du lubrifiant moteur pour sgt.pepper, une mission de
Transcription
du lubrifiant moteur pour sgt.pepper, une mission de
← Il veut contribuer à conserver la mémoire musicale du monde : Andreas Kuhn, technicien des bandes son et spécialiste Studer. DU LUBRIFIANT MOTEUR POUR SGT. PEPPER, UNE MISSION DE SAUVETAGE POUR PRINCE Les magnétophones de Willi Studer étaient réputés dans le monde entier pour leurs techniques de pointe. Même si les techniques d’enregistrement analogiques ont depuis longtemps été remplacées par des techniques numériques et si la société Studer fait à présent partie d’un groupe américain, les magnétophones Studer sur lesquels les Beatles aussi avaient misé, sont encore utilisés, tout du moins dans le domaine de l’archivage. Et cela, en partie grâce à l’engagement sans compromis d’Andreas Kuhn, technicien professionnel des bandes son. Samuel M ume n thaler O F CO M «Un Studer, un micro et le courage d’y aller», répondait en 1970 le Beatle Paul McCartney à un journaliste qui lui demandait ce qui l’avait incité à attaquer son premier album solo. Par «Studer», ce musicien perfectionniste évoquait le magnétophone à quatre pistes de la société suisse Willi Studer AG qu’il avait installé dans son appartement du quartier londonien chic de St. John’s Wood. Pour avoir déjà travaillé dessus avec les Beatles, McCartney savait bien que son magnétophone J37 était un produit de tout premier ordre, apportant une aide précieuse dans le processus créatif. Le jouet préféré des Beatles En 1965, les studios Abbey Road de la maison de disques EMI, situés tout près du domicile de l’époque de McCartney, s’étaient procuré les premiers magnétophones de Studer. Aupa- ravant, ils travaillaient à Londres avec leurs propres équipements (BTR) et avec les indestructibles machines de la société allemande Telefunken. La précision incroyable et la technologie à la fois sophistiquée et simple à l’entretien des magnétophones suisses ont cependant fini par s’imposer. A peine les premiers magnétophones J37 de Studer étaient-ils installés que les Beatles, qui étaient alors le fer de lance artistique et commercial incontesté du groupe EMI, ont voulu à travailler avec. Le J37 a été utilisé pour la première fois pour les enregistrements de la bande son du film «Help». Les résultats obtenus et les nouvelles possibilités technologiques offertes par les magnétophones Studer ont alors suscité un incroyable enthousiasme. Pour les Beatles et les techniciens son d’Abbey Road, il n’existait plus d’alternative valable aux magnétophones P I O NN I E R S / P I O NN I E R S MEMORIAV Photo : Markus Frietsch, Zurich Studer. Même «Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band», l’album qui pour beaucoup est l’héritage musical du XXe siècle, a été intégralement enregistré sur le magnétophone quatre pistes J37 de Studer lors de séances qui ont duré plusieurs mois. La façon enthousiaste et innovante dont ses équipements ont été utilisés dans les studios Abbey Road n’a pas échappé à leur «père», Willi Studer. Lorsqu’il travailla sur un nouveau magnétophone professionnel, le légendaire modèle A-80, il invita les ingénieurs du son d’Abbey Road dans ses usines près de Regensdorf. Il leur fit une démonstration des prototypes et leur demanda leur avis. Ken Townshend, l’un des techniciens invités, qui a écrit l’histoire de la pop aux côtés des Beatles, se souvient de son hôte suisse : «Willi Studer était incroyable : le premier à arriver à la fabrique le matin, et le dernier à en partir le soir.» Une entreprise individuelle synonyme de «satisfaction» L’un des historiques magnétophones J37 Studer sur lesquels les Beatles ont enregistré leurs indémodables chansons se trouve actuellement dans un petit atelier de l’Oberland bernois. Il a été envoyé en Suisse pour une révision générale, une tâche complexe dont se charge Andreas Kuhn, qui s’est entièrement spécialisé avec son entreprise individuelle «analog-audio» dans la maintenance complète des magnétophones Studer. «Il y a quelques temps, j’ai été invité par les studios Abbey Road, qui avaient entendu parler de moi en tant que spécialiste Studer», se souvient Andreas Kuhn, qui grâce à son activité avec «analog-audio» ressent pour la première fois ce qui lui manquait depuis longtemps dans son précédent emploi : la «satisfaction». «Les propriétaires des studios Abbey Road sont conscients de leur responsabilité envers l’histoire de la musique. Un magnétophone Studer J37 est un morceau d’histoire et doit par conséquent être entretenu par un professionnel spécialisé. Ainsi, j’ai offert à la machine sur laquelle un jour <Sgt. Pepper> a été Un pionnier de la technique de bande son : Willi Studer (1912–1996). . Photo : Olivier Garros, Paris enregistré (Studer J37 n°1) un petit entretien et j’ai appliqué un peu de ce lubrifiant moteur spécial qui lui avait manqué pendant longtemps. J’ai laissé ma carte de visite et ai reçu quelques semaines plus tard un appel de Londres. Depuis, c’est à moi qu’ils s’adressent pour les révisions de leurs machines Studer.» «Servir avant de mériter» Andreas Kuhn est un homme qui s’est fixé une mission : «Mon engagement va bien au-delà de celui d’une entreprise commerciale normale», insiste-t-il. «Studer est une société suisse qui a écrit un peu de l’histoire mondiale. Si nous autres suisses avons une qua lité, c’est bien la précision, que nous avons su diffuser partout dans le monde. Cela vaut pour les montres aussi bien que pour les machines de Willi Studer. Je me sens lié à cette tradition, tout comme au slogan qu’employait autrefois Willi Studer pour définir son travail, ’Servir avant de mériter’.» Le feu qui anime ce fervent amateur de Studer et technicien de précision a aussi été remarqué par la société Studer, pour laquelle Andreas Kuhn n’a du reste jamais travaillé. ← Les plans de construction de Studer, qui sont nés ici dans une salle de dessin des années 1960, se trouvent aujourd’hui tous dans les archives d’Andreas Kuhn. P I O NN I E R S / P I O NN I E R S MEMORIAV Photo : Willi Studer AG Le légendaire magnétophone Studer J37, avec lequel les Beatles ont travaillé. Photo : Markus Frietsch, Zurich Désormais, toutes les archives de l’ancienne société Willi Studer AG, qui fait partie depuis 1994 du groupe américain Harman International Industries, sont conservées par le technicien son de Spiez. Grâce aux archives complètes des plans et des études, aux innombrables «Studer Interna», aux appareils de mesure spéciaux dont il dispose et aux enseignements des anciens ouvriers de fabrication, Andreas Kuhn peut placer la barre très haut sur le plan professionnel, étant donné que, selon ses propres termes, il dispose d’une «caractéristique unique». «Chaque appareil qui quitte mon atelier répond aux cahiers des charges d’usine et équivaut donc à un appareil neuf, sur le plan technique aussi bien que mécanique», affirme Andreas Kuhn. Un service qu’il est le seul à pouvoir fournir. Sa base de clients qui, même à l’ère du numérique, continue de se fier aux atouts des magnétophones analogiques Studer, est réduite mais de qualité. «J’occupe le plus petit marché de niche qui puisse exister», estime Andreas Kuhn. Il est fier de sa clientèle principalement composée de studios professionnels du monde entier, qui sont par exemple spécia lisés dans la numérisation et le remastering d’anciens enregistrements analogiques. Dans ces domaines – comme du reste dans celui des archives audiovisuelles, où il s’agit de conserver un maximum d’informations acoustiques – il est essentiel que le magnétophone fonctionne à la perfection. En effet, c’est lui qui lit la bande originale à partir de laquelle un transfert numérique est réalisé. «Lorsque la numérisation laisse à désirer, ce n’est généralement pas dû seulement au contenu de la bande mais aussi au magnétophone, qui doit être bien entretenu pour fonctionner correctement», souligne Andreas Kuhn. Déformé, recourbé, boulonné Andreas Kuhn n’a de cesse de rappeler que l’histoire de Studer est un pan de l’histoire de l’industrie suisse. Il ne veut pas être considéré comme un nostalgique mais en tant que professionnel du son, cela l’ennuie que des produits Studer soient aujourd’hui bricolés n’im- porte comment puis bradés dans cet état sur Ebay ou d’autres sites similaires. Parfois, l’industrie de la musique moderne fait aussi appel à l’expert de Studer. C’est ce qui est arrivé lorsque, après un concert à Montreux, la pop star Prince a spontanément décidé de faire des enregistrements en Suisse et a insisté pour utiliser le magnétophone Studer A-800 du studio choisi. «Il est parti à l’entretien», a alors objecté le directeur du studio. Imperturbable, la star a annoncé qu’elle viendrait comme prévu le lendemain pour la séance et ferait ses enregistrements sur le magnétophone Studer. C’est ainsi qu’Andreas Kuhn, qui avait déjà encouragé le propriétaire du studio, mais sans succès, à faire entretenir son magnétophone, a été appelé pour une intervention nocturne d’urgence. Il a dû consacrer 12 heures de travail à cette «mission de sauvetage». «Le magnétophone était déformé, recourbé et boulonné – l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire», se souvient-il avec un sourire. Lorsque sa sérénissime altesse de la pop Prince arriva le jour suivant pour la séance d’enregistrement, le A-800 fonctionnait à nouveau tant bien que mal. Prince n’a jamais rien su de l’homme qui, dans l’ombre, avait rendu cela possible. Cela ne gêne pas Andreas Kuhn. «Je suis un artisan», affirme-t-il. «Je veux contribuer à conserver la mémoire musicale du monde.» Astuce TV Grâce aux archives de la SRF, vous pouvez redécouvrir le documentaire télévisuel «Spulen der Zeit: Studer Revox» (1994) de Dölf Duttweiler, dans sa version en ligne. w www.memoriav.ch/studer