La genèse du quartier des Coteaux, une modernité urbaine tronquée

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La genèse du quartier des Coteaux, une modernité urbaine tronquée
Didier Burcklen est enseignant au collège Jean Macé. Titulaire d’une maîtrise d’histoire soutenue à l’UHA sur La genèse des Coteaux, il a publié en 2010, un ouvrage sur ce quartier intitulé Des hommes et des tours, Les Coteaux, Mulhouse 1960-­‐2010.Il a également participé à des cafés géographiques organisées à Mulhouse autour du thème des banlieues. La genèse du quartier des Coteaux, une modernité urbaine tronquée ? Espace de jeux sur une terrasse garage avec vue sur la barre Camus. Archives Municipales de Mulhouse, début des années 1970. « Mulhouse peut devenir pour nous un grand symbole : le symbole de l’urbanisme, l’urbanisme qui était autrefois un espoir et une perspective, mais qui va devenir maintenant une réalité. » Pierre Sudreau, ministre de la construction, Journée mulhousienne de l’urbanisme, 12 mai 1959. Terrasse garage en juin 2010. Photo C. Kohler. « Évidemment, certains ne nous épargneront pas leurs critiques ; on peut ne pas aimer, pour des raisons esthétiques, l'architecture dépouillée de nos constructions actuelles, surtout celle de nos maisons en hauteur. Nous partageons ce sentiment, mais nous avons néanmoins le devoir, tout en concevant l'habitat de l'an 2000, de garantir des logements sains au plus grand nombre et ceci avec des moyens limités et inadaptés, ce qui nous oblige à sacrifier le rêve aux réalités de tous les jours. » Emile Muller, maire de Mulhouse, brochure de l'Office public HLM de la ville de Mulhouse, 1972. Pour ouvrir notre sujet, mettre ainsi en perspective ces deux citations, d’époques et d’auteurs différents est sans aucun doute contestable du point de vue de la démarche historique, mais n’en reste pas moins intéressant à plus d’un titre pour mieux cadrer le sujet. D’abord, ces deux citations traitent toutes deux, de près ou de loin, d’une forme urbaine inédite et facilement identifiable dans le paysage mulhousien : les tours et barres du grand ensemble des Coteaux, construit sur les collines de l’Ouest mulhousien dans le cadre d’une des dix premières ZUP de France. La genèse du quartier des Coteaux 1/8 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 Ensuite, ces citations sont pertinentes pour leurs dates respectives, 1959 et 1972, limites chronologiques de cette présentation, puisque par « genèse du quartier des Coteaux », il faut entendre les années qui précèdent la construction des immeubles. Notre propos est en effet de comprendre les quinze années qui s’écoulèrent entre le projet urbain et les dernières constructions : les années 1960-­‐
1975 sont décisives dans l’histoire urbaine mulhousienne. Un autre intérêt de ces citations réside dans la fonction que chacun des auteurs occupe alors et, partant de là, l’échelle d’action qui y est associée : le premier, Pierre Sudreau, est alors ministre de la construction, donc un représentant de l’État, tandis que le second, Émile Muller, incarne quant à lui une (sa) ville, Mulhouse. L’histoire des ZUP et celle de la genèse du quartier des Coteaux sera aussi celle d’interactions entre ces deux échelles d’action, nationale et locale : les géographes parlent d’un « jeu d’acteurs ». Enfin, que nous disent les deux citations ? En 1959, Pierre Sudreau est enthousiaste et ambitieux, il parle de « (…) l’urbanisme qui était autrefois un espoir et une perspective, mais qui va devenir maintenant une réalité ». Treize ans plus tard, Émile Muller dresse un premier bilan de la construction de ces « maisons en hauteur » plus contrasté, où on sent poindre une part de regrets : il pense déjà qu’il a fallu « sacrifier le rêve aux réalités de tous les jours ». Cette mise en parallèle des propos de ces deux responsables politiques permet donc d’approcher la « modernité urbaine tronquée » qui caractérise, dès sa genèse, le quartier des Coteaux. Quels sont les éléments qui permettent de repérer le désenchantement urbain que provoque, dès sa sortie de terre, le quartier des Coteaux ? L’espoir d’une voie développement urbain nouvelle de La foi en une modernité urbaine nouvelle n’apparaît pas ex nihilo comme les tours et les barres dont il est question ici, elle est d’abord le résultat d’une dynamique idéologique, sociale et politique, aussi bien à l’échelle nationale qu’à celle de Mulhouse. Une pensée urbaine novatrice et force de proposition : l’apport théorique du Mouvement moderne Le « Mouvement moderne » est le nom donné à la pensée urbaine qui se développe en Europe dès les années 1920 et qui domine les discours et conceptions urbanistiques des années 1950 – 1970, tant du point de vue de la théorie que de celui de l’action politique. C’est en 1928-­‐1929 qu’un groupe de quarante-­‐huit architectes se réunit sous le nom de « Congrès Internationaux d’Architecture Moderne » (CIAM), derrière la figure de le Corbusier, avec pour objectif d’apporter une théorie nouvelle de l’urbanisme, qui ferait naître une ville globale et cohérente, pensée à partir de lois géométriques et mathématiques, donc universelles. En 1933, ce groupe d’architectes-­‐
urbanistes publie son manifeste, sous la forme d’un texte anonyme, retravaillé et republié par le Corbusier sous son nom en 1941, La Charte d’Athènes, la ville fonctionnelle. Pour construire des villes rationnelles, fonctionnelles et belles, la condition première posée par ces urbanistes modernes est de procéder à une action urbaine qui soit pensée à l’échelle de l’Homme, comme "animal urbain", l’individu type et universel devant être l’étalon, l’unité de mesure de tout aménagement. Comme l’exprime alors le Corbusier : « la taille de l’homme, son poids, ses besoins élémentaires, la fréquence de ses repas, la cadence de son travail et le rythme de son repos, la portée de sa voix, la sensibilité de son œil et de son ouïe, les limites de ses facultés et la façon dont il peut les accroître, tels sont les facteurs de base, les unités de mesure d’une organisation logique et organique de l’espace. »1 La genèse du quartier des Coteaux 2/8 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 Le fonctionnalisme est un principe ancien dans les théories urbaines, mais il va être repris et systématisé par les urbanistes modernes pour lesquels toute ville doit être pensée et organisée autour de quatre fonctions correspondant aux quatre besoins de "l’homme urbain", à savoir l’habitat, le travail, les loisirs et les déplacements. À chaque portion de l’espace urbain, on attribuerait ainsi dans l’idéal une fonction, en pratiquant une politique plus connue sous le nom de « zonage », découpant, segmentant la ville selon les activités qu’on y développe. L’habitat urbain est l’objet de toutes les attentions de la part des urbanistes modernes. Critiqué tel qu’il existe à l’époque, en raison de sa taudification du fait d’une croissance urbaine horizontale incontrôlée, faisant de la ville un espace de plus en plus étalé, aux densités de population élevées, l’habitat urbain devrait alors selon eux occuper le moins de place possible au sol et donc passer par des formes d’immeubles en hauteur. On ne densifie plus la ville, on densifie les constructions et on libère de l’espace aux alentours des constructions. L’avenir est donc au logement collectif. Ces immeubles présentent aussi l’avantage, par la libération des sols qu’ils impliquent, de permettre l’aménagement de zones de loisirs à proximité immédiate des immeubles, afin de faciliter le quotidien et l’acclimatation de l’homme à la vie en ville. En outre, ils permettent pour chaque habitant le droit à un prérequis indispensable à son épanouissement, les « conditions de nature » : un accès à un ensoleillement minimum, à de la verdure et à de l’espace. Un contexte propice à une urbanisation à marche forcée On parle déjà dans les années 1950 d’une crise du logement : c’est l’époque des années noires de la crise du logement, symbolisées par l’hiver 1954 et l’appel de l’abbé Pierre. On estime alors qu’il manque quatre millions de logements en France et plus particulièrement pour les populations les plus défavorisées, à qui l’on ne peut alors proposer que des habitats précaires et insalubres dans de nombreuses villes. Différents phénomènes se conjuguent pour créer cette situation, comme le déficit lié aux destructions de la Seconde guerre mondiale (plus de 500 000 logements détruits), la croissance démographique et spatiale des villes dans l’après-­‐guerre, laquelle a elle-­‐même des explications multiples : l’exode rural, le baby-­‐boom, la vague migratoire que connaît le pays, la croissance économique et l’allongement de la durée de vie font des villes des lieux où les besoins en logements explosent. L’État s’engage alors dans une politique volontariste de construction de logements et se positionne comme un acteur central de celle-­‐ci en ambitionnant d’en édifier près de 300 000 par an. Tout un arsenal législatif accompagne cette politique. On peut ainsi retenir la loi foncière du 6 août 1953, qui augmente les droits des pouvoirs publics en matière d’expropriation, mais surtout la loi dite du « 1 % patronal » du 9 août 1953 qui oblige toute entreprise de plus de dix salariés à investir à hauteur de 1 % de sa masse salariale dans la construction. Cette dernière loi est fondamentale puisqu’elle permet à l’État, par cette nouvelle source de financement, de créer un second secteur de logements HLM, celui de l’accession à la propriété, avec des immeubles construits sur fonds privés et publics. D’autre part, l’État se charge de rédiger le cahier des charges des constructeurs : il va également normaliser, réglementer et hiérarchiser la construction de logements, et notamment ceux directement sous son contrôle, c’est-­‐à-­‐dire les logements dits « sociaux ». Entre août et octobre 1955, dans le cadre de la publication du « Règlement national de l’urbanisme » et du « Règlement national de la construction », toute une série de lois impose aux constructeurs des prix plafonds, des délais, des tailles-­‐types (avec une réduction des surfaces minimales : ainsi pour un F5, celles-­‐ci en 1948 s’élèvent à 86 m2, en 1953 elles ne sont plus que de 63m2). La genèse du quartier des Coteaux 3/8 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 Les plus hautes autorités de l’État et de la Ville admirent, lors des Journées mulhousiennes de l’urbanisme (1959), une maquette d’un projet des Coteaux et d’appartements types. Académie d’architecture, Cité de l’architecture et du patrimoine, Archives d’architecture du e
XX siècle.
Mulhouse au cœur des Trente Glorieuses : entre tradition et modernité Dans les années 1950, la ville de Mulhouse connaît des restructurations et des recompositions multiples. Sur le plan économique, la ville connaît des reconversions qui lui permettent de faire face à la crise de ses activités traditionnelles que sont alors le textile et la potasse. De nouvelles activités se développent en ville ou dans sa région immédiate, notamment dans le secteur de la métallurgie, qui devient le secteur moteur de l’économie mulhousienne, grâce notamment à la fabrication automobile (Peugeot ouvre ses portes dans la forêt de la Hardt en 1962). La ville gagne ainsi en attractivité, et notamment envers les populations ouvrières. Sa population augmente donc régulièrement : alors que le cap des 100 000 habitants, déjà franchi avant la guerre, est à nouveau atteint en 1951, la cité du Bollwerk compte 110 735 habitants en 19622. Cette croissance démographique pèse sur l’offre de logements disponibles : même si la Ville s’est engagée dans une politique active de construction (programmes HLM au Drouot et dans le quartier DMC), au quatrième trimestre de 1957, les autorités locales comptent encore 1685 demandes de logements non satisfaites. Aussi voit-­‐on que, par son ampleur (3 500 logements), l’opération de construction de logements au quartier des Coteaux n’a pas pour seul objectif de faire face au déficit en logements disponibles à Mulhouse : elle est aussi un pari sur l’avenir, soutenant la volonté municipale de renforcement de l’attractivité démographique de la ville. Sur le plan politique, Mulhouse est alors dominée par la figure d’Émile Muller, le « maire bâtisseur »3 à la tête de la ville entre 1956 et 1981. Incarnant alors l’héritage des combats du "socialisme municipal" de l’entre-­‐
deux-­‐guerres, lequel avait à son actif la construction de nombreux quartiers d’habitat pour les populations les plus défavorisées (le quartier Brustlein en 1923-­‐1924, le Haut Poirier en 1929, Drouot entre 1930 et 1936). Tout en prolongeant cette politique sociale, Émile Muller incarne également la modernité urbaine des Trente Glorieuses : c’est lui qui fait aménager la Tour de l’Europe sur la friche industrielle de la Dentsche entre 1969 et 1972, il participe à l’arrivée du réseau autoroutier à Mulhouse, décide de la construction d’un centre universitaire en 1957, d’un parc municipal des sports en 1958 et l’hôpital du Moenschberg (1960-­‐1970) est son "bébé". Il prévoit alors déjà la Mulhouse, champ d’expérimentation des ZUP : construction de la résidence des Peupliers dans le cadre des travaux de la première tranche de l’ensemble résidentiel des Coteaux. Archives municipales de Mulhouse, sd (1962 ?). La genèse du quartier des Coteaux 4/8 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 construction d’un quartier d’habitation à vocation sociale sur les collines de l’Illberg. La sortie de terre du quartier des Coteaux : entre pragmatisme et désenchantement ? Vers une ZUP à Mulhouse Le 12 mai 1959 est une date clé dans la décision de créer une Zone à Urbaniser en Priorité (ZUP) à Mulhouse. Ce jour-­‐là, la ville organise la « Journée Mulhousienne de l’Urbanisme », sorte de vaste promotion publique des grands projets urbains voulus par la municipalité, sous la présidence de Pierre Sudreau, alors ministre de la Construction. Devant ce représentant de l’État et une population venue nombreuse, on présente alors, au Palais des Sports, le projet qu’a la Ville de construire plus de 3 000 logements sur les hauteurs de l’Ouest mulhousien, entre les quartiers de l’Illberg, du Haut Poirier et de Dornach. Mulhouse se positionne alors comme un terrain d’expérimentation idéal pour cet urbanisme volontariste voulu par l’État. Les événements s’enchaînent alors rapidement : le 26 octobre 1959, l’État informe la municipalité de sa volonté de créer une ZUP à Mulhouse. En janvier 1960 Mulhouse fait partie de la liste des dix premières ZUP créées en France tandis que, dans la foulée, l’État procède à la nomination de l’architecte coordinateur de la cette opération, en l’occurrence Marcel Lods, un collaborateur de le Corbusier et architecte du Centre universitaire mulhousien depuis 1958 : à charge pour lui d’élaborer le plan masse du futur quartier des Coteaux. Les délais alors envisagés prévoient des travaux entre 1962 et 1967. Précisons ici un point important : les Coteaux, ce n’est pas que la ZUP et la ZUP, ce n’est pas que les Coteaux… Les « Zones à Urbaniser en Priorité » créées par décret le 31 décembre 1958 sont des procédures visant à l’urbanisation de tout un secteur d’une ville, dans un périmètre bien déterminé ; en termes de logements, le palier minimal pour bénéficier du "label ZUP" est fixé à 500 logements accompagnés de leurs équipements annexes. Ces procédures permettent donc la concentration des moyens financiers et matériels des constructeurs pour l’aménagement de secteurs urbains tout entiers. De 1960 à 1969 (quand le régime des ZAC les remplace), 195 ZUP ont fourni à la France 803 000 logements. Trois en un : la ZUP de Mulhouse est constituée de trois zones distinctes. Atelier cartographique, Cresat. La genèse du quartier des Coteaux 5/8 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 À Mulhouse, le périmètre de la ZUP concerne trois zones bien distinctes, à usages différenciés : 110 hectares sont attribués à la zone sportive de l’Illberg, 90 hectares à la zone universitaire et technique et 50 hectares à la partie résidentielle des Coteaux, qui ne sont donc que la partie la moins importante, en terme de surface, du périmètre de cette ZUP. Le 14 octobre 1961, Marcel Lods présente au conseil municipal le plan masse du futur quartier des Coteaux. Pour assurer aux habitants les « conditions de nature » chères aux urbanistes modernes, auxquelles il ajoute la sécurité et le silence, il prévoit la construction d’immeubles de 13 à 18 étages (de 35 à 50 mètres de hauteur), dans une zone où les voies de circulation seraient exclues. Il envisage d’aménager cinq voies à grande desserte autour du quartier, son accès intérieur étant assuré par des voies d’accès aux immeubles reliés aux terrasses-­‐garages aménagées au pied des constructions. S’ouvre alors pour Mulhouse un chantier pharaonique et riche … en péripéties administratives. Les aléas d’un chantier de quinze ans : premiers regrets ? Si l’historien peut légitimement parler de « premiers regrets » pour désigner cette décennie correspondant à la construction du quartier, c’est parce qu’il y constate un décalage entre la livraison des logements et celle, plus tardive, des équipements collectifs, ces « prolongements du logement » pour les théoriciens des grands ensembles. La construction de près de 3 500 logements dans le quartier des Coteaux s’opère en quatre tranches différentes, chacune de ces phases de travaux débutant par d’importantes opérations de terrassement, de nivellement et de drainage du terrain, en raison de la configuration vallonnée du site. Entre 1962 et le début de l’année 1965, l’Office Public HLM de la ville fait construire deux barres de 12 étages et deux tours de 18 étages en bordure de la rue Camus, tandis qu’une société d’habitat social, la Société Civile pour le Développement de l’Habitat à Mulhouse et Environs (SCDHME) fait construire deux barrettes de 325 logements en accession à la propriété (résidence « les Peupliers »). En 1964, les premiers habitants du quartier prennent possession de leurs logements, on livre alors 50 appartements par mois. De 1965 à 1967, l’OPHLM fait rajouter deux tours et deux barres de 541 logements entre le boulevard des Nations et la rue Grünewald, tandis que la SCDHME fait construire les deux fois 142 logements des tours Plein Ciel (dont les plans ont été dessinés par Lods lui-­‐même). La troisième tranche d’habitation du quartier est construite de 1968 à 1971 : 416 logements sont construits pour le compte d’OPHLM dans les barres de la rue Cézanne tandis que le bailleur Logis Est fait édifier deux tours de 135 logements chacune. En 1971, les 2/3 du quartier sont achevés, il compte déjà 12 000 habitants. L’aménagement de la quatrième tranche est plus compliqué ; après la démission de Marcel Lods de son poste d’architecte coordinateur, pour semble-­‐t-­‐il des incompatibilités avec les services de la Ville, le projet initial retourne pour étude sur les bureaux de l’administration centrale. En 1972, une nouvelle version de cette quatrième tranche est présentée au conseil municipal : au lieu des 969 logements dans trois tours et deux barres, on propose de construire 1122 logements dans trois îlots d’habitation indépendants les uns des autres, dans la partie centrale du quartier et de forme cruciforme, ce qui casse la vision, d’ensemble tout en parallélisme voulue par Lods. Malgré un tollé général des élus et de nombreux habitants du quartier (qui se regroupent en associations et créent alors un « Comité de défense du quartier des Coteaux »), la construction de ces immeubles a lieu entre 1972 et 1975, alors que depuis 1969 les procédures ZUP n’existent plus et qu’en 1973, la « circulaire Guichard » interdit les grands ensembles en France. On augmente donc le nombre de logements finalement construits dans le quartier, d’où une baisse du coefficient d’aération du quartier et de la La genèse du quartier des Coteaux 6/8 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 durée d’ensoleillement, loin des « conditions de nature » des urbanistes modernes. Les causes des « premiers regrets » sont donc à chercher dans le retard pris par la mise à disposition aux habitants des équipements Les Coteaux et le campus universitaire, Sd (après 1967). Académie d’architecture, Cité de l’architecture et du patrimoine, Archives d’architecture du XXe siècle.
collectifs du quartier, prévus dans le cadre des procédures ZUP selon la "grille Dupont", outil des aménageurs qui, selon la taille du quartier, référence les différents équipements à construire, quelles que soient les réalités démographiques et sociales locales. Pour les Coteaux, les exemples sont alors nombreux : hormis les structures commerciales, qu’ils soient de types scolaire, social, culturel, tous les différents équipements du quartier seront livrés en retard par rapport au rythme d’arrivée des habitants. S’il ne fallait retenir qu’un seul exemple de ce problématique retard, le plus épique et le plus représentatif des lourdeurs de ces procédures ZUP, est sans conteste celui de la construction du collège Jean Macé. Pour soutenir les entreprises locales du bâtiment qui sont alors en difficulté, la ville de Mulhouse obtient de l’État de conserver la maîtrise d’ouvrage pour la réalisation de cet équipement et donc de faire appel à des entreprises mulhousiennes, tout en s’engageant à respecter le cahier des charges imposé. Les travaux ont lieu pendant le premier semestre de 1967 et permettent de livrer sept bâtiments permettant d’accueillir 1 200 élèves ; par rapport au projet initial, la demi-­‐pension n’est pas réalisée, le collège devant recevoir des enfants du quartier. Prenant acte de la décision municipale, l’État décide de retenir sur les bureaux de l’administration centrale les documents indispensables à l’ouverture du collège si bien que la Ville fait réaliser dans l’urgence cette demi-­‐pension durant l’été 1967. En septembre, le collège est prêt à ouvrir, mais le matériel et le mobilier pédagogiques, fournis par le ministère de l’Éducation nationale, n’ont toujours pas été livrés, si bien que les inscriptions des élèves ont lieu avec des tables et des chaises de camping, sous les flashs amusés de la presse locale. Dans la nuit du 16 au 17 septembre 1967, alors que la rentrée des élèves est prévue pour le lendemain, un train spécial arrive en gare du Nord avec l’ensemble du matériel ; grâce à la mobilisation des ouvriers municipaux durant cette nuit, la rentrée des 1 200 collégiens du quartier et de ses environs a lieu dans des conditions normales. En 1973, le ministre de l’aménagement du territoire et de l’équipement Olivier Guichard signe la circulaire interdisant officiellement les grands ensembles en France alors que, depuis 1969, les procédures ZUP n’existent plus. À cette date, le grand ensemble des Coteaux n’est alors pas achevé, mais les immeubles qu’on termine d’y construire apparaissent déjà comme obsolètes aux yeux des aménageurs et des politiques. C’en est donc fini de cette parenthèse de l’urbanisme opérationnel qui, tout en cherchant à proposer des logements modernes pour le plus grand nombre, portait l’espoir de villes pensées globalement, tout en hiérarchies et codifications. À Mulhouse, quand le chantier des Coteaux s’ouvre en 1961, jamais on n’a encore vu de tels immeubles se construire ; moins de quinze ans plus tard, ils marquent définitivement le paysage de la ville. À cette époque, jamais on n’avait non plus vu à Mulhouse un quartier aménagé "main dans la main" avec l’autorité étatique centrale, cette main de l’État se révélant vite être « une main de fer dans un gant de velours ». Si la construction du quartier des Coteaux permet La genèse du quartier des Coteaux 7/8 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 à la ville de se doter de plus de 3 500 logements et ainsi de résorber son déficit en la matière tout en se dotant d’un parc suffisant de logements, notamment sociaux, pour accompagner sa croissance et renforcer son attractivité, ceci implique pour elle de confier son destin urbain à l’État : il y a là une vraie rupture dans son histoire urbaine. Quant à la « modernité urbaine tronquée », celle-­‐ci est sans aucun doute à chercher dans les limites sur le terrain des procédures ZUP, déconnectées des réalités locales, et des répercussions qu’elles ont dans la réalité vécue par les acteurs locaux et, surtout, les premiers habitants du quartier : le mythe d’un quartier au bonheur livré clés en main s’effrite assez rapidement. 1
Le Corbusier, Espaces pour l’homme, Ministère de la Construction, Comité du livre du Maître, DD/DS I, avril 1960. 2
Pour des chiffres plus précis, consulter les bulletins statistiques trimestriels alors édités par la Ville. 3
Expression empruntée à : A. Heckendorn, Mulhouse, une vile trois maires, Édition Journal des Ménagères, Mulhouse, 2001. Les Coteaux, figure de proue de la m odernité m ulhousienne des années 1970. Fonds privé. La genèse du quartier des Coteaux 8/8 www.rhenanes.com, N°2 / Hiver 2011 

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