu éviter le procès initial, interjette appel de sa condamnation, et vient, enfin, d’être
relaxé.
En réalité, indépendamment de la nécessité d’une éducation au droit, la question qui se pose est celle de savoir
où placer le curseur entre ce qui est grave et ce qui n’est pas grave. Au gré des politiques et de l’état de notre
société on naviguera alors entre répression et déjudiciarisation, voire dépénalisation sans même savoir quels
faits peuvent faire l’objet de l’une ou de l’autre.
Le mélange des genres infractions-incivilités entraînant la confusion des esprits, l’on assisterait alors à
d’étranges tentations de transferts, à certaines mutations :
- la prévention de la primo-délinquance, devenue sans objet par la confusion de l’incivilité avec l’acte
infractionnel de gravité moindre, est éclipsée, au détriment des jeunes justiciables, qui ne « bénéficieront » que
de la prévention de la récidive de leur acte grave par le prononcé « obligé » d’une sanction lourde, parfois
aggravée par le système des peines planchers ;
- la prévention judiciaire est remplacée par des mesures de police administrative inadaptée au souci d’éducabilité
des mineurs en conflit avec la loi, à leur responsabilisation, et aux principes généraux du droit (voir infra : la
3ième problématique) ;
- la responsabilité pénale des enfants devient ainsi un avatar de la responsabilité personnelle des parents, et
réciproquement : les principes de responsabilité pénale personnelle et de personnalité des peines sont bafoués ;
- l’alignement du droit pénal des mineurs sur celui des majeurs est ainsi de plus en plus tentant, voire tenté ;
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- à l’opposé, les cas de responsabilité pénale du fait d’autrui se rencontrent souvent dés lors que l’amende
sanctionnant l’acte imputable au mineur est payée par ses parents alors même qu’ils n’ont commis aucune faute
d’éducation, de garde ou de surveillance… ;
- le transfert grandissant du pouvoir juridictionnel aux Parquets aboutit très souvent à des classements sans suite
au détriment de réponses qui n’ont pu être données de ce fait par les juges du siège, et contribue ainsi à renforcer
le fameux sentiment d’impunité, et l’ «illisibilité» des réponses de la justice pour les victimes, voire l’ensemble
des justiciables ;
- la tentation de transférer aux maires ou aux présidents de conseils généraux le pouvoir juridictionnel de décider
de « sanctions », comme la réparation ou le travail d’intérêt général dont sont privés les juges de proximité, alors
que maires et présidents de conseil généraux n’ont aucune légitimité pour l’exercer1;
- la tendance des Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD)2 ou des Conseils pour
les droits et devoirs des familles et accompagnement parental3 de s’arroger le « pouvoir » de juger, devançant les
transferts des compétences des JP à des citoyens, non habilités à juger « en droit » en « participant au
fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs »… (Voir réf. biblio. n°6).
Or, ce faisant, c’est un retour à la responsabilité pénale collective archaïque et à l’arbitraire qui est amorcé, c’est
la sécurité juridique de tous et de chacun qui se trouve menacée. Et c’est aussi une violation des principes
fondamentaux du droit (séparation des pouvoirs, responsabilité pénale personnelle, personnalité des peines, rejet
de l’automaticité des peines, droit pénal des mineurs…) et la confiscation de celui-ci qui est infligée aux citoyens
(voir réf. biblio. n°6 et infra, 3ième problématique).
Dans une optique de prévention, la manière dont on traite ces petites infractions constitue un élément
incontestable de l’apprentissage conscient d’une citoyenneté de nature à réduire les tensions dans nos sociétés,
entre individus bien sûr, mais aussi entre communautés issues de cultures différentes, entre lesquelles les
premiers facteurs de friction tiennent souvent à des comportements juvéniles faiblement « fautifs » que
« l’autre » ne sait pas décoder.
En définitive, la réponse judiciaire donnée à ces « petits délits » qui dans notre droit portent le nom de
contraventions, devrait être prise en considération ou tout au moins être connue ! Et cette réponse ne saurait se
passer d’un contact humain visant à recaler des déviations comportementales fautives, dernière étape pour la
société pour éviter des réitérations, des récidives, des passages à des actes plus dangereux, plus « graves ». C’est
là précisément toute la mission qui est dévolue aux juges de proximité, et qui se trouve écartée ici par la
confusion entre incivilité et contravention. C’est pourquoi il apparaît urgent de mettre un terme à la confusion
originelle entre incivilité et infractions en les définissant respectivement. Rappelons donc que les incivilités
caractérisent des carences éducatives qui ne devraient faire l’objet que de réprimandes dans et par un milieu
social et surtout familial vigilant. Les contraventions matérialisent des infractions, des transgressions de règles
déterminées par la loi, et sanctionnées judiciairement. Ces définitions précises devraient donc pouvoir servir de
d’une part de repères pour éviter des dérapages, et d’autre part de limites pour une construction efficiente des
jeunes. Particulièrement lorsqu’un rappel important des limites et des conséquences de leur transgression n’a pas
été entrepris de façon extra judiciaire, à l’école, par une éducation, effective et adaptée, au droit.
Il apparaît tout aussi urgent de réhabiliter le traitement par le juge de proximité des contraventions des quatre
premières classes commises par les mineurs, s’agissant d’un mode original de régulation à visage encore humain
des désordres nés d’infractions commises par des enfants, par des jeunes qui ont besoin de repères clairs
s’appuyant sur la force symbolique de la loi pour avancer et se projeter dans l’avenir qu’ils ont bien du mal à
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Cette tentation ressort de plusieurs rapports, dont, le rapport Varinard sur la réforme de la justice des mineurs. Tant qu’à présent, les maires
disposent, lorsque « l'ordre, la sécurité ou la tranquillité publics sont menacés à raison du défaut de surveillance ou d'assiduité scolaire d'un
mineur » de la possibilité de suggérer un accompagnement parental consistant en « un suivi individualisé au travers d'actions de conseil et de
soutien à la fonction éducative » (art. L141-2 CASF) ou du pouvoir de saisir le président du Conseil général pour la conclusion éventuelle
d’un contrat de responsabilité parentale (même article). Les présidents de conseils généraux disposent de faculté d’imposer un contrat de
responsabilité parentale en cas d’absentéisme scolaire « ou de toute autre difficulté liée à une carence de l'autorité parentale ». « Ce contrat
rappelle les obligations des titulaires de l'autorité parentale et comporte toute mesure d'aide et d'action sociales de nature à remédier à la
situation » (art. L.222-4-1 CASF). «Lorsque des faits sont susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou à la
salubrité publiques », le maire peut également effectuer un rappel à l’ordre verbal (art. L2212-2-1 CGCT).
2
Les CLSPD ont pour mission la « concertation sur les priorités de la lutte contre l'insécurité et de la prévention de la délinquance dans la
commune (…) l'échange d'informations entre les responsables des institutions et organismes publics et privés concernés, (…) définir des
objectifs communs pour la préservation de la sécurité et de la tranquillité publiques (…) » (art. D2211-1 CGCT).
3
Ce Conseil, institué par la loi 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance – dont la création est obligatoire dans les communes de
plus de 50 000 habitants - a pour mission d’accompagner le maire, mais ne dispose pas du pouvoir de sanction. Il a la faculté « d'entendre
une famille, de l'informer de ses droits et devoirs envers l'enfant et de lui adresser des recommandations destinées à prévenir des
comportements susceptibles de mettre l'enfant en danger ou de causer des troubles pour autrui ; d'examiner avec la famille les mesures
d'aide à l'exercice de la fonction parentale susceptibles de lui être proposées et l'opportunité d'informer les professionnels de l'action sociale
et les tiers intéressés des recommandations qui lui sont faites (…) » (art. L141-1 CASF).
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entrevoir dans une société perturbée et perturbante. Notons que dès les années 50, l’illustre juge des enfants Jean
Chazal observait que quelle que soit l’importance tant des facteurs économiques et sociaux que des carences
éducatives et des frustrations affectives qui en découlent, on ne saurait, dans la genèse des conduites de
délinquance, réduire celles-ci à une seule explication socio-économique. Entreprendre une action éducative en
faveur d’un jeune délinquant, ce n’est pas s’appliquer à le conditionner et à le manipuler afin de l’insérer dans
les brancards d’un conformisme social et d’une pensée officielle. Avant tout, c’est le saisir à l’intérieur, et
l’aider à sortir de ses conflits, à se réconcilier avec lui-même et avec l’autre, à se libérer du sentiment de rejet
qu’il porte en lui, à s’ouvrir au monde. Ainsi, il est amené à réaliser progressivement ses options, à s’élever à sa
condition d’homme responsable et fraternel...Si nous entendons traiter efficacement la délinquance juvénile et,
plus encore, la prévenir, il nous faut mobiliser les forces vives de la communauté et éclairer l’opinion
publique... Entre les partisans de la rigueur inconditionnelle et les partisans d’une permissivité non moins
inconditionnelle, il devrait y avoir encore place pour ceux qui croient en la valeur d’une action éducative et d’un
soutien psychologique en faveur du mineur délinquant (Voir Jean CHAZAL, L’Enfance délinquante, Que saisje ?, n°563, p.124, PUF 1983).
La troisième problématique de la prévention de la délinquance juvénile et celle de l’enfance en danger naît de
l’existence des mesures de police administrative qui pourraient aboutir à une confiscation du droit pénal.
Après consultation des références suivantes….
* Guide pratique du rappel à l’ordre, Comité interministériel de prévention de la délinquance, juillet 2012 :
www.prevention-delinquance.intérieur.gouv.fr . Bien que se différenciant du rappel à la loi, ce rappel à l’ordre
vise essentiellement des contraventions souvent confondues avec des incivilités, ce qui risque de retarder les
réponses adaptées à la prévention d’une primo délinquance notamment juvénile.
* Le code de la rue : mis en place à Aix-en-Provence, juin 2009, mise à jour décembre 2010, www.mairieaixenprovence.fr ; sont essentiellement visées administrativement des faits constitutifs de contraventions mais
sanctionnés pécuniairement.
* Le traitement rapide des incivilités à Valenciennes, juillet 2002, mise à jour 2012, www.union-habitat.org . Là
encore les contraventions avérées sont frappées de « peines » pécuniaires administratives.
* La première convention de « participation citoyenne », Préfecture de l’Aisne, 13 décembre 2011 :
www.aisne.gouv.fr , et circulaire du ministère de l’intérieur du 22 juin 2011 : http://i.ville.gouv.fr . Cette
convention signée à Chagny (Saône- et- Loire), d’inspiration anglo-saxonne, semble ne pas avoir tiré les leçons
négatives des pratiques de la « délation citoyenne » d’inspiration anglo-saxonne, instaurée par les « Anti Social
Behavior Order » (ASBO).
Les ASBO sont des mesures de nature hybride et arbitraire, ce qui soulève de nombreuses critiques. D’une part
elles sont prononcées par un tribunal civil pour une durée minimale de deux ans, elles ordonnent aux auteurs
d’incivilités, adultes ou enfants à partir de dix ans de cesser leur comportement antisocial établi par simples
témoignages, ouï dire et délations. C’est là une des différences majeures avec les contraventions soumises au
principe de légalité. D’autre part elles relèvent du pénal par leurs sanctions du non-respect des obligations
qu’elles édictent, comme par exemple l’interdiction d’utiliser un téléphone portable, par des peines
d’emprisonnement allant jusqu'à 5 ans pour les majeurs et à 2 ans pour des mineurs à partir de 10 ans, et par une
peine d’amende pouvant aller jusqu’à 7500euros. Enfin, elles ne tranchent pas le problème de la responsabilité
pénale des parents pour le fait fautif de leur enfant.
….S’interroger sur les questions de savoir :
S’il n’est pas à craindre que ces mesures de police administrative substituent la rentabilité financière à une
prévention effective de la délinquance passant par des réponses judiciaires appropriées ?
Quid dans ces cas, du rejet de l’arbitraire, de l’insécurité juridique, de l’automaticité des peines, du respect des
principes de la séparation des pouvoirs, des droits de la défense, de la personnalité des peines ?
Quid également en cas d’application de ces mesures à l’encontre des mineurs notoirement insolvables de la
nature de l’obligation transférée de fait à leurs parents? Quid ici encore du primat de l’éducatif et des principes
fondamentaux du droit pénal ?
Quid aussi des recours éventuels devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ou de ceux fondés sur des
Questions prioritaires de Constitutionnalité?
En définitive, en regard des problématiques évoquées, les interrogations posées par le sujet de cette journée
d’étude de DEI, devraient pouvoir s’inscrire dans le cadre des projets relatifs à la Refondation de l’école et dans
celui de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive.
S’il apparaît en effet urgent d’apprendre le droit à l’école, il apparaît tout aussi urgent de sauvegarder, voire de
réhabiliter la justice pénale de proximité dans l’intérêt même des jeunes justiciables qui seraient ainsi sensibilisés
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aux risques encourus par un éventuel ou potentiel ancrage dans la délinquance. Il est également urgent
d’apprendre enfin à travailler ensemble dans la complémentarité, sans mélanger les rôles, avec cohérence, sans
être dupes des politiques politiciennes, sans se soumettre aux lobbyings ou aux corporatismes aveugles au point
de ne pas reconnaître les apports réciproques de tous les acteurs veillant à préserver les droits des enfants, et à les
protéger. Entre révolution copernicienne et simples réformes, il y a certainement place en effet pour une volonté
politique soucieuse de faire prévaloir l’intérêt des enfants sur toute autre considération. Cette volonté anime à ne
pas douter, celles et ceux qui, à l’instar de Jean ROSTAND, n’oublient pas qu’en politique, les insensés peuvent
faire en sorte que ce soient les sages qui aient tort.
C’est dans tous les cas ce qui permettrait d’éviter d’entraver la cohérence ou de laisser se pervertir les systèmes
et les actions entreprises dans le domaine des droits, de la protection de l’enfance en danger et de la prévention
de la délinquance juvénile. C’est ce qui permettrait d’éviter plus particulièrement le déclin de l’institution
judiciaire par une parodie de justice, par la négation de la justice pénale de proximité au profit d’une proximité
de justice approximative.
Dans un tel contexte, les propos de Pierre TRUCHE et de Jean ZERMATTEN ont alors une résonance
particulière :
Pierre TRUCHE, Premier Président honoraire de la Cour de Cassation et Président de la Commission française
consultative des droits de l’homme, rappelait : « L’enjeu des droits de l’enfant est et doit rester la dignité, et le
moyen d’y parvenir c’est l’éducation. Le progrès passe forcément par là et avec lui l’éradication de la condition
d’enfant objet, d’enfant sacrifié. » . Permettez-moi de rajouter la condition d’enfant violenté et violent, d’enfant
en danger de délinquance.
Pour Jean ZERMATTEN, Président du Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU : « Une vérité s’est toujours
vérifiée : l’enfant et l’adolescent ont des besoins spécifiques et il faut essayer d’apporter des réponses diverses,
nombreuses, nuancées, des réponses qui favorisent la responsabilisation effective du mineur, c’est-à-dire son
envie de faire autrement, sa volonté de grandir et son ambition de devenir libre, c'est-à-dire détaché de ses
chaînes d’enfant. On doit douter que la seule sanction - et encore moins la seule privation de liberté - soit la
stimulation adéquate vers cette responsabilisation.
Les systèmes de justice pour les mineurs doivent être cohérents et doivent répondre à l’ensemble des problèmes
qu’ils approchent : aussi bien la petite délinquance ubiquitaire (la délinquance dite identitaire, qui est liée à la
transgression traditionnelle du passage de l’adolescence à l’âge adulte) que les manifestations spectaculaires de
révolte ou d’utilisation des jeunes par les mafias.
Trop soigner, sans responsabilisation, n’est pas suffisant, trop punir sans réfléchir est contre-productif.
Il n’y aura pas de réponse satisfaisante qui ne respecte pas les personnes (enfants, adolescents, parents), qui ne
garantisse leurs droits et surtout qui oublie le sens.
La loi a besoin d’une référence, les magistrats ont besoin de connaître la mission, les mineurs ont besoin d’avoir
confiance et le public doit croire dans l’intervention de la justice.
Où trouver le sens? Probablement dans le fait de croire que l’enfant porte en lui toutes les possibilités de
changer et que son acte, même délinquant, n’est pas une fatalité. »
Pouvait-il y avoir plus belle conclusion qui touche de surcroît le cœur même des débats de cette journée
d’étude ?
.
MM BERNARD
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ANNEXE
Quelques éléments bibliographiques pour aller plus loin sur les sujets abordés dans cette
contribution à la journée d’étude DEI
Articles publiés au Journal du Droit des Jeunes (JDJ)
1°) A propos des mineurs devant la juridiction de proximité, Marie-Martine BERNARD (MMB), JDJ n°259,
novembre 2006.
2°) Une compétence particulière du juge de proximité : le traitement de la délinquance juvénile
contraventionnelle, MMB,JDJ, n°274, avril 2008 ; (ce document a été transmis à titre de mémoire à la
Commission GUINCHARD sur la répartition des contentieux et des compétences, et à la Commission
VARINARD sur la réforme de l’Ordonnance du 2 février 1945, Commission qui a préféré « oublier » les juges
de proximité ; ce document a été toutefois distribué par l’ENM dans le cadre de ses formations).
3°) Réflexion pré et post Rapport VARINARD. La méconnaissance récurrente de la spécificité de la délinquance
juvénile contraventionnelle, et ses effets, MMB, JDJ, n°283, mars 2009.
4°) « Prévention » et « délinquance ». Quelle locomotive pour le train des réformes annoncées à destination des
jeunes ? MMB, JDJ, n°294, avril 2010.
5°) L’enfant en danger de délinquance. Les pistes oubliées de la prévention de la délinquance juvénile, MMB,
JDJ n°299, novembre 2010.
- Pour « creuser » davantage la piste passant par l’éducation de l’enfant au droit, voir :
5a .. L’éducation de l’enfant au droit en tant que moyen de prévention des violences et de la délinquance. Pour
un projet éducatif relié à des propositions d’aide, de type nouveau, aux familles, à la parentalité, MMB, (JDJ),
n°241, janvier 2005.
5b..Approche juridique des relations enfant-parent en Europe et dans le monde, MMB, JDJ, n°272, février
2008 ; (communication au Congrès Fédération Internationale pour l’Education des Parents (FIEP) à Londres, 2325 mars 2006).
- Pour creuser de façon ludique cette piste, et pour une vulgarisation du droit : Max est racketté ;
contribution à l’ouvrage de Dominique de Saint Mars, Col. «Ainsi va la vie», Ed. Calligram, 1997.
6°) Le droit confisqué. A propos du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice
pénale et le jugement des mineurs, MMB, JDJ, n°305, mai 2011.
Autres :
* Justice des mineurs, questions majeures; Dossier UNICEF 2009, sur www.unicef.fr
* Le contentieux contraventionnel Mineurs : terrain de prédilection des questions prioritaires de
constitutionnalité (QPC) ? Communication Tribunal de Police de Paris, 5 novembre 2010.
* Les spécificités du jugement des mineurs auteurs de contraventions des quatre premières classes ; Support
intervention ENM, document remis lors de la formation continue des juges de proximité, des
commandants et des commissaires de police, 27septembre 2011.
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