Dostoïevski - UTL du Pays Bigouden

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Dostoïevski - UTL du Pays Bigouden
Dostoïevski, un écrivain russe face à la modernité
Conférence donnée par Olivier Macaux
Présentation de quelques romans de Dostoïevski
1864 - Les Carnets du sous-sol : Ecrit par Dostoïevski au chevet de sa première
femme mourante, ce bref récit évoque la vie d’un névrosé solitaire logeant dans
un sous-sol et condense tous les thèmes de l’œuvre romanesque à venir :
l’impossibilité d’aimer, la hantise de l’humiliation, la prostituée miséricordieuse,
la critique sous-jacente du nihilisme et de l’utilitarisme, la reprise parodique de
l’affabulation romantique… Le ton polémique et sarcastique de certains
passages associé à une vision tragique de l’existence annonce d’ailleurs
certaines pages de Crime et Châtiment et des Démons.
1866 - Crime et Châtiment : Ce premier grand roman de Dostoïevski a pour
décor les bas-fonds de Saint-Pétersbourg et narre les tribulations de
Raskolnikov, un jeune étudiant pauvre, qui décide de tuer une vieille usurière
pour se prouver sa volonté de puissance. Ce qui pourrait apparaître comme un
roman policier avec ses passages obligés (le crime, la traque du meurtrier, les
soupçons du policier, les rebondissements de l’intrigue, etc.) se révèle en fait un
roman « métapsychologique » avant l’heure, fondé sur l’exploration de
l’inconscient des personnages et, plus particulièrement, celui de Raskolnikov.
Roman que traverse une puissance intérieure (que Dostoïevski ne définit jamais
et qui s’apparente autant au destin, à Dieu qu’aux champs pulsionnels de
l’inconscient) et qui mène le criminel, grâce à son amour pour Sonia, une jeune
prostituée, sur le chemin de la rédemption.
1867 - Le Joueur : Roman qui est un très brillant traité des passions, si ce n’est
même des pulsions… Dostoïevski brosse, à travers le personnage d’Alexis
Ivanovitch, un portait du joueur voué aux affres similaires de l’amour et du jeu.
Le héros se déclare l’esclave de Polina, une jeune femme à laquelle il jure un
amour absolu et éternel mais s’avère d’abord l’esclave de ses obsessions, un
esclave ne jouissant que de son abaissement et de sa déchéance. Dès lors, cet
éloge de la dépense et du risque devient une critique jubilatoire du jeu des
passions et de la passion du jeu, condamnant Alexis au gouffre de
l’insatisfaction permanente.
1868 - L’Idiot : Le projet de Dostoïevski était de décrire « un homme
parfaitement bon ». C’est ainsi qu’est née la figure du Prince Mychkine, mi-Don
Quichotte mi-Jean Valjean, qui l’apparente au Christ venu porter dans le monde
le scandale de l’amour désintéressé. Jamais sans doute Dostoïevski n’ avait aussi
bien développé sa vision tragique de la condition humaine : le Prince, cet idiot
épileptique, incapable d’affronter le monde matériel mais découvrant
immédiatement les vérités psychiques des êtres, ne parvient pas à sauver
Nastassia Filipovna de sa blessure originelle. Ce roman de l’amour sans
conditions s’achève dans le meurtre et la folie, augurant ainsi la réflexion à venir
de Dostoïevski sur la réversibilité de la Bonté et du Mal.
1871 – 1872 - Les Démons : Roman chaotique, fondé selon André Markowicz
sur « une défaillance globale du sens » et dont l’objet est de montrer la
contamination d’une société par le nihilisme. Dostoïevski annonce, à travers
l’évocation d’un groupe de conspirateurs, toutes les dérives futures des groupes
révolutionnaires et critique la vision utopique et socialiste d’un monde parfait à
venir (qui n’est autre que l’horizon des sociétés totalitaires du XXe siècle)
.
Repères chronologiques
1821 : Naissance de Fédor Dostoïevski le 30 octobre. Son père, Mikhaïl
Andreïevitch Dostoïevski est médecin militaire. Sa mère, Maria Federovna
Netchaiev, est issue d’une famille de marchands moscovites. Fédor est le
deuxième d’une fratrie qui comptera six enfants.
1833 – 1841 : Fédor part en pension avec son frère Mikhaïl. Les deux frères
préparent l’Ecole supérieure du génie où Fédor entre en 1838.
1839 : Son père meurt dans des conditions obscures : retrouvé mort dans un
champ de sa propriété de Darovoïe, il pourrait avoir été la victime d’une
vengeance de serfs. C’est à cette période que remonteraient les premières crises
d’épilepsie de Dostoïevski. Il dévore les œuvres de Schiller, d’Homère, de
Racine, de Corneille afin de « s’attaquer au mystère de l’homme ».
1841 : Dostoïevski est nommé sous-lieutenant.
1844 : Il prend sa retraite et entend vivre de sa plume.
1846 : Publication d’un premier roman, Les pauvres Gens. Un an auparavant,
l’ouvrage avait été découvert et encensé par le critique russe le plus influent de
son époque, Vissarion Bielinski. C’est un ami de Dostoïevski, le futur grand
poète Nekrassov, qui avait soumis le manuscrit au critique. Dostoïevski connaît
alors une grande renommée dans les milieux littéraires russes, mais son roman
suivant, Le Double, paru la même année, déconcerte car Dostoïevski abandonne
la peinture des milieux pauvres pour s’adonner à une description brillante et
déroutante d’un personnage sombrant dans le délire de persécution.
Dostoïevski publie une dizaine de brefs romans et de nouvelles jusqu’en 1848.
1847 – 1849 : Dostoïevski fréquente le cercle Pétrachevski dès le printemps
1847, mais ce n’est qu’à l’automne 1848 que sa fréquentation devient plus
régulière. Les réunions se tiennent au domicile de Mikhail BoutachevitchPétrachevski, un fonctionnaire assez excentrique qui s’est converti au socialisme
de Charles Fourier. Ces réunions ne sont en rien clandestines et Dostoïevski
conserve alors une distance prudente avec les thèses fouriéristes. Il se lie plus
étroitement avec le séduisant Nikolaï Spechnev qui a vécu en Europe et qui se
déclare – par provocation – communiste. Spechnev n’est pas l’adepte de quelque
paradis socialiste utopique mais le partisan de la violence et de la terreur
révolutionnaire. Il crée ainsi au cœur du cercle une organisation secrète visant à
fomenter une révolution paysanne. Or ce qui va motiver l’engagement de
Dostoïevski, c’est, non pas un intérêt marqué pour les questions sociales, mais
bien la haine du servage et des mauvais traitements imposés aux paysans. Il est
sûr qu’il s’engage corps et âme dans le groupe de Spechnev dont l’objectif
révolutionnaire est spécifiquement l’abolition du servage. Une fois la rébellion
déclarée, le groupe prétend prendre le pouvoir en instituant une dictature. Tout
ceci lui sera évidemment une matière précieuse vingt ans plus tard pour
l’écriture des Démons.
En avril 1849, il est arrêté en compagnie de trente-six membres du cercle
de Pétrachevski. Dostoïevski passe plusieurs mois dans la forteresse Pierre-etPaul (d’avril à décembre 1849) et affronte avec courage l’épreuve de la captivité
et des interrogatoires. Il nie toutes les accusations compromettantes portées
contre lui et ne trahit aucun des membres du groupe.
Mais un événement majeur va bouleverser sa vie. Il s’agit du simulacre
d’exécution mis en scène par Nicolas Ier afin de faire plier par la terreur les
conspirateurs demeurés réfractaires. Aucun des prisonniers n’a été officiellement
condamné à mort mais ils sont tous conduits sur une place publique et soumis au
rituel qui précède une exécution par fusillade : ce n’est qu’au tout dernier
moment qu’ils apprennent que leur vie est épargnée. Dostoïevski n’oubliera
jamais ces trente minutes de terreur.
1850 –1854 : Dostoïevski est condamné à quatre ans de travaux forcés au bagne
d’Omsk en Sibérie. Il a fait une peinture frappante de ces années dans son livre
semi-autobiographique, Souvenirs de la maison des morts.
1854 – 1858 : En février 1854, Dostoïevski sort du bagne et est affecté dans un
bataillon, toujours en Sibérie où il reste quatre années de plus. C’est pendant ce
séjour qu’il fait la rencontre de Maria Dimitrievna Issaiev, qu’il épouse en
février 1857. C’est en 1858 qu’il est enfin libéré de ses obligations militaires et
qu’il peut retrouver une vie, c’est-à-dire reprendre une carrière littéraire
abandonnée dix ans auparavant.
1860 – 1862 : A partir de 1860, son activité créatrice est débordante : outre son
activité de journaliste – il dirige avec son frère une revue le Temps dont il rédige
une grande partie des articles -, Dostoïevski reprend son activité de romancier.
La parution d’ Humiliés et Offensés en 1861 signe son retour dans les lettres
russes. Cet ouvrage s’inspire du roman social français et anglais (et plus
particulièrement de Dickens) et bénéficie d’une large audience : il est en effet
parsemé d’allusions à l’actualité du moment (par exemple la libération des serfs)
et il possède une tonalité franchement autobiographique.
Mais c’est surtout la parution de Souvenirs de la maison des morts en
1862 qui provoque l’enthousiasme de la critique et du public. Le sujet n’avait
jamais été traité et la Russie prend conscience alors des conditions inhumaines
de détention dans les bagnes. Rappelons que Tolstoï, dans une lettre à Strakhov
datée de 1880, considérait cette œuvre comme « le plus beau livre de toute la
littérature nouvelle, Pouchkine inclus. »
1864 : Dostoïevski écrit les Carnets du sous-sol au chevet de sa femme
mourante Marie Dimitrievna, emportée par la tuberculose. C’est donc la nuit
auprès d’une agonisante qu’il écrit ce récit fulgurant qui annonce tous les thèmes
de l’œuvre à venir, celle des grands romans. Ici se dessine de façon précise, le
héros dostoïevskien, le grand névrosé ultra-sensible qui ne peut naitre au monde
que par l’exercice dérisoire de la littérature.
1865 – 1880 : Dostoïevski va connaître une intense période de création
artistique à partir de 1865. Les grands romans ne vont cesser de se succéder
alors même qu’il poursuit son activité de journaliste, qu’il voyage à l’étranger
pendant près de quatre ans (de 1867 à 1871), qu’il s’adonne à la passion
dévorante du jeu, qu’il se marie et a des enfants. Le tout dans une précarité
permanente : Dostoïevski s’endette, perd au jeu tout en prenant à sa charge, à la
mort de son frère en 1864, sa belle-sœur et ses quatre enfants, tout en subvenant
aux besoins de son beau-fils Paul… Jamais les ennuis du quotidien n’ont
empêché Dostoïevski de s’adonner à son activité créatrice. Dostoïevski rédige
Crime et Châtiment en 1865 qui paraît au début de l’année 1866. C’est tout de
suite un succès considérable.
1866 : Dostoïevski doit remettre pour le 1 er novembre un roman à l’éditeur
Stellovski, avec lequel il a signé un contrat qui le livre pieds et poings liés à
celui-ci. Il va donc dicter un roman intitulé Le Joueur en vingt-six jours à une
jeune secrétaire, Anna Gregorievna Snitkine, envoyée par un ami. Il tombe
amoureux d’elle et, peu de temps après, elle accepte de devenir sa femme. Ils se
marient en 1867 avant de partir pour l’étranger.
1868 : Publication de L’Idiot. Dans ses brouillons, Dostoïevski a indiqué qu’il a
voulu peindre, à travers le personnage du prince Mychkine, un nouveau Christ,
un « homme parfaitement bon ». Mais ce roman se révèle finalement une
tragédie de l’amour, de cet amour impossible offert par le Prince Mychkine à
Nastassia Philipovna et qui aboutit à un thème majeur de l’univers
dostoïevskien : l’échec de la bonté.
1870 : Publication de L’Eternel Mari.
1871 : Après de nouvelles pertes à la roulette, Dostoïevski s’engage à ne plus
jouer. Anna prend les finances en main et parvient à rétablir la situation.
Publication des Démons. Le roman connaît un grand retentissement grâce à
l’évocation des milieux nihilistes et révolutionnaires.
1875 : Publication de L’Adolescent. Cette oeuvre se présente comme un récit
autobiographique écrit par un tout jeune homme. L’écriture du Moi, genre si
cher aux romantiques et si prisé au XIXe siècle, devient sous la plume de
Dostoïevski le récit d’une analyse avortée, d’une recherche confuse du sens et
entraîne le lecteur dans un récit volontairement confus où incohérences et
contradictions ne cessent de se succéder. Ce roman du secret emprunte les
chemins tortueux d’une quête de la vérité sur les origines et l’identité de cet
adolescent.
1880 : Publication des Frères Karamazov. Le dernier roman de Dostoïevski est
celui de l’accomplissement et condense tous les thèmes de son univers
romanesque : la question de l’existence de Dieu, l’impossible justification du
Mal, la mort du père, la désagrégation des individus, la maladie à travers
l’évocation de l’hystérie et du règne des passions et le thème crucial de
l’enfance.
1881 : Dostoïevski meurt le 9 février, victime d’un épanchement de sang dans la
gorge. Anna se consacrera jusqu’à sa mort, en 1918, à la mémoire de son mari.
Bibliographie
La totalité de l’œuvre de Dostoïevski a été retraduite par André Markowicz entre
1991 et 2001 et publiée dans la collection de poche « Babel » des éditions Actes
Sud.
Les Pauvres Gens (1846), Actes Sud, coll. « Babel », n° 493.
Les Carnets de la maison morte (1860 – 1862), coll. « Babel », n° 560 ou
Souvenirs de la maison des morts, traduction d’Henri Mongault,
Gallimard, coll. « Folio classique », n° 925.
Les Carnets du sous-sol (1864), coll. « Babel », n° 40.
Crime et Châtiment (1866), coll. « Babel », 2 vol., n° 231 et n° 322.

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