Lire - Collège Saint Joseph de Cluny
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160 avenue du Prado 13295 MARSEILLE CEDEX 08 Tél : 04 91 13 77 00 Fax : 04 91 13 77 09 [email protected] Marseille, le 21 Août 2016. Christian SCIAKY Chef d’établissement « Espérer dans un océan de malheurs ! » Comme chacun de vous, après une année d’intense labeur, j’aspirais à un temps de vacances d’été des plus réparateurs. Les dernières manifestations nationales contre la loi travail et la réforme du collège rangeaient leurs slogans et leurs banderoles, non sans promettre un retour en force en septembre, les derniers casseurs irresponsables, rassasiés de violence gratuite, s’en retournaient dans leur pauvre vie exempte de sens, le chanteur Renaud (du moins ce qu’il en reste) commençait chaque heure à nous murmurer sur toutes les radios qu’il avait embrassé un flic. Il ne manquait plus à l’appel que ce bon vieux Bison Futé pour nous donner les sempiternels conseils de bonne route. Le top départ des dites « grandes vacances » était lancé, nous n’avions plus qu’à nous laisser gagner par l’insouciance estivale, les ennuis attendraient la rentrée. Mais, en cette soirée du 14 Juillet 2016, dans ce temps festif de célébration de ce qui fait l’ADN de notre pays, l’égalité, la liberté, la fraternité, nos cœurs ont chaviré de l’autre côté, du côté obscur. Sur cette Promenade des Anglais, avec ce camion transformé en machine à tuer des dizaines d’innocents, ces vies injustement arrêtées, ces familles brisées à jamais nous ont fait définitivement basculer dans un autre monde. Nous aurions pu alors penser que, compte tenu de la violence de l’évènement, le sort arrêterait de s’acharner sur nous. C’était sans compter sur le fait que l’esprit du mal travaille sans relâche en ce bas monde. Comble de l’horreur, si tenté que ce comble existât, l’assassinat d’un prêtre dans l’exercice de son acte d’amour du Christ le plus sacré venait réduire à néant le peu d’espoir en l’homme qui nous restait. Toutes les misères de notre monde nous sont alors brusquement revenues à l’esprit. Pendant que nous assistions impuissants aux diverses prises de position de nombre de nos hommes politiques, saisissant opportunément le malheur de leurs frères comme une caisse de résonance leur permettant d’exister en vue des prochaines élections, notre planète continuait à être sacrifiée sur l’autel du profit. Et voilà qu’après la mascarade de la COP 21, après nous avoir crié à chaudes larmes que le monde était sauvé, quand retournés dans leurs ministères de l’économie et des finances respectifs nos grands de ce monde ont fait leurs comptes sur leurs grandes machines à calculer, incapables de mettre en application les quelques décisions communes arrachées de longue lutte, ils nous ont annoncé l’impérieuse nécessité de convoquer la COP 22 ! Il fut un temps où le ridicule et le déshonneur tuaient! Le monde et les différentes sociétés qui l’habitent, ne sont pas un long fleuve tranquille. L’école, dont l’image est le reflet de la société non plus. Les propos que je vais tenir à présent m’engagent et je vais les assumer. Un Chef d’établissement d’un établissement catholique d’enseignement, en contrat d’association avec l’État, n’a de devoir de réserve que celui qu’il s’impose à lui-même dans le cadre d’une éthique respectueuse et responsable. Il n’est pas un fonctionnaire, Chef de service d’enseignement, qui se doit de rester sur la réserve car représentant de l’État en lieu et place. Je sais que chacun de vous, dans son fort intérieur, souhaite savoir ce que je pense de la nouvelle réforme du collège. Et bien ma réponse sera, le plus grand mal et le plus grand bien ! Approchant bientôt les quarante années de dits « bons et loyaux services », je reste stupéfait que depuis que l’école existe, on ne cesse d’utiliser la réforme comme levier de changement. Ces gens intelligents qui pensent notre quotidien avec nos élèves, n’ont toujours pas compris que ce mot même de réforme est mortifère. Si au sens premier, une réforme est « une correction apportée en vue d’amélioration », les réformes successives que nous subissons depuis plusieurs années ne sont perçues qu’avec une autre définition du dictionnaire : « mise hors de service du matériel périmé ». Dans une équipe gouvernementale, il y a toujours un sacrifié d’office : le ministre de l’éducation. Le plus souvent venu de nulle part, du moins pas de l’école quittée depuis un certain temps, il va devoir prouver en un temps record qu’il est capable de changer l’avenir de notre jeunesse. De fait, tout ce qui a précédé son arrivée est à revoir, car naturellement, l’échec c’était avant ! Ces attitudes récurrentes, quel que soit le pouvoir en place, sont des insultes répétées aux gens de terrain que nous sommes. Elles disent simplement, mais avec une violence intolérable, que notre travail n’a servi à rien ! Alors qu’il suffirait à ces ministres successifs de nous parler en vérité et de nous dire simplement : « Je ne connais pas grand-chose de l’école et de vos métiers, mais j’ai de la considération pour vous. Je vous demande de faire équipe avec moi et, avec votre expertise, pouvoir conduire ce beau ministère de la nécessaire évolution de l’enseignement aux temps à venir ! ». Je me dois ici de rendre un hommage particulier à mon équipe enseignante. L’utilisation du possessif pourrait sembler déplacé ou dans la bouche d’un « chefaillon » en mal de pouvoir considérant les personnes comme des choses qu’il s’approprie. Si j’utilise ce possessif, c’est parce qu’il a un sens profondément affectif. Dans certains livres de management, on interdit au chef d’afficher ses sentiments. Pour ma part, je veux qu’on le sache, mes professeurs, quelles que soient les manifestations de mes colères de temps à autre, je les aime toutes et tous avec déraison. Avec leurs imperfections certes, mais que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre, ils se donnent sans compter, avec professionnalisme et humanité à leur mission, la plus belle et la plus noble, l’instruction, la co-éducation et la construction d’une partie du parcours de réussite des jeunes, qu’elle soit matérielle ou spirituelle. Je ne saurais ici oublier tous les autres personnels qu’ils soient d’entretien, des services administratifs, de la vie scolaire et de la pastorale. Ce sont des personnes admirables qui sont pour moi, chaque jour que Dieu fait, des sources de bonheur et de fierté. Ainsi en équipe, nous nous sommes lancés à corps perdu dans la préparation de cette énième réforme. Alors que cette dernière, de part sa structure propre, va s’appliquer en une seule fois à l’ensemble des nouveaux cycles depuis le CM1 jusqu’à la classe de troisième, et ce à la rentrée de septembre, nous aurions été en droit d’attendre de nos responsables un délai convenable pour réaliser tout ce travail. Une fois de plus, nos espoirs auront été vains. Avec tous mes collègues, je ne peux que m’indigner de voir les nouveaux programmes stabilisés (car ils changent tous et dans toutes les matières) diffusés pendant les vacances de Noël 2015 ! Il nous restait donc sept mois pour être opérationnels pour la rentrée 2016 ! Scandaleux ! Et bien, ce tour de force, nous l’avons réalisé. Ils l’ont fait ! Certes, il y aura des régulations à effectuer, mais en personnes responsables et capables de respecter les lois de notre pays, nous avons donné le meilleur de nous-même pour nos élèves. Il ne reste maintenant qu’à souhaiter que le prochain ministre ne balaie pas tout ce travail d’un trait de décret. L’histoire dira également comment va faire l’actuelle ministre pour prouver en un temps record que cette dernière réforme a produit des fruits… il faut des résultats et vite ! J’attends avec beaucoup d’impatience tous ces beaux reportages télévision, déjà tournés et mixés, prêts à tous nous convaincre que ça marche ! Pour ma part, j’affirme qu’il nous faudra au minimum neuf ans pour le vérifier, soit la durée d’un parcours scolaire d’un jeune depuis le CM1 jusqu’à la terminale, qu’il se dirige vers un baccalauréat général ou technologique, ou un baccalauréat professionnel. Mais le temps politique n’est pas celui de l’instruction ! Cette réforme a pour objectif de faire réussir tous les élèves. Bravo ! Si elle tient le temps, l’histoire dira si elle fait réussir les plus faibles. Hélas, son ambition s’est très vite confrontée aux moyens financiers nécessaires pour la faire aboutir avec meilleure assurance. Nous avons très vite déchanté en voyant sur le terrain un simple redéploiement de l’existant. Dans cette redistribution des cartes, certains ont un peu gagné, d’autres ont beaucoup perdu. Sans entrer ici dans une explication fastidieuse et soporifique, notre établissement fait partie, hélas, des perdants, en témoignent la mise à sacs de l’enseignement des lettres classiques, la mutation le notre classe bilangue et la disparition progressive de notre section européenne. Je suis de ceux qui pensent que l’école est et doit être de toutes les intelligences. Néanmoins, une école de toutes les intelligences ne signifie pas uniformisation des intelligences, mais bien élévation de tous les niveaux et au maximum de leurs capacités. C’est l’appel à se dépasser, en route vers l’excellence et c’est en ce sens qu’il nous faut former les élites. Cette expression semble déranger nos décideurs, car elle n’est pas vendeuse de voix électorales. La raison ? Notre pays est devenu incapable de former ses élites en leur donnant le sens de l’autre. Dans une société où la personne humaine ne représente qu’une valeur en euro, former l’élite sera toujours associé à l’exploitation de l’homme par l’homme. Cette rentrée fait néanmoins la fierté de mon équipe. Grâce à tout le travail pédagogique accompli depuis plusieurs années, notre établissement fait partie des mille premiers collèges numériques privés et publics de ce mois de septembre 2016, sélectionnés sur dossier. Selon un plan pluriannuel de trois années, nos élèves des classes de 5ème seront progressivement dotés de tablettes numériques et leur usage sera généralisé sur tous les niveaux à l’horizon 2018/2019. Sur ce plan, la réforme devrait être une réussite. Il faudra tout de même que le partenariat Conseil Départemental – État tienne ses engagements dans la durée, car, conscients des enjeux pour l’avenir de nos jeunes, nous nous sommes énormément investis. L’ubérisation inéluctable de nos sociétés et de notre monde, la révolution transhumaniste en marche pose à chacun de nous des questions vitales. L’avenir de notre humanité en dépend. Nous sommes entrés dans une quête d’éradication de la mort et avoir pour ambition de supprimer la maladie et ses méfaits est plus que louable. Jusqu’où irons-nous ? Il y aurait ici des milliers de lignes de propos à tenir que je laisse à bien d’autres plumes plus habiles que la mienne. Néanmoins, dans une visée d’anthropologie chrétienne de l’homme, on ne peut que s’inquiéter des dérives qui pourraient modifier à terme ce qui fait le fondement de l’humanité. Irons-nous par exemple, jusqu’à programmer l’enfant parfait que tel ou tel parent souhaiterait ? Et quelle est la perfection dont on parle ? L’ubérisation en marche va changer en profondeur nos modes de consommation. Des pans entiers de nos systèmes économiques vont muter, se transformer, voire disparaître. Comment donnons-nous à nos jeunes les possibilités de maîtrise de ces outils numériques avant que les outils ne nous maîtrisent ? Il y a urgence et, de toutes mes forces, je fais le vœu que plus aucun pouvoir politique en responsabilité ne revienne sur ces dispositifs de promotion du numérique en pédagogie. Il existe enfin un dernier levier de réussite de cette réforme, le travail collaboratif. Qu’il s’appelle travail pluridisciplinaire pour les professeurs, appelés à travailler en équipe pour harmoniser leurs programmes, répartir les tâches sur les différents niveaux de classe du CM1 à la classe de troisième, qu’il s’appelle Enseignement Pratique Interdisciplinaire pour les élèves, il est destiné à entrer dans la réussite par le transfert des compétences. Il faudra bien en finir un jour avec le cloisonnement des matières. Chacune poursuit les mêmes objectifs : l’acquisition de connaissances, les savoirs, l’acquisition de techniques, de méthodes de travail, les savoir-faire, l’acquisition de comportements adaptés pour apprendre, pour construire ensemble, les savoir être. Il s’agit pour tous d’acquérir des compétences culturelles et comportementales qui, en associant toutes les matières équitablement, rendront nos jeunes ouverts au monde et adaptables à toutes ses évolutions. On pourrait presque parler d’utopie. Mais s’il existe des utopies négatives qui avilissent la personne, celle qu’on nous propose ici fait grandir. Dans notre été de tous les malheurs, nos frères humains ont cherché l’oubli et un refuge pour leurs angoisses. La crainte de perdre des premiers jours passée, nos sportifs de haut niveau ont fini par briller sur les podiums des jeux olympiques. Pendant ce temps-là, le nec plus ultra de l’anesthésie cérébrale arrivait enfin, la chasse aux Pokémons était lancée et les polémiques avec, rendant de fait multi millionnaires les concepteurs géniaux de ce jeu. Ainsi l’histoire est un éternel recommencement, si nous avons les jeux, prions pour avoir toujours le pain ! Dans ce bruit assourdissant de désespérance, une voix s’est levée pendant les Journées Mondiales de la Jeunesse en Pologne. Une fois de plus, notre Pape François est intervenu pour nous donner les clés de l’espérance. De toutes ses paroles aux jeunes, mais également à chacun de nous, j’en retiendrai quatre pour qu’elles soient nos guides pendant cette année : « La miséricorde a toujours le visage jeune : et celui qui accueille Jésus, apprend à aimer comme Jésus. Alors, il nous demande si nous voulons une vie pleine. Et moi, en son nom, je vous pose une question : veux-tu, voulez-vous une vie pleine ? Commence à partir de ce moment à te laisser émouvoir ! Car le bonheur germe et s’épanouit dans la miséricorde : voilà sa réponse, voilà son invitation, son défi, son aventure : la miséricorde. La miséricorde a toujours un visage jeune… » « Notre réponse à ce monde en guerre a un nom : elle s’appelle fraternité : … à présent, nous, nous ne nous mettrons pas à crier contre quelqu’un, nous ne nous mettrons pas à nous quereller, nous ne voulons pas détruire. Nous, nous ne voulons pas vaincre par la haine par davantage de haine, vaincre la violence par davantage de violence, vaincre la terreur par davantage de terreur. Et notre réponse à ce monde en guerre a un nom : elle s’appelle fraternité, elle s’appelle lien fraternel, elle s’appelle communion, elle s’appelle famille. » « Ne pas confondre le bonheur avec un divan : dans la vie, il y a une autre paralysie encore plus dangereuse et souvent difficile à identifier, et qu’il nous coûte beaucoup de reconnaître. J’aime l’appeler la paralysie qui naît quand on confond le bonheur avec un divan ! Oui, croire que pour être heureux nous avons besoin d’un bon divan….La vérité est autre : chers jeunes, nous ne sommes pas venus au monde pour végéter, pour vivre dans la facilité, pour faire de la vie un divan qui nous endorme ; au contraire, nous sommes venus pour autre chose, pour laisser une empreinte….Chers amis, Jésus est le Seigneur du risque, du toujours au-delà. Jésus n’est pas le Seigneur du confort, de la sécurité et de la commodité. Pour suivre Jésus, il faut avoir une dose de courage, il faut se décider à changer le divan contre une paire de chaussures qui t’aideront à marcher sur des routes jamais rêvées et même pas imaginées, sur des routes qui peuvent ouvrir de nouveaux horizons, capables de propager la joie, cette joie qui naît de l’amour de Dieu, la joie que laisse dans ton cœur chaque geste, chaque attitude de miséricorde. Aller par les routes en suivant la folie de notre Dieu qui nous enseigne à le rencontrer en celui qui a faim, en celui qui a soif, en celui qui est nu, dans le malade, dans l’ami qui a mal tourné, dans le détenu, dans le réfugié et dans le migrant, dans le voisin qui est seul. Aller par les routes de notre Dieu qui nous invite à être des acteurs politiques, des personnes qui pensent, des animateurs sociaux. Il nous incite à penser une économie plus solidaire. Dans les milieux où vous vous trouvez, l’amour de Dieu nous invite à porter la Bonne Nouvelle, en faisant de notre propre vie un don fait à lui et aux autres. » « Et Dieu compte sur toi pour ce que tu es, non pour ce que tu as : Dieu nous aime ainsi comme nous sommes, et aucun péché, défaut ou erreur ne le fera changer d’idée. Pour Jésus, l’Évangile nous le montre, personne n’est inférieur et distant, personne n’est insignifiant, mais nous sommes tous préférés et importants : tu es important ! Et Dieu compte sur toi pour ce que tu es, non pour ce que tu as : à ses yeux ne vaut vraiment rien le vêtement que tu portes ou le téléphone portable que tu utilises : que tu sois à la mode ne lui importe pas, ce qui lui importe, c’est toi. Tu as de la valeur à ses yeux et ta valeur est inestimable…» De telles paroles et d’autres encore à découvrir ne peuvent être pour nous que source de réconfort et de courage. Si nous cherchions encore du sens à nos vies, notre Pape François est bien le seul guide à nous montrer la voie. Mais nous le savons inspiré de Dieu et des Évangiles. L’Évangile de Saint Luc de ce dernier dimanche d’Août nous donne une dernière indication. A nous qui cherchons notre place pour prendre part au festin du Royaume, le Seigneur nous dit que les derniers seront les premiers et que les premiers seront les derniers. Quelle est donc ma place ? Comme le dit mon magnifique curé de paroisse dans son homélie du jour, celle dont personne ne veut, pas même moi ! Cette réponse nous renvoie à notre condition humaine et à notre légendaire esprit râleur… Nous ne sommes jamais contents de ce que nous avons. Et si le Seigneur nous disait autre chose… « Fleuris là où tu es planté ! ». C’est tout ce qu’il faut apprendre à nos jeunes. Chacun d’eux a sa place qui l’attend, si importante ou modeste soit-elle. Mais cette place ne sera source de bonheur, d’épanouissement personnel que si elle donne du fruit. Ce fruit, c’est l’amour. C’est le message unique du Christ : il n’y a pas plus belle preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ! Il s’agit bien de réussir pour servir ! Alors oui, dans cet océan de malheur, à l’image de la mort qui ne passera pas, l’espérance est plus vivante que jamais. Bonne année scolaire 2016/2017. Christian SCIAKY